Mouches, mages, grenouilles et petits gris

Par Keina

Ce matin-là, Jimmy se leva d’assez bonne humeur. La bagarre de la veille n’avait compté qu’un mort et quelques blessés légers et il avait dès le début réussi à se faufiler derrière un fût de Constricteur d’où il avait pu contempler les exploits de ses nouveaux amis sans s’exposer au moindre risque – il commençait à être bon à ce jeu-là. Mais après tout, ça, c’était de la routine, à présent. Trois semaines passées au Tambour Rafistolé avaient façonné ses réflexes de survie comme jamais. Non, ce qui le rendait plutôt heureux en cette belle matinée grisâtre[1], c’était l’assurance d’avoir ce jour-là le même succès que la veille. Depuis quelques temps, Jimmy, en effet, s’efforçait d’égayer les après-midi du Tambour en expliquant à ses clients les secrets inavoués de l’ufologie. Jusqu’à présent, les seule personnes à qui le jeune homme avait raconté ses théories aussi nombreuses que diversifiées sans que ces dernières ne se défilent au bout de quelques secondes se résumaient à : sa mère, qui en règle générale, s’endormait avant les quelques secondes susdites, les deux ou trois habitués du magasin de location de vidéos qui connaissaient son laïus sur le bout des doigts, et enfin ses chères figurines, un auditoire plutôt conciliant mais peu bavard. L’attention inopinée dont il bénéficiait parmi les habitués hétéroclites de la taverne avait donc de quoi le réjouir au plus haut point.

Snockman s’habilla en sifflotant – en lieu et place de ses vieux vêtements usés, il avait dégotté une tunique sombre et un pantalon de toile qui lui donnait un air de Han Solo dont il n’était pas peu fier, même s’il n’y avait aucun fan ici pour l’admirer[2], et partit rejoindre le rez-de-chaussée pour y engloutir en vitesse (la nourriture de la maison ne pouvait s’avaler que de cette manière – et il en savait quelque chose, c’était lui qui la faisait) son déjeuner. Une fois cette tâche accomplie, il alla remplacer Hibiscus Ormebrun derrière le comptoir.

Lorsqu’il entra dans cette partie de la taverne, une légère déception pointa dans le cerveau de Jimmy – plutôt vide à cette heure précoce de la journée. Il ne vit aucun des membres de son auditoire habituel. Ce fut donc d’un pas résigné qu’il se dirigea derrière le zinc où il retrouva Hibiscus.

– Ah, te voilà. J’ai bien failli attendre. La bouffe est prête au moins ? demanda le patron d’un ton bourru.

– Oui, m’sieur Ormebrun.

– Parfait. Tu vas pouvoir servir les deux nains du fond.

– Bien m’sieur.

– Et surtout n’oublie pas, Jimmy, léger le service, pas comme la dernière fois.

La fois à laquelle Hibiscus faisait allusion remontait à la veille au soir où Jimmy avait servi à l’un de ses auditeurs les plus attentifs une assiette complète du plat du jour, et ce sous les yeux du tavernier. L’employé acquiesça d’un signe de tête et empoigna un torchon à la propreté douteuse. La journée promettait d’être longue.

 

*

 

Le Temps tenait toujours ses promesses.

 

*

 

 

Enfin, la nuit s’écrasa lourdement sur Ankh-Morpork, déposant une pellicule d’obscurité crasse sur la ville. Peu à peu, le Tambour Rafistolé se remplissait d’une population aussi diversifiée que peu avenante.

Cependant, parmi le brouhaha habituel, une voix se détachait du lot.

– Non, non, non, vous n’avez rien compris ! Les « petits gris », ce n’est pas le nom d’une guilde d’employés de bureau ! D’abord, votre président, comment s’appelle-t-il ?

Un silence teinté d’incompréhension s’abattit sur la taverne, entrecoupé seulement par le vol de quelques mouches imprudentes, le « clap » de mains habiles à interrompre ce vol, le « couic » d’agonie desdites mouches, le « gloups » satisfait d’un gosier qui avale et enfin le « rôôôôh » d’usage à tout appétit contenté.

– Le Patricien, v’voulez dire ? clama finalement une voix traînante à l’autre bout de la salle. Le Seigneur Vétérini, qu’on l’appelle. Fin, quand on a envie de mourir du moins. Pa’sque, comprenez, quand on tient à la vie, on évite de l’appeler.

Jimmy esquissa un sourire de satisfaction et adressa un signe de remerciement à l’auteur de ces mots, un vieillard édenté au faciès repoussant.

– Ah ! s’exclama-t-il triomphant. Donc, le Patricien est du genre tyran, c’est ça ? Il doit être de connivence avec les petits gris !

– Oh, ça non, not’Patricien, l’est pas du genre à apprécier les gratte-papiers, tiens… cracha le vieillard en examinant le fond de son verre, désespérément vide.

Snockman leva les yeux au plafond et lâcha un profond soupir.

– Je n’vous parle pas des employés de bureau, j’vous parle des extra-disque-mondiens ! Petits, tous gris, avec de gros yeux globuleux…

– Ouais, ça r’semble un peu à la description de la vieille Madame Gudulle de la rue de l’Hippopotame Chétif, ça… acquiesça une femme échevelée aux allures de princesse barbare, dans un coin de la salle.

– Madame Gudulle ? La vieille folle qui se promène toujours avec son dentier en os de yak au bout d’une laisse ? lança son voisin de table.

– Chaipas si elle est folle, mais j’peux vous dire qu’c’était une sacrée bonne femme, dans sa jeunesse, la Gudulle, toujours prête à consoler les hommes un peu seuls, s’vous voyez c’que j’veux dire… soupira le vieillard édenté, un sourire extatique sur son visage.

– C’tais l’bon temps, ça, continua un autre. Maintenant, pour approcher une d’moiselle, faut apprendre à causer bien et faut faire des cadeaux, v’savez… des trucs qui servent à rien mais qui font joli. Comme des fleurs… des trucs de bonne femme, quoi… fin, v’savez comment qu’elles sont, d’nos jours… toutes coincées de l’arrière-train. Non ?

Tandis qu’il parlait, la princesse barbare soutint son regard, deux couperets tranchants en place des yeux. La dernière syllabe fut exhalée dans un souffle et le climat de la salle glissa de plusieurs degrés. Le visage de la femme se contracta en un rictus méprisant tandis que l’auteur de la remarque se ratatinait subitement dans sa tunique.

– C’est vrai, moi j’aime bien c’qu’est joli, siffla-t-elle d’une voix presque chantonnante, tandis qu’elle tirait doucement son arme hors de son fourreau. Comme une lame d’épée toute rouge… rouge de ton sang, par exemple… C’t’un beau cadeau, pour une jeune fille, ça, tu trouves pas ?

