— Comment vous vous appelez, vous me dites ?
— Tu ne me reconnais plus ?
— J'ai l'air de poser des questions dont je connais déjà la réponse ?
— Tu as l'air perdue, surtout. Qu'est-ce qu'il t'arrive ?
— Soit dit en passant, le tutoiement, c'est obligé ?
— Un peu, oui. Je ne peux pas faire autrement.
— Pour quelle raison, je vous prie ?
— Le tutoiement va de soi entre nous. C'est ce qu'on fait généralement quand on est mariés.
— Mariés ? Je suis mariée ?
— Oui. Tu as oublié ?
— Je suis mariée avec qui ?
— Ce n'est pas évident ?
— J'ai encore l'air de poser des questions dont je connais déjà la réponse ?
— Toujours pas...
— Bon, alors ! Avec qui suis-je mariée ?
— Avec moi.
— Avec vous ?
— Oui, avec moi.
— Vous mentez !
— Moi, mentir ? C'est presque vexant ce que tu dis. C'est si incroyable que ça d'être ma femme ?
— Quand on ne se souvient pas, ce sont des choses qui arrivent. On se serait mariés quand, vous dites ?
— Le dix-huit septembre mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf. On s'est même dit oui à seize heures douze minutes et quatre secondes.
— Toutes ces précisions me donnent la migraine...
— Pourtant, je n'ai rien dit de plus que ce qu'aurait pu te dire une simple horloge.
— Les horloges me font cet effet-là aussi, vous savez.
— Au moins, tes migraines sont cohérentes.
— On ne pourrait vraiment pas se vouvoyer ?
— Te vouvoyer me gêne, mais pourquoi pas... Si ça te fait du bien...
— C'est que vous tutoyer me donnerait la nausée.
— Alors évitons le tutoiement car la nausée et les migraines ne font jamais bon ménage...
— Vous prêchez une convaincue !
— Je t'ai... Je vous ai convaincue ?
— Euh... non. Pas tellement en fait, mais je savais ça avant de vous rencontrer.
— Avant de me rencontrer ? Avant l'année mille neuf cent quatre-vingt-quinze, tu veux dire ? Tu te souviens de ça ?
— Non, je ne me souviens vraiment pas de vous. Avant de vous rencontrer aujourd'hui, je voulais dire. Je ne vous ai jamais vu auparavant, je vous ai dit ! Votre tête ne me dit rien, rien de rien.
— Mais on est mariés, enfin !
— Dois-je vous croire ?
— Bien évidemment.
— Ce n'est pas très convaincant, mon bon monsieur... Vous ne pouvez pas faire mieux ?
— Mon amour pour toi, c'est comme une évidence. Il est très difficile de prouver une évidence.
— Personnellement, je peux aisément prouver qu'un plus un, ça fait deux. Un plus un qui font deux, c'est très évident. Pas vous ?
— Je devrais y arriver aussi.
— Et prouver que l'eau mouille ?
— C'est plus délicat mais faisable malgré tout.
— Impressionnant ! Et l'huile mouille aussi, d'après vous ?
— L'huile, ce n'est pas de l'eau. Mais l'huile est liquide. C'est une question délicate que tu me poses là.
— Je n'aurais jamais pensé que l'huile vous poserait souci...
— Par contre, je pourrais presque te démontrer que l'eau chaude mouille tout autant que l'eau froide.
— Presque, seulement ?
— Avec un brin de motivation, je devrais parvenir à mes fins.
— Vous êtes un scientifique, non ?
— En quelque sorte.
— Comment ça ?
— Je suis un homme de sciences mais sans pour autant être un scientifique comme on l'entend de nos jours. Enfin... C'est compliqué.
— Oh ! Ma migraine revient...
— Je t'ennuie, peut-être ?
— Une légère overdose de parlotte et de tutoiement mais mes jours ne semblent pas encore comptés.
— Tu peux en mourir ?
— Des migraines fatales, ça existe, il me semble...
— Ah bon ?
— On peut mourir de tout, non ?
— En partant de ce principe, en effet, mourir d'une migraine est une possibilité parmi tant d'autres.
— C'est ce qui est amusant avec la mort.
— Tu trouves la mort amusante maintenant ? Je ne te reconnais plus...
