« Alexandre, on t’attend ! »
Le petit garçon répondit immédiatement à la voix par un cri de joie, se jetant pieds joints en dehors de la balançoire. L’adulte qui venait de parler se tourna vers lui et lui tendit les bras : dans un éclat de rire, il souleva l’enfant au-dessus de sa tête.
« On va faire ton sac pour ton premier jour d’école ! Tu es content ?
– Oui ! On rentre, on rentre ! »
Le parent posa le petit garçon sur ses pieds et le regarda courir en direction de la maison avec un sourire. L’homme qui les accompagnait l’embrassa tendrement, avant de lui jeter un regard moqueur :
« Tu vois, tu es plus inquiet que lui.
– Évidemment que je suis plus inquiet que lui ! C'est dans l'ordre des choses, non ?
– Tout va bien se passer, tu vas voir.
– Mais…
– Pama ! Pama, viens voir !
– Je crois qu’il t’appelle, Charlie, murmura l’homme à l’oreille de son compagnon. »
Il lui répondit avec un soupir souriant, avant de trottiner vers son fils.
« Oui, Alex, je suis là. Qu’est-ce qu’il se passe ?
– Il y avait un chat, là ! Mais… Mais il est parti !
– C’est parce que ce n’était pas n’importe quel chat, assura Charlie. Noireau est le maître de ce quartier et il fait des rondes pour s’assurer que personne ne trouvera la porte cachée vers son véritable territoire, le royaume des chats !
– Mais pama, il était pas noir, ce chat !
– Et alors ? Seuls les chats noirs ont le droit de s’appeler Noireau ? Bon ! Le premier arrivé à la maison aura le droit à un gâteau ! »
En disant cette dernière phrase pour couper les contestations de son fils, elle se mit à courir en le regardant s’indigner en riant. Tous deux partirent en course, laissant le père traîner tranquillement.
« Ah non, s’écria le jeune parent, faussement essoufflé, devant la porte de la maison. Tu es vraiment trop fort ! Tu as gagné !
– J’ai gagné un gâteau, alors ?!
– Je n’ai qu’une seule parole, déclara Charlie avec un air grave. Mais qu’un seul ! »
Avec un cri de joie, l’enfant se précipita dans la cuisine, tandis qu'il restait quelque temps à l’extérieur, le temps d’attendre son compagnon qui rentrait sans se presser.
« Alors, ça traîne ? lança Charlie avec un air moqueur.
– Oh, vous courrez bien trop vite pour moi, ça ne valait même pas la peine d’essayer !
– Rabat-joie, va.
– Va surveiller ton fils avant qu’il dévore tous les gâteaux, toi, au lieu me reprocher ma lenteur, répliqua l’homme en souriant.
– Bien, sergent Will ! Alex, attends-moi avant de toucher à la boite ! Cria la pama avant de s’enfuir. »
L’homme, resté seul sur le pas de la porte, garda un sourire heureux pour lui avant de rentrer chez lui où déjà, la musique et des cris d’enfant animaient la maison. William était un homme d’apparence plutôt banale. Bien qu’il était un étranger, irlandais expatrié en France, il était ce genre de personne qui pouvait filer dans une foule sans jamais attirer le regard tant il paraissait comme tout le monde. Une taille moyenne, des cheveux noir coupé courts, une barbe fournie et taillée, il avait appris à penser que son destin était de vivre discrètement et s’en était toujours accommodé. Pourtant, son apparence banale cachait une famille exceptionnelle, tellement hors du commun qu’il ne pouvait s’empêcher d’avoir les yeux qui brillaient rien qu’en les regardant. William, l’homme si commun était marié à Charlie, l’être le plus excentrique qu’il n’avait jamais rencontré. D’apparence assez androgyne, bien que d’assez petite taille, Charlie avait de courts cheveux roux, du maquillage autour des yeux et une légère barbe de quelques jours. Se baladant constamment entre les deux pôles du genre, il était parfois un homme, parfois une femme, parfois les deux. Cette excentricité s’accompagnait d’un comportement jovial et bavard, tant et si bien que William avait parfois l’impression que son épouse était capable de se multiplier. Il l'observait en souriant, courir de partout autour de la table du salon, jonglant entre les gâteaux et des affaires scolaires : il aurait pu essayer de l’aider, mais il ne l’aurait jamais privé du plaisir qu’elle éprouvait à ne jamais s’arrêter. L’inépuisable Charlie n’était de toute façon pas seulement admiré par William : Alexandre, leur fils de cinq ans, était régulièrement subjugué par son parent, avalant toutes ses paroles, dévisageant tous ses gestes. D’aussi loin qu’il s’en souvienne, il avait toujours suffi que Charlie parle pour que leur fils s’arrête immédiatement de pleurer ou de crier. L’aura qu’il dégageait venait de son métier de conteur et fascinait quiconque posant un regard sur lui. Et William, tout comme son fils, même à un si jeune âge, étaient fiers de faire partie de ceux qui pouvaient l’admirer le plus.