Un calme glacial accueillit la réplique, suivi de près, de trop près même, par le son cadencé d’une dizaine d’autres armes qui sortaient de leur étui. Chacun se tenait sur le qui-vive, prêt à attaquer dès que l’ambiance dégénérerait – ou du moins, plus qu’elle ne l’était déjà.

L’échevelée grogna, l’épée levée au-dessus de sa tête.

Une mouche eut l’imprudence – la dernière de sa courte vie – de s’aventurer au-dessus de la tête du vieil édenté.

Le silence se brisa dans un « clap », « couic », « gloups » et « rôôôôh » retentissants.

– Ouais… grimaça la future victime. ‘Fin, moi, j’disais ça pour parler, hein…

La femme grogna une nouvelle fois.

– V’savez qu’z’avez d’beaux yeux, vous ? tenta l’homme à nouveau, la main posée sur son coutelas, à sa ceinture.

Son regard se rétrécit et elle raffermit sa prise sur la garde de son arme.

– Mouais, bon, j’ai jamais été très beau parleur, d’façon, conclut-il en dégainant son coutelas.

Elle s’apprêta à se jeter sur lui, et la totalité des clients de la taverne s’apprêtèrent à faire de même, lorsqu’un cri arrêta tous les mouvements.

– STOOOOP !

Les épées, les haches, les couteaux et autres armes aussi diverses que tranchantes se suspendirent dans l’air chargé d’électricité. Tous se retournèrent vers celui qui avait prononcé ce mot, l’homme le plus suicidaire de tout le Disque[3].

Jim D. Snockman.

Ou plutôt, l’ombre tremblante et flageolante de Jim D. Snockman, accroupie derrière le zinc.

– Ahem. Ce… ce n’est pas b… bien ce que vous av… av… avez f… f… f… fait là…

La sauvageonne leva un sourcil.

– V… Vous m’av… avez in… interromp… terromp… terrompu !

L’ombre se redressa peu à peu, la colère vibrant dans sa voix.

– V… v… vous ne m’avez p… p… pas é… écouté !

L’édenté hocha la tête et rangea sa hache. Quelques autres l’imitèrent. La femme guerrière fronça le nez, jeta un coup d’œil à son infortunée cible, et, d’un mouvement alerte, fit glisser son épée au fond de son fourreau. Ce geste signa l’accord de paix provisoire dans la salle, et bientôt, toutes les armes furent rangées. Les clients se réinstallèrent sur leur chaise, comme hypnotisés, prêts à écouter la théorie de Jimmy.

– Bien, continua celui-ci avec plus d’assurance, les mains posées sur le comptoir. J’aimerais dorénavant que de tels incidents ne se produisent plus quand je parle.

La femme baissa les yeux, l’air coupable.

Manchebras, qui avait suivi toute la scène, attablé dans un coin sombre, émit un sifflement admiratif. Son petit protégé se débrouillait fichtrement bien.

Ce dernier balança son regard à travers la salle, avec l’air d’un professeur à la recherche des perturbateurs de sa classe, poussa un soupir de soulagement et reprit là où il en était.

 

*

 

Une heure s’écoula, sans qu’aucun bruit ne se manifeste dans la taverne[4]. Une mouche, qui venait juste d’échapper avec soulagement et au prix d’un brillant exercice de vol à l’estomac insatiable de l’édenté, se retrouva subitement, et sans vraiment comprendre pourquoi, épinglée au mur par une lame aiguisée surgie de nulle part. Alors qu’elle tentait de protester dans un vrombissement coléreux, un « chuuuut ! » péremptoire la contraignit au silence. Décidemment, quelque chose ne tournait pas rond, depuis quelques jours, au Tambour Rafistolé…

Derrière le bar, Jimmy parlait, sans discontinuer, ne s’arrêtant que pour prendre à intervalles réguliers une gorgée du liquide saumâtre, tiré de l’Ankh, qui avait l’outrecuidance de prétendre à l’appellation d’« eau »[5]. Il avait installé derrière lui une sorte de panneau noir (en réalité une vieille planche en bois – sans doute un résidu de porte – récupérée dans la cour de derrière) sur lequel il barbouillait de temps à autres, à l’aide d’un feutre qu’il avait retrouvé au fond de son sac, de curieux hiéroglyphes que les auditeurs avaient souvent peine à identifier. On y retrouvait les mots « conspiration », « hommes en noir », « OVNI », le tout écrit dans un anglais plus qu’approximatif, avec pour illustration de drôles de lampadaires pourvus d’yeux gigantesques (en réalité les hommes en noir sus-cités) et des carottes biscornues couvertes de pustules (les OVNIs, dont Jimmy avait eu bien du mal à expliquer la signification aux clients).

Et tout le monde, sans exception, l’écoutait religieusement. Dans une taverne comme le Tambour Rafistolé, ce fait relevait du pur miracle.

– Bon, et les hommes en noir, ils ont des appareils qui permettent d’effacer la mémoire des pauvres quidams comme vous et moi (Bzzzzzzz) qui ont le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment (CLAP !). Hum. Parce que, vous comprenez (*couic*), le peuple ne doit pas savoir (gloups) que les extra-terrestres – pardon, les extra-disque-mondiens – ont débarqué, sinon ce sera la… (ôôôôh !) Hum… la panique, vous voyez ?

Le *ding* discordant de la porte résonna à cet instant, tandis qu’un Rincevent et un bibliothécaire en pleine conversation[6] apparaissaient dans l’embrasure. Une vingtaine de CHUUUUUUT ! retentissants accueillit cette intrusion. Rincevent s’immobilisa sur le seuil de l’entrée, interdit, et, durant une seconde, se demanda s’il ne s’était pas trompé de rue. Puis il avisa Snockman qui l’invitait, à l’aide de grands signes de mains, à s’asseoir au comptoir et poussa un soupir d’où transpirait toute la lassitude du Disque-Monde – et peut-être même un peu plus.

Il s’installa néanmoins au bar, suivi de l’anthropoïde, réjoui de constater à la fois qu’un fait inhabituel se déroulait dans ces lieux[7], et que Jimmy avait réservé spécialement pour lui, bravant de ce fait l’interdiction d’Hibiscus, une coupelle de cacahuètes premier choix. Un gars très sympathique, à n’en pas douter, ce Snockman.

– Bon, nous en étions donc aux hommes en noir, reprit Jimmy d’une voix forte en servant deux pintes de bières à ses récents amis.

