Maudit soit le roi

Par Bleiz
Notes de l’auteur : Ce chapitre présente un nouveau personnage qui a lui aussi son rôle à jouer pour les trames à venir. Bonne lecture !

L’Artiste et Sterenn s’enfonçaient dans la ville. Les masques et la bonne humeur demeuraient, si bien que Sterenn pouvait flâner à sa guise. L’Artiste, lui, savourait cette vie qu’on lui avait rendue. Les yeux mi-clos, baignant dans la chaleur matinale, il inspirait à pleins poumons l’air piqué de clous de girofle, de thym citronné et de fleurs séchées en bouquets, de poisson, de paille que piétinaient sans relâche passants et carrosses, de vins qu’on versait en coupe pour faire goûter aux clients avant de leur montrer les mérites des bijoux et des épées… Tout cela était charrié par le vent qui soufflait à son oreille. La brise lui effleurait l’épaule comme une caresse, soulevait ses boucles d’une tendresse toute maternelle. Il leva une main à son visage, comme pour en écarter une mèche ; à la place, il déposa discrètement un baiser sur le bout de ses doigts et étendit le bras vers le ciel.

L’Artiste était à nouveau au centre du monde.

Sterenn avait raison : il leur restait quelques tâches à accomplir. Mécaniquement, ses doigts vinrent tâter sa hanche. Il lui fallut un moment pour se rappeler que son baluchon ne s’y trouvait plus. 

—Qu’est-il advenu de mes trésors ? demanda-t-il à son amie. Ton père les a-t-il gardés ? Jetés à la mer ? Ou bien les as-tu pris ?

—Je les avais avec moi, soupira-t-elle, et certains m’ont été bien utiles. Hélas, j’ai eu une… rencontre avec d’autres voyageurs, aux portes de la ville. Ils m’ont pris en chasse et dans ma course, le sac s’est renversé. Il ne reste plus que des babioles, un peu de peinture et trois bouteilles lumineuses.

—Ce n’est pas grave, s’empressa de dire l’Artiste face à son air chagrin. Au contraire : nous avons désormais de la place pour de nouvelles trouvailles. Si ce n’est pas un signe pour nos prochaines aventures, je ne sais pas ce que c’est !

Sterenn sembla quelque peu rassérénée par son enthousiasme. L’Artiste changea le sujet mais, en son for intérieur, il réfléchissait. Ses craintes s’étaient confirmées : une partie du monde avait rejeté Sterenn. Seule la fête la protégeait des regards inquisiteurs et de la méfiance que tant éprouvent face à l’inconnu. Ils devraient agir vite pour quitter Skevent à temps. Quant à ces gens qui l’avaient attaquée, ils ne perdaient rien pour attendre. « Puisse la Déesse les mettre sur mon chemin. Ma vie est peut-être plus qu’une histoire, mais ça ne veut pas dire qu’il ne doit y avoir ni héros, ni fin heureuse. »

À force d’aller de places en rues, et de rues en ruelles, ils se trouvèrent dans le Triangle Sud de la ville. Les plus pauvres y avaient élu domicile, loin de l’opulence des Triangles Nord et Ouest. Au fil des années, les figures les plus étranges et les associations les plus malfaisantes s’étaient établies là-bas, à l’écart de l’œil attentif du bourgmestre, si bien que seuls les miséreux et les tire-laines osaient désormais y aller. La réputation dangereuse du Triangle Sud – que certains esprits à la langue acérée avaient rebaptisé le Triangle Sang – était connue de tous. Sauf, visiblement, de l’Artiste. Il s’enfonçait toujours plus profondément dans les faubourgs mal famés, sous le regard mi- médusé, mi- avide de leurs habitants. Sterenn le suivait de près. Elle chuchota à l’oreille de son ami : 

—L’Artiste, es-tu sûr d’aller dans la bonne direction ? Ces gens nous observent depuis tout à l’heure et je dirais qu’ils ne nous veulent pas du bien.

—Ne leur prête pas attention, lança l’Artiste. Ils ne peuvent pas nous faire de mal : la Déesse nous protège !

