Mon ami Antonin

L’été indien à Paris. Je suis allongé dans ma chambre de bonne, une main dans le caleçon. L’autre main me protège les yeux du soleil. Le moral est bas, je viens de rater le concours d’inspecteur des impôts pour la troisième fois. Sans doute ne suis-je pas tout à fait ce qu’on appelle « une flèche » … Je reçois un message d’Antonin qui m’invite à prendre un verre sur les quais. Ni une ni deux, j’enfile une chemise froissée – nombril apparent pour faire artiste – une paire de baskets à l’agonie et un pantalon teinte mitigée. Je parachève ce délicieux outfit avec un mégot derrière l’oreille. La République l’aura bien voulu avec ses concours trop difficiles : je serai de la bohème.

Le rendez-vous est donné sur les quais en-dessous de l’Institut du monde arabe. Les terrasses, bondées d’étudiants, ressemblent à des bouquets avec de trop nombreuses fleurs. J’aperçois Antonin sur les quais devant l’arsenal. En plus de sa couronne de cheveux héroïque, de son poil frisoté aux joues et au torse, Antonin zozote d’une manière exquise. Je dis « exquise » alors que généralement zozoter est quelque chose que l’on ne souhaite pas.

Pour comprendre mon amour pour Antonin Langlade, mesdames, messieurs, quelques traits de ma personnalité : introverti, susceptible et misanthrope. Il en résulte que toutes mes attaches au monde procèdent d’Antonin. Les filles avec qui j’ai couché m’ont été présentées par Antonin, mes amis sont à la base des amis d’Antonin, aucune décision qui n’ait été préalablement mûrie par Antonin. J’en conclus que Saint-Paul aurait mieux fait de rencontrer M. Langlade sur le chemin de Damas. Il se serait davantage amusé en tout cas.

Antonin est venu avec une dizaine d’autres amis. Parmi eux, une jeune femme assise les pieds au-dessus de l’eau. Elle a un profil de sphinge, à la fois pur et ambigu. Elle se tourne vers moi en me voyant arriver, découvrant une poitrine débordante, aussi dorée que la peau de son visage et de ses bras. Sans trop réfléchir je m’asseois à côté d’elle et engage la conversation sur un sujet de choix – habile que je suis : la fiscalité. De temps à autres, étonnamment lassée, elle se tourne vers Antonin. Je me demande s’ils ne sont pas ensemble, puis je me souviens qu’Antonin a la même copine depuis que je le connais – elle s’appelle Magalie, je la déteste. Comme je sens que la soirée touche à sa fin, que je trouve Sphinge magnifique et que j’ai une terrible envie de la revoir, je décide de passer la seconde : « j’aimerais te revoir, que fais-tu demain ? 

- Demain, je retourne chez mes parents à Tambarrès.

- D’accord, une prochaine peut-être… »

Je me lève, vais embrasser mon Antonin. « J’ai un train demain pour Tambarrès, m’annonce-t-il.

- Comme Sphinge ?

- C’est ça. Nous sommes invités à la même soirée.

- Tu pars longtemps ?

- Non le week-end.»

En apprenant que la plupart des personnes présentes se rendent à Tambarrès, je me prends à m’interroger sur la localisation de ladite ville. J’hésite entre PACA et Midi-Pyrénées. « Antonin, où est-ce que c’est Tambarrès ? » Antonin me fait les yeux ronds. « Tambarrès, troisième ville de France, tu es sûr que tu ne connais pas ?

- Je te jure que non. Je crois même n’avoir jamais entendu ce nom-là.

- Mathias, si tu ne connais pas le nom de Tambarrès, c’est comme si tu n’avais pas vécu. »

Sphinge nous rejoint. Je tente de me rattraper ; surtout, ne pas avoir l’air trop stupide : « Non ce n’est pas ce que je voulais dire…je connais cette ville, mais n’y étant jamais allé, je ne sais pas exactement où elle est ».

- Eh bien, tu n’as qu’à prendre le train demain avec nous, me propose Antonin. Nous passons le week-end chez Moussa – le gars qui finit sa cigarette là-bas – il ne fera pas de difficultés. »

Sur le chemin, en remontant la butte Sainte-Geneviève, j’ai beau fouiller dans ma mémoire, nulle trace de Tambarrès. Je m’adresse à un type assis sur les marches d'une église. « Tambarrès ça vous évoque quoi ?

- Saison moyenne, milieu de tableau cette année si je ne me trompe pas.

- Ok. Bonne soirée. »

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robruelle
Posté le 16/12/2023
Hello
Ouh alors je sais pas ce que vaut la suite mais j'ai bien aimé ce début
C'est à la fois accrocheur et désinvolte
La bohème ouaip, et tant pis pour la DGFIP :-)
Zadarinho
Posté le 16/12/2023
Merci pour ton commentaire Robruelle
Ahah tu l'as dit, tant pis pour la DGFIP!
Artichaut
Posté le 12/12/2023
Bonsoir Zadarinho,

Le début m'a bien accroché. J'aime beaucoup la description des deux protagonistes (le narrateur et Antonin). On a assez peu d’éléments à disposition et en même temps je les imagine sans mal.

Cette Tambarrès s'annonce déjà pleine de mystères.
Reveanne
Posté le 12/12/2023
Bonjour!
Un début intéressant, j'aime beaucoup de style, même si ça manque un peu de décors et de mise en scène pour savoir où son les personnages, ce qu'ils font, car là c'est un peu vide et flou.
J'aime beaucoup la manière dont Tambarrès est amené et le fait que le personnage ignore ce que c'est alors que tout le monde semble connaître autour de lui.
Bref, ça éveille la curiosité.
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