— Et je ne vous connais pas, ça nous fait un point commun finalement.
— C'est que tu n'as jamais trouvé la mort très divertissante avant aujourd'hui...
— Vraiment ?
— Vraiment. La mort t'a plutôt assez bien démolie mais je ne voudrais pas te rappeler ce genre de détails pour commencer...
— Oui, parlez-moi plutôt de ce que vous vouliez dire par «homme de sciences» ?
— C'est une très longue histoire, tu sais.
— Je suis assise et j'ai une bonne dose d'aspirine dans mon sac à main. Je suis prête à vous écouter parler longuement.
— Veux-tu que je commence mon histoire par «Il était une fois» ?
— Seulement si c'est nécessaire.
— Et puis-je la finir par «Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants» ?
— Ce n'est vraiment pas une obligation. Séparer le bonheur et le fait d'avoir des enfants est un débat bien trop compliqué pour moi...
— D'accord !
— Vous ne commencez pas votre histoire ? Il paraît qu'elle est longue, ne perdez pas de temps !
— Il était une fois un petit garçon très à cheval sur les détails, au point de se rappeler de chaque seconde de sa vie. Il faut savoir qu'il est un des rares hommes sur Terre à se souvenir de chaque instant de sa naissance comme si c'était hier...
— Oh ! Quelle histoire passionnante vous avez là ! Cet homme doit avoir des choses incroyables à raconter !
— Et attends, tu n'es pas au bout de tes surprises. Ce n'est que le début...
C'est adorable et déroutant comme début. Ça me fait (forcément) penser au dialogue que Seja publie en ce moment avec la grande porte et le ponton (et je vois dans les commentaires que c'est en t'inspirant du format dialogué de Seja que tu as voulu écrire celle-ci, donc la boucle est bouclée). Je n'aurais jamais pensé à ce que vous tentez de faire, bien que j'apprécie beaucoup le théâtre de l'absurde ; à l'écrit, c'est encore plus plaisant !
Je suis ravi que tu aies pu trouver ça plaisant, merci !!
— Tais-toi Conscience, je fais ce que je veux !
Conscience chausse ses lunettes et sort sa calculette.
— Tu n'as produit que 5942 mots soit 12% seulement sur l'objectif à remplir d'ici la fin de la semaine prochaine...
— Je t'ai dit de te taire Conscience. Le premier chapitre du texte de Dédé vaut vraiment le détour en plus...
— Mais oui c'est ça, cherche-toi des excuses !
— C'est pas une excuse, c'est la vérité. Les dialogues s'enchaînent avec fluidité, le vouvoiement disparaît avec subtilité... Il en faut du talent pour savoir écrire des dialogues comme ça...
— Et patati et patata... Va écrire !!
— Et qu'est ce que je fais là à ton avis ? J'écris !
— Non, tu commentes, nuance !
— Pour la deuxième fois, tais-toi Conscience. Dédé arrive à raconter une histoire rien qu'en utilisant les dialogues, je trouve que c'est un véritable tour de force !
— T'es impressionnée ?
— Oui, je suis impressionnée. Y'a juste une phrase sur laquelle j'ai un peu bloqué : "Mon amour pour toi, c'est comme une évidence. Il est très difficile de prouver une évidence." Je n'aurais pas mis de "comme" pour que ça coule plus à la lecture.
— Ca m'aurait été étonné que tu n'ajoutes pas ton grain de sel !
— Bon sang, tais-toi Conscience !! Ce n'est pas mon grain de sel, c'est juste une remarque. Et laisse-moi tranquille, je vais lire la suite !
— Reviens ici !! Reviens ici tout de suite ! Tu as encore 14 058 mots à écrire !
Je m'en veux un peu de te détourner du PaCNo mais je suis aussi ravi de te voir par ici !
Je prends note de ta remarque. Sache que toute remarque est la bienvenue, sans problèmes.
Vraiment, je te remercie pour tous ces compliments qui font chaud au coeur. Ton commentaire aussi est un véritable tour de force ! Courage pour des 14 000 mots !
PS : je pense que Sej maitrise davantage le "full-dialogue" que moi. C'est en lisant une de ses histoires que j'ai souhaité, il y a quelques temps déjà, m'essayer à écrire une histoire tout dialoguée.