Il s’arrêta encore une fois, attendant patiemment que le noiraud à la droite du Bibliothécaire ait fini de le mettre au courant de la discussion. Rincevent, de son côté, sirotait sa mixture, l’air totalement désintéressé, mais une légère courbure dans son attitude trahissait une curiosité dont il se serait immédiatement défendu si on l’en avait accusé. Puis l’anthropoïde indiqua d’un signe que le jeune homme pouvait reprendre sa logorrhée et ce dernier poursuivit :

– Les hommes en noir… hum. Ils ont un quartier général top secret, où transitent toutes les races extra-terrestres lorsqu’elles viennent sur la terre, que ce soit par la porte des étoiles ou au moyen de vaisseaux interstellaires high-tech. Il y en sans doute un ici, de quartier général, et je suis sûr que – dites, le monsieur dans le fond, oui, vous… Vous pourriez arrêter de gober les mouches ? Elles ne vous ont rien fait, les pauvres petites !

La face de l’édenté vira au rouge vif, comme un écolier pris en faute, tandis que toutes les têtes du Tambour Rafistolé se tournaient vers lui. Il avala précipitamment sa dernière victime (*gloups*) et arbora une grimace hideuse qui préfigurait, supposa Jimmy, un sourire d’excuse. Rincevent poussa un énième soupir et leva les yeux au plafond.

– Bon, enchaîna vaillamment le jeune homme, signifiant par là que l’incident était clos. Ce quartier général, il y a moyen de le trouver sur votre planète. Il serait peuplé de gens bizarres, habillés drôlement, et il se passerait toujours des trucs louches dans le périmètre où il se situerait… ça vous dit peut-être quelque chose ?

La question resta en suspens dans la taverne, tous les clients ayant eu au même moment l’idée farfelue de contempler l’état de leurs chaussettes, les irrégularités du plafond ou la propreté de leur verre. Rincevent, se tournant vers la salle, engloba d’un regard l’ensemble de l’assistance et, puisqu’il avait déjà soupiré deux fois et levé une fois les yeux au plafond, secoua la tête avec désespoir.

– Oook… oook ?

Les lèvres du mage se plissèrent en un rictus cynique alors qu’il acquiesçait à la remarque de l’anthropoïde.

– Bien sûr, j’y ai pensé aussi, bibliothécaire. Tout le monde a pensé à l’Université Invisible, mais ils sont bien trop pleutres pour le dire à haute voix en présence de deux mages, répondit-il d’une voix forte, le sarcasme affleurant sa réplique.

 – L’Université Invisible ? C’est là où vous travaillez, n’est-ce pas ?

Une lueur dans les yeux de Jimmy inspira au mage la méfiance dont il était naturellement pourvu et qui se réveillait à la moindre contrariété.

– Oui… c’est là où séjournent les mages, ajouta-t-il avec un regard de biais.

– Oh, est-ce que je pourrais venir la visiter avec vous ? Demain c’est mon jour de congé, justement j’avais rien d’autre à faire…

La lueur s’était à présent transformée en étincelles, et la peur commençait à transpirer de la robe de Rincevent. Il n’eut cependant pas le temps d’objecter en invoquant une quelconque excuse, le Bibliothécaire ayant aussitôt acquiescé à la demande de Jimmy. Le visage de celui-ci s’éclaira en un radieux sourire.

– Chouette ! On se donne rendez-vous demain matin, après le petit déjeuner, sur la place Sator, d’accord ?

Le mage à la robe pourpre grommela quelque chose qui sonna aux oreilles du jeune homme comme « grmlgrmlmouaifgrml » et vida le contenu de son verre tandis que Jimmy, rayonnant, poursuivait sa leçon, sous les yeux émerveillés du bibliothécaire.

 

*

 

La soirée se termina malgré tout en pugilat, car, au Tambour Rafistolé, une soirée sans bagarre n’était pas vraiment une soirée réussie. La princesse barbare avait donc délibérément relancé son macho sur les usages du jour de Tain, sale en vain[8], et l’affaire avait dégénéré. Mais le cœur n’y était pas réellement, ce soir-là, et les tables volèrent moins haut qu’à l’ordinaire[9].

 

*

 

Jimmy bondit hors du lit alors même que les coqs d’Ankh-Morpork n’avaient pas encore signalé le levé du jour[10]. Il sauta dans sa tenue de Han Solo, qui commençait nettement à sentir le graillon, et dévala l’escalier en quatrième vitesse pour préparer le repas du jour qui ne variait guère de celui des autres jours. De toute façon, et jusqu’à peu, rares étaient les personnes qui venaient au Tambour Rafistolé pour y manger autre chose que des pains dans la figure.

Une fois le repas prêt, Jimmy fila récupérer son sac qu’il ne quittait quasiment jamais et prit la direction de son point de rendez-vous avec Rincevent.

En chemin, il observa tranquillement les commerces ouverts et s’attarda quelques secondes sur une boutique qui semblait proposer des articles pour le moins incongrus et qui portait le nom de Gamelle. Jimmy se promit de repasser le plus rapidement possible et de fouiner de manière plus approfondie dans ce magasin, avant de continuer sa route.

Alors qu’il allait passer devant une allée, le jeune homme se figea en entendant des voix.

– Tiou voué mé fouére lé pleing dé foing, ptiot.

– Tout de suite, monsieur Roultabos !

Une pâleur cadavérique se matérialisa sur le visage de Jimmy et ses jambes se mirent à trembler, les genoux s’entrechoquant dans un curieux rythme de castagnettes. Il roula des yeux affolés en quête d’une cachette sûre et avisa un grand panier en osier qui traînait à sa gauche. Il le contempla deux secondes, le cerveau bouillonnant d’une réflexion intense, puis décida de se camoufler à l’intérieur. Tandis qu’il replaçait le couvercle au-dessus de lui, il réalisa qu’il allait être en retard à son rendez-vous et que Rincevent ne l’attendrait peut-être pas.

Alors qu’il effectuait quelques petits mouvements dans son abri, le fond se détacha, laissant apparaître le pavé humide. Le jeune homme, se souvenant de scènes qu’il avait vu à la télé, en profita pour se déplacer à petits pas, soigneusement dissimulé dans le panier. Après tout, c’était une manière comme une autre de réduire son retard sans tomber nez à nez avec l’horrible individu qui semblait le poursuivre depuis son arrivée sur le Disque-Monde…  Quelques passants, légèrement intrigués, tournèrent la tête à son passage, mais, après tout, les bizarreries étaient monnaies courantes à Ankh-Morpork, et la plupart ne s’étonnèrent pas outre mesure de voir un panier se mouvoir par ses propres moyens. Le monstrueux Harvey, quant à lui, absorbé par le ravitaillement de sa bête, ne remarqua d’abord nullement le drôle d’engin qui arpentait le trottoir, mais, alerté par le cri de surprise d’une passante contre les jambes de laquelle Jimmy s’était malencontreusement cogné, il pivota le chef et avisa le panier, qui s’était aussitôt figé sur le sol.