Sterenn se demanda combien de fois l’Artiste avait foncé tête baissé au cœur du danger, armé de sa seule foi et de ses pinceaux, et décida qu’il valait mieux ne pas savoir. La Déesse avait dû être bien occupée toutes ces années. Sterenn se contenta donc de l’interroger sur l’objet de leur visite :

—Dis-moi, ton ami Simon… Es-tu certain que nous le trouverons ici ? 

—Absolument. Le Triangle Sud est son domaine. C’est ici qu’il vit.

—Mais tous ces gens sont armés, affamés, malheureux… Sterenn en coulant un regard aux personnes qui les fixaient toujours. Ne craint-il pas d’être attaqué ?

—Il y a toutes sortes de gens dans les bas-fonds de Skevent, mais je ne connais personne qui soit assez idiot pour s’en prendre à lui. Je t’assure, c’est un compagnon extraordinaire dans tous les sens du terme. Pas une fois je ne me suis ennuyé à ses côtés.

Tous ces éloges ne rassuraient pas Sterenn qui commençait à y discerner un fauteur de troubles à la hauteur de l’Artiste. Toutefois, celui-ci souriait et la jeune femme préféra se taire. Elle aurait tout le temps de se forger une opinion une fois qu’elle l’aurait rencontré. À peine avait-elle pensé ces mots que l’Artiste levait la main pour saluer une figure indistincte, adossée au mur d’un cul-de-sac où ils s’étaient enfoncés sans que Sterenn ne s’en rende compte : 

—Simon, te voilà ! Viens : je dois te présenter à quelqu’un !

Le jeune homme s’approcha, et Sterenn reconnut celui qui avait entraîné l’Artiste loin des gardes. Ses cheveux bruns, rêches et filasses, couvraient son front et dévoilaient par à-coups des yeux durs, marrons comme la boue. Ses joues grêlées tordaient sa bouche en une grimace peu amène. Néanmoins, son visage sembla s’éclairer quelque peu à la vue de l’Artiste. Il lui serra la main :

—Te voilà. Je te croyais aux fins fonds des cachots.

—Impossible, répondit l’Artiste en secouant la tête. Pas alors que je viens de retrouver mon but. Sterenn, voici Simon. Sans lui, ma vie à Skevent n’aurait pas été la même. Simon, voici Sterenn : sans elle, ma vie n’a plus de sens.

Le jeune homme se tourna vers elle et, l’espace d’un instant, la surprise se peint sur son visage. Mais l’expression disparut presque aussitôt et Simon dit :

—Sterenn. Tu existes donc.

—Plus que tu ne le crois, répondit la poupée.

Simon écarquilla les yeux au son de sa voix. Il se pencha imperceptiblement vers elle. Il scruta les mécanismes de son cou, les cercles sur ses joues, avant de prendre sa main et de la serrer.

—Je n’avais pas cru l’Artiste. Il raconte tellement d’histoires, je pensais que tu en faisais partie. Pour être honnête, j’ai encore du mal à y croire.

—L’Artiste a un don pour transformer les gens en croyants.

Simon claqua la langue contre son palais.

—Bien sûr. Ta Déesse est aussi de retour ? Bien, bien. Tu comptes nous quitter ?

—Oui, acquiesça l’Artiste tout sourire. Mais j’ai des cadeaux pour toi !

—Je doute que tu puisses m’offrir quelque chose qui compense ton absence, lança-t-il avec froideur. Ta fiancée n’a pas l’air au courant. Il ne t’a pas dit ? L’Artiste travaille avec moi. Tous les jours ou presque, il allait raconter ses contes, peindre ses fresques, et tandis qu’il faisait son travail en distrayant la foule, je faisais le mien.

—Qui est ? demanda Sterenn.

Dans l’ombre de la ruelle se levaient des formes, indistinctes et innombrables. Des hommes et des femmes, enfants et vieillards. Sterenn plissa les yeux. Elle qui s’était entièrement concentrée sur Simon jusqu’alors n’avait pas remarqué que, plongé dans l’obscurité, dressé contre le mur du cul-de-sac, une haute pile de bric-à-brac s’élevait. Il y avait là des planches de bois, de vieux meubles abandonnés, des caisses retournées, les uns sur les autres et au sommet se trouvait une chaise en bois poli qui avait dû être belle, fut un temps. Dans les interstices de cette étrange tour, elle distinguait des reflets dorés, des étoffes dissimulés sous les gravats, de petits coffres gravés d’argent. Sterenn n’avait pas besoin de se retourner pour savoir qu’ils étaient cernés. Elle glissa sa main dans celle de l’Artiste.

