Rose, ou le bonheur aux tortues

Notes de l’auteur : Désolé d'avoir hiberné pendant pas mal de temps ^^ mais nous revoici, toujours vivantes, toujours debout !
Bonne lecture !

Mes paupières sont encore collées alors que le coussin rêche du canapé laisse sa marque sur ma joue. Un sacré coup de fatigue… Je ne peux pas voir l’heure de la cuisine, mais je peux néanmoins affirmer que la nuit est tombée depuis belle lurette.

Il ne manquait plus que ça.

Je me suis endormie avant même de finir les tâches essentielles de la maison ! Je pense au bac de linge sale qui attend dans la buanderie… et les carreaux à laver… Mais quelle idiote !

En me redressant soudainement, mon corps grince comme à son habitude tel une chaise pliante. Il faut que je prenne rendez-vous chez l’ostéo dès que tout ça sera fini. Il faut que je note. Où sont les post-its ? Ah oui, le tiroir de la cuisine. Je me mets debout tant bien que mal, et finis par mettre la main sur les fameux post-its.

Prendre RDV ostéo Rose

En dessous de cette inscription je marque IMPORTANT, et souligne plusieurs fois avec un stylo rouge. Pour finir, j’arrache le post-it du bloc et le colle sur la porte du frigo, qui est déjà saturée de mots eux aussi soulignés de rouge.

Une forte odeur me monte soudainement au nez, et je remarque alors les bouteilles de vinaigre posée sur le plan de travail, accompagnées d’une marée de torchons bariolés.

J’ai appris à contrôler mes crises d’hystérie. Calme Rose, calme…

— PUTAIN MAIS C’EST QUOI CE BORDEL ?!

Ça m’a échappé.

Après un examen plus approfondi, je m’aperçois que c’est justement mon bordel. Je voulais désinfecter la maison… Je crois m’être endormie avant.

OK, il faut définitivement que je me calme. J’ai encore la tête dans le cul, c’est normal. L’horloge du four indique… 22:47.

La dernière fois que j’ai regardé l’heure il était 15h… Yoann s’est occupé de Nathanaël ? Oh non, j’espère qu’il a pensé à lui donner son biberon et que…

— Rose ?

La lumière de la cuisine – beaucoup trop forte pour quelqu’un qui vient de se réveiller – s’allume soudainement. Je découvre ainsi Yoann, la main toujours sur l’interrupteur, me fixant d’un air un peu bête. Aussitôt, je l’assaille de questions :

— Nat est couché ? Il a eu son biberon ? Tu as fait à manger ? Pourquoi tu ne m’as pas réveillée ? Bon sang, j’ai pas fini de passer l’aspirateur dans le salon.

— De un, une question à la fois. De deux, tu vas gentiment aller poser ton postérieur sur ce très beau canapé et arrêter de hurler comme une folle dans la cuisine à presque 23h.

Je le dévisage sans répondre. Folle, moi ? Haha, la meilleure du siècle.

En poussant un soupir, il me prend par le coude pour m’entraîner vers le canapé. Je le laisse faire. De toute façon je suis fatiguée… À partie d’une certaine heure je fais n’importe quoi à cause de la fatigue. Aujourd’hui n’échappe pas à la règle, malgré ma sieste involontaire.

Et donc je me retrouve encore coincée sur le canapé, alors que le linge sale doit hurler devant la machine à laver et que les fenêtres ont toujours l’air d’avoir été nettoyées avec des tranches de jambon.

— Arrête de te mettre la pression pour ces tâches-là, commence Yoann en jouant nerveusement avec le pompon d’un coussin.

— Parce que tu veux vraiment vivre dans un taudis rempli de cafards et avec des araignées partout ?!

— Heu, depuis qu’on vit ensemble je n’ai plus jamais vu de poussière. J’ai oublié ce à quoi ressemblait un mouton de poussière, c’est dire.

