Parmi parterres et buissons taillés, de nombreux jardiniers ratissaient les feuilles mortes jonchées sur la pelouse. Une multitude de tas de feuilles s'accumulaient aux quatre coins du jardin. Un ouvrier repeignait le magnifique portail en fer forgé au bout de l'allée de gravillons blancs pendant qu’une jeune lavandière la traversait avec son panier en osier rempli de linge propre.
Le soleil automnal, froid et lointain, chassait difficilement la brume tenace qui s'accrochait en ces premières heures de la journée. Sur la façade de la demeure couverte de lierre, la fenêtre de la chambre d'Ombelyne de Pastelbour était close. Assise à son guéridon, la demoiselle finissait de manger une tartine de confiture de mûres. Avec sa serviette brodée, elle essuya le coin de ses lèvres d'un léger tapotement.
Elle n'avait pas quitté le confort de sa chambre depuis la soirée organisée par le Seigneur de Pierrelevée. Elle n'avait osé se confronter aux regards moqueurs et aux langues cachottières depuis son humiliation face à feu le Second Sujet, Odrian de Launys. Cloîtrée dans ses appartements, Ombelyne ne voulait plus recevoir de visite, y compris celles de son père qui, maladroit comme un novice, bafouillait des réconforts creux à travers la porte.
Ombelyne avait retrouvé son visage délicat quelques heures après avoir bu l'élixir au goût aigre que le maître-chanteur lui avait échangé contre une partie de sa fortune personnelle. Encore aujourd'hui, elle ne trouvait aucune explication rationnelle à ce qui lui était arrivé. Y avait-il un lien entre l'apparition, ou plutôt la disparition mystérieuse des deux hommes dans le jardin et son sourire dramatique ? Le petit homme qu'elle avait aperçu à côté de la fontaine à la cigogne, elle en était sûre, possédait le même genre de sourire. Cela ne pouvait être un hasard. Lui avait-il jeté un sort ? Pour quelle raison ? La magie noire n'existait pourtant que dans les contes. Ombelyne cogitait sans cesse, soirs et matins, elle en était obsédée. Plus que la mortification due à la déchéance publique, l'incompréhension la bouleversait. Elle voulait comprendre mais elle ne le pouvait pas. Une larme coula sur sa joue. Elle l'essuya avec sa serviette, se leva et s'approcha de l'horloge en acacia rouge. Elle s'assit en tailleur sur le parquet verni et suivit l'oscillation du balancier. Ce mouvement régulier l'apaisait.
Ombelyne n'avait plus aucune nouvelle de ses fréquentations mondaines. Elle, qui avait été le centre des attentions, suscitait désormais au mieux, l'indifférence au pire, du mépris. Son absence dans les rues du bourg faisait beaucoup jaser. Filles et garçons de bonnes familles, comme ceux plus modestes, la pensaient atteinte d'un mal incurable bien étrange et s'en moquaient bien volontiers. À part la maisonnée, nul ne savait qu'elle avait retrouvé la beauté de son visage.
Les seuls contacts qu'Ombelyne gardait avec le monde extérieur se limitaient à sa domestique personnelle Glantine et au majordome Honoré. Quotidiennement, il lui remettait les missives qu'elle recevait de contrées lointaines, où les échos de sa ruine n’avaient pas encore résonné. L'horloge sonna les dix heures. Le haut plafond réverbéra le dernier coup qui se prolongea, en suspens, dans la chambre douillette. Ce refuge temporel l'aidait à se reconstruire patiemment. Son retour à la sauvagerie des mondanités attendrait.
L'on frappa à la porte. Le majordome Honoré s'annonça. Ombelyne se releva, défroissa rapidement sa longue robe et autorisa le laquais à entrer. L'homme en livrée baissa sa tête pour saluer sa maîtresse. Il lui tendit des plis scellés qu'elle saisit.
— Vos missives du jour Mademoiselle.
— Je vous remercie Honoré. Vous pouvez disposer.
