Maman

Par Bruns



Ce matin, elle m’attend, ma nouvelle vie.
Nu, j’arpente les rues de Paris.
Je ne suis plus un enfant et pas encore un bonhomme.
J’ai franchi les océans pour le pays des droits de l’homme.
Violé, volé, battu, j’ai tout accepté.
Passeurs, voleurs, peurs, je vous ai résisté,
J’ai fait cette traversée.

 

Maman,

Je t’écris cette lettre pour te dire qu’ici, tout va bien. La traversée a été longue mais tranquille. Je suis enfin arrivé à Paris et tout y est magnifique. J’ai été très bien accueilli. Dit à tout le monde au village que je les remercie pour leur aide. Je vais trouver un travail et les rembourser au centuple. Votre amour me manque, je vous embrasse.


Il fait froid dans cette ville, dans ce pays.
Les trottoirs, les immeubles sont gris.
Parfois il pleut et je n’ai pas encore d’abri.
Souvent j’ai peur, je suis seul, sans ami.
Je pleure, quand je rêve de la famille, du pays.

 

Maman,

Ici tout va bien. J’ai trouvé un logement et mes amis m’aident beaucoup. Je vais bientôt trouver un travail et tout ira encore mieux. Comme promis je vous enverrai de l’argent. Encore une fois, je vous remercie pour tous vos sacrifices, papa et toi. Tout ça payera et je vous promets que bientôt, je pourrai à mon tour m’occuper de vous. Vous me manquez, je vous aime.


Porte de la Villette, mon refuge.
Je rêve à Rosa Parks, à Stalingrad et aux jardins d’Éole.
Contre le froid, je cracke, contre la peur, je cracke.
Sous ma tente, de vieilles bâches fendues,
Protégé du regard des gens d’ici,
Que la peur habite.
Regards violents, indifférents.
A crackland, je m’échappe, je m’envole.

 

Maman,

Je suis désolé de ne pas avoir écrit plut tôt. Je suis très occupé par mon nouveau travail et mon installation dans un nouvel appartement, un peu plus grand qui pourra bientôt vous accueillir. Je passe beaucoup de temps avec mes amis. J’ai hâte de vous les présenter à toi et à papa. La vie ici et douce et agréable. Je suis certain que vous vous plairez. Je vais souvent me promener au parc de la Villette. Il y a là-bas, un vieil arbre, immense, au tronc blanc et dont les branches larges et serrées s’élancent vers le ciel et les étoiles. Quand je les regarde, je me dis que tu les regardes aussi. J’ai hâte de vous revoir. Embrasse toute la famille.


12 septembre 2022.
Sirènes Porte de la Villette.

Les policiers, les pompiers s’afférent.
Les parisiens sidérés derrière les barrières.

Les brancardiers emportent un corps adolescent
Décharné.
Sans papier.

Ils n’ont trouvé que quelques lettres.
Elles commençaient toutes par
« Maman ».

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ABChristLéandre
Posté le 17/06/2024
Un poème particulièrement fabuleux dont la singularité réside entièrement dans ce fantasme sinistre qu'il peint (décrit).
Une approche paradoxale qui répond parfaitement à la question sur la "double existence" que chacun d'entre nous mène d'une manière ou d'une autre et qui détermine généralement notre essor.
Bruns
Posté le 18/06/2024
Merci
Je me suis demandé « comment rendre ces personnes que l’on voit ici comme des parasites, des être humains à la dérive ? ».
Carl
Posté le 13/06/2024
C'est très touchant et particulièrement dur d'écrire sur des sujets aussi lourd...
Je suis toujours impressionnée par ceux qui arrive à s'imaginer réellement la difficulté de la chose, qui arrive à se mettre du point de vue de ces victimes combattantes !
Bruns
Posté le 13/06/2024
J'avoue que j'ai pensé à ce texte pendant longtemps avant de coucher qqchose sur le papier. Je ne sais pas si j'ai représenté leur peine. Certainement pas, mais au moins j'y ai reflechi. Et mon avis a changé.
Saskia
Posté le 11/06/2024
Je continue ma lecture et ce texte-là m'a également fait forte impression.
C'est très difficile ce que vivent les migrants et j'ai beaucoup d'empathie pour ces gens qui quittent tout dans l'espoir d'un avenir meilleur, au risque parfois de trouver pire à l'arrivée... Comme ce pauvre adolescent décédé bien trop tôt dans la solitude et l'indifférence.
Et puis au-delà du sujet, j'ai trouvé le style d'écriture vraiment bon !
Bruns
Posté le 12/06/2024
Merci Saskia.
C'est vrai que cette situation nous dérange, ces migrants nos dérangent, je crois que c'est humain. Et je me suis dit que derrière chacune de ces personnes il y avait une histoire, une mére, une famille.
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