Pipto.
Un escalier se déroule. Un pan de toit vitré laisse entrer le jour par la droite, de manière bizarrement oblique. Le jour ? Non, le gris. La pluie bat fort sur les carreaux – un vacarme assourdissant. Depuis quand est-ce que ça tombe comme ça ? Il pleut fort et la lumière est absorbée par les nuages. Ils sont gloutons ces derniers temps. L’escalier s’est déroulé mais arrive au milieu d’une pièce nue sous ce jour gris. Vide et blafarde.
Un roulement s’additionne à la pluie, ainsi que quelques exclamations. Les culbutes d’un homme roulé en boule font craquer les marches, percutent le silence, le tailladent – une balafre de sons.
- Ah, oh. Qu’est-ce que quoi ?
Le type se relève, époussète son pantalon couleur jour de pluie, se gratte la tête, tire un chapeau de derrière son dos, extrait une pomme très verte du chapeau. Il met d’abord la pomme sur sa tête et s’apprête à croquer le chapeau, rigole, enlève la pomme, la croque avec gourmandise alors que de l’autre main il couvre sa tête. Il reste debout, il mâche. Seulement, on n’entend pas le bruit de sa mâchoire tant le bruit de la pluie est fort. Soudain il se rappelle qu’il est ici, ou plutôt il se rappelle ne pas savoir comment il s’est retrouvé à cette place. Il se retourne, l’escalier derrière lui ondule. Il hausse les épaules, soulève son chapeau, en sort une nouvelle pomme, remet son chapeau. Le sol avale l'homme sans un chuintement. La pièce à nouveau vide et blafarde.
X
Alors que je me demandais comment allait se passer la soirée, dissertant bien évidemment avec moi-même tantôt sur la face jaune tantôt sur la prégnance des mirages, un drôle de vacarme se fit entendre. Je mis du temps à réaliser que c’était la pluie, et je me sentis bien bête – tout l’exotisme du voyage mental que j’avais effectué semblait avoir été happé dans l’ombre, et un phénomène météorologique autre que le soleil m’était soudainement étranger. A peine eussé-je le temps de penser que la pluie seule, possédait à la fois cette cadence endiablée et cette propension à l’étalement de soi, aux tartinades humides de larmes, aux prélassements… AAAAH OH EUUYY OH ! Me voilà qui dégringole. Ma tête se cogne, mes genoux font la bise à mes épaules, je culbute et roule comme un caillou et m’enroule dans ma redingote. Je ne me fâche pas, on oublie fréquemment de prévenir d’un nouvel escalier, alors je comprends. Peut-être que moi aussi si j’avais construit un escalier déroulant j’aurais oublié de tirer la sonnette d’alarme.
Je me relève, époussète mon pantalon. Mon chapeau ? Ah oui, rangé dans mon dos. Et la pomme ? Très verte. Oui mais où ça ? Dans le chapeau, pardi !
Croque, croque, croque. Ça me fait du bruit dans la tête mais certainement pas autant que les trombes d’eau qui s’abattent sur les vitres là-haut. D’ailleurs on dirait des yeux qui me regardent. Des yeux de malades, vitreux. Combien de derniers soupirs avant que les paupières se ferment ?
Très verte la pomme. Une autre ? Volontiers. Hop hop, la pomme, je la tapote, l’apporte à mes lèvres et croque. Craque quelque chose sous mes pieds – Oh non, pas encore un escalier ! Perdu, il s’agit d’une trappe. Me voilà dans de beaux draps, je suis attrapé. Dans le noir je ne vois plus ma pomme très verte.
X
Le monde molletonné roussit. Il se trouve pris dans un édredon d’ambre où se dessine timidement l’appréhension des étoiles.
Du titre aux images, en passant par ton écriture très fine et de jolies aliterations, je suis séduite ! J'ai l'impression que tu travailles à l'écriture automatique : il y a une sorte de fluidité, en plus des associations d'images biscornues, qui créent quelque chose de très onirique.
On dirait qu'il n'y a pas d'histoire, simplement des "tableaux" étranges... Et moins que le personnage et sa pomme n'aillent quelque part ?
À très vite !
Liné
A bientôt, et merci encore pour ton commentaire bougrement adorable !