Marionnette fauve

Par Quine
Notes de l’auteur :  
 
Tikto
 
<br />   

Le ciel a revêtu sur son azur les teintes fauves d’une fin de journée ensoleillée. Les derniers rayons dardent les plaines qu’on ne voit pas d’ici. Mais dans cette pièce grise et vide se tient un homme gris et grand. Loin d’être vide. Tikto n’a pas de chapeau sur la tête et il ne le tient donc pas d’une main alors qu’il regarde par la fenêtre de toit. Il contemple longuement, quasi immobile, sans aucun autre mouvement que les volutes qui s’agitent dans son cœur et sous ses paupières lorsqu’il les clôt. On peut distinguer un sourire qui s’étire sur ses lèvres. Le ciel est bleu pâle. D’un bleu pâle caressé par les tons ocres du soleil. D’un bleu pâle qui tend une main, invite dans ses bras et berce, berce tendrement. Un bleu pâle d’une fin d’été qui ne va pas tarder à se faire arroser par les pluies et incendier par les arbres d’automne. Tikto s’en va sur le côté, mais on sent bien que son attention est toujours accrochée au ciel – comme un pantin tous ses membres s’agitent, tous ses gestes s’articulent depuis ce fragment d’éther, et rien que pour lui.

La marionnette à tête nue revient, tenant d’un bras un chevalet et de l’autre une mallette. Coincée sous son bras, se trouve une liasse de feuilles blanches dont certaines s’enfuient pour s’échouer au sol. 

Il pose son fatras dans la précipitation, lève les yeux à nouveau vers le ciel, organise distraitement son matériel. Il balance son bras dans un mouvement – tic – de balancier et – tac – alors qu’il ferme les yeux – tic – jaillit dans sa main – tac – quelques brins de cosmos orangés. Puis il trempe le pinceau qu’il vient de sortir directement dans la couleur.

Tikto se souvient de toutes les âmes lourdes de l’absence de morceaux d’azur qu’il a croisées. Elles étaient boursoufflées, gloutonnes de tout le reste. Cela l’avait décidé : avec ses fleurs il peindrait le ciel et allégerait le monde.

 

 

X

 

Posés sur le rebord de mon chevalet. Oui, ils seront bien installés ici. Le pinceau ? Le voilà. La couleur ? Ici, et bientôt dansante sur la toile. Ciel, tu auras de la concurrence !

 

X

 

 

Le temps a fait son travail et maintenant le ciel-modèle, pudique, a caché ses couleurs de marmelade d’abricot que la toile s’applique à lui dérober. Pourtant Tikto continue de peindre. Il continue parce qu’il se souvient ; même mort il perdure. Parfois il serre les dents car l’image imprimée dans son esprit s’affadit, se floute, vacille. Il peste un peu car il veut rester fidèle. Il ne veut pas corrompre ce ciel : il le veut pur et clair, sans traces, sans plis de lui qui n’est qu’un homme gris passeur de couleurs.

 

X

 

Mais mon vieux, tu ne peux pas t’ôter toi-même de ton tableau comme on découvrirait une tête de son couvre-chef. Que ferais-tu sans lui et lui sans toi ? Que feraient ces mains si elles n’embrassaient ni les fleurs ni la toile ? Pour qui seraient les bouquets s’ils n’étaient pas pour remercier le ciel d’être si beau ? A la terre uniquement. Un peu au vent aussi qui aime faire balancer leurs têtes. Un peu à l’eau aussi, quand le vent se fâche et souffle si fort que les pétales tombent dans la rivière. Et puis plus rien pour le ciel. Pas étonnant que ce grand oublié pleure si souvent, plus personne ne le regarde. Et ça, c’est vraiment triste.

 

Non, ça ne va pas comme ça. Ça ne va vraiment pas. Il faut quelque chose de plus. Cette intuition toque à la fenêtre de ma caboche comme un courant d’air mais pas moyen de le faire entrer pour que je comprenne ce qu’il a à me dire. Il faut… Mais attends… L’idée me vient d’un coup ; elle écrit lisiblement, avec un gros feutre noir. Je l’ai !

