La soirée se terminait, alors que les vacances touchaient à leur fin. Alexandre, seul dans sa chambre, préparait son sac pour le lendemain. Depuis le primaire, il en avait changé : le lourd sac carré était devenu un sac a dos ovale, sobre et discret, comme en aurait sûrement la plupart de ses camarades au collège. Sa respiration tremblait un peu. Au fond de ses entrailles, il ressentait une peur qu’il n’osait pas s’avouer, alors qu’il vérifiait ses cahiers vierges une nouvelle fois. En entendant quelqu’un toquer à sa porte, il rangea ses affaires en vitesse.
« Tu es sûr que tu ne veux pas que je t’accompagne, demain ? »
Charlie venait d’arriver dans sa chambre, presque timidement. Alex lui sourit, alors il s’assit sur son lit pour discuter.
« Oui, je suis sûr. Je suis grand, maintenant !
– Oui, mais… Pour la première fois, tu ne veux pas que je te dépose en voiture ? Je ne veux pas que tu te perdes pour ton premier jour de rentrée !
– Pama, j’ai déjà fait le trajet deux fois avec papa pour être sûr, je ne vais pas me tromper !
– Bien, bien, désolé, répondit Charlie en levant les mains. Je suis inquiet, je plaide coupable. Pas toi ?
– Pourquoi je serais inquiet ? Et pourquoi tu serais inquiet ? Ça a l’air trop bien, le collège !
– Pourquoi je serais inquiet ? Parce que je suis toujours inquiet pour toi, mon grand. C’est dans ma nature ! »
Charlie s’approcha de son fils pour lui caresser les cheveux. Il lui répondit par un sourire. Dans le fond, il le savait, il le sentait, que son fils lui mentait un petit peu. Ne voulant pas le stresser davantage, il reprit :
« Mais dis-moi, qu’est-ce qui a l’air bien, au collège, selon toi ?
– Euh… Déjà, il y a plein de matières ! Donc, je vais voir plus de choses qu’à l’école.
– Ah oui ? Et c’est quoi que tu aimerais avoir le plus ?
– L’histoire ! On a vu un cours d’histoire, lors de la journée d’observation, et ça avait l’air trop bien ! Ils voyaient… l’histoire de Rome, si je me souviens bien.
– Oh, mais tu vas devenir un champion de mythologie gréco-romaine, alors ?
– Non, tu seras toujours plus fort que moi, répondit Alexandre comme si c’était une évidence. Mais, tu ne voudrais pas me raconter l’histoire du labyrinthe du minotaure ?
– Encore ? Mais c’est un classique ! Tu ne veux pas plutôt que je finisse la vie de Morrígan ou le combat d’Apophis ?
– S’il te plaît !
– Quel enthousiasme, s’amusa Charlie. Bon, très bien, mais en échange, on va vérifier si ton vélo est prêt pour demain.
– Pama, on a du le vérifier au moins cinq fois depuis hier.
– Tu sais ce qu’on dit : jamais cinq sans six ! A chacun ses compromis pour obtenir ce qu’il veut, Alex. »
Le garçon soupira, mais il suivi son pama avec un léger sourire. Alors que Charlie sortait dehors vérifier le vélo dans le garage tout en racontant l’histoire du fil d’Ariane sans hésitation ni rupture dans son récit, Alexandre se laissait emporter par l’héroïsme du mythe en le suivant et oubliait aussi bien sa rentrée que sa boule au ventre. Même en grandissant, le fils de la conteur ne pouvait se lasser de toutes ces histoires. Il n’avait à reprocher à son parent : les histoires changeaient, elles avaient du rythme, du vivant, et même quand il n’était pas d’humeur à les écouter, elles le prenaient de force. Elles prenaient pourtant tellement de place dans la vie de Charlie, tout en paraissant si indépendante de lui, que parfois, Alexandre avait l’impression qu’elles avaient une vie propre. Comme si Charlie avait constamment un chat invisible sur son épaule qui lui soufflait les bons mots avec un sourire satisfait. Et si, quand il l’entendait, tout ce qu’il pouvait ressentir s’apparentait à de l’immense fierté de pouvoir entendre des contes aussi vivants, habillés avec une voix aussi belle et sûre que celle de son pama… Quand il se retrouvait seul dans son lit, quelque chose de différent en prenait la place. Un sentiment plus sombre, plus douloureux, qui prenait plus d’espace dans son cœur. Un sentiment qui transpirait et dégoulinait comme une éponge, comme s’il dégorgeait de son propre sang. Au fond de lui, seul dans son lit avec personne avec qui discuter, et sans se l’avouer, Alexandre était jaloux.
