Jules

Il était 23 heures, et cela faisait exactement dix heures, vingt trois minutes et quarante secondes que Martin et Jules avaient reçu les deux résultats positifs de leurs tests au VIH. Dix heures, vingt trois minutes et quarante secondes que Jules avait passées à pleurer. Pleurer sur son sort, pleurer parce qu’il avait contaminé Martin, et que Martin allait mourir, que Martin ne voudrait plus rien avoir à faire avec lui.

Il releva la tête, se fixa dans le miroir, et se trouva pathétique. Ses boucles blondes, d’un doré devenu terne lui tombaient dans les yeux, et ses yeux bleus azur étaient rouges et bouffis. Et surtout, il lui semblait que les mots «  J’ai contaminé mon petit-ami » étaient tatoués sur son front à l’encre indélébile.

Il s’en voulait, à lui. Il n’en voulait même pas à Marie.

La jeune fille avait téléphoné à Jules, un mois auparavant, et lui avait annoncé que son copain, Damien, était contaminé par le VIH, et qu’elle était allé faire un test de dépistage. Ayant partagé une seringue d’héroïne avec Jules une semaine auparavant, la jeune femme avait transmis sans le savoir le virus mortel qui coulait dans ses veines au jeune homme. Et le pire dans tout cela, c’était que Jules ne s’était jamais drogué auparavant. C’était la toute première fois, et déjà la fois de trop.

 

Jules songeait à Martin. Lui, l’avait remarqué dès le premier jour de classe. Il était arrivé à Paris à peine quelques semaines auparavant, n’y connaissait personne, même pas encore Marie.

Entrant dans ce grand amphithéâtre, en retard, suant, son plan du métro parisien à la main, il s’était précipité à le première place vide qu’il avait aperçue. Quelques regards noirs s’étaient fixés sur lui il est en retard dès le premier jour ! et Jules avait saisi, parmi tous les visages autour de lui, celui, amusé de Martin. Ce sourire moqueur en coin, ces yeux banalement marrons ces longs cheveux sombres qui semblaient coupés au sécateur dans le noir et ces trais fins comme ceux d’une fille. Pendant deux mois, il s’était assis devant lui en cours d’histoire de l’art, ne l’abordant jamais, irrésistiblement attiré par ce garçon dont il ne connaissait même pas le nom.

L’occasion s’était présentée, pourtant. Mais, voyant Martin planté devant sa peinture, devant le grand manoir qu’il avait reproduit dans ses moindres détails, il avait préféré profiter du plaisir qu’il éprouvait à voir le jeune homme aussi fasciné par le tableau. Par son tableau.

Et un jour, on lui avait présenté Martin. Enfin. Leur première discussion sur l’art n’avait été qu’un long débat, dans lequel Jules contredisait innévitablement Martin, quoi qu'il dise rien que pour le plaisir de le voir s’animer et argumenter. Alors, ils s’étaient revus. Il faut bien qu’on finisse le débat ! Avait dit Martin. La bonne excuse.

Et un jour, Martin avait prononcé ces mots fatidiques : eh bien, montre ce dont tu es capable, si tu es si malin !

Avait découlé de cela les deux peintures les plus expressives jamais réalisées par les deux garçons. Alors, ils avaient chacun été pris d’une frénésie de voir l’autre, de toujours être avec lui, sans pourtant jamais parler de leur attirance réciproque, sans que l’on sache si c’était parce qu’ils n’avaient pas besoin de mettre des mots dessus ou si aucun des deux n’osait aborder le sujet.

Jules considérait la période où il s’était rapproché de Martin comme la meilleure de sa vie. Il se souvenant, du moindre film qu’il avait vu avec Martin. Du moindre mouvement du brun quand il l’emmenait en boite, du moindre sourire qu’il avait réussi à faire naître sur le visage du jeune homme, du jour où Martin lui avait exposé par A par B pourquoi il aimait tant la recherche du temps perdu de Proust, que Jules avait finit par lire, le plus vite possible pour avoir encore un point commun de plus avec Martin.