—L’Artiste ne t’a pas dit qui j’étais ? lança Simon. Pourtant, je suis célèbre : tout Skevent connaît le Roi des Voleurs.

—Non, dit Sterenn d’un ton égal. Il ne m’a dit que ton nom.

—Ça lui ressemble. L’Artiste, tu ne dis rien ? Tu as perdu ta langue ?

—Je m’en voudrais de t’interrompre.

Simon fronça les sourcils. D’un pas, il franchit la distance qui les séparait et il souffla :

—L’Artiste, tu connais les règles. Qui entre dans le groupe ne peut en sortir. Je peux te donner trois minutes, peut-être cinq, avant qu’ils ne se lancent à votre poursuite.

Mais le jeune homme secoua ses boucles blondes et dit avec chaleur :

—Tu es vraiment le meilleur ami que j’aurais pu avoir.

—Arrête tes bêtises et fuis, imbécile ! grinça l’autre. Je croyais que tu l’aimais ? Tu sais de quoi mes gars sont capables. Ils vont la mettre en pièce et ce sera ta faute.

—Ils n’en feront rien. Car, et l’Artiste haussa la voix, mes cadeaux ne sont pas que pour toi. Ils sont aussi pour eux. Chers compagnons du Roi, j’ai une offre à vous faire !

—Qu’est-ce que tu fais ? siffla Simon.

Mais l’Artiste ne l’écoutait plus. Il leva sa main libre vers le ciel et s’écria :

—J’ai un cadeau pour tous ceux qui l’accepteront. À Simon et ceux qui le suivront, j’offre mieux que l’or et l’argent, mieux que le vin et les brumes : je vous offre le pouvoir. Vous savez qui je suis et qui je sers. Ma Déesse a un plan et pour cela, elle requiert vos services.

Le silence se fit. Sterenn soupira. « Évidemment, » pensa-t-elle. « Je suppose qu’il n’y a pas de mauvais moment pour nouer les fils du destin. » À son tour, elle comprenait ce que la Déesse avait l’intention d’accomplir. Elle chuchota à Simon, figé d’horreur :

—Ne t’inquiète pas pour lui. Écoute juste.

—Loin de Skevent se trouve un homme qui mènera bientôt une guerre sans merci. Il aura sous ses ordres des chiens tout de charbon et de croc et des soldats sans vie. Il apportera à cette terre une nouvelle ère. Son armée rayera ses opposants de la carte. Et vous, compagnons, serez ses alliés. Vos noms seront inscrits dans le livre des légendes et pas un de vous ne mourra.

—Mensonge ! s’exclama un homme.

—Et si on refuse ? demanda un autre. Que se passe-t-il ?

—Rien, répondit l’Artiste en haussant les épaules. Pour vous, rien ne changera : le monde de demain sera pareil à celui d’aujourd’hui, jusqu’à ce que d’autres vous en présentent un nouveau. Vous marcherez au même rythme qu’hier et votre vie sera la vôtre. Autant qu’elle l’est déjà.

À côté de Sterenn, le visage de Simon s’était assombri ; l’Artiste avait dû viser juste. Le Roi des Voleurs dit alors :

—Et si l’on accepte ?

L’Artiste rayonnait.

—Alors vous aurez ce que chacun désire : une mission et un talent. Et comme chaque pièce a deux faces, vous aussi aurez deux voies.

—Une promesse et une malédiction, murmura Sterenn, de sorte que seuls Simon et l’Artiste l’entendirent.

—Si vous remplissez votre tâche, reprit l’Artiste, vous connaîtrez le bonheur et la prospérité, et vos enfants vivront jusqu’à la chute du ciel. Si vous échouez, si vous abandonnez, et son ton perdit son exubérance habituelle, tout ce qui vous aura été donné sera repris. Il n’est pas de marché sans échange égal.