Le jeune homme, en effet, arrivé à mi-chemin de l’angle de la rue, avait stoppé net en sentant l’attention du colosse se focaliser sur lui. Pendant quelques secondes qui lui parurent interminables, il crut percevoir un regard sombre perforer l’osier ; mais ne constatant rien d’inhabituel dans la rue, Harvey secoua la tête et reporta son attention sur le garçon fointiste, bien que quelque chose dans le vide abyssal de son esprit le titillât encore désagréablement. Dès que l’impression d’être observé eut disparu, Jimmy reprit sa progression, et, lorsqu’il supposa être hors de vue de Roultabos, sortit enfin du panier sous les regards blasés des morporkiens. Une sueur froide dégringola le long de son visage et il s’épongea le front du dos de sa main. Il avait vraiment eu chaud…

Il déboucha sur la place Sator quelques minutes plus tard. La place grouillait de monde. Parmi le brouhaha, Il entendit une comptine chantée par un enfant : « Un petit troll qui se balançait, sur une pointe, pointe, pointe, pointeuh de poirier, c’était un jeu tellement tellement marrant, que bientôt, que bientôt… deux petits trolls… ». Tout en sifflotant l’air de la chansonnette, Jimmy se mit à chercher Rincevent des yeux parmi la foule qui se pressait autour de lui. Son regard resta un instant fixé sur une vieille dame ratatinée qui promenait fièrement, au bout d’un morceau de corde rapiécé, un dentier tout bosselé. Il haussa les sourcils, mais, dans la cohue, perdit rapidement la passante de vue. Le jeune homme secoua la tête et se remit en quête du mage. Il commençait à s’inquiéter en ne le trouvant pas. A chaque fois qu’il apercevait un chapeau pointu, il allait à sa rencontre pour se découvrir que ce n’était pas son guide pour l’université. Au bout d’un moment, il entendit une voix familière dans son dos.

– Oook ?

– Vous voyez qu’il n’est pas là.

– Ook.

Le visage de Jimmy s’illumina.

– Et mec ! fit-il d’un ton enjoué en se retournant. J’ai bien cru que je vous avais raté.

– Oook, fit le bibliothécaire avec un air satisfait.

– Oui, vous aviez raison, marmonna le mage à l’attention de l’anthropoïde. Puis, plus fort : Je tiens à vous rappeler que je ne m’appelle pas Emmett, gamin.

– Pas Emmett, mais Et mec. Ça veux dire salut, répondit le jeune homme. Alors, on y va ?

 

*

 

– Whaouuu, fit Jimmy en contemplant la cour octogonale principale du campus. C’est… c’est…

– Consternant ? Affligeant ? Pitoyable ? proposa Rincevent pour l’aider à trouver ses mots, sous l’œil désapprobateur du bibliothécaire.

– Magnifique ! s’exclama enfin le jeune homme, émerveillé. On se croirait en plein cœur de la zone 51 ! Dites, ces drôles de portes biscornues, là-bas, juste au-dessus des contreforts, elles servent à quoi ? À embarquer dans les vaisseaux spatiaux ?

Le mage dirigea son regard vers lesdites portes et renifla.

– Hum. Je crois que c’est en prévision d’un deuxième étage. Une construction récente, ça. L’architecte venait du Jolhimôme, il portait un nom bizarre… Nhû-Mid…Nhû-Mer-Ôbish, je crois. Un drôle de type, qui me faisait un peu penser à notre architecte local[11]. Je ne sais pas ce qu’il est devenu[12]…

– Un visionnaire, sans aucun doute…

Le ton rêveur de Jimmy arracha un soupir à Rincevent, qui se contenta de secouer la tête et poursuivit la traversée de la cour vers les imposantes portes d’octefer qui ouvraient directement sur la Grande Salle.

Le regard de Snockman fut attiré dans un coin de la cour par le son d’une voix « Allez crache ton venin, crache ton venin, crache ton venin, crache ton venin, mais donne-moi dans la main, tu verras ce sera bien. Enfin. »

– Qui est-ce ? demanda Jimmy.

– Oh ça, c’est Modo notre jardinier. Un grand connaisseur en terreau.

– Humm. Et le serpent ?

– Sûrement pour faire de l’engrais.

Lorsqu’ils furent arrivés en haut des quelques marches qui amenaient aux portes, Jimmy marqua un temps d’arrêt.

– C’est bizarre, j’ai comme l’impression d’être observé…

– Oh, ça, c’est parce qu’il y a une gargouille juste au-dessus de vous.

Jimmy leva les yeux et croisa le regard de pierre d’une sculpture biscornue couverte de fientes de pigeons. Il hocha la tête en guise de bonjour et passa l’entrée.

– Euh… c’est normal que la gargouille m’ait rendu mon salut ?

– De quoi vous vous plaignez ? Elle est polie, au moins !

– Ouais. Pas faux.

– Ook !

 

L’étrange trio déboucha dans une imposante pièce antique, dallée de noir et de blanc et gardée par les portraits ronflants de mages que Jimmy suspectait être, de par leur stature rengorgée et leur regard suffisant, des personnages importants de l’Université. Ils ne s’attardèrent pas dans la salle et s’enfilèrent dans un couloir, l’anthropoïde tenant absolument à présenter en premier lieu sa bibliothèque à Jimmy. Soudain, un *pouêêêt* retentissant alerta le jeune homme. Il n’eut même pas le temps de se demander d’où venait le bruit, et se retrouva projeté contre le mur du couloir par de puissantes mains poilues. Un ouragan frôla sa nuque et ébouriffa ses cheveux bruns. Cela dura à peine une seconde, puis le calme revint, et le bibliothécaire desserra son étreinte.

– C’était quoi, ça ? demanda Jimmy tandis que Rincevent se relevait en époussetant soigneusement sa robe.

– Ça ? C’était Pounze, répondit ce dernier sur le ton de la conversation.

– Oh. On aurait dit une soucoupe volante propulsée à la vitesse lumière… vous êtes sûrs que c’en n’était pas une ?

Rincevent parut réfléchir à la question, mais des éclats de voix à l’autre bout du couloir interrompirent ses pensées.

– Tiens, mais c’est Rincevent et le bibliothécaire, là-bas ! Qui est le jeune homme qui les accompagne ?

– Ch’ai pas. Un étudiant sans doute. J’en ai jamais vu, je sais pas quelle tête ils ont.

– Ah bon ? Vous n’étiez pas censé donner un cours dans la salle 3B, ce matin, les Runes ?

– Qui, moi ?

– De toute façon, je crois pas que ce soit un étudiant. Jamais un étudiant se baladerait aussi près d’une salle de cours en plein jour.

– Ah ! Rincevent, bibliothécaire, comment allez-vous ? s’exclama le plus imposant des individus, tous porteurs d’amples robes et de chapeaux pointus brodées d’étoiles, en s’arrêtant à la hauteur du trio. Vous avez rencontré Vindelle ? Il est parti nous réserver des places pour le déjeuner. Tout va bien de votre côté, j’espère ? Qui est le jeune homme qui vous accompagne ?