Ombelyne attendit que le majordome refermât la porte pour regarder de plus près les billets du jour. Quatre lettres, de quatre correspondants différents. Elle alla s'assoir sur le confortable fauteuil à motif fleuri face à la console qui lui servait d'écritoire. Ombelyne prit le premier courrier sur la pile, le décacheta et l'ouvrit. Elle reconnut la belle écriture manuscrite légèrement inclinée de sa cousine Constance qui habitait Bassus, la capitale du pays d'Astirac. Parfois, sa cousine travestissait le point de ses i en de petites marguerites au pistil encré. Ombelyne se redressa et lut à mi-voix :
Ombelyne, ma chère cousine,
Je suis si heureuse ! Valentyn s'est décidé à parler à Papa de notre projet de mariage. Papa lui a donné l'autorisation de me courtiser publiquement !
Il m'a déjà invitée pour la réception que donne le Premier Sujet Silas pour la fête du raisin. Me savoir à son bras, quel bonheur ! Je trépigne d'impatience, je tourne en rond comme louve en cage. J'ai tellement hâte d'y être !
Je ne te remercierai jamais assez pour tous les bons conseils que tu m'as prodigués. Sans toi, tout ce bonheur me serait hors de portée.
Lors de tes dernières lettres, tu ne fais plus mention du Marquis de Fleurys qui semblait avoir enchanté ton cœur. Que s'est-il passé ? Vous êtes-vous enfin rencontrés ?
Tu me manques tellement. J'aimerais pouvoir partager ma joie, mon allégresse avec toi.
Crois-tu pouvoir venir me rendre une visite dans les semaines à venir ? Cela fait tellement longtemps que nous ne nous sommes pas vues, et nos échanges épistolaires ne combleront jamais le manque de ta présence précieuse.
J'attends impatiemment de tes nouvelles.
Ta cousine adorée,
Constance
Ombelyne reposa le feuillet sur le coin de la table. Malgré le ton enjoué de la lettre, elle ne sourit pas. Elle ne parvint non plus à se réjouir du bonheur de sa cousine. La joie dégoulinante de ces lignes la plongeait dans un profond désarroi. Connaîtrait-elle un jour l'amour ? Qui pourrait bien vouloir d'elle à présent ? À cet âge, les jeunes filles de son rang se préoccupaient essentiellement de trouver un bon parti. Toute sa vie tournait autour de la séduction et des minauderies. Désormais, même la plus ennuyeuse des demoiselles du beau monde se prévalait d'un nombre de prétendants plus important qu'elle. Sa vie sentimentale était réduite à néant. D'étoile éclatante de la nébuleuse céleste elle devint un grain de sable insignifiant d'une dune immense.
Le maître-chanteur lui avait suggéré d'abandonner sa vie d'ici et de s'exiler dans un endroit où personne ne la connaissait. Sans doute avait-il raison. Un nouveau départ pour laver sa réputation entachée était le mieux qu’elle pouvait espérer. Elle pourrait demander à son père un pécule conséquent pour s'installer dans une demeure cossue. Pourquoi pas en pays d'Astirac aux côtés de sa cousine qui l'intégrerait alors dans le cercle de ses amis prestigieux ? Si cette perspective l'aurait enchantée au printemps dernier, l'été ayant moissonné et fauché toute l'estime qu'elle avait d'elle-même, ne restait plus qu'en automne miettes et bribes de confiance. Elle ne se sentait pas encore prête à réintégrer cet univers de faux-semblant.
Ombelyne saisit le deuxième courrier et l'ouvrit délicatement. Là encore, elle reconnut l'écriture en pattes de mouche de l'expéditeur. Une tache d'encre marquait dans un de ses coins la missive froissée. Roland de Pavy, nobliau tombé sous le charme de la belle, s'était engagé dans les troupes frontalières avant la mésaventure d'Ombelyne. Il lui écrivait régulièrement sans connaître la disgrâce dans laquelle était plongée sa dulcinée. Ombelyne ne s'était jamais intéressée au jeune homme. Son nez proéminent et ses oreilles décollées avaient, de fait, détourné la jeune fille superficielle des qualités innombrables qu'il possédait. Son courrier, dans ces circonstances, flatta Ombelyne et son orgueil blessé.