La jeune femme voyait avec tristesse la foule débattre et se prendre à partie. Sans réfléchir, elle saisit la manche de Simon et lui chuchota :

—Prends garde à toi, Roi. La Déesse n’aime rien tant que ses histoires et ne défend rien si bien que ses promesses.  

—Je suis peut-être un voleur, mais ma parole a la même valeur que la tienne, gronda-t-il.

—Dans ce cas, accepte. Rappelle-toi simplement qu’il y a toujours un prix à payer… et que la Déesse exige toujours son dû.

Simon se serait moqué de ces mots s’ils étaient venus de quiconque d’autre. Mais l’Artiste devant eux continuait de jouer les prédicateurs, baignant d’une assurance qui tenait à plus que du mystique, et cette Sterenn qui n’était pas un fragment de conte plongeait ses doigts de porcelaine dans la chair de son avant-bras avec force, comme si le poids de son message pouvait passer à travers son toucher. Elle était si proche qu’il pouvait voir les anneaux argentés attachant ses phalanges les unes aux autres. Il se dégagea sans violence de son emprise. Sterenn gardait son air chagrin. Toutefois, elle lui avait donné le seul conseil qui pourrait l’aider : il n’y avait rien à ajouter. La voix de l’Artiste retentit :

—Il est temps ! Qui parmi vous décidera de choisir son destin ?

Seul le silence retentit d’abord. Les voleurs s’observaient, curieux de voir qui le premier trahirait le pacte qui les unissait. Finalement, un garçon qui ne devait pas avoir plus de sept ans s’écria :

—Moi. Je veux bien suivre ta Déesse. 

—Je viens aussi, dit aussitôt une fille qui devait être sa sœur.

De l’autre côté du cercle, un jeune homme à la peau noire et aux longues tresses leva une main :

—Après tout, pourquoi pas, lança-t-il avec un sourire facile. J’ai toujours voulu voir du pays.

—Si Tugdual part, alors moi aussi, déclara une adolescente à l’épaisse chevelure blonde et aux lèvres peintes.

—Je, je viendrai au- aussi, bégaya une femme maigre, ses mains secouées de tics irrépressibles.

—Très bien, très bien ! les encouragea l’Artiste. Il tendit les bras vers la foule, tournant sur lui-même pour croiser tous les regards : Qui d’autre ?

Un homme se détacha de l’attroupement pour se planter devant l’Artiste. Une large tache-de-vin marquait son cou et grimpait sur sa mâchoire. Il annonça d’une voix grave :

—Je m’appelle Éric, et je viendrai voir si ton roi en vaut en la peine. À une condition. Simon, et tous se tournèrent vers lui. Que décides-tu ?

Simon hésita. L’Artiste le fixait avec espoir, Sterenn avec angoisse. Les frères et sœurs qu’il avait accumulés depuis son enfance attendaient son jugement. Il serra les dents et finit par dire :

—Je pars.

Des cris retentirent. De l’incompréhension, de la tristesse, puis de la colère. Une haine brûlante s’éleva dans le cœur de ceux qu’il trahissait. Elle effaça bientôt tout autre sentiment. 

—Traître ! hurla une femme. 

—Sus, sus au Roi ! beugla un gamin aux yeux rougis.

L’Artiste se tourna vers Sterenn, souriant malgré les voleurs armés qui se rapprochaient d’eux :

—Tu as encore les bouteilles que je t’avais confiées, n’est-ce pas ?

—Oui, et tes peintures, acquiesça la jeune femme en fouillant dans ses poches.

Il s’en saisit d’une et la remercia. Il posa une main sur l’épaule de Simon qui, dague en main, se préparait à l’inévitable combat :

—Tu connais mieux le chemin que nous, je suis sûr que tu t’en sortiras.

—Pardon ? s’exclama-t-il, décontenancé.

—N’oublie pas, dans deux jours, toi et tes amis, à la porte Ouest. Je compte sur toi !

