Mélinda, marchande de rêve ou marchandise ?

Notes de l’auteur : Attention, une scène évoquant un acte sexuel est contenue dans ce texte.

Mélinda attendait sur la balustrade. Un sourire narquois, comme à son habitude, fiché sur les lèvres carmin de son visage pâle. Sa moue hautaine étudiée plissait ses yeux verts d'eau en fentes félines. Elle assistait à l’une de ses activités favorites, les révélations d’adultères. Une des danseuses, du corps de ballet, avait surpris son fiancé avec une des costumières, une jolie Italienne plantureuse, bien différente de la frêle jeune femme longiligne qu’il s’apprêtait à épouser. Malencontreusement, ou peut-être car Mélinda avait laissé planer quelques doutes et mis l’accent sur des traces de parfums et maquillages sur le col de la chemise du bonhomme, la danseuse s’était rendu compte de la supercherie et avait décidée, face à cet affront, de mettre un terme à sa romance. Le jeune homme, un des musiciens de l’orchestre, la suppliait à genoux de lui pardonner. Mélinda le soupçonnait d’aller ensuite faire le même numéro à l’Italienne (que la blonde avait aussi mise au courant) pour tenter d’avoir la deuxième si la première le rejetait. Vu la pauvre situation de la brune méditerranéenne, elle ne refuserait pas. Mais pour l’instant, la danseuse aux gambettes frêles levait dangereusement la paume pour gifler le malotru, et finit par laisser tomber son bras mollement, terrassée par les émotions et la faiblesse sur son banal visage empourpré.

Mélinda étouffa un rire peu opportun. La danseuse tournait déjà les talons, sous les supplications du misérable homme. Incorrigible sujet masculin, pensa la blonde. Mais, alors qu’elle commençait déjà à s’écarter avec une flegme sensuelle, ondulant ses anches rondes qui affolaient les hommes de tout horizon, le deuxième personnage de cette comédie entrait déjà en scène. L’italienne, à force de mouvements de mains et de soupirs bruyants, marchait d’un pas beaucoup plus décidé que la danseuse étriquée. Tout d’abord ce fut une baffe retentissante qui accueillit le gars, puis une pluie d’injures en latin. Enfin, la jeune femme brune s’effondra dans les bras peu vigoureux du Don Juan. Celui-ci, passant de la terreur, à la douleur puis à la surprise, affichait maintenant un sourire ravi et béat de savoir que s’il avait perdu la première il pouvait toujours se rabattre sur la deuxième.

« Mais je veux que tu me promettes de m’épouser… sanglota la brune qui ne se doutait pas un instant qu’elle n’était qu’une amante et qu’un infidèle finissait toujours par recommencer. Si ! Sur notre amore...

– Bien sûr mon ange ! S’étrangla le jeune libertin s’étouffant dans ses mensonges d’une voix plus incertaine que jamais.

– Ma mamma in Italia va être si heureuse ! Amore mio… Roucoula-t-elle de ses yeux de biches aux cils d’une longueur exaspérante pour les autres demoiselles. »

Les yeux du bougre s’illuminèrent immédiatement lorsqu’il comprit que la suite de la journée pouvait être intéressante par bien des aspects, rougissant nettement en tenant la plantureuse naïve dans ses bras gringalets. Mélinda, qui jusque-là riait sous cape, trouvait la situation plus drôle du tout. Ce pauvre type allait avoir droit aux caresses habituelles sans aucune autre sanction que de devoir présenter une pauvre costumière à sa famille au lieu d’une bourgeoise admise dans un ballet. Même si penser à cette dernière partie enchantait nettement la sublime Mélinda, elle s’écarta néanmoins de la scène écœurée. Les hommes restent des hommes, manipulables et soumis à leur organe reproducteur.


 

Le monde ne tournait pas autour de Mélinda. Pourtant la chose ne s’en éloignait guère, tout Paris assistait à ses performances et elle avait une liste de prétendants avec qui elle fixait des rendez-vous journaliers, ayant un agenda de ministre avec une suite à l’hôtel toujours occupé. Les bals et réceptions ne manquaient pas pour la charmante créature, les vieux aristocrates payaient cher pour exhiber une aussi belle femme, qui en plus avait de la renommée. Elle présentait les plus belles qualités féminines : la beauté, l’art de la flatterie et surtout la cupidité. Elle amassait donc une fortune qui aurait fait pâlir les caisses vides de l’État après la révolution des Trois Glorieuses. Mais c’était principalement une mondaine. Elle connaissait toutes les histoires, répandait les ragots comme la peste, savait se faire des amis dans tous les camps et sa place sociale était indétrônable.

La blonde, aux grands yeux verts, d’eau rêvait à tout cela en réajustant sa parfaite chevelure ondulée dans le reflet du miroir, luxe que la plupart n’ont pas, remarqua-t-elle en gazouillant intérieurement.