Le lendemain matin, il se fit réveiller par Charlie, comme s’il allait encore à l’école. S’il avait insisté pour aller au collège comme un grand et que ses parents avaient accepté sous l’impulsion bienveillante de Bastien, ils avaient décidé de continuer comme avant ce que les autres ne pouvaient pas voir. La famille Fearghail déjeunait ensemble sans un mot. Si Alexandre et son pama semblaient parfaitement réveillés, William peinait à décoller les yeux de son café.
« Alors, c’est le grand jour ? Finit-il par demander d’une voix alanguie.
– Oui ! Répondit Alexandre avec trop d’entrain pour que ce ne soit que de la joie.
– Tu ne devrais pas traîner, remarqua Charlie. Tu vas finir par être en retard !
– Il y a vingt minutes de trajet, j’ai encore le temps ! S’insurgea Alexandre qui commençait à se sentir couvé.
– Tu es toujours sûr de vouloir faire le trajet en vélo ? Demanda William. Je peux toujours t’emmener en voiture. Je peux te laisser hors de vue des autres élèves, si tu veux.
– Mais non, papa ! On était d’accord pour le vélo. Ça va me muscler les jambes, pour la danse !
– Bon. Mais tu as bien l’anti-vol ? Tu sais comment l’accrocher ?
– Mais oui ! Vous savez quoi ? J’y vais !
– Bonne journée, mon grand ! Papa et moi, on est très fier de toi !
– Fier de quoi ? J’ai rien fait, encore ! Répondit Alexandre en claquant la porte. »
Alors qu’il s’en allait de la maison et s’éloignait dans le matin froid, William laissa échapper un soupir dans sa tasse.
« Il grandit, hein… Et nous, on vieillit.
– Il reste du café ? Demanda Charlie après un silence.
– Je t’en refais. »
Quand Bastien avait parlé à Alexandre des trajets qu’il faisait jusqu’au collège en vélo dans sa jeunesse, il avait tapé directement dans le cœur du jeune garçon. Il s’était mis martel en tête de faire exactement la même chose. Mais désormais qu’il devait pédaler, seul, s’essoufflant sur le chemin pour arriver en ville, il regrettait désormais un peu son choix. Les voitures passaient a toute vitesse à coté de lui. Lui qui était encore si peu habitué à pédaler sur une grande route, il n’osait même plus lever les yeux vers le soleil qu’il avait autrefois tout le plaisir à admirer tous les matins.
Il crocheta son vélo avec l’anti-vol devant le collège, comme lui avait dit son père. Quand il releva les yeux vers le portail d’entrée, il eut comme un mouvement de recul. En voyant l’immense masse d’élève et de sacs qui envahissait l’endroit comme une armée sur un champ de guerre, il eut l’impression de ne pas être là où il devait être. Dans une pensée traîtresse, il pensa que, s’il disparaissait, sans jamais entrer dans cet immense bâtiment où tout le monde se précipitait, personne ne le saurait jamais. Qu’il était invisible au milieu du banc de poisson. Mais il pensa au visage de son pama, son visage confiant et souriant. Un visage devant lequel il devrait mentir. Un visage qui serait profondément déçu, si jamais la vérité éclatait. Alors il serra les poings avant de rejoindre les autres enfants.
