Marie n’avait aucune idée de ce qu’elle foutait derrière la porte du type à qui elle avait refilé le virus. Tout ce qu’elle savait, c’était que ce matin même, quand elle avait reçu les résultats de son test de dépistage au VIH, positif, elle avait juste pris le temps d’attraper un sac et quelques affaires attrapées au hasard avait de sortir de l’appartement le plus vite possible.
Damien lui avait annoncé sa séropositivité un mois auparavant. Marie avait appelé Jules, avec qui elle avait partagé une seringue d’héroïne une semaine auparavant. Puis elle avait attendu les résultats du test qu’elle avait reçus le matin même. Elle se doutait qu’il serait positif. Mais tout de même, cela avait été un choc. Peut-on la blâmer ? Apprendre à vingt ans qu’on sera morte dans quelques mois, c’était plus qu’un choc. Alors, de nouveau, elle était partie, essayant d’intégrer sa réalité, sa maladie.
Marie trottinait dans la rue, sans destination, ses pensées mélangées les unes aux autres dans un fouillis indescriptible.
Alors, stoppons pour un instant ce fouillis. Arrêtons le mouvement. Appuyons sur le bouton pause.
Stop
Observons un instant Marie, avant qu’elle ne se remette à courir, dans ce mouvement interminable qu’est la vie, avant qu’elle ne s’arrête.
Comme ces gens dans la rue, observons ses cheveux décolorés en blond, aux longues racines sombres, qui rebondissent dans son cou au rythme de ses pas. Observons sa petite silhouette bondissante sur talons aiguilles. Observons ses yeux sombres, à l’air désespéré. Sa course compulsive, qui tend à retenir le peu de vie qu’il lui reste.
À l’intérieur d’elle, ressentons cette angoisse qui la dévorait, un peu plus chaque jour, sans qu’elle n’arrive à s’en débarrasser un instant.
Et rappelons nous que ce bouton pause n'est qu'une simple fantaisie de narratrice.
Play
Elle ne savait même pas si elle en voulait à Damien. Et à vrai dire, elle s’en foutait. Elle n’arrivait à ne penser qu’à une chose. Elle allait mourir. Elle avait vingt ans, et elle allait mourir. Elle ne serait jamais la fille qu’elle rêvait d’être. Marie chantait, elle vivait, mangeait, respirait pour ce rêve qu'elle touchait à peine du bout des doigts. Et elle savait qu’elle était douée. Pourtant, elle ne pourrait pas vivre sa carrière comme elle le rêvait.
Elle ne comprenait pas les gens qui accueillaient le virus avec paix, qui acceptaient qu’ils allaient mourir.
À force de courir sur le trottoir sans regarder devant elle, ce qui devait arriver arriva et la jeune fille bouscula violemment un vieil homme qui traînait un cabas à carreaux derrière lui.
« Vous ne pouvez pas faire attention ? S’était fâché l’homme. La nouvelle génération vous êtes tous des barbares ! »
Marie avait vu rouge.
« Des barbares ? C’est ce que vous pensez vraiment ? Vous savez combien de jeunes de ma génération meurent du sida en ce moment ? Non, vous ne la savez pas ! Parce que vous ne vous y intéressez pas, ça vous choque! Vous ne faites rien pour les aider, pour nous aider ! Vous préférez nous traiter de barbares, sans rien faire. Ça vous évite de pensez à nous ! Je vais mourir monsieur ! J’ai vingt ans et je vais mourir ! De cette saloperie de sida ! »
Marie avait hurlé. Elle avait hurlé tout ce qu’elle avait sur le cœur, même si elle savait très bien que ce vieux monsieur n’avait pas mérité cet accès de colère sortit de nulle part, que ses reproches étaient injustes
« Quoi ?! Hurlait-elle aux passants. Quoi ?! Oui, je vais mourir ! Je suis séropositive ! Ça vous horrifie ?! »
Les quelques piétons présents lui avaient jeté des regards terrifiés, et avaient continué de marcher, en baissant la tête. Dans quelques minutes, ils l’auraient déjà oubliée.
Marie avait couru chez Jules. Il devait lui en vouloir, certes, mais il était son meilleur ami. Il comprendrait.
Elle savait que Jules n’aurait pas peur pour lui même. Si elle avait rencontré le jeune homme en boite quelques mois auparavant, elle avait vite comprit qu’elle n’aurait aucune chance avec lui. Il ne parlait que d’un certain Martin.