« Emy ! Pépia une petite jeune femme de son accent britannique, accourant vers la fameuse danseuse. N’es-tu donc pas prête ? Tu es parfaite, chérie.

– Tu trouves ? Mélinda s’accorda un sourire timide tout en sachant pertinemment que beaucoup tueraient pour être aussi belles. »

De la pointe de ses longs cils bruns jusqu’à sa moue aux lèvres pleines, la blonde se rengorgeait de si bien rentrer dans les codes de beauté actuels. Elle était d’ailleurs l’une des rares danseuses, à qui le dur entraînement épuisent, à se vanter d’avoir de si belles formes, des cuisses pleines comme de la crème et une poitrine ferme. Elle envoya un baiser à son reflet.

« Allons donc rejoindre la répétition générale ! L’anglaise glissa ses bras autour de la gorge laiteuse de la blonde.

– Très bien mon chou. »

Les regards masculins validèrent pleinement les efforts de Mélinda, celle-ci souriait sans feindre sa joie. Comme à son habitude, elle vivait cette bouffée d’excitation galvanisante, dont elle se délectait. Calmement immobile, dissimulée par les rideaux, les ballerines, armées des mêmes costumes, entamaient déjà leurs petits pas chassés pour pénétrer la scène. Mélinda, étoile de la représentation, entra enfin, de ses mouvements les plus distingués. Elle fut immédiatement noyée dans la lumière des chandeliers et des projecteurs à gaz. Prenant place avec délectation au centre des ballerines, effectuant une masse semblable. Être unique au centre d’automates, enviée par toutes celles qui ne joueront jamais que des personnages secondaires et éphémères. Le plancher grinçant, les pointes qui claquent et les respirations sous l’effort, tout disparut pour laisser seulement cette sublime excitation couler dans les veines de la danseuse principale, comme de l’ambroisie.


 

« Mélinda en fait beaucoup trop. Cette fille n’est pas respectable… Tu sais que c’est elle qui a tout révélé à Amanda pour l’infidélité de son fiancé ? Médit une ballerine au visage longiligne et aux yeux globuleux, réajustant son chignon strict.

– Cela ne m’étonne pas d’elle. Elle traîne d’ailleurs avec beaucoup trop de galants, on dit qu’elle va à l’hôtel tous les soirs et qu’elle tient un agenda pour chaque rendez-vous, si ce n’est pas ridicule ! Avoir autant de soupirants… »

La blonde attendit que la grasse costumière, qui avait raté sa carrière de ballerine, ait fini sa phrase pour entrer en scène, un sourire chaleureux sur ses lèvres vermeilles, un sourcil arc-bouté :

« Virginie, Césarine ! S’exclama l’intéressée des ragots. Je ne vous ai pas vu lors de la représentation ! Les coulisses étaient bondées… En tout cas on ne m’a dit que du bien de l’exécution des sylphides, Virginie !

– Merci Mélinda, tu es bien gentille ! Se rengorgea la femme au visage anguleux, passant du vert coupable au rouge ravi. Être complimenté par l’étoile de notre théâtre est un privilège, tout le monde a été soufflé par ta performance.

– Oh, j’aimerais bien ajuster ta tenue de scène ce samedi, lorsque vous danserez la pièce… Soupira avec envie la flasque Césarine.

– J’en serais ravie ! S’exclama avec une joie feinte la blonde, portant la main à sa bouche. Mais savez-vous, mes amies, qu’Amanda a enfin rompu avec le malotru qui la cocufiait ?

– Quelle bonne nouvelle ! S’exclama Virginie. S’il m’arrivait le même malheur j’aimerais être au courant…

– Ce qui n’arrivera seulement si tu as un soupirant. Pouffa la grosse costumière, hoquetant comme seules ses anciennes manières paysannes savent le faire.

– Silence ! Siffla la ballerine aux os saillants.

– Mais très chère, n’êtes-vous pas au courant ? S’étonna Mélinda en prenant un siège pour souligner ses confidences. Le marquis Gustave Ducompoix vous a trouvé très à son goût lors de La Bayadère, votre façon de tenir l’éventail était des plus élégants selon ses dires ! »

Cette histoire n’était pas totalement fausse, quoiqu’enjolivée. Tout d’abord ledit Marquis avait le double d’âge de Virginie, ensuite il l’avait trouvée « respectable dans ce troupeau de femmes de mauvaises vies » et s’était effectivement décidé, s’il devait suivre la tendance en se faisant escorter par une ballerine, de la prendre à son bras lors du gala prochain. Mélinda, possédant le moindre ragot, savait que partager cette information couperait définitivement la mauvaise langue de la danseuse sur son compte.