X

 

Tikto s’agite, regarde à gauche puis à droite, avec de grands déplacements d’épaules. Il finit par faire un tour complet et ne sait plus où mettre ses pieds, ni ses mains d’ailleurs qui semblent prêtes à attraper quelque chose ; assurément, il cherche un objet. Il s’éclipse de la pièce et en revient aussitôt, ses yeux de pantins toujours accrochés à la fenêtre. Se place-t-il sous elle pour mieux courtiser les nuages ? Dans sa main il tient une casserole par le manche. On pourrait penser qu’il croit tenir la lune et qu’il veut la lancer très fort pour qu’elle aille s’accrocher dans le ciel. Il plie son bras, approche sa main au niveau de sa tête, prend de l’élan, étend l’autre bras devant lui. Ses dents viennent du haut viennent même s’accrocher à sa lèvre inférieure pour mieux concentrer tout le geste et permettre indubitablement de décupler l’effort. Il tangue quelque peu, ce doit être l’effet de la pression – il doit réussir. Son bras se déplie vers cette fenêtre. La casserole prend son envol. La lune de métal est prête à remplacer l’autre qui se cache encore un peu à cette heure du jour.

 

X

 

Je vais l’avoir cette fenêtre, je peux te le dire, je vais l’avoir. Elle va se prendre ça en pleine face et le vent se déversera. J’ouvrirai les bras pour l’accueillir et… Qu’est-ce que c’est que ça ?

 

X

 

Ce n’est pas la fenêtre qui se fragmente en mille morceaux, c’est la casserole qui retombe en une pluie de pétales. Tikto, les bras ballants, nuls, regarde ces larmiches oranges se poser doucement sur le sol. Et une perle transparente roule le long de sa pommette.

 

X

 

C’est tout ? C’est tout ce dont je suis capable de faire ? Eventrée ma volonté de faire entrer le vent.

Qui animera mes chimères ? Je suis une tête vide, morte et stagnante. Les eaux de mon imagination croupissent en silence, les vagues qui devaient les agiter clapotent bien plus loin.

 

Incapable.

 

Quoi sans vent ?

 

Comment, s’il n’est pas là, parfaire mes lueurs fauves ?

 

X

 

Comment, s’il n’est pas là, parfaire mes lueurs fauves ?

 

Quoi sans vent ?

 

Incapable.

 

Tikto avance, courbé, et se rapproche du sol, s’échoue contre lui. Il ne semble pas s’en rendre compte et répète en boucle les mêmes mots, ses doigts parcourant son propre visage comme le ferait un aveugle investigateur face à un étranger. Alors qu’il est roulé en boule, le ciel se défait de ses ocres et enfile sa nuit. Les mains de Tikto attrapent les pétales par poignées ; il se baptise avec amertume. Sa face devient une toile qui immobilise les flammes, comme un écho à celles, blanches, de l’impuissance qui lèchent son esprit.

Même la lune, timide ce soir-là, ne se montre pas.

 

Les pétales usés tourbillonnent brièvement quand Tikto se lève. Ils sont foulés alors qu’il repart, les bras chargés de matériel. Les fils de la marionnette sont tombés au sol ; elle est défaite.

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Liné
Posté le 31/01/2019
Rooh mais je suis fan fan fan !
C'est tellement lunaire et coloré, avec certains gestes "absurdes" qui se raccrochent à la réalité à la dernière minute !
J'y vois moins une histoire cousue qu'une forme de poème en prose, pour le moment en tout cas. Peut être une réflexion sur la créativité, tout simplement... ?
Bref. Je vais rester rôder dans le coin, moi 
*plante sa tente et sort sa tasse de chocolat chaud en attendant le spectacle*
Liné 
Quine
Posté le 31/01/2019
Aaaaaaaahkqssjhkff mille mercis <3
Je suis tellement heureuse que ça te plaise autant et que tu plantes ta tente ! Eeeh oui, peut-être une réflexion sur la créativité, mais à mon insu XD
Héhéhé, à bientôt alors :D
Vous lisez