Il porta la bouteille crépitante à sa bouche. Alors, d’un coup de dents, il arracha le bouchon de liège et jeta la fiole contre le sol. Le verre se cassa contre la pierre : un éclair s’en échappa. Sterenn eut à peine le temps d’apercevoir le grand rayon blanc exploser que l’Artiste plaquait sa main sur ses yeux et, ainsi aveuglée, l’entrainait à sa suite. La terre trembla, à la manière des orages fendeurs de ciel. Un grondement retentit, faisant vibrer jusqu’à ses os, mais l’Artiste courait et elle refusait de lâcher sa main. Quand elle rouvrit les yeux, ils étaient loin. 

—Qu’est-ce que c’était ? s’écria-t-elle en jetant un coup d’œil par-dessus son épaule.

—De la foudre que j’ai mis en bouteille ! C’était une vieille cuvée. Heureusement que tu as pensé à les prendre !

—Crois-tu qu’ils nous suivront ?

—Ils seront trop occupés à chercher Simon pour le détrôner définitivement, répondit-il en mimant du pouce le tranchant d’une lame sur sa gorge. Non, ma mie, nous sommes libres ! Enfin, continuons de courir jusqu’à l’arche Sud : qui sait quand la Déesse décidera que j’ai dépassé les bornes de ma bonne fortune…

Bientôt ils sortirent du Triangle Sang. L’Artiste se laissa tomber sur une marche, haletant, et Sterenn s’assit à ses côtés. Marcher ou courir, rien ne semblait affecter son souffle ou ses jambes. C’est tout juste si les rouages de ses genoux grinçaient sous le coup de l’accélération. Mais en voyant le sang affluer aux joues de l’Artiste et la sueur qui perlait à son front, elle regrettait presque sa chance. « Si j’étais née humaine, peut-être ne nous serions jamais rencontrés, » se dit-elle. « Mais nous n’aurions peut-être pas tant souffert. » Sa pensée s’étira et, sans qu’elle puisse s’en empêcher, les mots s’échappèrent :

—Ne préfèrerais-tu pas que je sois humaine ?

—Tu es humaine, rétorqua sur-le-champ le jeune homme. Juste, à ta façon.

—Tout de même, insista-t-elle en se rapprochant de lui. Pas même un peu ? Pas une seule fois ?

L’Artiste haussa les épaules. Comme assailli de fatigue, il posa sa tête sur l’épaule de la jeune femme. Son soupir satisfait sembla amuser Sterenn mais, voyant qu’elle n’en démordrait pas, l’Artiste réfléchit. Puis il dit avec lenteur :

—J’ai su, il y a longtemps, ce que ça voulait dire d’être humain. Puis la Déesse m’a trouvé et j’ai compris que le monde recelait plus d’une multitude de vérités et que souvent, elles se contredisaient. J’ai traversé terres et mers, j’ai escaladé le royaume des nuages. J’ai vu des monstres et des créatures de légende, des hommes simples et d’autres qui se prétendaient héros. Ils étaient tous semblables et pourtant différents. Je n’arrivais plus à comprendre ce qui les reliait, ce qui me reliait à eux. 

Il s’arrêta. L’aisance habituelle avec laquelle il tissait ses phrases l’avait déserté. Les mots se nouaient dans son esprit. Au bout d’un moment, Sterenn chuchota : 

—Et maintenant ? Est-ce que tu as retrouvé la réponse ? Ce qui nous rend humain ?

Et l’Artiste sortit des méandres de sa réflexion. Il fit une moue, inspira l’air à plein poumon. Enfin il dit :

—C’est ça, non ? Il esquissa un large geste englobant la ville bourdonnante à leurs pieds et les nuages sillonnant l’azur. Être là, le savoir, être témoin de ce qui est. Voir et agir. Sans toujours comprendre, sans jamais vraiment savoir. On est incapable de faire plus et on ne peut pas se retenir de faire moins. Ça doit être ça, non ? 

Sterenn qui aimait cette explication hocha la tête. Le silence retomba un instant, jusqu’à ce que l’Artiste dise tout-à-trac :

—J’avais une mère, je crois. Avant, il y a longtemps. Je me rappelle d’une étreinte brûlante, comme un rêve d’enfant. Des yeux bruns. Il leva les siens vers le ciel, l’air incertain. Elle avait des cheveux qui brillaient comme le gel.