« Vraiment ? Un marquis ? S’extasia avec une jalousie indissimulée la grosse paysanne devenue parisienne.

– Ho hé bien… s’empourpra l’intéressée, sachant pourtant l’homme vieux et sordide. Je suppose que je ne peux refuser une si charmante attention…

– Je vous verrais donc au prochain gala ! Céla Mélinda, laissant ainsi planer dans la pauvre tête de cruche mal faite de Virginie que les deux évoluaient maintenant dans le même monde.

– Au merci ! Oui nous nous y verrons ! Déjà la pauvre ballerine, aux yeux globuleux et au visage anguleux, rêvait à sa robe, elle qui n’avait pas encore eu l’occasion d’être exhibée dans une soirée mondaine. »

Quand la blonde quitta les deux commères, la conversation avait pris une tournure élogieuse à son propos, la ronde demandant elle-même à la maigre si elle pouvait lui présenter quelques officiers ou simples soldats, maintenant qu’elle entrait dans la vie sociale.


 

Mélinda s’ennuyait souvent avec les hommes qui franchissaient la porte de sa suite d’hôtel.

Dans un peignoir rose saumon en dentelle elle contemplait paresseusement les courbes de son ventre féminin dans la vitre assombrie par la nuit. Semi nue, étendue sur son lit en coton rouge bordeaux à baldaquin crème, Mélinda avait un goût prononcé pour les contrastes de couleurs. Le sol était tapissé de moquette bleue orientale, les montants du lit étaient recouverts de peinture dorée telle une église redécorée lors de la Renaissance. Pourtant nulle croix dans ce lieu embaumant les corps et les roses disposées dans toute la pièce, surchargeant de leurs odeurs les lieux. Mais la ballerine étoile s’impatientait, quand est-ce que ce stupide capitaine allait débarquer ? Elle trouva sa blague à son goût et rit…

« Madame. Tonna bientôt la voix grave brisée par la mer et ses vents d’un homme d’une vingtaine d’années en paraissant trente tant le soleil l’avait buriné et sillonné de rides.

– Capitaine ! J’ai bien cru que vous ne débarquerez jamais ! Lança gaîment la jeune femme à la silhouette dissimulée par le rideau pâle.

– Je m’en excuse, très chère. Répliqua la voix rauque sans un soupir, et son manque d’humour étrangla le rire cristallin de Mélinda dans sa gorge, en voilà encore un dépourvu d’esprit.

– Approche, trésor… susurra-t-elle d’une de ses nombreuses manières minaude, recroquevillant ses petits pieds blancs ensemble. »

L’homme hésita à peine et stoppa net, bouche bée devant la sublime déesse grecque dont il rêvait lors de ces longs jours sur la mer d’huile. Il fut si choqué de cette apparition enchanteresse, nymphe étendue sur une mer pourpre dans un déshabillé en dentelle rose tendre, que cela lui procura une érection. Ce qui eut pour effet de couper toutes envies à Mélinda. En plus d’être stupide l’homme était si impatient d’un peu de chaleur féminine qu’il la dévorait déjà des yeux, la bave lui coulant des lèvres. Ridicule, pensa-t-elle et elle réajusta son peignoir sur sa poitrine laiteuse puis se releva du lit pour se tourner de trois quarts, de sorte à dissimuler un peu ses formes sublimes.

« Ma mie ! S’exclama le marin en tombant à ses pieds, comprenant que la belle boudait. Je vous aime, je vous admire, je vous adule ! Ho si seulement vous pouviez m’être mienne ! Vos lèvres, vos yeux aquatiques, votre gorge… »

Le dernier mot eut l’effet d’un soupir rauque, ce qui piqua encore plus la blonde. Ma gorge, et pourquoi pas mon fessier, pensa-t-elle. Elle se détourna encore plus de l’homme prosterné à ses pieds en s’écartant à pas légers du marin qui ressemblait plus à un jeune adolescent amouraché en cet instant. Alors celui-ci s’empressa de sortir de sa poche un écrin en coquillage. Le toisant avec curiosité et mépris, une mine boudeuse fichée sur ses lèvres charmantes, Mélinda tourna un peu sa jolie tête vers le pauvre capitaine. Il ouvrit le précieux contenant pour découvrir de sublimes pendants d’oreilles en corail et perles. Le tout évidemment celé par un alliage d’or blanc. La ballerine en perdit toute raison de bouder, sa bouche s’ouvrit en un o de surprise et d’envie. Ce présent valait bien l’achat d’une maison à lui seul. Elle battit des mains avec excitation et s’approcha à peine de l’homme qui n’osait pas respirer, de peur de perdre la raison s’il inhalait son parfum. Mourir d’excitation n’était pas dans ses projets.