– Aaargl… répondit Rincevent.

– « Aaargl » ? enchérit le gros homme. Drôle de nom… c’est un étranger ?

Jimmy s’avança, main tendue.

– Mon nom est Jimmy Snockman, et je suis effectivement un étranger. Je viens de la planète Terre, proclama-t-il sur un ton emphatique. À qui ai-je l’honneur ?

L’homme renifla et contempla alternativement Rincevent et la main que lui tendait l’étranger.

– Rincevent, on vous avait pourtant recommandé d’éviter d’amener vos ennuis jusqu’ici ! C’est mauvais pour l’image de l’Université… commenta un visage émincé derrière lui. 

– Oh, je ne pense pas que celui-là soit bien dangereux, les Runes, répondit le premier en toisant son interlocuteur. Je me nomme Munstrum Ridculle, et je suis l’archichancelier de cette Université, déclara-t-il finalement en serrant la main du jeune homme. Je crois que vous avez déjà rencontré Vindelle Pounze… À ma droite, vous avez le titulaire de la chaire des études indéfinies et le lecteur d’écrits sympathiques, dans mon dos l’assistant des runes modernes et le major de promo, et à ma gauche l’économe.

– Comment se porte votre dentier, chère madame ? déclara ce dernier aussitôt que Ridculle l’eût présenté.

Jimmy ouvrit la bouche pour répondre quelque chose, mais l’archichancelier ne lui en laissa pas le temps.

– Ne vous en faites pas pour lui, il est un peu… enfin, vous comprenez, chuchota-t-il sur un air de confidence en se tapant la tempe avec son doigt. D’ailleurs, il doit être l’heure de ses pilules de grenouille séchée… N’est-ce pas, économe, que vous devez prendre votre pilule ? conclut-il d’une voix forte, comme s’il parlait à un vieillard impotent.

– Oh, moi, vous savez, je préfère les tulipes… répondit l’économe avec un sourire.

Jimmy se montra intéressé.

– Est-ce que vous êtes déjà demandé si ce qu’il disait avait un sens ?

– Euh… vous voulez parler de l’ordre des mots ? Ben, c’est vrai que des fois il a du mal à les mettre dans le bon sens, mais ça va mieux quand il a sa pilule…

Le reste des mages commençait fortement à s’impatienter.

– Dites, archichancelier, si on n’y va pas maintenant, il ne restera plus rien à déjeuner[13]…

– Oui, bien sûr… alors, comme ça, vous visitez notre belle Université ? Je vous conseille particulièrement la Salle Peu Commune, vous pourrez y contempler de magnifiques dorures au plafond…

– Il y a de la morue aux fraises à la chantilly-mayonnaise aux câpres flambée pastis[14] au menu, si je ne m’abuse…

– Une minute seulement… mais j’imagine que le bibliothécaire veut vous faire découvrir sa bibliothèque ?

– Oook !

– J’ai même entendu dire que le chef cuisinier avait préparé du bœuf rôti à la sauce wow-wow[15]…

– On arrive, on arrive… ravi d’avoir fait votre connaissance, jeune homme, nous nous recroiserons sans…

Une étrange mélodie à la sonorité stridente lui coupa net la parole. Il regarda Jimmy, interdit. La musique semblait provenir de son dos.

– Par les oreilles de Spock, mais c’est la sonnerie de mon portable, ça !

Il se débarrassa prestement de son sac à dos, farfouilla quelques secondes à l’intérieur, et en sortit un drôle de bloc noir couvert de pustules que l’archichancelier avait du mal à identifier.

– Ça alors… il devrait être déchargé, depuis le temps. Et puis, qui peut bien m’appeler ici ? Tiens, en plus, il est éteint…

La mélodie continuait de retentir dans le couloir.

– Jolie musique, hein ? C’est la Marche Impériale de Star Wars… commenta-t-il fièrement.

Plusieurs mages se reculèrent lorsque le jeune homme brandit la chose en leur direction.

– Bon, il faudrait peut-être que je réponde, moi, ajouta-t-il après réflexion.

Il pressa sur l’une des pustules et colla l’objet à son oreille.

– Jimmy à l’appareil… Oh, c’est toi, maman ? Je suis désolé de ne pas t’avoir appelé plus tôt mais… où est-ce que je suis ? Oh, eh bien, tu vas jamais me croire… quoi ? Tu t’es inquiétée toute la nuit ? Mais, maman, ça fait trois semaines que je suis parti ! Quoi ? Non, non, je vais très bien, je t’assure ! Oui, je suis bien allé au cinéma mais c’était il y a… oh. Le temps s’écoule peut-être différemment ici… mais non, je n’étais pas avec une fille, maman ! Je suis avec quelques amis, là, et… tu veux parler à l’un d’eux ? Ok. Je te passe l’archichancelier, il… oui, oui, maman, c’est quelqu’un de très sérieux et de très important !

Tous les mages, Rincevent y compris, contemplaient Jimmy avec horreur. Ce dernier tendit son instrument à Ridculle, qui amorça un mouvement de recul, avant de reprendre courage.

– Hum. Il y a un démon dans ce truc, c’est ça, hein ?

– Ben, j’ai déjà entendu des copains appeler ma mère comme ça, mais… tenez, elle veut vous parler…

L’archichancelier avança prudemment sa main vers l’appareil et l’amena avec douceur au niveau de sa tête.

– Euh… démon ? Vous m’entendez ?

– Ah ! Alors, vous êtes un ami de mon Jimmy, c’est ça ? demanda une voix aiguë qui lui vrilla le tympan et lui arracha un sursaut. Est-ce que vous êtes majeur, au moins ? Je n’aime pas que mon Jimmy fréquente des garnements. Vous n’êtes pas l’un de ces petits voyous du quartier, j’espère ? Parce que sinon, je vous apprendrai à vivre, moi ! Vous verrez ce qu’il en coûte de dévoyer mon bébé…

Ridculle lâcha le bloc noir, qui alla s’écraser à terre.

– Un démon très puissant, sans aucun doute… il a tenté de me jeter une malédiction… articula-t-il d’une voix tremblante.

La voix stridente continuait à s’échapper de l’appareil au sol. L’archichancelier reprit contenance.

– J’ai déjà chassé l’ours et le caribou dans les montagnes du bélier, ce n’est pas un stupide démon caché dans un aussi petit truc qui va m’effrayer, affirma-t-il avec vigueur en décochant un coup de talon bien senti sur l’engin.

L’habitacle se détacha en deux, mais la voix ne s’arrêta pas pour autant. Ridculle sauta dessus en y mettant tout son cœur, et deux ou trois morceaux se brisèrent encore sous l’impulsion.