Si la foule l’avait impressionné de loin, quand il fut à l’intérieur du mouvement, ce fut encore pire. Les nouveaux élèves piaillaient de tous les cotés. Beaucoup se retrouvaient après avoir passé le primaire ensemble, dans des cris et des larmes. Alexandre se faisait balader, bousculer par des cartables similaire au sien. Le bruit entrait dans sa tête et lui explosait le crâne avec une violence qui le laissait presque sous le choc. Il y avait, pour lui, trop de mouvement, trop de bruit, trop à voir, trop d’information à gérer. Il n’avait pas commencé sa journée qu’il se sentait déjà épuisé. Dans la grande cours de récréation était affiché toutes les listes des classes ; c’était là où l’agitation et la tension était le plus palpable. Les enfants criaient de joie, pleuraient de frustration d’être ou non avec leur amis du primaire. Seul, et ne sachant pas forcément quoi en attendre, Alexandre se dirigea vers le noyau de l’enfer en baissant la tête et chercha, lui aussi, son prénom dans les feuilles accrochées sur le mur. Avec tout ce qui se passait autour de lui, ça lui paraissait impensable de retrouver son prénom sur des feuilles minuscules, qui avaient été manifestement imprimées à la va-vite. Mais en ressentant toute les émotions des autres qui continuaient toujours de crier et de rire, il en fini par espérer sans raison :
« J’espère que Béatrice sera là…
– Béatrice ? Mais elle est dans un collège privé ! »
Choqué qu’on l’ait entendu dans tout le vacarme, il chercha dans tous les sens la personne qui venait de lui répondre. C’était un jeune garçon, un peu plus petit que lui, qui le regardais avec un air moqueur. Il était entouré par d’autres enfants, qui semblait être ses amis, et qu’Alexandre était persuadé de n’avoir jamais vu.
« Tu le connais ? Demanda l’un d’entre eux.
– Oui, c’est Alexandre ! On était au primaire ensemble.
– C’est vrai ? Vous êtes ami alors ?
– Avec Alex ? Plutôt rêver ! On rejoint notre classe ? »
Et en riant, le petit groupe de garçon s’éloigna. Alexandre décolla son nez du tableau. Il n’avait plus envie de chercher son prénom. Il n’avait plus envie de savoir qui serait dans sa classe. Il n’avait jamais voulu le savoir. Sans insister davantage, il recula discrètement et s’assit dans un coin où personne n’allait. Il regarda alors, lentement, sans un mot, tous les mouvements de foule qui passait devant ses yeux. Lentement, les classes se formaient, se plaçant dans des carrés qui était dessinés sur le sol goudronné de la cours. Des adultes, sûrement des professeurs, arrivaient devant chaque carré et commençaient à vérifier et compter leurs élèves. Sans bouger, Alexandre continuait d’observer. Personne ne faisait attention à lui. Il était seul, recroquevillé sur lui-même, a contempler tous ses camarades qui n’étaient que des étrangers, et il ne savait pas quoi ressentir. Il n’avait pas de colère, pas de tristesse : tout ce qui passait devant ses yeux, le brouhaha éloigné des autres enfants ne l’atteignaient plus. Il était trop loin, et tout ce qui résonnait dans sa poitrine, en ce instant, ne fut qu’un étrange vide qu’il ne comprenait pas. En voyant un des professeurs compter et recompter sa classe, cherchant manifestement quelqu’un dans tous les sens, Alexandre fini par se lever de manière mécanique et se diriger vers lui.
« C’est moi que vous cherchez ?
– Comment tu t’appelles ? Lui demanda le professeur, surpris.
– Alexandre. »
L’homme regarda sa liste pour vérifier.
« Alexandre Fer… Ferguale ?
– Fearghail, monsieur.
– Très bien, super ! Va te mettre avec tes camarades, nous allons monter dans la classe ! »
Alexandre jeta un regard à tous les élèves regroupé dans le carré. Il n’en connaissait pas un seul. Même le garçon qui lui avait parlé juste avant pour se moquer était présent. Béatrice, comme il l’avait d’ailleurs dit, était absente. Si c’était ce qu’il avait eu de plus proche d’une amie dans tout son primaire, il n’avait jamais eu de contact avec elle en dehors des cours. Ainsi, il ne savait même pas si elle était dans son collège. La question ne l’avait même pas effleuré : il n’avait pas pensé qu’elle puisse partir sans rien lui dire. Il pensait qu’elle était comme une évidence dans son quotidien. Et pourtant, de comprendre qu’il s’était lourdement trompé, sur toute la ligne, ne le rendait pas triste. Toujours négociant avec un vide intérieur, il se plaça dans le rang et suivi toute la classe dans le grand bâtiment.
