Avocats
— Aïe ! Ça pique !
— J’ai pas encore appliqué la pommade. Restez tranquille !
— Aïe !
— C’est fini, oui ?
— Mais ça fait mal ! Ça tire !
— Ce qui est sûrement normal vu que vous venez de vous ramasser de l’acide dessus. Quelle idée d’avoir attaqué l’exterminateur, franchement.
— Je ne l’ai pas attaqué. Je visitais, je l’ai croisé…
— Et vous finissez avec du rafistolage.
— Ça brûle !
— Là, c’est normal. Ça commence à agir.
— C’est… c’est quoi ? Je ne me sens pas bien. Oh, pas bien du tout.
— Un remède de mon invention. Bon, en général, ça fait repousser les os. Mais ça a l’air de bien marcher pour la peau aussi. Vous allez voir, on y verra que du feu !
— Il… il y a qu… quoi dans ce remède ? Parce que là, arg…
— Que des choses naturelles.
— V… vr… vraiment ?
— Mais oui. Tenez, regardez, ça commence à fumer.
— C’est… c’est b… bon signe, ça ?
— En général, oui. C’est quand ça commence à sentir mauvais qu’il faut s’inquiéter. Mais j’ai eu des ratés qu’une ou deux fois.
— Oh… Oh… Je vois tr… trouble.
— Eh beh. Je savais que ceux par-delà la mer étaient pas comme nous. Mais là, vraiment, je suis déçu. Chougner pour si peu…
— Si peu ? Vous… vous rigolez ? Je me suis ramassé de l’acide sur tout le bras ! Je n’arrive même plus à le plier ! Et si je n’en retrouve pas l’usage, mes avocats viendront vous trouver !
— Vos quoi ? Pourquoi vous me parlez de vos fruits ?
— De mes… ?
— Bon, bien sûr, je les aime pas tellement. Et puis, ceux de la guilde des avocateurs sont infects. Mais je vois pas tellement le rapport avec la situation.
— Vous… c’est quoi, des avoca-trucs ?
— Les avocateurs ? Bah, ceux qui font pousser des avocats.
— Comment on peut faire pousser des avocats ? Ils… ils ne poussent pas, ils sont livrés directement en costume-cravate.
— Franchement, je comprends pas un mot de ce que vous dites. C’est peut-être ce remède qui fait un drôle d’effet. Combien vous voyez de doigts ?
— Sept.
— Ah oui, c’est bien ça. Le dosage doit pas être bon. Bougez pas. On va réduire ça. Et… hum, allez ajoutons aussi ça. Au point où on en est, de toute façon.
— Aaaarg !
— Mais calmez-vous, enfin !
— Ca… ça…
— Eh bien, oui, c’est pas forcément très bon. En même temps, c’est pas la taverne ici.
— A… arg.
— Faites pas l’enfant. Soit vous buvez ça, soit vous perdez votre bras.
— Ah non… C… comment je vais faire pour… pour…
— Pour ? Buvez ça, je vous dis ! Franchement, vous êtes encore pire que tous les boiteux que je soigne à longueur de temps. Et je peux vous assurer qu’eux, ils ont déjà un sacré niveau.
— Je… je vois triple. Je… je vais porter plainte. Mes avocats…
— Mais arrêtez avec ça à la fin ! C’est même pas bon, les avocats. Bon, voilà, je pense que ça ira niveau rafistolage. On va attendre quelques jours et si vous survivez, c’est que le bras va guérir.
— Sur… survivre ?
— Bon, et maintenant, vous serez gentil de débarrasser le plancher. J’ai à faire.
Visite
— Tiens, je t’ai ramené de la gnôle !
— Chut ! Il va t’entendre !
— Qui ?
— L’arrêteur ! C’est une telle saloperie, ce gars. Il confisque tout !
— L’arrêteur ? Je l’ai vu trainer dehors, il avait pas l’air bien. Il marmonnait quelque chose sur l’arrêtage qui change et tout. Enfin bon, tiens. De l’authentique gnôle de champignons. Et ceux-là, je peux t’assurer qu’ils couraient vite !
— Hum. Tu sais que mon traitement m’interdit la gnôle, hein.
— Ah bon ? Pourtant, c’est bon pour la circulation et tout. Mais si tu peux pas, je la reprends.
— Non mais ça ira. À petite dose, on va dire que ça passe.
— Ils te relâchent bientôt ?
— Ils ont intérêt. Je suis innocent !
— J’ai entendu parler du touriste. Parait que le rafistoleur en a sué pour le remettre sur pattes.