La voix se faisait toujours entendre sur les dalles froides du couloir. Le mage s’accorda un instant de réflexion en contemplant les débris éparpillés, se racla la gorge deux fois et se tourna vers l’anthropoïde, qui, à tout bien penser, paraissait mieux armé pour faire face à la situation.

– Hum. Bon. Bibliothécaire, est-ce que ça vous dérangerait de vous occuper de ça ? Le déjeuner nous attend, et, vous savez ce que c’est… un rôti sauce wow-wow, ça ne se refuse pas !

Les mages réunis en cercle autour de l’archichancelier acquiescèrent comme un seul homme et commencèrent à se diriger à petit trot vers le bout du couloir, en essayant de mettre le plus de distance possible entre eux et la chose noire qui déversait encore son flot de paroles.

– Jeune homme, dorénavant, je vous prierai de garder vos démons chez vous quand vous venez ici ! lança finalement Ridculle avant de rejoindre le groupe.

Jimmy acquiesça timidement et s’accroupit devant les restes de son portable.

– Jimmy ? Jimmy ? Est-ce que tu m’écoutes au moins ? Tu devrais arrêter de fréquenter ce type, il me semble plutôt louche. Il n’a pas arrêté de faire de grands bruits et…

– Écoute, maman, avança doucement Snockman en positionnant son visage devant ce qui ressemblait au micro, il… il faut que je te laisse, maintenant. Ne m’attend pas ce soir, ni demain. Ni peut-être même les autres jours. Au revoir, maman.

– Jimmy ? Jimmy, qu’est-ce qu’il se passe ? Tu ne veux plus voir ta vieille mère, c’est ça ? Alors, tu as vraiment rencontré quelqu’un…

Le jeune homme tâtonna un instant sur le sol pendant que sa mère continuait ses suppliques, repéra un bout  de métal qui ressemblait à la touche « raccrocher », et pressa avec fermeté son doigt dessus. Le silence s’installa dans le couloir, brisé quelques secondes plus tard par la voix vacillante de Jimmy.

– C’était ma mère, vous savez, déclara-t-il à l’attention des deux mages au-dessus de lui. Il ajouta peu après, la tristesse effleurant le son de sa voix : elle est comme ça, ma mère…

Rincevent et le bibliothécaire l’observèrent en silence tandis qu’il rassemblait lentement les morceaux de son téléphone pour les fourrer à nouveau dans son sac.

– En tout cas, annonça-t-il sur une note plus joyeuse, je me demande bien comment elle a fait pour me joindre…

– Oook eek…

– Le bibliothécaire suppose que c’est à cause la magie ambiante de l’Université, traduisit Rincevent. C’est vrai, ce que pensaient les gens au Tambour, hier, vous savez… il se passe toujours des trucs bizarres dans l’enceinte de l’Université Invisible. Un peu comme un aimant à magie, vous voyez. Et encore, ici, ce n’est rien comparé au bâtiment où se trouvent tous les livres de magie…

– Eh ben, j’ai hâte de voir ça ! Vous m’y amenez, à votre bibliothèque ?

– Ook !

 

*

 

Elle n’était pas seulement gigantesque, non. Pas seulement. C’était comme si l’idée même de gigantesque avait pris possession de l’endroit.  Il se racontait d’ailleurs que si on s’avançait assez loin dans les rayonnages poussiéreux, on pouvait accéder à toutes les bibliothèques du multivers, quelles qu’elles soient. Sauf que la magie y était tellement instable qu’on se retrouverait immanquablement changé en une horrible chose pourvue de tentacules bien avant d’avoir pu franchir le premier seuil interdimensionnel. Le bibliothécaire seul avait réussi à apprivoiser les livres et à s’approprier la bibliothèque, nul ne savait trop comment. Il faut croire que les responsables de tels lieux développent à force une certaine résistance à la magie...

Cela faisait maintenant deux heure bien tassées que Jimmy déambulait dans les rayons, écrasé par tout le savoir et la solennité qui se dégageait de l’endroit. Rincevent le suivait avec impatience, le Bibliothécaire en surveillant chacun de ses gestes d’un œil vigilant. Comme un gosse qu’on aurait lâché dans un immense magasin de jouet, il s’émerveillait de chaque rangée, de chaque titre d’ouvrage : Grimoire incroyable-mais-vrai de Stripfutal, Demonylogie Malyfycorum hà l’Ysage des Ynsatisfait  de Poulvaine le médiocre, En 7 jours seulement je fays de vous un héros barbayre ! de Cohen, et un autre qui attira particulièrement son regard : Compenydyum de Magye sexuelle de Ge Fordge. Il le prit entre ses mains et fit mine de vouloir en feuilleter les pages, qui présageaient de splendides illustrations, mais l’anthropoïde ne lui en laissa pas le temps, et se jeta sur lui pour récupérer l’ouvrage avec force « ook » et « eek ». Jimmy le laissa faire, sachant bien qu’il est inutile de se battre contre cent cinquante kilos de muscles et de peau (surtout de peau, d’ailleurs) à la force prodigieuse. Il grommela un peu, s’empara, la mine boudeuse, d’un livre dans le rayonnage d’en face et se mit à le parcourir distraitement tandis que le Bibliothécaire remettait l’objet incriminé en place. Le livre s’appelait Ranas Assicceo[16] et semblait traiter des grenouilles. Il tourna une page où se trouvait une très jolie illustration de rainette, quoique moins jolie que la jeune fille stylisée qu’il avait entre aperçu dans l’autre ouvrage, et…

Il ne comprit pas vraiment ce qu’il se passa à cet instant.

Rincevent non plus, d’ailleurs, et le Bibliothécaire n’eut que le temps de tourner le faciès et de pousser un « eeeek ! » retentissant.

La seconde d’avant, Jimmy se tenait là, dans l’une des innombrables rangées de la bibliothèque.

Puis, il y avait eu une sorte d’éclair, quelque chose qui fusa du livre vers le jeune homme.

Et il disparut, tandis que du sol retentit un « croâ ? » un peu perplexe, en réponse au grand *boum* provoqué par l’écrasement par terre d’un livre et d’un sac à dos. Rincevent dirigea son regard vers le son et gémit.

– Aaaargl…

– Oook… lui répondit un anthropoïde tout aussi consterné.

– Croâ ? émit une nouvelle fois le batracien avec une nuance d’espoir cette fois-ci.

Rincevent se gratta la tête et se tourna vers le Bibliothécaire.

– Et maintenant ?

– Oook ?

– Croâ.

La  grenouille fit un bond sur le côté, puis un autre.

– Oook !

– Aaaargl non ! S’il vous plaît, monsieur Snockman, restez tranquille !

– Croâ !