Un mois auparavant, elle avait appelé Jules pour le prévenir qu’elle était sûrement séropositive Damien l’était et lui avait demandé d’aller se faire dépister, lui disant qu’elle irait aussi. Pourtant, elle savait que c’était inutile. Damien l’avait forcément contaminée, et elle, avait partagé une seringue d’héroïne avec Jules une semaine auparavant. Il était presque impossible que la contamination n’ait pas eu lieu.
Quand elle avait annoncé la nouvelle à Jules, il était resté silencieux quelques secondes. Puis avait murmuré d’une voix terrorisée. Martin. J’ai sûrement contaminé Martin. Puis, il avait raccroché, sans dire au revoir.
La jeune fille ne savait même pas si Jules accepterait de lui parler, mais elle ne voulait retourner dans l’appartement qu’elle partageait avec Damien pour rien au monde. Pour l’instant, elle refusait d’entendre parler de lui. Et elle avait besoin de s’éloigner.
Maintenant, elle était devant la porte de l’appartement de Jules. Prenant son courage à deux mains, elle frappa un coup à la porte. Jules ouvrit la porte.
« Qu’est ce que tu fais là ? » Demanda Jules, qui ne semblait pas du tout ravi de la voir.
Derrière Jules, apuyé contre le mur, un crayon dans les mains, Marie aperçut un jeune homme, qui devait être le fameux Martin. Elle comprenait pourquoi il plaisait tant à Jules. Elle contemplât quelques instant ses longs cheveux bruns, ses trais fins et son nez aquilin, avant de se tourner vers Jules.
« Jules, je suis désolée. »
Jules allait répondre quand Martin, qui, depuis l’arrivée de la jeune femme la fixait, les sourcils froncés posa la main sur le bras de Jules pour le faire taire.
« C'est toi, Marie, non ? »
Honteuse, Marie hocha la tête.
« Il t’a contaminé, c’est ça ? »
Martin hocha la tête.
« Je peux repartir, si tu veux. Je comprendrai que tu me déteste, dit la jeune femme »
- Je ne te déteste pas. Je n'en ai plus le courage... On est tous les deux malades. C’est trop tard pour en vouloir à quiconque, maintenant.
- Tu as quitté Damien ? Intervint Jules.
- Je ne sais pas, répondit la jeune femme honnêtement.
- Bon, entre alors, dit le jeune homme. Tu ne vas pas rester sur le palier.
-On allait manger. Dit Martin. Notre premier repas de condamnés, tu de rends compte de ça ? Tu aimes les macaronis ? ».
Et Marie lu sur le visage de Martin cette joie feinte, pourtant si réconfortante. Avec un pale sourire, elle hocha la tête et avança dans l’appartement.
La jeune fille attrapa son assiette de macaronis et s’assit sur le canapé, à côté de Martin, et, les combats de sabres lasers effénés qui s'enchainaient à la télé se reflétant dans ses yeux, elle oublia la maladie, pour un court instant. Pour un court instant.
Je reviens par là après une longue absence, et j'aime toujours autant cette nouvelle qui est en train de s'écrire (vue la rapidité d'action, je me dis que c'est une nouvelle, mais peut-être pas !)
Le style est très fluide et agréable. J'aime beaucoup cet instant cinématographique où la scène est mise en pause pour explorer le personnage, comment il est physiquement et mentalement. Les relations se retissent et se réorganisent à la lumière de l'annonce de la séropositivité et c'est joliment décrit !
Il y a une petite phrase que j'ai eu du mal à comprendre, je pense qu'il y a une erreur : "Marie chanter, elle vivait, mangeait, respirait pour ce rêve qu'elle touchait à peine du bout des doigts." => Marie chantait ?
Au plaisir de te lire !
Merci pour ton retour et tes compliments ! C'est bien une nouvelle, c'est vrai que l'action avance assez vite. "Chanter", c'était effectivement une faute, je vais la corriger.
À bientôt!
Encore un chapitre très touchant, tu as de nouveau su retransmettre les émotions des personnages à merveille.
Connaître le point de vue des différents protagonistes est également très intéressant : leurs réactions ne sont pas les mêmes, et on se demande comment elles vont évoluer au fil du récit.
Je trouve aussi la "fantaisie de narratrice" très originale, une petite pause dans le bouleversement que vit Marie, avant de reprendre de plus belle.
Bon courage pour la suite !
Encore une fois merci pour ton gentil commentaire, effectivement, Marie réagit avec beaucoup plus de colère à sa maladie,
À bientôt !