C’était d’abord une ombre ; menace lointaine,
D’un bleuté dentelé, affamé d’horizon,
Comme si, rassasiée, une large bedaine,
Était sorti de terre après un gueuleton.
Je m’en suis rapproché ; l’angoisse était pesante,
Chaque pas grossissait la montagne à mes yeux.
Je me suis engagé sur sa pente glissante,
Je n’avais avec moi qu’un sac et quelques vœux :
Celui de dépasser ces craintes qui m’affligent,
Celui d’enfin prouver à ces mauvaises voix,
Que rien n’éprouvera, pas même le vertige,
La volonté de ceux qui supportent leur croix.
J’ai remonté les remous glacés des ruisseaux,
Langues froides léchant en serpent la vallée,
Jusqu’à une cascade où se jetaient leurs eaux,
Dans un gouffre béant, chaque goutte avalée.
J’ai franchi des rochers, j’ai grimpé des falaises,
Je me suis accroché, parfois à bout de bras ;
Réfugié dans le froid, loin du monde et ses braises,
Il n’y eut, pour un temps, que la montagne et moi.
Ma faim était la sienne, immense et insatiable,
Elle dévorait le ciel et moi tout son glacier ;
Et trop tard je compris que j’étais à sa table,
Quand se leva le vent, qu’il se mit à neiger.
J’atteignis le sommet au coucher du Soleil,
Sachant que je n’aurais le temps de redescendre.
J’acceptai mon destin en tombant de sommeil.
J’acceptai que la nuit veuille bien me reprendre...
Le cœur de la montagne abrite des secrets,
Que même les renards ne peuvent pas comprendre,
Souvenirs engloutis, gisant sous les sommets,
Dans un tombeau garni de poussière et de cendre.