Masque de vie

Par Nascana

 

Aujourd’hui, je suis sortie sans mettre mon masque. Normalement, ce n’est pas recommandé. Notre masque est le symbole de notre appartenance à un clan. Moi, je fais partie des curieux. Mon masque adopte donc cette impression en permanence.

En général, ça me va, mais parfois, j’aimerais être plus qu’une seule et unique expression. Parce qu’aujourd’hui, je me sentais plutôt en colère. Marre de devoir étudier sans m’arrêter pour suivre les règles de mon clan alors qu’à côté d’autres ne font que traîner sans but. Les fatigués prennent toujours un temps fou pour faire un simple geste et seuls les colériques peuvent lui faire une remarque.

Du coup, je suis sortie sans signe d’appartenance à un clan. J’ai marché à pas lourd dans la rue pour tenter de passer mes nerfs. J’avais envie de tout sauf de lire de gros livres jusqu’à m’en faire mal aux yeux.

En face de moi, j’avise un groupe de joyeux. Comme je suis seule dans le coin, je ne vais pas pouvoir y échapper. C’est l’horreur. Je retiens ma respiration. Mais c’est trop tard, ils m’encerclent en ricanant. Le sourire figé de leurs masques n’en est que plus effrayant. Si je m’écoutais, je les frapperais pour qu’ils disparaissent. Comme c’est interdit, je prends mon mal en patience.

– Elle n’a pas de masque !

Une nouvelle salve de rires accueille cette déclaration. Je me taille un chemin entre les corps et continu d’avancer. C’est sans compter leur persévérance. Je serre les dents. Ils finissent par se lasser et aller faire leurs pitreries ailleurs.

J’atterris sur le port. C’est toujours dans ce lieu que je reviens, sans doute parce que le mouvement de l’eau m’apaise. Sauf qu’aujourd’hui, quelqu’un se trouve à ma place attitrée. J’en reste interdite, ne sachant quoi faire. D’un côté, j’ai envie de m’installer. De l’autre, j’ai peur de tomber sur un membre de clan inconnu.

Trop tard, l’inconnu a dû m’entendre parce qu’elle se retourne. Je retiens mon souffle. Sur son masque, une larme coule alors que les coins de la bouche descendent. De la main, la personne tapote la place à son côté. J’ai peur qu’elle ne se mette à pleurnicher, du coup, j’hésite.

Brusquement, le garçon retire son masque. Chose incroyable, derrière, il sourit.

– Tu veux t’installer ? Je peux partir si tu as besoin de rester seule.

Cette proposition m’étonne. Mes jambes se mettent en mouvement sans que je ne puisse m’arrêter. Je termine assise près de lui. Bouche close, je plante mon regard dans les flots marins.

– Je viens ici quand ça ne va pas, déclare le garçon.

Moi qui croyais que ça n’allait jamais pour les tristes.

– C’est dur de toujours pleurer. Des fois, j’ai envie d’être heureux.

– J’en ai assez d’étudier.

– C’est pour ça que tu es sortie sans ton masque ?

Je baisse les yeux.

– En effet…

Un nouveau sourire éclaire le visage de mon interlocuteur.

– C’est difficile de l’avoir en permanence, murmure-t-il.

À ce moment-là, c’est comme si toute la tension accumulée s’est relâchée. J’ai parlé encore et encore, lâchant tout ce que j’avais sur le cœur. Le garçon ne disait rien. Pendant un long moment, il m’écoute. Finalement, lui aussi prend la parole. Notre difficulté à garder notre masque nous relie.

Quand le soleil se couche, nous prenons conscience du temps qui a passé sans que nous nous en rendions compte. Après une promesse de se revoir, nous nous quittons. Mon cœur est plus léger. Je me sens prête à me replonger dans mes livres. Je sais au moins que je ne suis pas seule à souffrir de ma condition. Cela m’aide à aller de l’avant.

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