Je me redresse et fronce les sourcils. Pas de poussières ici ? Décidément il a de l’humour ce soir.

— Peu importe, dis moi juste que tu as donné le biberon à Nat.

— Bien évideme-

— La couche ? Tu lui a chanté sa berceuse pour qu’il s’endorme ? Sa veilleuse ?!

— Mais bi-

— Oh la la, j’espère qu’il ne s’est pas réveillé… Tu l’entends pleurer toi ? Je n’entends rien là, j’ai peut-être les oreilles bouchées. Oh mon dieu, si je n’entends pas mon propre fils je suis vraiment une mère indigne…

— Rose, ça suffit.

Son ton sec me perturbe.

— Il est couché, il a mangé, il dort. Maintenant tu relâches un peu. On a la soirée… Ou du moins le reste de la soirée pour nous.

Mais il me reste tant de choses à faire… Il se rend compte de la charge colossale que c’est, être mère et responsable de l’entretien de la maison ?

Seulement, d’un autre côté, je me dis que je devrais peut-être profiter d’un petit moment de répit.

Une activité relaxante qui me permettrait de me déconnecter…

— Passe-moi mon téléphone. Si tu veux que je me relaxe, je vais le faire, dis-je en tendant la main.

Instantanément, il attrape mon téléphone sur la table basse pour le cacher derrière lui.

— Une activité déstressante, pas toxique, rétorque-t-il.

— Mais… j’ai sûrement manqué des tas de choses quand je n’étais pas connectée…

Tout mais pas mon portable.

— Je peux te dire ce que tu as manqué… (il regarde l’écran de verrouillage de mon portable et affiche une mine faussement surprise) Wouaw, deux appels manqués, une notification Facebook et deux likes sur Instagram.

Il range de nouveau le téléphone pour me regarder dans les yeux.

— Des tas de choses, effectivement.

— De qui sont les appels ?

— Clémentine et… ta mère.

— Tu as décroché ?!

— Malheureusement oui.

Il faut dire que ce n’est pas vraiment dans l’habitude de ma mère de m’appeler. Elle préfère rester collée aux basques de mon frère aîné. Elle a même déménagé avec lui et sa femme lorsqu’il a été muté à l’autre bout du pays ! Instinct maternel…

Je me positionne en travers de l’accoudoir, la tête aux pieds de Yoann. Heureusement pour moi, il ne sent pas des pieds.

— Et qu’avait-elle à dire à sa tendre fille chérie ? Ironisé-je.

— Elle voulait te rappeler de souhaiter l’anniversaire de ton frère demain.

Je fronce les sourcils. Son anniversaire ? Il n’est pas déjà passé ?

— Jules est né en mai ?

— Il s’appelle Jules ?

Je lâche un petit rire en lui pinçant le mollet.

— Bah quoi ? Jamais pu le saquer ce type.

— Tu l’as vu au bas mot trois fois dans ta vie…

— Je peux pas saquer un type qui a refusé de danser sur du ABBA à mon mariage.

— Il a fait quoi ?! Je m’exclame.

— Il est venu me voir en disant que c’était inadmissible de mettre une chanson aussi nulle à un mariage.

— Oh le salaud. Il a insulté ABBA.

— Quel homme de mauvais goût… lâche Yoann d’un ton las.

Il y a un instant de flottement, et nous éclatons de rire.

— Et du coup ? Clémentine ?

— Boah, la routine.

— Oui. Mais encore ?

— Un truc banal… La mer lui manquait, alors elle est allée à la poissonnerie du supermarché.

— Au supermarché ?

— Il y a des poissons… qui viennent de la mer.

Un large sourire s’épanouit sur mon visage. Toujours aussi peu étonnant de la part de mon amie.

Finalement ce n’est pas si mal de rien faire.

Le silence s’installe dans le salon. Salon plongé dans l’obscurité depuis belle lurette déjà. La lumière toujours allumée dans la cuisine. C’est pas Versailles ici !