Cette fois-ci, le métamorphosé n’hésita plus, et se dirigea à petits sauts décidés vers la sortie de la bibliothèque. Le mage et l’anthropoïde se précipitèrent à sa poursuite en poussant des « aaargl » et des « oook » diverses.

La grenouille, plutôt agile, ne se laissait pas rattraper, et caracolait de-ci, de-là dans les rayonnages, avant de se retrouver dans un couloir sombre. C’était pas tout ça, mais elle avait faim, et une bonne pizz… une bonne libellule ne lui ferait pas de mal. Elle hésita un instant, le couloir se scindant en deux, mais délaissa finalement la direction des jardins pour se mettre à sautiller, sans trop savoir pourquoi, vers les cuisines, les deux compères toujours à ses trousses.

– Aaaargl, non, pas les cuisines ! C’est là où les mages vont chercher du rab, à cette heure-ci…

Ils redoublèrent d’allure, mais il était déjà trop tard.

L’ombre de Ridculle se profilait à l’horizon.

– Oooooh… mais que vois-je ? Ne serait-ce pas une jolie rainette qui s’approche de nous ? Combien de pilules ça peut faire, ça, une grenouille, les Runes ?

L’interpellé haussa les épaules.

– Je ne sais pas… mais la boîte de l’économe est presque vide…

– Je vous remercie, un verre de vin m’irait très bien, répliqua ce dernier, en train de grignoter une cuisse de poulet.

Sous le regard interdit de Rincevent et du bibliothécaire, l’archichancelier s’approcha doucement du batracien, anciennement Jimmy, avec un sourire carnassier.

– Petit, petit, petit… ne crains rien, voyons… c’est tonton Munstrum qui te parle…

Le ton de sa voix avait de quoi glacer le sang du moindre lapin à des kilomètres à la ronde. La grenouille le contempla un instant avec méfiance, puis, alors que Ridculle amorçait un mouvement de détente pour l’attraper, fit un bond de côté en lançant un « croâ » victorieux.

Le mage se releva péniblement, l’air passablement énervé.

– Je crois que je vais avoir besoin de mon arbalète, gronda-t-il.

Rincevent se figea, l’image nette d’un patricien glacial montrant de l’un de ses longs doigts anguleux le corps inanimé de Jimmy dans son esprit. Une voix froide et distante résonna d’un bout à l’autre de son cerveau : « Je vous confie la garde de cette personne. Assurez-vous que tout se passe bien. ».

– Aaaaargl… ne… ne… n’y touchez pas !

– Quoi ? Mais ce batracien m’a provoqué ! Je ne peux pas laisser passer ça !

– Laissez-moi faire, proposa Vindelle Pounze, immobile à quelques pas de là, la tête apparente au-dessus d’un curieux assemblage de pièces, de roues et de klaxons qui ressemblaient de loin, mais de très loin alors, à un fauteuil roulant. Avec une expression un brin sadique sur le visage, il actionna son engin, Rincevent ne savait trop comment, et se dirigea à toute vapeur vers le batracien. L’accélération propulsa son chapeau quelques mètres plus loin, mais la rainette se montra plus rusée, et effectua un bond de dernière minute pour esquiver le tombeau à roulette. Ce dernier évita le mur de justesse et vint terminer sa course une dizaine de mètres plus loin dans un crissement de pneus.

– Là, c’en est trop, rugit l’archichancelier en empoignant l’arbalète qu’il avait récupérée sur la table où il l’avait laissée quelques minutes plus tôt.

Il s’apprêta à viser l’animal, mais c’est un bibliothécaire toutes dents dehors qui se dressa dans sa ligne de mire.

– Voyons, je ne peux pas faire correctement mon boulot si…

– Vous ne pouvez pas le tuer ! C’est Jimmy ! hurla Rincevent en mettant à son tour entre l’archichancelier et le jeune homme métamorphosé en grenouille – ou plutôt, devant le batracien et derrière le bibliothécaire, on ne savait jamais…

Ridculle fronça les sourcils et baissa son arme.

– Jimmy ? Le jeune homme bizarre que nous avons rencontré tout à l’heure ? Celui qui apporte des démons invincibles chez nous ? Celui qui s’exprime drôlement ?

– Euh… oui ? articula le mage d’une toute petite voix.

– Ben, il fallait le dire plus tôt ! s’exclama  Munstrum en rangeant l’arbalète à son côté. Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ?

– Je crois qu’il a été transformé en…

– Grenouille, je sais, les Runes. Je ne suis peut-être plus dans la fleur de l’âge, mais je ne suis pas encore gâteux !

– C’est à cause d’un livre… avança Rincevent.

– Oh. Les livres. À ne pas mettre entre toutes les mains, ça… Ne serait-ce pas celui qui parle des grenouilles ?

Le Bibliothécaire hocha la tête et le visage de Ridculle s’éclaira d’un large sourire.

– Sacrément ingénieux, celui-là, hein ? C’est moi qui me le suis procuré, pour fournir sans se fatiguer toutes les grenouilles nécessaires à la fabrication des pilules pour l’économe. Je l’ai prescrit au programme des étudiants de première année… ajouta-t-il en pouffant.

– Et… euh… vous avez un moyen de le ramener à sa forme humaine ?

L’archichancelier sembla réfléchir une seconde.

– Vous êtes sûrs que vous voulez lui redonner sa forme humaine ? Moi je l’aime bien comme ça… ‘l’a du caractère, ce ptit !

– Aaaargl…

– Croâ !

– D’accord, d’accord, soupira le mage.

En quelques formules, le batracien s’évapora, pour laisser place à un Jimmy un peu déboussolé, accroupi sur le sol du couloir, les mains entre ses deux jambes. Il regarda autour de lui d’un air hagard, lança un « croâ ? » à tout hasard et secoua la tête.

– Oh mon dieu, j’espère que vous ne me l’avez pas abîmé ! sanglota Rincevent en se portant à sa rencontre.

– Euh… commença enfin Jimmy, je croâ que ça va… hum. Ça va, oui, ajouta-t-il en se relevant. Puis : Waouh. Pour une expérience, ça, c’était une expérience.

– Normalement, vous n’aurez pas trop de séquelles, déclara l’archichancelier, pas très rassurant.

– Où qu’elle est la grenouille ? criailla une voix derrière eux.

– Elle est euh… partie, Vindelle, répondit Ridculle, avant de se tourner vers Jimmy : Vindelle Pounze est le plus vieux mage de l’Université, vous savez…

– Cent vingt neuf ans et toutes mes dents, acquiesça ce dernier en découvrant d’une grimace hideuse ses gencives presque toutes vierges.

– Bon… bonjour monsieur Pounze, hasarda le jeune homme en lançant des regards anxieux vers le mage dont le sourire aurait donné la chair de poule à un lion et vers son véhicule biscornu.