« Et si jamais ça ne se passait pas bien ? Et si la maîtresse lui posait des questions ? Et si… »
Charlie était allongée face à son mari qui le regardait paisiblement. Ses mains s’agitaient à ses paroles, et même dans le tremblement de ses doigts, William trouvait en ces mouvements une grâce incroyable. Il prit sa main et la posa contre lui.
« Charlie, écoute-moi. Tu vas le poser à l’école, tu vas dire bonjour à la maîtresse avec le même entrain que lorsque nous l’avons vue tous les deux pour l’inscrire à l’école. Tu vas embrasser ton garçon et tu vas repartir, et tu verras que tout va bien se passer. D’accord ?
– Tu es sûr que tu ne veux pas l’emmener, pour cette fois ? Juste pour faire bonne impression !
– Qu’est-ce que ça va changer ? répliqua William avec un rire doux. De toute façon, c’est toi qui vas devoir aller le chercher, je travaille l’après-midi.
– Mais…
– Tu es magnifique, mon cœur. Tous ceux qui te verront ravaleront leurs paroles.
– Tu sais bien que ce n’est pas pour moi que je m’inquiète… »
William prit doucement Charlie dans ses bras. Seuls dans le noir, ils restèrent silencieux, profitant d’un moment de calme pour respirer, simplement, l’un contre l’autre. La vie n’était pas facile avec l’extravagance, mais quand ils étaient dans l’obscurité, à ne plus deviner les traits de l’autre, ils avaient l’impression d’être comme n’importe qui d’autre. Rassurés par leur tendresse mutuelle, ils se seraient sûrement endormis ainsi si l’oreille affûtée de William n’entendit pas un léger grincement de porte.
« Tu ne devrais pas dormir, à cette heure, Alexandre ? demanda-t-il d’une voix assez forte pour réveiller son compagnon.
– J’ai fait un cauchemar… »
L’enfant serrait une peluche contre lui, l’air penaud. Assommé par la fatigue, Charlie se redressa difficilement pour le regarder. Il lui faisait de grands yeux, n’ayant pas besoin de parler pour passer ce qu’il avait envie de demander. Se décollant de son mari, elle poussa un grand soupir.
« Allez, viens ici pour cette nuit.
– C’est vrai, je peux ? murmura la voix du petit garçon qui n’osait pas croire à son bonheur.
– Tu es sûr, Charlie ?
– On a tous peur d’aller à l’école demain, autant se serrer les coudes ! s’exclama le jeune parent en allumant une petite lumière, d’un ton qu’il voulait jovial. C’est à ça que sert la famille, n’est-ce pas ? »
Avec un sourire, William s’avoua vaincu. N’attendant pas que ses parents changent d’avis, Alexandre se précipita dans leur lit, écrasant sans ménagement les côtes de Charlie qui manqua de s’étouffer. Cependant, le pama eut presque l’impression d’entendre son garçon ronronner alors qu’il se lovait dans le léger espace entre ses deux parents, et ce son de bonheur fit taire ses inquiétudes.
« Mais par contre, pama, il ne faudra pas dire ça à l’école, murmura l’enfant tout doucement.
– Que tu dors avec nous ? répondit Charlie sur le même ton, amusé. Non, penses-tu… C’est notre petit secret.
– C’est parce que je suis grand, maintenant !
– Exactement, tu es trèès grand. Tellement grand que tu vas bientôt toucher le plafond de la maison avec ta tête et trouer le toit. Tellement grand que tu vas aller à l’école demain. Personne ne devinera que tu es encore mon petit garçon.
– On a dit que je n’étais pas petit !
– D’accord, mon grand. Tu es mon grand garçon, et qui va maintenant fermer sa grande bouche et laisser ses parents dormir. Bonne nuit !
– Bonne nuit, pama. Bonne nuit, papa.
– Moi, je dormais déjà, mentit William en un murmure. »
Il entendit Alexandre rire dans son oreille. Toute la famille étant apaisée par la présence des uns des autres, ils trouvèrent chacun très rapidement le sommeil.
« Alex, mets tes chaussures ! »
Un bout de pain dans la bouche, le petit garçon essayait vainement de fermer rapidement son gros sac carré. Avec un soupir, Charlie se précipita pour l’aider.