Mademoiselle de Pastelbour,
Je n'ai pu vous donner de mes nouvelles plus tôt et j'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur. Ici, sur le Bouclier Serein, les hommes s'agitent. J'ai très peu de temps pour vous écrire. Nous sommes très occupés. Malgré l'agacement grondant, je me porte au mieux.
En face, les hommes de l'Empire Couchant se rassemblent en plusieurs points stratégiques. Je ne sais pas ce qu'il se trame là-bas, nous sommes tous sur les nerfs.
Je compte demander une permission pour rendre visite à ma famille. Je serai comblé si vous acceptiez de partager un moment en ma compagnie. Je sais ma demande téméraire mais ici, je trouve le courage que je n'ai eu à vos côtés.
Je suis à votre service,
Votre dévoué Roland.
Ombelyne soupira. Elle ne savait pas si elle devait s’amuser ou s'agacer de la demande de Roland. Si pour lui quémander un rendez-vous sur papier relevait du courage alors, elle craignait pour la sécurité du Bouclier Serein.
Ombelyne ne s'intéressait pas à la politique qui fascinait et préoccupait tant son père. Cependant, avant la soirée chez le Seigneur de Pierrelevée, un soir d'été où elle s'était aventurée dans les couloirs de la demeure, elle avait surpris une discussion entre son père et un invité qu'elle n'avait jamais vu. Ils s'inquiétaient tous les deux de rumeurs. L’Empire Couchant, à l'est de la zone d'influence du Parakoï, se préparerait pour une nouvelle guerre. Le Parakoï multiplierait les garnisons tout le long du Bouclier Serein, fortifications s'étirant le long de la frontière avec l'Empire, du nord au sud, sans discontinuer. L'invité mystérieux paraissait plus soucieux que son père. Il lui avait rappelé ironiquement que, bien que situé à l'est, l'Empire était qualifié de « couchant » car il ambitionnait de soumettre, de coucher, tous les hommes sous son joug.
Ombelyne préféra poser le pli sur la première lettre. Elle n'envisageait pas d'y répondre. Ces guerres, si lointaines du pays Randais, ne la concernaient pas. Elle ignorait les raisons de ces belligérances. Moins elle en savait, mieux elle se portait.
Ombelyne prit la troisième lettre sur laquelle son seul prénom était écrit. Anxieuse, elle l'ouvrit et lut l'unique phrase :
Demoiselle souriante,
Est-ce de la pluie que je sens
ou bien ta fine bave qui du ciel descend ?
Ombelyne referma la feuille dans son poing crispé. Elle en fit une boule qu'elle jeta dans le foyer de la cheminée qui réchauffait sa chambre. L'insulte s'embrasa et le soufflet se désintégra. Ombelyne enfonça de frustration ses ongles dans l'épiderme de sa cuisse. Malgré la robe, elle s'écorcha légèrement la peau. Si la haine qu'elle avait ressentie lorsqu'elle avait reçu les premières brimades s'était muée en tristesse, la douleur n'en était toujours pas moins vive. Ombelyne recevait régulièrement des notes de cette nature. Pourtant, elle n'arrivait pas à s'en détacher et chacune d'elles la blessait comme les précédentes.
Elle inspira profondément et détendit ses phalanges jaunies par l'agacement. Ombelyne, investigatrice par le passé de moqueries et de palabres déplacées, éprouvait à présent pour ses anciennes victimes une compassion sincère. Elle se remémora plus particulièrement la domestique qu'elle avait humiliée publiquement. Elle en éprouvait des remords honteux. Une demoiselle élégante et respectable ne se serait jamais abaissée à ces vilenies puériles. Le raffinement résidait dans le contrôle et la discrétion. Ces excès abusifs n'étaient pas dignes de la Grande dame qu'elle aspirait à devenir. Sa solitude récente l'avait éduquée aussi efficacement que des œillères maintenant un canasson sur le droit chemin.
Ombelyne se leva. Elle se dirigea vers le guéridon et la carafe en cristal pour s'y servir de l'eau. En buvant son verre, elle observait les jardiniers qui chargeaient une charrette de feuilles automnales. Le peintre montait sur son escabeau pour atteindre les pointes torsadées du portail. Elle joua à pencher son verre jusqu'à ce qu'une première goutte vînt à se former sur le rebord. Elle le redressa avant la chute irrémédiable.