Mais honnêtement… flemme. C’est à se demander si je ne suis pas malade.

Je le savais. Ce foutu corona va tous nous décimer.

— J’ai de la fièvre ? je demande à Yoann en posant ma paume sur mon front.

Il me regarde d’un air amusé, puis prends la télécommande de la télé.

— Mais non voyons. C’est juste que tu es excitée de faire une partie de Mario Kart.

— Que quoi ? Mais j’ai jamais dit ça moi !

Rien à faire ; il me met une manette de Nintendo Switch dans les mains et allume la console. J’examine le bout de plastique que je tiens. Ça manque d’ergonomie… Comment on peut passer des heures à jouer avec ça dans les mains ?

— Bon, tu choisis ton personnage ?

— Comment on fait ?

— Tu appuies sur la petite croix pour déplacer le curseur sur le personnage que tu veux.

J’appuie sur la branche de droite, et constate et que le curseur va aussi à droite. C’est fort les jeux vidéos quand même. Toute cette accumulation de technologies qui ne servent à rien.

Revenons à la sélection de personnage… Visiblement, j’ai le choix entre un plombier rouge qui a dû rétrécir au lavage, un dinosaure qui est arrivé on ne sait trop comment dans les temps modernes, une poufiasse en robe rose et une tortue géante jaune avec des piques.

Peach ? Mais c’est quoi ce nom ? « Pêche ». Je m’appelle « Pastèque » moi ?

Bon, par élimination je prends le dinosaure vert. Au moins lui il est mignon. Yoann prend la grosse tortue jaune.

Et le départ de la course… Le compte à rebours, puis le petit drapeau… Et toutes les voitures qui partent devant moi. Quoi ?

— C’est quoi ce bordel ? je grommelle en baissant les yeux sur la manette.

— Faut appuyer sur le bouton a pour avancer, indique Yoann sans quitter l’écran des yeux.

Et effectivement, le kart de mon dinosaure se met à avancer. Incroyable.

Je passe quelques obstacles. Je fonce aussi dans une boîte multicolore avec un point d’interrogation. C’est si peu cohérent que je ne m’en méfie même pas.

C’est ainsi que je me retrouve à manger des champignons sur la voie publique pour doubler des tortues, des plombiers et des champignons humanoïdes. J’ai décidé de ne plus m’en étonner.

En même temps, je dois avouer que je passe un très bon moment. Cela faisait maintenant pas mal de temps que je n’avais pas partagé de soirées avec mon mari, prise que j’étais avec mon boulot et Nathanaël. Faire une course avec des champignons, c’est étrange rendez-vous amoureux, mais c’est aussi une façon de se retrouver.

— TIEEEEEEEEENS LA CARAPACE ROUGE ! je crie en me penchant en avant. À moi la troisième place de la course !

— Hé, Nat dort, rappelle Yoann en me regardant bizarrement.

C’est vrai, ce n’est pas souvent lui qui doit me rappeler à l’ordre. Mais là non plus je n’y prête pas attention. Je me contente de profiter.

Oui, on peut profiter de la vie en lançant des carapaces sur des voitures. Une véritable leçon de vie.

Au final, c’était bien d’être confinés.

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ludivinecrtx
Posté le 15/06/2020
Ah je me demandais si vous auriez le temps de reprendre avec le dé confinement. Ce chapitre est mignon tout plein, une pause dans ce tumulte ! J'ai adore le recul qu'elle prends et la façon dont la charge mentale est traité, simplement mais avec efficacité.

Encore un chapitre qui se lit vite. <3
Aaskia
Posté le 15/06/2020
Hé, coucou !
Oui, j'ai eu quelques petits soucis pour gérer mon temps, c'est pour ça que ce chapitre arrive si tard... ^^'

C'était si reposant de l'écrire, ce petit texte ! Ma petite Rose a évolué *essuie une larme de fierté*

Merci pour ton commentaire ! <3
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