— Le rafistoleur, hein.
— Quoi, le rafistoleur ?
— Disons qu’il rafistole quand ça l’arrange. Il a refusé de me filer mon traitement, ce crétin.
— Refusé ? Il peut faire ça ?
— Faut croire. Il a dit qu’il en avait plus. Mais je suis sûr qu’il raconte des conneries.
— Moi, en tout cas, quand je suis passé le voir, j’ai vu qu’il avait eu une livraison de plein de remèdes. Peut-être qu’il y a ton traitement dedans.
— Pourquoi t’étais passé le voir, toi ?
— Oh, tu sais, des broutilles.
— Des broutilles ? T’as quand même pas de nouveau une colonie de mousse chez toi et une moussite sur les orteils ?
— Non, non. J’ai retenu la leçon. N’empêche qu’elle était jolie sur mes murs.
— T’as rien retenu du tout, en fait.
— Du calme. Tu commences à virer rouge.
— C’est parce que j’ai pas eu mon traitement. J’arrive pas à contrôler ma colère. Et puis, j’ai pas été au groupe de parole aujourd’hui. Tu sais, ils disent que quand on est en colère, on fait du mal aux gens autour. Genre, il y a de mauvaises ondes qui se propagent et tout.
— C’est bizarre, ça. Je t’ai toujours connu en colère et j’ai jamais vu d’ondes.
— Non mais les ondes, c’est invisible.
— Alors comment on sait qu’elles sont là ?
— Bah… J’en sais rien, en fait. Mais au groupe de parole, ils ont l’air de savoir de quoi ils parlent.
— Je serais toi, j’écouterais pas tout ce qu’ils racontent. De mon temps, il y en avait pas de ces groupes. Et on s’en portait pas plus mal.
— Ouais, mais les choses changent, ils disent. Regarde, on ne demande plus notre métier à l’aiguille, par exemple.
— Je sais pas. Je trouve ça dommage, ce changement.
— Oui… Tiens, tu devineras jamais qui j’ai comme voisin de cellule.
— Comme voisin ? La cellule d’à-côté est vide.
— Oui, il a demandé à faire appel et là, il est en pourparlers avec le chef des arrêteurs.
— Et donc ? Qui ?
— Le psychopathe.
— C’est vrai ?
— Si je te le dis. Ils le gardent là depuis le procès. Et si tu veux mon avis, ils vont le garder encore un bon moment.
— Mais…
— Lui, il dit qu’il a pas tué mon apprenti, sauf que personne le croit. C’est marrant, non ? Qu’il ait été arrêté alors qu’il avait rien fait. Enfin, de ce côté-là, en tout cas.
— Marrant… Dis, il t’aurait pas dit des fois…
— Quoi ?
— Eh bien, comment ils s’y prenaient pour faire… euh… pousser la mousse.
— Tu déconnes là…
— Enfin, pour pas qu’elle se couvre de moisissure, ce genre de trucs.
— J’espère que t’es pas en train de me dire que tu refais pousser de la mousse. Parce que si c’est le cas, dès que je sors d’ici, je passe chez toi l’acidifier.
— Mais non ! Je me renseigne, c’est tout.
— Il se renseigne…
Liste
— Donc qu’on soit bien clairs. Vous voulez faire appel ?
— C’est ça.
— Alors que vous êtes là depuis l’automne dernier.
— Parfaitement.
— Pourquoi maintenant ?
— Ca m’a semblé être une bonne période.
— Vous ne voulez pas préciser ?
— Pas vraiment. Je pense juste qu’il est temps que la justice soit rendue.
— Vous avez été jugé. Pour la mort de l’apprenti de l’exterminateur. Et on vous a reconnu coupable.
— J’aimerais bien savoir comment vous avez fait, parce que je l’ai pas tué.
— C’est ce que vous nous avez dit, oui. Mais nous avions un témoin.
— Je sais très bien qui était ce témoin. C’est mon collègue qui m’a balancé pour échapper aux soupçons.
— Je ne vous donnerai certainement pas le nom de notre témoin.
— Vous fatiguez pas.
— Soit. Vous avez dépassé la date limite pour faire appel.
— J’ai comme un doute sur ça. C’est que j’ai étudié mes droits avant de venir vous voir. Et depuis les nouvelles lois, il n’y a plus de date limite pour faire appel.
— Comment vous…
— Votre copain l’arrêteur m’a peut-être pas beaucoup nourri. Mais il m’a ramené de la lecture. Il pensait que ça allait m’occuper. Et pour sûr, ça m’a occupé. Vous êtes donc dans l’obligation de rouvrir mon dossier et de me donner un procès digne de ce nom. Pas la blague qu’on a vu il y a quelques mois.