Calmée, elle but l'eau et reposa le verre sur la table. Elle retourna vers la console et s'empara de la dernière missive.
Son sourcil se souleva d'étonnement. Plusieurs feuillets s'enroulaient en un cylindre épais. Une simple cordelette maintenait les feuilles en place. Aucun sceau, ni même une mention discrète de la demeure des Pastelbour pour destinataire ne figuraient sur le rouleau, comme s’il avait été remis en main propre au majordome Honoré. Ombelyne attrapa son coupe-papier au manche d'ivoire puis sectionna la cordelette. Les feuilles se déroulèrent comme une écorce tendre. La jeune demoiselle prit à nouveau place sur le fauteuil rembourré et lut :
Eugyne,
Eugyne ? Le courrier ne lui était de toute évidence pas adressé. S'agirait-il d'un nouveau domestique que son père avait recruté à son insu ? Si tel était le cas, en tant que maitresse de maison, elle se réservait le droit de satisfaire sa curiosité. Elle continua :
Je ne sais pas si ces quelques mots te parviendront mais je crois courir un grand danger. Brûle cette lettre si ta raison te le dicte car j'ai bien peur, par la présente, de t'entraîner dans ma chute funeste.
Cette entrée en matière trop dramatique pour qu'Ombelyne n'y accordât le crédit qu'elle méritait, piqua davantage la curiosité légendaire de la Demoiselle. Elle prit ces premières lignes pour l'introduction d'une nouvelle sans enjeu, sans se rendre compte qu'elle détenait entre ses doigts manucurés un appel au secours et une mise en garde, malheureusement bien réels et authentiques. Elle releva légèrement son postérieur pour le reposer plus confortablement sur l'assise moelleuse. Elle poursuivit alors sa lecture :
Mon vieil ami, je vais te rapporter les événements mystérieux qui pullulent dans le pays Lectois que tous les incrédules attribuent à des démons maléfiques. Ce que j'ai découvert est bien pire que tout, le démon a bien un visage humain : Loren le Bouc, Premier Sujet du pays. Il est à la manœuvre et fomente lui-même ces atrocités. Ma main tremble car ces quelques mots, s'ils étaient interceptés par les mauvaises personnes, me condamneraient à un supplice qui me ferait regretter une mort salutaire.
Ombelyne posa la missive sur ses genoux. Elle comprit, avec retard, la gravité des propos couchés sur le vélin. Détenir cette lettre pouvait l'envoyer, elle et toute sa famille, au gibet pour trahison envers un Premier Sujet. Pourtant, si ces accusations étaient avérées alors ce témoignage devait être transmis à la Justice du Parakoï. Quoique fût son choix, elle se retrouvait impliquée dans des machinations qui la dépassaient. Que venaient encore faire ces démons dans cette histoire ? Bien évidemment, elle avait eu écho des événements funèbres qui accablaient le pays Randais. Elle avait même regretté la mort du Second Sujet Odrian de Launys devant lequel elle fut humiliée. Pourtant, jusqu'à cette lecture impromptue, elle n'avait accordé guère d'attentions à ces affabulations car, comme son éducation lui avait inculqué, elle croyait fermement aux bienfaits du Parakoï adoré. Ces démons ne pouvaient être surnaturels, mais évidemment, humains. Le Premier Sujet Lectois, Loren, serait-il alors à l'origine de ce que les Petits appelaient l'invasion de nuit ? Serait-il l'investigateur des nombreux troubles qui frappaient les pays Lectois et Randais ? Ses mains tremblèrent et un éclair d'esprit la saisit brutalement. Serait-ce un canular ? Un plaisantin supplémentaire qui souhaiterait participer au lynchage qui l'accablait ?
