— Maître, sachez que je n'ai jamais été convoquée par un avocat auparavant...
— Vous n'avez jamais été convoquée ou vous ne vous en souvenez pas ?
— Je ne m'en souviens pas mais il est fort possible que je n'aie jamais été convoquée par un avocat... C'est plutôt rare pour un avocat de convoquer, non ?
— C'est ce qui donne un peu son charme au métier. Mais oui, je vous l'accorde, c'est plutôt rare de convoquer...
— Puis-je savoir pourquoi vous m'avez convoquée, maître ?
— Je ne vous ai rien dit ?
— Vous m'avez dit «Allô, je suis avocat et je vous convoque à cette adresse». Et me voilà !
— J'aurais pu préciser, il est vrai... Toutes mes excuses, mademoiselle.
— Adrien, mon petit-ami, voulait m'accompagner tellement il n'était pas rassuré par votre message. Il croyait que c'était mon prétendu mari qui cherchait à me kidnapper, vous comprenez...
— Je comprends. Je vous promets qu'à l'avenir, je serais un peu plus explicite. Mes plus plates excuses à votre petit-ami.
— C'est très aimable de votre part.
— Et si je vous expliquais cette fois la raison de votre convocation ?
— Je vous en saurai gré, maître.
— Récemment, j'ai eu la visite d'un bien curieux client. Un pauvre homme incapable de fouiller ses propres papiers chez lui...
— Quel est le rapport avec moi ? Voulez-vous que j'aille fouiller ses papiers à sa place ?
— Surtout pas, malheureuse ! Enfin... Quand vous saurez le fin mot de l'histoire, je crois que vous n'en aurez pas très envie...
— Quel est le fin mot de l'histoire ?
— Cet homme a maltraité sa plante verte et a laissé son chat chez le voisin.
— Voulez-vous que je lui rachète un nouveau chat et une nouvelle plante ?
— Absolument pas ! Il n'a pas la main verte et il a l'air d'être de ceux qui ont des chats qui se sentent mieux chez les voisins.
— Je ne vois toujours pas ce que je viens faire dans cette histoire...
— Eh bien, voyez-vous, ce malheureux dit être votre mari...
— Je vous arrête de suite. Ce doit être mon prétendu mari et tant que mes souvenirs ne me sont pas revenus, je ne suis pas mariée.
— Sauf si le contrat de mariage vous en apporte la preuve.
— Existe-il un contrat de mariage entre lui et moi ?
— Apparemment oui mais votre m... votre prétendu mari l'aurait perdu.
— Comme c'est pratique... Vous ne trouvez pas ça suspect, vous ?
— Je ne sais pas quoi penser, en fait... S'il est déprimé au point de délaisser son chat et sa plante, il a peut-être perdu son habilité à fouiller des papiers.
— Je n'y crois pas du tout, maître.
— Savez-vous que votre mar... euh... prétendu mari est hypermnésique ?
— Hyper-quoi ?
— Hypermnésique. Une mémoire très développée.
— Maître, sans vouloir vous vexer, pour une mémoire très développée, vous ne trouvez pas qu'il n'assure pas avec ce contrat de mariage ?
— C'est ce qui me fait douter de sa version de l'histoire, mademoiselle.
— Mais si le contrat n'existe pas, ça explique pourquoi il ne le trouve pas...
— A moins qu'il ait la capacité à retrouver les documents inexistants.
— Il serait capable de faire ça ?
— Selon lui, non. Et il le regrette car il aurait pu m'être fort utile et gagner un salaire.
— Je vois...
— Et donc, je suis là parce que... ?
— Je voulais avoir votre version de l'histoire.
— Mais je suis amnésique...
— Je voulais avoir votre version amnésique de l'histoire, donc.
— Et ?
— Et vous proposer quelque chose qui contenterait mon client, votre petit-ami et vous-même. Et sans doute le chat de mon client qui vient lui remonter le moral à la fenêtre, certains matins, en secouant la patte.