« Qu’est-ce que tu as fait avec ce sac ? À force de l’ouvrir et de le fermer, tu vas lui causer une crampe à la mâchoire !
– Je voulais vérifier s’il n’avait pas mangé mon goûter… »
Surprise qu’il ait cru à son histoire, il éclata de rire :
« Pauvre de moi, je suis coupable ! Mais non, ton sac, tout ce qu’il mange, c’est les ennuis, d’accord ? Allez, mets tes chaussures. »
Il le regarda obtempérer avec tendresse et vérifia si elles étaient bien attachées à ses pieds avant de lui prendre la main et de quitter la maison.
Alexandre, pour ce premier jour où il sortait aussi tôt le matin pour aller à un lieu inconnu, eut immédiatement un coup de foudre pour le paysage. Le soleil se levait en sortant des montagnes : il illuminait les arbres de couleur vert et rouge, dont les feuilles étaient soufflées par le vent. Voyant que son fils restait immobile à regarder ce qui se dégageait de l’horizon, des mètres au-dessus de leur tête, Charlie serra sa petite main dans la sienne.
« C’est beau, hein ?
– Oui…
– Et est-ce que tu es au courant que ces montagnes sont vivantes ? murmura Charlie avec un air malicieux.
– Quoi ?
– Aha, tu ne sais donc pas ? Suis-moi, je vais te raconter en chemin. »
Alexandre ne pouvait se soucier de l’école, de ses camarades, de la maîtresse. Son gros sac mangeur de soucis sur le dos, buvant les paroles de son pama qui lui expliquait comment les montagnes voyageaient d’Irlande jusque sur les continents depuis des siècles et des siècles, guidés par le vent comme des grains de pollen, il ne pouvait avoir peur. Il ne réalisait à peine le chemin qu’il empruntait, ce chemin qui lui avait fait si peur la veille. La seule question qui lui vint, alors qu’il commençait à voir le portail de l’école, fut :
« Est-ce qu’à l’école, je vais apprendre à devenir comme toi ? »
Surpris, Charlie sorti de son histoire pour le regarder. Alex avait des yeux brillants d’admiration, à tel point qu’il ne voyait pas tous ces regards aux alentours, ces regards bien moins élogieux. Au fur et a mesure qu’ils s’approchaient de l’école, Charlie voyait les voitures, les autres enfants et les autres parents qui pouvaient regarder ses jambes libérées sous une robe légère, cette barbe étrange sur son visage rond, ces hanches qui n’allaient pas avec son torse plat. Ces regards curieux, inquisiteurs, sans gêne, voyeuristes, jugeant. Il se rendit compte alors qu’il avait tenu la main de son fils autant pour le rassurer que pour se donner contenance. Il s’agenouilla alors à sa hauteur, réajustant ses vêtements :
« À l’école, tu vas apprendre plus de choses que tout ce que je pourrais connaître ! On va te faire lire bien plus de livres que j’ai pu en lire, tu vas pouvoir découvrir bien plus d’histoire que je peux imaginer. Alors il faudra être sage et bien écouter la maîtresse, d’accord ? C’est comme les montagnes, elles n’ont pas pu partir d’Irlande et atteindre l’Italie en un jour ! Il faut du temps, et il va falloir être patient. D’accord ?
– Oui, pama !
– Tu me promets que tu vas être sage ?
– Oui, c’est promis ! »
Charlie lui tendit son petit doigt, qu’Alexandre entoura du sien avec excitation. En un soupir, le jeune parent se redressa.
« File par le portail. Je viens te chercher à la fin de l’école !
– À ce soir, pama ! »
Il avait crié cette appellation singulière peut être un peu plus fort que ce que l’aurait souhaité Charlie. Son fils, impatient, s’était précipité à l’école en courant sans le réaliser, mais Charlie, resté en arrière, percevait ces regards qui avaient hanté ses rêves. Ces regards des autres parents, posant eux aussi leurs enfants à l’école qui ne se gênaient pas pour le juger, d’un regard réprobateur. Elle avait eu espoir de rencontrer peut-être un de ses auditeurs, qui aurait pu l’aider à reprendre confiance, mais parmi tous les visages qu’il ressentait braqué sur elle, pas un seul lui semblait familier ou même amical. Il laissa échapper un soupir. Elle salua la jeune maîtresse qui accueillait les enfants pour leur rentrée et parti à grands pas, en silence ; pour le reste de la journée, il avait juste envie de se faire tout petit.
Je suis tombée amoureuse du sac mangeur de soucis (oui, coup de foudre immédiat), de la sensibilité de Charlie et de la joie de vivre d'Alexandre. En lisant ce premier chapitre, je me suis sentie bien. Un peu comme chez moi. En bref, je me suis sentie bien dans tes mots et je n'ai désormais qu'une envie : continuer de lire ton histoire !