Une migraine naissante cognait sur ses tempes en réponse à toutes ces questions aporétiques. Elle posa alors ses mains fraiches sur les oreilles et les massa pour soulager un bourdonnement acouphénique. Elle inclina la nuque et ferma les paupières, les deux coudes apposés sur l'écritoire. Ombelyne resta dans cette position quelques instants puis, dans un soupir, redressa la tête, ouvrit les yeux et reprit le pli dans ses mains :
Pardonne-moi mon vieil ami, je sais l'embarras dans lequel je te plonge mais j'ai besoin d'avertir une personne de confiance. Si je venais à disparaître, alors sois en sûr, la main de Loren n'en serait pas étrangère.
Nombreuses sont les granges et les réserves de grains incendiées et parties en fumées. Nombreux sont les témoignages qui assurent la présence d'une cohorte de démons sur les lieux des méfaits. Si ces incendies criminels sont bien réels, ces démons ne sont que des hommes au service de Loren. Tu connais ma position, tu ne peux douter de mes accusations.
Un village entier, dans le nord du pays, fut avalé par les flammes, avec les femmes et les enfants enfermés de force dans la grange commune. Leurs cris désemparés et nourris d'une douleur que seul le feu procure, furent entendus jusqu'au village voisin. Lorsque les secours arrivèrent, le brasier n'avait rendu que cendres et os calcinés. Tous les hommes du village avaient été pendus aux branches de l'orme géant, au centre du bourg que les flammes avaient épargné. Le carnage de ce village martyrisé, que la peuple naïf et superstitieux attribue à l'armée démoniaque, est là encore l'œuvre du Premier Sujet. J'ai assisté de mes propres yeux à la préparation du régiment qui terrassa sans pitié ces braves gens qu'ils étaient censés protéger.
Le bois flambe facilement en pays Lectois ces derniers temps. L'étincelle coupable repose dans la main de celui qui détient le Glaive de Justice.
Mon cher ami, Loren s'en prend à la Paix du Parakoï et sème le trouble volontairement sur ses terres. Je ne saisis pas ses ambitions, mis à part qu'elles sont initiatrices de chaos. Cherche-t-il à fragiliser le Parakoï ? Cherche-t-il à donner du crédit à ceux qui osent, en sourdine, remettre en cause les pouvoirs protecteurs de notre Guide éclairé ? J'en ai bien peur mon ami. Mais, ce n'est pas tout.
Le Premier Sujet mène sans relâche la poursuite des descendants de son prédécesseur, Galien le Téméraire. Il les pend tous haut et court et fait respecter pour le coup la Justice du Parakoï. Mes soupçons sont terribles, je ne serais pas étonné d'apprendre que Loren ait précipité la chute de Galien pour s'approprier sa charge. Galien était-il félon ou victime d'un complot terrible ? Je n'ai aucune preuve de ce que j'avance pourtant, une conviction franche et solide m'imprègne.
Nous avons tous eu écho ici des apparitions démoniaques qui se multiplient en pays Randais, des miracles de la cité de Myr et de l'anéantissement stupéfiant d'une Poigne Glorieuse. Je ne sais pas si la main sournoise de Loren s'étend jusqu'à chez vous mais le Premier Sujet Cazoel ferait mieux de surveiller ses arrières.
Mon vieil ami, je crains pour ma vie. Je vois des ombres la nuit dans ma demeure. Je deviens paranoïaque et le moindre craquement d'une latte de plancher me fait bondir. Je ne sais si Loren se doute de mes découvertes, je vis désormais dans l'angoisse permanente d'être confondu.
J'espère que cette lettre te parviendra et qu'elle ne sera pas présage pour toi de mauvais augure.
J'espère te revoir un jour,
A.
Ombelyne reposa délicatement les feuilles sur la commode et s'enfonça dans le dossier du fauteuil. Elle fixa la missive, stupéfaite. Bien qu'elle ait tenu les manœuvres politiciennes en dehors de son monde, elle mesurait l'importance de ces accusations qu'elle jugeait désormais sincères. En effet, même le plus idiot des railleurs ne prendrait le risque inconsidéré de rédiger des incriminations si dangereuses et préjudiciables.