— Ah ! Ces chats... Ça me fait penser que le chat de ma psy a tenté de s'étouffer avec ses moustaches...
— Vous croyez que ce chat serait plus heureux chez un voisin ?
— Allez savoir !
— Mademoiselle, revenons-en à notre affaire. J'ai donc quelque chose à vous proposer...
— Quelque chose qui me débarrasserait de mon prétendu mari une bonne fois pour toutes ?
— Définitivement.
— Je vous écoute.
— Votre mar... euh... prétendu mari cherche un contrat de mariage. Or, je lui ai bien dit que je refusais de l'aider à faire un faux. Et je lui ai proposé...
— Allez droit au but, maître.
— D'accord. Je lui ai proposé de demander le divorce.
— Excusez-moi de demander ça mais en quoi ça m'arrange de divorcer ?
— Avec un divorce, vous ne serez plus mariée.
— Mais je ne suis pas mariée.
— Vous serez encore moins mariée.
— Je ne suis pas très convaincue...
— Et votre mar... euh... prétendu mari ne se verra plus comme votre mari.
— Là, vous m'intéressez. Un divorce donc ?
— Oui, un divorce. De cette manière, vous n'aurez aucun doute sur l'existence de ce mariage et il en sera de même pour votre petit-ami.
— C'est vrai que ça ferait plaisir à Adrien.
— Et ça vous ferez plaisir, à vous ?
— De ne plus avoir un prétendu mari dans les pattes ? Et comment !
— Alors c'est une affaire qui roule. Je vais enclencher la procédure.
— Maître, il me reste une question.
— Je vous écoute.
— Je sais ce que j'y gagne là-dedans, j'ai compris ce que mon petit-ami y gagne aussi. Mais le prétendu mari, dans quel intérêt voudrait-il divorcer ?
— Pour tourner la page une bonne fois pour toutes. Vous savez, les divorces, c'est tellement officiel qu'il va se rendre compte que sa femme est ailleurs.
— Oui... Ça se tient.
— Vous semblez hésiter, mademoiselle ?
— Je ne suis pas sûre que divorcer d'un mariage qui n'a jamais eu lieu soit une bonne idée pour moi.
— Comment ça ?
— Je suis amnésique. On me regarde assez de travers comme ça... Alors imaginez si je dis que j'ai divorcé sans avoir été mariée.
— Vous craignez le séjour en asile ?
— Non, je n'avais pas pensé à ça mais maintenant j'ai peur, merci maître...
— Mais non ! Je ne voulais pas vous faire peur ! Ce divorce sera fait dans les règles, la situation exceptionnelle dans laquelle vous vous trouvez sera écrite noir sur blanc. Ne vous en faites pas, j'y veillerais personnellement !
— C'est vrai ?
— Je le jure, foi d'avocat !
— Votre lucidité sur les propos de mon prétendu mari me pousse à vous faire confiance, vous êtes chanceux.
— Chanceux, mademoiselle ?
— Oui, chanceux. Depuis mon amnésie, j'accorde ma confiance à très peu de gens. Uniquement à Adrien, en fait. Je faisais confiance à ma psy avant mais elle m'a congédiée pour un mois.
— Pourquoi donc ?
— Je l'ai poussée à se confier et elle a pas beaucoup apprécié...
— Je vois... Dans tous les cas, vous pouvez avoir confiance en moi.
— Je suis partante pour cette procédure de divorce tant que ça ne me nuit pas d'aucune façon.
— Ce ne sera pas le cas, je vous le promets.
— Mais quelque chose me chiffonne encore...
— Quoi donc, mademoiselle ?
— J'ai compris ce que j'avais à gagner dans le divorce, que ça allait faire plaisir à Adrien, que ça allait aider ce prétendu mari à tourner la page... Mais vous.... Vous y gagnez quoi, vous ?
— La satisfaction de résoudre un conflit bien épineux. Rien de plus... Vous savez, je préfère les affaires pénales moi. D'ailleurs, peut-être qu'on m'en donnera une, un jour. Croisons les doigts !