— Vous avez été reconnu coupable !
— Oui, et c’est le principe de l’appel. Dire qu’on est pas d’accord avec le verdict rendu.
— Mais enfin, nous avons enquêté !
— Pas assez bien. Comment on procède pour l’appel ? Il vous faut une déclaration écrite ?
— Mais enfin…
— Donc “Je soussigné blabla… considère avoir été mal jugé, demande à faire appel ». Ca ira ?
— Hum.
— Quoi ?
— Vous avez écrit au dos de ma liste de courses.
— Quoi ? Ah. Attendez… pourquoi il vous fallait des noisettes ? Me dites pas que c’est pour… pour… Vous nourrissez les écureuils ?
— Je ne vois pas de quoi vous parlez.
— Vous savez que c’est un écureuil qui a tué l’apprenti, pas vrai ? Donc vous… vous communiquez avec le coupable !
— Eh bien, votre cas est encore plus inquiétant que je ne le pensais. Ce n’est pas en prison que vous devriez être. C’est enfermé dans un hospice.
— Détournez pas la conversation ! J’y vois clair maintenant ! Vous êtes de mèche avec l’écureuil tueur !
— Oui… Je vais reprendre votre… votre appel. Là. Et on va vous ramener dans votre cellule. Pour votre propre bien. Voilà, comme ça. Pas de gestes brusques.
— Je fais appel !
— Oui, je l’avais déjà compris. Tout va bien se passer. Je vous assure.
Barrière
— Je peux vous aider ?
— Ca, ça dépend de vous. Vous pouvez enlever cette barrière ?
— Ah non, elle est là pour garder mes aubergines en sécurité !
— Quelles aubergines ? C’est l’hiver et tout est couvert de neige.
— Le printemps arrive.
— Oui, oui. En attendant, je peux pas passer.
— Passer… entrer chez moi, vous voulez dire ?
— Je suis le carteur.
— Enchanté. Mais je vois pas bien ce que ça change pour moi.
— Je fais les cartes. Officielles.
— Et… ?
— Et je dois faire la carte d’ici, là. Sauf que je peux pas passer.
— Oui, propriété privée. J’ai aucune envie que vous veniez piétiner mes plants d’aubergines.
— Je dois faire la carte.
— De mon champ d’aubergines ?
— Il y a aucune aubergine et c’est l’hiver. Bon, vous me laissez passer ?
— Non.
— Je vais devoir vous reporter à la guilde.
— La mienne ou la vôtre ?
— Les deux. Vous m’empêchez de faire mon travail !
— Oui, alors ça…
— Quoi, ça ? Vous avez un souci ?
— Non mais j’ai rien contre vous. Mais posons-nous quelques secondes pour réfléchir.
— Réfléchir à quoi ? Je veux passer. C’est tout.
— Réfléchir, oui. On a des métiers utiles : pommeteur, avocateur… et bon, aubergineur. On a les métiers un peu bizarres, mais auxquels on peut trouver une utilité : exterminateur, rafistoleur… et même suiveur, allez.
— Oui, et… ?
— Et après, bah, on a tous les autres. Dont carteur.
— Pardon ? J’ai un métier respectable, moi !
— Oui, oui, parfaitement. Mais respectable et utile ne sont pas toujours synonymes. Donc ma barrière, vous la laissez tranquille et vous allez faire vos coloriages un peu plus loin. Ca marche ?
— Absolument pas ! Je dois carter ce champ !
— Oui, oui. Et moi, je dois me faire une infusion de noisette. Allez, à la prochaine !
— Attendez ! Si je carte pas votre champ, il sera sur aucune carte !
— Et… ? Ca me changera quoi, concrètement ? Mes aubergines pousseront pareil.
— Et si le champ est pas sur la carte, on va penser qu’il est vide !
— Et… ?
— Et on va penser qu’on peut l’utiliser pour autre chose.
— C’est ça. Vous êtes pas le premier carteur à passer ici. J’en ai vus d’autres. Tous avec leurs feuilles volantes et leurs crayons. Tous à me dire que sans eux, je pourrais plus auberginer.
— Vous pourrez pas.
— La preuve que si. J’aubergine toujours. Les carteurs, par contre, ils font pas long feu.
— C’est un métier dangereux.
— Oh, ça, je n’en doute pas. Aller emmerder les gens à longueur de journée, ça crée des rancunes.
— Laissez-moi entrer !