Cette épistole égarée embarrassait terriblement la demoiselle. Une braise brûlante lui cloquait les mains. Elle devait s'en débarrasser au plus vite, la réduire en cendres comme la précédente lettre. Cependant, il lui sembla commettre une terrible erreur. La Paix du Parakoï était sabotée de l'intérieur et, en tant que future Grande Dame, elle ne pouvait se permettre de passer sous silence un tel avertissement. Ses yeux s'illuminèrent subitement.
Un fol espoir jaillit au fond de ses pupilles. Le Parakoï, Puissant des Puissants, Glorieux et Sublime saurait la récompenser pour avoir, au péril de sa vie, déjoué un complot répugnant. Sa renommée serait alors absolue. Fini les moqueries et sa parenthèse d'ermite. Ces persifleurs se prosterneraient révérencieusement devant la préservatrice de la Paix. Le Parakoï l'élèverait aux plus grandes distinctions. Les Grands des Trois pays l'envieraient à nouveau. Adieu la disgrâce et ses lamentations. Ses résolutions nouvelles volèrent en éclats. Le monde répugnant des Belles personnes redevint en un instant enchanteur. Aux côtés du Parakoï, elle rayonnerait. Elle éblouirait tous les coquins de son nouvel éclat. Elle était indispensable aux mondanités et devait en être le cœur palpitant. Le tocsin de son grand retour résonnerait à mille lieues à la ronde.
Dehors, un rayon lumineux perça le rideau de brume et s'échoua sur la missive. Ombelyne traduisit ce faisceau solaire conjoncturel comme signe de la providence. La voilà rassurée dans la démarche à suivre. En revanche, les avertissements appuyés de l'inconnu n'étaient plus qu'insignifiants au regard de la destinée heureuse qui s'ouvrait à elle.
Après avoir touché les fonds de l'humiliation et des offenses, la perspective des sommets glorieux lui faisait perdre tout discernement. Ombelyne se redressa et attrapa vivement les feuillets. Elle se leva, ouvrit l'armoire et glissa un châle sur ses épaules dénudées.
Le pas sûr, elle sortit de sa chambre. Sa première sortie depuis de longues semaines d’errance.
***
— Je suis Ombelyne de Pastelbour ! Future Grande Dame disposant des faveurs de notre Parakoï Bien-aimé ! Laissez-moi sortir de là ou vous le regretterez âprement !
Furieuse, la jeune demoiselle s'époumonait à travers une lucarne barrée par une solide grille de fer. Une porte infranchissable la séparait de ses projets chimériques.
La Justice du Parakoï avait reçu et écouté la demoiselle ambitieuse. Désormais enfermée au fond des cachots, personne ne l'entendrait plus.
Je trouve ce chapitre absolument excellent :) j'ai adoré. Je répère quelques idées d'auteur géniale comme les lettres pour passer un peu d'exposition et autes, et une ellipse magistrale 🤣
Si je fois faire une petite remarque, tu as à nouveau un passage étrangement "sujet verbe complement" par rapport au reste, au niveau de sa lecture qui lui donne la migraine ^^
Je suis content que ce chapitre t'ait plu. La pauvre Ombelyne n'a pas fini d'aller de déconvenues en déconvenues ;)
Je vais repérer ce passage et arranger ça, merci !!!
Sacrée Ombelyne ! Pas mal sa petite séance de correspondances pour montrer sous 4 angles les dernières nouvelles des 3 pays. Tu resitues très bien la Grande matérialiste soucieuse du regard des autres et qui cherche la lumière à tout prix. Serait-elle de la famille de Fil, finalement ? :p
Se remémorer son humiliation tout en faisant savourer au lecteur ses conséquences fut très plaisant à lire. Pour la missive de sa cousine, je m'attendais quand même à un petit paragraphe sur le Marquis. Là, elle ne sait plus si elle retrouvera l'amour mais aucun passage sur ce passé amoureux. Elle est déjà passée à autre chose ? :p
J'aime beaucoup profiter de la Grande ambitieuse pour prendre des nouvelles de Loren. Il s'accomode facilement des Démons et j'accroche à cette intrigue qui se diversifie en coulisses.
Dis, tu t'es remis du fait que notre Miss n'ait prononcé en tout et pour tout qu'une seule tirade. Très courte de surcroit ? :p
Au plaisir de lire la suite !