Et un jour, Jules en eu tellement assez de ce manège où ils se tournaient autour, sans qu’il ne se passe jamais la moindre chose, qu’il avait juste embrassé Martin, sans plus de cérémonie, sans appréhension, juste pour en finir, pour enfin concrétiser leur relation, juste pour lui dire, je t’aime.

 

 

De mourir, Jules ne s’en souciait pas, pas encore. De toute façon, il savait bien qu’il avait de grands risques d’attraper le VIH, qui se transmettait à une vitesse incroyable depuis quelques années. Jules ne comptait plus le nombre de camarades, filles comme garçons qu’il avait vu mourir de cette maladie ces dernière années.

Non, il n’avait pas peur. Pas pour lui. Il avait peur de voir Martin mourir. Jules se serait jeté du haut de sa fenêtre sur le champ si cela avait pu guérir Martin. Il aurait donné sa vie un million de fois si cela avait pu sauver son amant. Mais Jules savait que cela ne changerait rien. Et il n’était pas suicidaire. Au fond de lui, il nourrissait encore l’espoir que Martin veuille encore de lui.

Alors il resta sur place, recroquevillé au bas de son canapé, à pleurer.

Soudain, il entendit trois coups frappés à la porte. Se relevant mollement, il alla ouvrit. Il eut à peine le temps d’apercevoir le visage aux joues rougies par la course de Martin que le jeune homme lui jetait les bras autour du cou et se serrait fort contre lui. Est-ce que c’était bien la réalité ? Se demandait Jules. Est-ce que Martin était bien revenu ? Après tout, peu importe, tant qu’il était avec lui. Alors, Jules serra Martin à son tour.

«  Martin… commença le jeune homme, le cœur battant de regrets, je suis tellement désolé.

- Tais toi, tu veux ? Ordonna Martin. Lasse moi parler, sinon je n’arriverai pas au bout. »

Jules se tut, et attendit, mort de peur.

«  Jules, je t’aime. Commença Martin. »

Jules sentit une étrange chaleur se rependre en lui.

Sans lui laisser le temps de répliquer, Martin continua.

«  Je ne t’en veux pas. J’aimerai, mais je n’arrive pas à t’en vouloir. En ce moment, le sida, c’est comme une chaîne, tu vois ? Le maillon d’avant t’a contaminé, et à lui même été contaminé par le maillon d’avant et ainsi de suite. Et au final, on est tous les maillons d’une même chaîne. Et si je dois en vouloir à quelqu’un, cela devrait être au tout premier maillon de la chaîne. Mais ça, ce serait ridicule, tu ne trouve pas ? Je ne connaît même pas cette personne. Et si on doit mourir tous les deux, je préfère mourir en ayant passé la fin de ma vie avec toi. »

Et Jules aussi, préferait nettement finir sa vie avec Martin. 

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Baladine
Posté le 16/01/2023
Wow Luna ! Je vois une vraie évolution dans ton écriture depuis Garder la tête haute ! Le parcours des émotions est clair, bien dessiné, j'ai trouvé très touchante la rencontre en Martin et Jules, l'articulation entre le temps présent et le retour en arrière, puis le retour au temps présent parfaites. Tu évoques ce sujet avec une beaucoup de délicatesse. Bravo !!

Coquillettes et autres remarques
- innévitablement => inévitablement
- Du moindre mouvement du brun => ça m'embête un peu, de l'appeler "le brun", "le blond...", j'aime pas beaucoup...
- il se souvenant => nait
- la recherche du temps perdu => A la recherche du temps perdu, en italique sur un traitement de texte, le soulignement est réservé à l'écriture manuscrite.
- il alla ouvrit. => ouvrir
- lasse-moi => laisse
- tu ne trouve pas => trouves

A très vite, continue de nous régaler !
Luna Peregrine
Posté le 16/01/2023
Salut Claire !
Merci pour tes compliments et ta relecture !
à bientôt !
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