— Aucune chance. Allez, passez votre chemin.
Plainte
— Je vous surveille.
— Vous venez de me relâcher.
— Oui, mais je vous surveille quand même. C’est dangereux, un exterminateur.
— Ca a pas beaucoup de sens. Vous êtes arrêteur, pas surveilleur.
— Je…
— Eh oui. Donc à la prochaine.
— Je viendrai vous arrêter.
— Pourquoi ?
— Quand ils diront que vous êtes coupable. Je viendrai vous arrêter. Parce que je suis l’arrêteur.
— A la bonne heure. D’ici là, amusez-vous bien.
— Attendez !
— Quoi encore ?
— C’est… Je…
— Vous pouvez accélérer le mouvement ? Il faut que je passe chercher mon traitement. Je sens la colère revenir.
— Je…
— Vous ?
— Il faut que vous disiez que vous avez été bien traité.
— Pardon ?
— Quand on vous demandera.
— Pourquoi on me demanderait ça ?
— S’il y a un procès, tout ça.
— La vache, je comprends encore moins que d’habitude, ce que vous me racontez.
— Quand ils vous demanderont, faudra que vous disiez que vous avez été bien arrêté.
— Donc… je parle pas du fait que vous m’avez tordu les bras et que vous m’avez plaqué au sol ? D’ailleurs, j’arrive toujours pas à m’appuyer sur une jambe.
— Non, vous en parlez pas.
— Je vois. Parce qu’on est bons copains, vous et moi.
— Voilà.
— Hum. Et dans votre tête, ça allait marcher, ça ? Si vous me demandiez gentiment ?
— Oui.
— Ca doit être bien dans votre tête.
— Oui.
— Tranquille et tout ?
— Très tranquille.
— Alors, je vais vous dire une chose.
— Que vous allez pas porter plainte ?
— Non. Que je vais tout raconter comme ça s’est passé. Que je vais dire que vous êtes la personne la plus incompétente que j’aie jamais croisé. Et que vous devriez pas faire ce métier.
— Mais j’aime arrêter !
— Oui. Et moi, j’aime exterminer. Mais hier, alors que je faisais mon métier, vous avez décidé de m’arrêter. Et si, jusque là, j’avais rien contre vous, là, j’ai commencé à vous en vouloir un peu.
— Si vous portez plainte, ils vont dire que je peux plus arrêter.
— Pas mon souci. Vous aurez qu’à vous reconvertir. En pastéqueur.
Qui sont-ils, d'où viennent-ils vraiment ?
Mine de rien on s'attache à eux, aubergineur, suiveur et autres exterminateurs.
On attend la suite!
Mais quel plaisir de retrouver la Mousse. Bon je n'ai pas relu les autres morceaux avant, mais j'ai réussi à me remettre les faits en mémoire. J'étais contente de retrouver mon rafistoleur, mon exterminateur, mon suiveur et les autres. Oui c'est les miens, si quelqu'un me les vole, je l'extermine.
Je pourrais aussi le rafistoler d'ailleurs... Ce passage me rappelle un peu mon médecin, qui est très gentil, mais des fois je me demande s'il sait vraiment ce qu'il fait. (Oui je sais, ce n'est pas rassurant, mais bon c'est la vie... et puis ça se sait que les médecins ne prennent pas au sérieux les douleurs des femmes)
J'ai bien aimé la conversation entre l'exterminateur et le suiveur, notamment la chute avec le suiveur qui est toujours aussi subtile. Enfin lui au moins il n'accuse personne d'être de mèche avec un écureuil. En même temps ce psychopathe, il a pas tort, il est accusé injustement d'un crime qu'il n'a pas commis... et il risque de se retrouver à l'hospice. (ça promet)
Et si on parlait un peu de ce pauvre carteur tiens ? Il voulait juste carter... Sauf que ce métier serait inutile... Non. Après c'était quand même très jouissif de le voir se faire jeter en beauté !
Et on termine par l'exterminateur qui vit un grand moment avec l'arrêteur. Par moment ce dernier me rappelle un peu Perceval... D'ailleurs l'exterminateur fait un peu Arthur sauf qu'il a pas l'air de beaucoup aimé l'arrêteur quand même.
Bref comme dirait Valérie, Merci pour ce moment Seja et vivement la suite !
Peut-être qu'en réalité, personne ne sait ce qu'il fait et on prétend tous. Peut-être que la mousse est une allégorie de la vie. Ou peut-être pas :P
La suite ? Hahaha, oui, un jour <3 Tu m'aimes quand même ?