Coquille du jour : Tous les hommes du village avaient été pendu aux branches de l'orme géant, au centre du bourg que les flammes avaient épargné. -> pendus*
La cousine parle du Marquis de Fleurys car elle en demande des nouvelles. Après, je ne vais pas te spoil, mais le Marquis risque de repoindre le bout de son nez. :)
Une seule tirade? Depuis le fond de sa prison? Qui sait... peut-être lui consacrerai-je encore des chapitres ?
Toutes les intrigue effleurées dans ces missives seront toutes développées plus tard !
Ah sacrée coquille ! Je m'empresse de la remettre sous le sable. Merci !
Bon, Loren qui se sert de la situation pour foutre encore plus la merde et tenter de tirer son épingle du jeu x) Il va être content Fil quand il va apprendre que Fil se sert indirectement de lui pour réaliser ses plans. Ils comptent tous les deux utiliser les mêmes méthodes pour déstabiliser le Parakoï, mais probablement pas avec le même but derrière.
Au début du chapitre, j'avais un peu d'empathie pour Ombelyne, on suit bien ses pensées, et tous ses petits trucs pour gérer l'angoisse/la tristesse, c'est peut-être bête mais ça a vraiment aidé pour bien l'apprécier ^^ Puis, la dégringolade à la fin, mais bon, c'était prévisible quoi ^^" Il y a néanmoins un point qui m'a un peu fait tiqué, c'est qu'elle ne se fait aucune réflexion sur le marquis. Elle pense à son humiliation, sa cousine lui en parle, mais à aucun moment elle se dit que le marquis était louche ou a une pensée sur le fait que même lui a arrêté de lui écrire et j'ai trouvé ça un peu étrange.
Encore une fois tu analyses très bien toutes les questions que révèlent cette lettre. Je ne peux malheureusement pas t'en dire davantage sans te spoiler la suite. Mais oui, Loren va revenir dans la vie de Fil sous un angle inattendu...
Ombelyne a la fâcheuse tendance à se laisser éblouir par les lumières de la gloire. Les perspectives heureuses qui s'ouvrent à elle, aveugle son discernement et les questions légitimes qu'elle devrait se poser.
J'espère que les futures interactions te plairont !
Pour être sûre des noms, je suis allé relire le chapitre Amertume. J'ai cru un moment que la lettre était encore qqun de la famille de Krone. Je te suggérerais de répéter ce nom une fois où deux par exemple Fil ou Bulle pourrait l'appeler Monsieur Clarens pour se foutre de lui, pour les lecteurs cruches comme moi qui oublient les noms 😄
"Mon cher ami, Loren s'en prend à la Paix du Parakoï"
"Augustin de Clarens."
Les deux noms sont proches niveau sonorité.
Du coup, c'est un autre type qui va bientôt s'allier aux trois autres ?
Mes notes de lecture :
"qu’une jeune lavandière en jupon"
> Elle bosse à poil ou quoi ? Un jupon à l'époque, c'est l'équivalent d'un slip, on ne voit pas le jupon sous la robe 🙂
"qui s'accrochait en ces premières heures de la journée"
> Je trouve que la fin de la phrase casse un peu le lyrisme du début
"dans ses appartements privés"
> Je pense qu'on a pas besoin du terme "privés", c'est implicite avec "ses appartements" du moins pour moi
"Son impuissance la rendait malheureuse. Une larme coula sur sa joue."
> La phrase de show est suffisante pour montrer qu'elle est malheureuse. En gros, on la voit pleurer donc pas besoin de redire qu'elle est malheureuse, on a compris
"Elle, qui avait été le centre des attentions, suscitait désormais au mieux, l'indifférence au pire, du mépris."
> Je ne suis pas sûre de la ponctuation. Mais comme la ponctuation est mon point faible, je n'ose pas te proposer une suggestion au risque de dire des conneries
Un chapitre sympa qui annonce des troubles (et des alliés pour nos trois comparses ?)
Merci pour les petites remarques, je fais les modifications nécessaires
Au plaisir de te lire