Sterenn posa sa tempe contre son crâne et enfouit son nez dans sa chevelure. L’image d’un petit garçon blond, courant dans les champs jusqu’aux bras de sa mère, lui apparut. Elle osa demander dans un filet de voix :

—Pourquoi es-tu parti ?

—J’étais seul et il n’y avait rien pour moi là-bas. Rien pour personne : je ne sais pas si des gens y vivent encore. À part s’enrôler d’un côté ou de l’autre, il n’y a pas de travail. La Déesse m’a sorti de là.

—Elle t’a guidé ?

—Elle m’a parlé. Et elle m’a laissé répondre. Tu connais beaucoup de gens comme ça, toi ? Qui parlent et qui écoutent ?

Et Sterenn qui connaissait désormais le monde réalisa que non. Combien de temps restèrent-ils ainsi enlacés sur ces marches, à observer les nuages filer ? Ils n’auraient su le dire. D’ailleurs, le reste de leur séjour à Skevent se déroula comme dans un rêve : exploration, préparatifs et adieux furent accomplis dans cet ordre et sans délai. Vint enfin l’heure du départ.

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Syanelys
Posté le 09/06/2025
Coucou Bleiz !

Quel obscur cheminement vient d'être pris par la Déesse ! J'ai eu un peu de mal à comprendre l'intérêt des tourtereaux à se rendre dans le Triangle Sud, finalement. Le Roi leur fait une preuve d'amitié en échange d'une prédiction alors qu'ils auraient pu tout simplement... partir de Skevent sans demander leur reste ? Je me doute que Simon et ceux qui lui resteront loyaux auront un grand rôle dans deux jours à la porte Ouest, mais sur le coup, je n'ai pas su saisir la logique, ce qui me désole un peu. Surtout, je m'attendais à ce que Simon les rejoigne dans leur quête d'inconnu ou qu'il apporte/offre ce que Sterenn et le lecteurice souhaitait : de quoi justifier le profond attachement liant une âme artiste incomprise à une âme chapardeuse. Peut-être était-ce seulement les 5 minutes d'avance ?

En tout cas, l'Artiste est de retour, retrouvant son existence d'être humain en compagnie de notre Sterenn adorée ! C'est un plaisir de voir qu'ils peuvent amorcer enfin leur vraie aventure ensemble. J'aime beaucoup le contraste entre l'amour retrouvé et les affres de la guerre à venir dans lesquels ils seront sûrement plongés. Je garde toujours en tête le prix à payer pour ce bonheur à portée de main.

Pour en revenir à Skevent, séparée en différents quartiers triangulaires, je me suis amusé à imaginer la ville en tête. Il est finalement rare d'associer un quartier sud à autre chose qu'un quartier d'élite vivant dans l'opulence. Du coup, cela m'a surpris et j'ai pu bien m'intéresser à tes descriptions pour bien savourer la scène dans le cul-de-sac.

En tout cas, il est temps de partir, amour et foi retrouvés. Je suis très curieux de savoir, à l'approche de la fin de l'histoire, ce qui sera réservé à notre poupée qui doit finir de s'accomplir avant de prendre son siège avec ses frères et soeurs.

Toujours fan de ta plume et de tes descriptions. Coup de coeur confirmé pour l'évolution de notre Sterenn que tu parviens à dépeindre avec une justesse très plaisante à lire.

A très bientôt !
Bleiz
Posté le 09/06/2025
Salut Syanelys,

L'Artiste et Sterenn sont en bout de chemin. Leur dernière mission en date est de préparer les prochaines histoires, c'est pur ça que Sterenn dit dans le chapitre précédent qu'ils partiront dans deux jours et pas immédiatement. Ici, c'est la même chose : ils vont au Triangle Sud parce qu'ils doivent aller chercher Simon et ses amis. Simon a sa propre histoire à vivre, et ne peut donc pas rejoindre Sterenn et l'Artiste :)
Et contente que les retrouvailles avec l'Artiste t'aient plues.

À très vite !
Syanelys
Posté le 09/06/2025
J'aime beaucoup Simon au fait !
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