— Bonjour, Vivien à l'accueil de la mairie, que puis-je faire pour vous, mon bon monsieur ?
— Je voudrais faire une surprise à ma petite-amie ?
— Une surprise ? Ici, à la mairie ?
— Oui, à la mairie et nulle part ailleurs.
— Mais c'est qu'on ne fait pas dans les surprises de petites-amies dans le coin...
— Ah oui ?
— Je peux vous l'assurer.
— Vous ne voulez pas me laisser finir ?
— Allez-y ! Je ne suis pas contre une bonne histoire.
— Ma petite-amie a perdu ses souvenirs récemment. Elle pense avoir retrouvé son nom et pour fêter ça, je voudrais lui offrir une carte d'identité toute neuve.
— C'est mignon.
— Je voudrais lui faire la surprise, vous comprenez.
— Je comprends tout à fait.
— Ça veut dire que vous allez m'aider ?
— Je peux essayer de voir ce que je peux faire mais je ne vous promets rien...
— C'est bien aimable de votre part.
— Dites, votre petite-amie amnésique... Elle est mariée ?
— Jusqu'à preuve du contraire, non. Mais elle n'a aucun souvenir, vous savez. C'est assez compliqué...
— Je vois, je vois... Je demande car j'ai un ami qui cherche à récupérer sa femme amnésique. Il est très contrarié sans elle. Mais, vous savez, je les ai jamais vus ensemble, ces deux-là. Comme quoi elle me supportait pas sans même m'avoir rencontré. C'est fou ça...
— En effet, c'est fou.
— Et l'ironie, c'est qu'il est possible que cette même femme, qui ne me supportait pas, est venue me voir à l'accueil, ici-même, pour me demander mon aide. C'est ironique, non ?
— Ironique, oui. Et sinon, vous allez m'aider, hein ?
— C'est que je me suis demandé si sa femme, elle existait vraiment, vous comprenez. Et de l'avoir potentiellement vue, ça change tout. Je ne sais plus qui croire...
— Et sinon...
— Est-ce que mon ami s'est inventée une femme et harcèle une pauvre amnésique ? Ou dois-je lui laisser le bénéfice du doute ? La question n'est pas simple... Que feriez-vous à ma place ?
— Je... Je... Non... Non, je ne peux pas... Je... Je veux changer de sujet... Par pitié !
— Vous allez bien, monsieur ?
— Je... Je... Non, je ne pense pas... Non... Ça ne va pas...
— Mais qu'est-ce qui vous arrive, bon sang ? Vous êtes tout pâle...
— Je suis en pleine crise de dilemmite aiguë. C'est rien... Ça va passer...
— Dilemmite aiguë ? Mais qu'est-ce que c'est ?
— En gros, je fais des crises d'angoisse dès qu'un dilemme s'offre à moi.
— Oh ! Je vois... Toutes mes excuses... Je ne voulais pas vous déclencher une crise.
— Ce n'est rien. Vous ne pouviez pas savoir.
— Et là, ça va mieux ?
— Oui, merci. Pourrait-on revenir à la carte d'identité de ma petite-amie ?
— Vous la voulez dans un papier cadeau ou vous préférez un simple ruban ?
— Je... Je... Crise de dilemmite...
— Oh ! Pardon, j'avais déjà oublié...
— Pas grave.
— C'est l'habitude, vous comprenez. On m'a mis à l'accueil pour questionner les gens. Je ne fais que mon travail, vous savez.
— C'est pas grave, je vous dis.
— On va dire que l'on opte pour le papier cadeau avec ruban. Passons maintenant aux renseignements d'usage...
— Allons-y !
— La photo d'identité, vous la voulez en noir et blanc ?
— La couleur n'est pas envisageable ?
— Tout dépendra de l'encre qu'il nous reste, monsieur...
— S'il n'y a pas le choix, noir et blanc alors.
— Je prends note...
— Faites, faites.
— Le nom de votre petite-amie ?
— Jane, elle a décidé de s'appeler Jane.