Les couloirs étaient froids et mal éclairés. Les pièces semblaient sales et vieilles. Tous les enfants, intimidés, marchaient en silence, observant le plafond moisi et les salles de classes dont les portes étaient encore ouvertes. Il fallu qu’ils arrivent au bout du couloir pour que le professeur les fasse rentrer dans sa propre salle. C’était un professeur de science et vie de la terre : les bureaux étaient en céramique, et entre chaque bureau se trouvait un évier, sans qu’il y ait de lavabo. Les murs étaient couverts par des grandes feuilles A3 et différentes affiches de travaux d’élèves, de toute sorte. L’un d’entre eux parlait du SIDA : un autre, de l’anorexie. Les enfants, intrigués, s’assirent en discutant entre eux de ce qu’ils voyaient. Seul, Alexandre chercha fébrilement un endroit isolé, au fond de la classe, où il pourrait se faire oublier. Alors qu’il cherchait discrètement, son regard fut attiré par une affiche particulière. Elle était en vérité comme toutes les autres, une affiche A3 faite manifestement par un élève, qui avait écrit au feutre et collé des photos de journal. Mais le sujet de l’affiche, lui, fit s’approcher Alexandre au point de s’asseoir juste a coté d’elle. L’affiche avait pour sujet une espèce de plantes dicotylédones de la famille des papavéracées, le coquelicot.
L’élève avait jugé bon de coller des images de coquelicots en bordure de champ de luzerne. Alexandre, captivé par la beauté vive de la fleur, ne s’occupa qu’à peine de lire le travail qu’avait fourni l’auteur de l’affiche : il regardait cette herbe vive, a flanc de colline, en bordure de véritables champ. Il voyait le ciel bleu et clair, les arbres et l’herbe folle et vive qui illuminait de couleur. Très vite, Alexandre oublia la rentré, le collège, l’envie de bien faire. Ne prêtant pas d’attention à ce que disait le professeur pour se présenter, déjà ailleurs, loin dans un monde entre les montagnes et les plaines, il rêvait de plonger dans cette photo pour s’allonger dans l’herbe et écouter les fleurs chanter dans le souffle du vent.
« En science et vie de la terre, cette année, nous allons étudier le fonctionnement du vivant dans un écosystème, affirma le professeur plus fort et en fixant Alexandre, de manière à ce que même lui se sente impliqué. Et quand je dis le vivant, je parle surtout du végétal : on va voir le fonctionnement des fleurs, comment elles se reproduisent, comment elles évoluent en fonction des différents milieux. Oui ? »
Il désigna Alexandre, qui avait levé le doigt alors qu’il parlait.
« Si on va étudier les fleurs, est-ce que ça signifie que l’on va avoir des sorties en campagne ? »
Alexandre n’avait pas eu l’impression de poser une question stupide, pourtant il entendit quand même des élèves ricaner à sa prise de parole. Mal à l’aise, il se renfrogna, regrettant immédiatement sa réponse. Le professeur, sentant la gêne malsaine, s’assura de répondre :
« Ce n’est pas une question idiote ! Mais non, malheureusement, nous ne ferons pas de sortie scolaire d’observation cette année. Peut-être dans de prochaines années ? En revanche, nous allons faire de l’observation de végétal en classe, grâce à des dissections, notamment.
– On va tuer des fleurs pour les étudier ? »
Si la première question n’avait suscité que quelques rires moqueur, la deuxième question d’Alexandre, qu’il avait posé sans même le réaliser, provoqua l’hilarité générale à ses dépens. Se maudissant d’avoir la langue trop bien pendue. Le professeur avait été pris de court par la question et ne réagit d’abord que pour faire taire ceux qui riaient.
« Et bien, elles seront achetées chez un fleuriste, donc elles ne seront pas exactement « tuées » pour notre travail en classe, mais…
– On ne pourra pas les replanter une fois qu’on les aura disséquée ? »
Il ne savait même pas pourquoi lui-même insistait à ce point. Il sentait les regards poser sur ses épaules. Il entendait les rires étouffés, les autres qui se demandait qui il pouvait bien être. Même le professeur, cette fois-ci, eut du mal à garder son sérieux.