La nuit fut chaude et heureuse, au lendemain Mélinda s’observa de toutes les manières. Portant le bijou marin, elle décida qu’avec elle ressemblait à une sirène. Le pauvre homme était profondément endormi, après avoir caressé la belle toute la nuit, mais les majestueuses anches pleines de la jeune femme possédaient le don de plier n’importe quel homme à ses désirs. Ainsi était faite la nature d’après l’avis de Mélinda, et cette conviction était acquise par des années de pratiques. Elle ôta ses pendants d’oreilles, les remplaça dans l’écrin et les jeta désinvoltement sur son tas de babioles plus précieuses les unes que les autres. Cette pacotille avait bien dû coûter des mois de salaires au capitaine nu comme au premier jour, ronflant sur l’oreiller en soie.

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Sterben
Posté le 03/09/2025
Bonjour ! je viens saluer ta plume ! tu écris vraiment bien et j'espère que tu continueras cette histoire, car c'est un bon début ! bravo à toi, j'ai hâte de lire la suite !
eloisemirroir
Posté le 30/05/2025
Bonjour ! je ne te connais pas, je ne sais pas si tu écris déjà toi-même, mais je viens saluer ta plume ! tu écris vraiment bien et j'espère que tu continueras cette histoire, car c'est un bon début ! bravo à toi !
Filduvent
Posté le 01/06/2025
Merci beaucoup ! C'est très motivant pour moi de te lire ! Je ne comprends pas tout a fait ce que tu signifie par "tu écris déjà toi-même" mais si cela veut dire avoir déjà publier : non je suis amatrice ;)
eloisemirroir
Posté le 01/06/2025
"tu écris déjà toi-même" oui cela veut dire publier, écrire depuis longtemps, si c'est ton métier, etc. :)
emmawerner
Posté le 22/04/2025
J'aime les anti héros je suis donc ravie de lire ton histoire, enfin un personnage féminin qui change. Ton écriture est agréable à lire, on se plonge très facilement dans cet univers et on veut en savoir plus.
Filduvent
Posté le 24/04/2025
Merci beaucoup ! J'espère que tu apprécieras les autres personnages !
Mysteriote
Posté le 19/04/2025
Personnage manipulatrice très intéressant, à voir en effet ce qui va lui arriver comme paiement ou prise de conscience. Une anti héroïne avec toutes les bonnes raisons de l'être dans cet univers de requin et de mégère. Une écriture vraiment sympathique, on ressent tous le dégout psychotique et ironique qu'à le personnage de son monde.
Filduvent
Posté le 01/06/2025
Bonjour, mille excuses pour ce message tardif ! Merci pour ton retour ! Oui je pense que Mélinda adopte un comportement en réponse à son environnement. Qui de l'oeuf ou de la poule finalement... j'espère que tu continuera de lire et que le contenu te plaira !
Spinari
Posté le 13/04/2025
Salutations, belle entrée en matière avec un personnage féminin au cynisme ravageur (un trait de caractère que j'apprécie particulièrement).
Est-elle trop caricaturale ? C'est peut-être un peu tôt pour le dire donc laissons lui le temps d'évoluer.
Pour ma part l'ambiance colorée me plaît, un décor plutôt cinématographique. Mais pourquoi ne pas inclure plus de contexte historique dès le début ? Cela renforcera cette idée et j'aime avoir une bonne tartine dès le départ.
Filduvent
Posté le 24/04/2025
Merci ! Oui je me suis demandé si elle n'est pas trop caricatural, mais en même temps je pense qu'elle apprécie le fait d'exagérer sa personnalité... Il est vrai que je n'ai pas mis le contexte historique au premier plan... je le mets en avant surtout dans le chapitre 3 !
Rouky
Posté le 08/04/2025
Salut !
Ton texte est un véritable tour de force dans la description d'une femme manipulatrice et calculatrice, Mélinda, qui maîtrise l'art des relations superficielles tout en cultivant une certaine forme de cruauté envers ceux qu'elle utilise. Tu réussis parfaitement à nous immerger dans son monde, où les ragots et les intrigues sont omniprésents et où les femmes et les hommes ne sont que des pions à déplacer pour satisfaire ses désirs. Le contraste entre la froideur et le cynisme de Mélinda et son apparente sensualité est frappant, ce qui la rend à la fois fascinante et détestable.
Hâte de lire la suite !
Filduvent
Posté le 09/04/2025
Bonjour,
Merci beaucoup pour ton commentaire que je trouve pertinent et touchant ! Les compliments me vont droit au cœur et j'apprécie que tu aies réussi à cerner Mélinda, j'avais un peu d’appréhension sur son impact sur le lecteur (elle-t-elle trop caricatural ? Insipide ?). J'espère que tu vas aimer ce que tu vas découvrir par la suite, je me réjouis d'avoir un.e lecteur.ice comme toi !
Merci encore pour ce super commentaire,
Filduvent
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