— La photo d'identité, vous m'avez dit quelle couleur déjà ?
— En couleur de préférence, sinon tant pis... On se contentera du noir et blanc.
— D'accord, d'accord. Son nom de famille ?
— Je ne sais pas...
— Il faudra lui demander.
— Mais elle est amnésique...
— Oh ! Toutes mes excuses... On essaiera de se passer du nom alors. Nationalité ?
— Française, à ce que je sache.
— Si vous le dites, c'est que ça doit être vrai. Taille ?
— Un mètre soixante-cinq, je dirais. Je ne lui ai jamais demandé sa taille, vous savez.
— Vous ne l'avez pas mesurée en cachette non plus ?
— Euh... Non... Pourquoi ? J'aurais dû ?
— Je suis célibataire et très mal placé pour donner des conseils de couple. Je ne peux pas vous répondre.
— D'accord.
— Pour la photo, vous m'avez dit en noir et blanc, c'est ça ?
— En couleur de préférence, s'il vous plaît. Et la taille, vous l'avez notée correctement ?
— Un mètre soixante-cinq... Mmmh... ça me semble correct si c'est bien elle qui m'a demandé mon aide l'autre jour. Poids ?
— On ne demande jamais son poids à une femme, voyons !
— Et la peser en cachette, j'imagine que ce n'est pas en option ?
— Vous imaginez bien.
— Excusez-moi d'insister mais la photo d'identité, vous la voulez absolument en noir et blanc, n'est-ce pas ?
— Plutôt couleur, je préfère. Je veux qu'elle ait la plus belle carte d'identité, vu qu'elle ne se souvient pas d'en avoir déjà eu une...
— Quelle délicate attention !
— Vous avez tout ce qu'il vous faut ?
— Il nous manque sa date et son lieu de naissance.
— Je n'en sais rien...
— Elle non plus, je présume ?
— Vous commencez à saisir le principe de l'amnésie.
— Et la photo d'identité, vous la voulez vraiment en noir et blanc ? Vous êtes sûr ? Parce qu'il se peut que le noir et blanc fasse mal aux yeux, vous savez...
— La couleur. Notez bien qu'il la faut en couleur !
— Entendu, mon cher monsieur.
— Autre chose ?
— Ce sera tout pour le moment. Prénom Jane, nom inconnu, un mètre soixante-cinq, poids top secret, date et lieu de naissance inconnus, et photo en couleur.
— Non, en noir et blanc, je vous ai dit !
— Oh pardon ! Je suis un peu distrait avec toute cette histoire...
— Ah ?
— Si votre Jane est bien la femme de mon ami, ça veut dire que je l'ai rencontrée sans le savoir et que mon ami disait vrai. Mais vu que je n'ai pas vu votre Jane avec son mari, à savoir mon ami, je ne peux pas vraiment savoir, voyez-vous... Et si votre Jane est amnésique, ça n'arrange en rien la situation. Je suis dans une impasse, je ne sais pas quoi faire, vous comprenez...
— Je comprends bien. Mais elle sort avec moi maintenant, je ne laisserais aucun prétendu mari me la prendre.
— Oui, sans doute que je réagirais pareil à votre place.
— Elle est heureuse avec moi. Lorsqu'elle voit son prétendu mari, c'est-à-dire votre ami, elle est tout énervée, dans tous ses états et j'ai du mal à la calmer. Elle se sent harcelée. Oui, oui ! C'est ce qu'elle m'a dit ! Harcelée par lui !
— Pour ce que ça vaut, j'ai dit à mon ami d'arrêter de harceler sa prétendue femme.
— J'espère bien qu'il écoutera vos précieux conseils. Vous me semblez quelqu'un de sensé, vous au moins.
— Elle a une sacrée chance, votre Jane, de vous avoir comme petit-ami. C'est mon ami qui ne va pas être content de savoir que sa prétendue femme fréquente quelqu'un d'aussi sympathique que vous. Le choc que ça va lui faire...