« Tu t’appelles Alexandre, c’est ça ?
– Oui.
– Alors, Alexandre : non, mais les fleurs qu’on aura utilisé iront dans un compost où d’autres fleurs pourront pousser grâce à elles.
– Mais on ne peut pas juste les laisser tranquille ?
– Ce ne sont que des fleurs ! Fini par lâcher le professeur qui ne savait plus comment répondre.
– Et bien quoi ? Une vie, c’est une vie, non ? »
Au fond de lui, il se maudissait. Il savait, il sentait très bien qu’il était à contre-courant. Il avait voulu abandonner bien avant même d’en arriver là. Il sentait un coté plus enfantin, plus timide et effarouché, pleurer en lui. Mais il était grand et même si ses joues le brûlaient de façon ridicule, il se sentait incapable de se taire. Le professeur laissa échapper un soupir. La discussion dépassait tout ce qu’il avait prévu, et il avait juste envie de mettre fin à ces questions qui commençaient à sortir du cadre.
« Tu manges bien de la viande, non ? Est-ce que tu dis aussi qu’une vie est une vie à ton steak ?
– Je mange de la viande parce que j’en ai besoin pour vivre. Et je n’en mange pas sans y penser. Je n’ai pas besoin de disséquer une fleur pour vivre. »
Surpris, le professeur eut un mouvement de recul. Les élèves tenaient de moins en moins en place, riant et se moquant entre eux. Pour passer au-dessus du bruit qui commençait à s’installer, Alexandre déclara d’une voix forte.
« Selon le bouddhisme mahāyāna, ‘’la consommation de viande éteint le germe de la compassion suprême.’’
– Tu es bouddhiste ? Bégaya le prof, surpris.
– Non, on m’a simplement raconté ses histoires.
– Qui ça ?
– Mon pama.
– Qui ? Répéta le professeur, perdu. »
Mais ce fut peine perdu. Tout ce que répondit Alexandre fut de simplement répéter :
« Mon pama. »
Ceux qui riaient en douce depuis quelques minutes éclatèrent véritablement de rire, créant un brouhaha semblable à celui auquel avait assisté Alexandre dans la cours. L’entente des rires gras le blessait profondément. Il avait essayé de ne pas s’en soucier quand les moqueries ne concernait que lui, mais maintenant il sentait que les enfants, cruels en ce jour de rentrée, se moquaient également de son parent. L’air ahuri du professeur qui ne savait pas quoi en penser n’aidait pas à calmer qui que ce soit. Il avait envie de crier, de leur dire de se taire. Il avait envie de défendre son pama, coûte que coûte. Mais il en était incapable. En position de faiblesse, seul au milieu du groupe, il baissa simplement la tête en se bouchant les oreilles. Mais il sentait encore, autour de lui, les élèves profiter de cet aveu d’échec pour rire davantage.
« Bon, ça suffit, maintenant ! Alexandre, on en parlera à la fin de l’heure. On reprend. J’ai dit : On reprend ! »
Et comme si rien ne s’était passé, le cours reprit. Mais Alexandre ne s’y intéressait plus. Il nota, comme un robot, l’emploi du temps que le professeur montra à la classe. Puis, quand il donna a chacun des fiches pour se présenter, il nota méthodiquement, au minimum possible, les réponses aux questions qu’on lui posait. Il s’appelait Alexandre Fearghail. Il avait dix ans. Il n’avait ni frère, ni sœur. Son père était professeur de danse. Son deuxième parent était conteur. Epuisé, il hésita à marquer pama, mais il laissa tomber. Il marqua son prénom, et au fond de lui, il se détesta de tomber ainsi dès le premier jour. Charlie se battait tous les jours pour être reconnu là où même son fils n’arrivait pas à le faire pour lui. La larme qui tomba sur son bureau, très discrète, ne fut remarqué par personne. Alexandre Fearghail, élève de sixième, était un enfant comme les autres.