Je sens que certaines choses vont particulièrement me désespérer, comme le jugement des autres auquel, je le sais, je serai de nouveau confrontée dans les prochains chapitres. Mais c'est bien, c'est malheureusement la vraie vie et j'aime lire les choses de la vraie vie, le bien comme le mal. C'est ce que j'aime dans ce premier chapitre, d'ailleurs : les petites tranches de vie que tu nous permets de découvrir. C'est une belle façon d'introduire tes différents personnages et de donner une idée de ce que sera la suite.
Au départ, l'alternance "elle"/"lui" est perturbante mais selon moi c'est tout parfait ! En tant que lectrice, je sais que je m'habituerai et j'aime l'idée de m'y habituer, d'ailleurs. C'est une particularité de Charlie et je veux prendre cette personne telle qu'elle est.
Pour conclure, un premier chapitre touchant pour une histoire touchante. Je suis très emballée, j'ai hâte de découvrir la suite.
« Le petit garçon répondit immédiatement à la voix étrange » : juste pour savoir mais pourquoi qualifier la voix d’« étrange » ? sur le coup ça ne m’a pas semblé approprié pour parler de la voix de quelqu’un XD
« – Va surveiller ton fils avant qu’il dévore tous les gâteaux, toi, au lieu me reprocher » : au lieu de ME reprocher
« Il lui faisait de grands yeux, n’ayant pas besoin de parler pour passer ce qu’il avait envie de demander. » : je trouve que « passer » n’est pas le bon mot pour cette situation… Pourquoi pas : « n’ayant pas besoin de parler pour faire comprendre ce qu’il avait envie de demander » ? A toi de voir bien sûr ^^ c’est purement subjectif de ma part
Je trouve qu’au début y a beaucoup d’incises et ce n’est pas nécessaire de montrer à chaque fois qui parle. Ça alourdit le rythme des dialogues même.
Sur le fond : MAIS WOWWWW qu’est-ce que J’ADOOOOORE
Enfin de la diversité, de la représentation, des personnages super intéressants et complexes et auquel on se sent proche. J’ai trouvé que la nuit qu’ils ont passé tous les trois ensemble totalement mignonne, cute, on voit juste une petite famille heureuse et soudée et ça me réchauffe le cœur ! Bien évidement on a aussi notre petit Alex qui est si innocent et pure… J’ai envie de le préserver de ce monde violent.
Globalement j'ai eu l'impression que ce chapitre était attendrissant et innocent, un peu comme l'enfance quoi. J'aime tous les personnages et j'espère que tout ira bien pour eux
Bref je ne peux que te dire un grand bravo 😉 et merci de partager cette histoire sur PA !!
Merci pour ces corrections, c'est la seule histoire des fleurs qui est encore en écriture ! et que je veux absolument terminer avant la relecture x) ton commentaire me motive, en tout cas xD
Je suis tellement heureux que Charlie plaise x) C'était si compliqué de le mettre en mot, il me parait tellement évident dans ma tête et en même temps si complet, entier, peut être un peu complexe sur les bords... Même si j'aime tout autant Alexandre et William, c'est Charlie qui m'a vraiment posé problème au début, pour poser des mots, c'est pour ça qu'au début il y a trop d'incise, je me raccrochais un peu à ce que je pouvais xD
En tout cas, ça fait chaud au cœur ! Merci beaucoup x) et si jamais tu lis la suite, hésite pas à commenter, ça m'aiderait beaucoup ! Complexe, c'est je crois le mot qui défini le plus les fleurs du souvenir, pour moi x')
je suis contente d'avoir pu te motiver avec mon commentaire, de toute façon c'est fait pour XD mais n'abandonne pas et poursuis encore :) tu comptes en faire un one-shot ?
Je t'envoie encore pleins de courage et de cookie vegan pour te soutenir dans l'écriture x) c'est important de se reposer aussi
en plus ça faisait un bail que je ne t'avais plus lu et ça m'a rappelé de bons souvenirs :-)
Tellement beau que j'en ai les yeux humides ! (En tant que membre de la communauté lgbt, je suis ravi de trouver des représentations aussi tendres et positives que la tienne).
Ton intrigue est réaliste, quotidienne. On voit très bien cette petite famille évoluer dans sa maison - et dans la société trop étriquée pour eux.
Peut-être quelques incises en surplus au début du récit... mais rien qui ne gêne vraiment la lecture ;)
Merci beaucoup pour ce texte. J'ai hâte de lire la suite.