– Bon, c’est pas tout ça, avança Rincevent avec un brin de fermeté, mais il commence à se faire tard, et…

– Oui. D’accord. Je crois que j’ai eu assez d’émotions pour la journée. On fait un tour rapide du reste de l’Université, et on rentre… acquiesça Jimmy en coulant un regard encourageant vers son ami.

– Ah, vous voyez, quand vous le voulez, il vous arrive d’être lucide !

– Euh… on pourra quand même rendre visite à ces gargouilles, là, dans la cour ? Elles m’intriguent et…

– Non.

– Ah. Bon. Ok. Dommage…

– Oook !

– Croâ… oups ! Pardon…

Et le trio s’éloigna sous l’œil médusé des mages.

– Sympathique, ce jeune homme, commenta l’économe. Un peu extravagant, mais sympathique… j’espère qu’il reviendra ! Dites, vous n’auriez pas vu mon pied gauche, par hasard ? Je le cherche depuis ce matin…

Ridculle leva les yeux au plafond.

– Bon, il reste combien de pilules ?

 

 

*

 

Jimmy déambulait dans les rues d’Ankh-Morpork en sifflotant gaiement, son sac à dos sur l’épaule. Il venait de passer une excellente journée, quoique un peu mouvementée, et il se réjouissait d’avoir fait la connaissance de ces mages bizarres mais fort intéressants. En sortant sur la place Sator, il avait même recroisé la petite vieille rabougrie qu’il était persuadé d’avoir reconnu comme étant la madame Gudulle dont il avait été question la veille. Après tout, il se pouvait bien qu’elle soit réellement une extra-disque-mondienne camouflée, ou peut-être un contact important… pourquoi diable se promenait-elle avec un dentier au bout d’une laisse ? Etait-ce un signal quelconque ? C’était comme cet économe et ses phrases bizarres… Jimmy soupçonnait fortement celui-ci de communiquer à l’aide d’un code secret avec les petits gris, et le véhicule de ce mage, Vindelle Pounze, lui faisait fortement penser à de la technologie avancée provenant sans aucun doute d’OVNI crashés sur le Disque-Monde. Sans parler de la drôle d’architecture de l’Université Invisible. Il lui faudrait absolument creuser tout ça ultérieurement… mais, pour l’instant, une bonne nuit de sommeil lui ferait un bien fou.

Malgré l’heure avancée et la fatigue qui pointait le nez dans son cerveau, il effectua un crochet pour visiter la boutique qu’il s’était promis de regarder de plus près. Il déboucha dans la rue dont il avait bien pris soin de noter le nom, longea les maisons… mais ne trouva pas l’échoppe. Un peu décontenancé, il revint sur ses pas, changea de trottoir, examina attentivement toutes les devantures de chaque côté de la rue, et même des rues adjacentes, en vain. La boutique « Gamelle » avait tout bonnement disparue. Il secoua la tête, se demandant par quels mystérieux prodiges cela était possible. Mais le Disque-Monde était tellement foisonnant de prodiges qu’il ne s’étonnait plus guère de rien. Il haussa les épaules et continua sa route vers le Tambour Rafistolé.

Une fois dans sa chambre, il déposa son sac à dos à terre et s’écroula comme une masse sur sa couche. Sans perdre une seconde, il se mit à ronfler bruyamment.

 

*

 

Plus loin, bien plus loin, vers le milieu du Disque, s’élevait le mont Cori Celesti, là où vivaient une partie des dieux, créés et galvanisés par les habitants du Disque-Monde eux-mêmes. Car il ne faut pas sous-estimer la puissance de la foi. Surtout pas sur un monde aussi étrange que celui-ci, un monde en forme de pizza, juchée sur quatre éléphants debout sur une immense tortue. Immanquablement, la foi s’y était transformée en une véritable magie. On dit que celle-ci peut déplacer les montagnes. Sur le Disque-Monde, on prenait régulièrement ce proverbe au pied de la lettre, ce qui devenait franchement énervant pour les géographes. Les dieux se nourrissaient des croyances comme d’autres se nourrissent de pizzas aux anchois. Et ils ne se privaient pas, pour remercier leurs créateurs, de jouer avec eux à la façon d’un chat jouant avec une nichée de souriceaux. Sur le Cori Celesti se dressait donc Dunmanfestine, leur splendide et rutilante demeure. Il y avait d’abord Io l’aveugle, le maître, dieu du tonnerre et de la foudre, des dizaines d’yeux gravitant autour de sa tête ; et puis Offler, le dieu-crocodile, affublé d’un zézaiement inopportun dû à sa dentition peu pratique ; le Destin, un homme affable entre deux âges, à qui on donnerait le bon dieu sans confession, s’il n’y avaient les deux gouffres abyssaux qui lui servaient de regard. Et puis la Dame Qu’on ne Doit pas Nommer, Herne le Traqué, Dieu de tout ce qui était au bas de l’échelle alimentaire, et encore une foulée de dieux de plus ou moins grande importance, dont l’activité principale consistait à boire, manger, se quereller[17], et à jouer sur un plateau de jeu qui n’était autre qu’une représentation réduite du Disque-Monde.

– Bon, alors, tu l’avances, ton pion ? demanda le Destin à la Dame qui hésitait encore un peu.

– Zoli coup, ça… provoquer une guerre sur Klatss, c’est inzénieux ! commenta distraitement Offler qui ne participait pas à l’affrontement.

– Hmmm… laisse-moi réfléchir… reprit la Dame en se frottant le menton.

– Hé ! Mais c’est quoi, ça ? s’exclama Io en approchant l’un de ses yeux sur un petit point gris au milieu du plateau.

– Ce n’est pas un de mes pions, avança Celle Qu’on ne Doit pas Nommer.

– Ni un des miens ! répondit le Destin.

Le petit point gris se mit à sautiller de part et d’autre du jeu et leva un tout petit visage conique, pourvu de deux grands yeux noirs en amande, vers les dieux réunis au-dessus de lui.

– Salut, tout le monde ! fit-il d’une toute petite voix aiguë.

– Oh. Je crois qu’on a un nouveau parmi nous… déclara la Dame en observant le minuscule petit gris qui s’agitait devant eux.

 

À SUIVRE...

 

[1] En effet, à Ankh-Morpork, les journées se déclinaient du noir charbon au gris presque rosé. Une matinée grisâtre relevait donc d’une nuance tout à fait acceptable.

[2] Jimmy avait bien tenté un jour de raconter la saga de Star Wars à son auditoire, mais l’expérience se révéla être un échec, les morporkiens ne comprenant pas cette histoire de Force (bah, ça, c’est d’la magie, pis c’est vrai que les mages, on comprend pas toujours c’qu’y disent, comme ce – comment déjà ? « Io-da », bien un nom de mage, ça…  vous l’connaissez personnellement ?), ni pourquoi le fait d’avoir un père du côté obscur posait un quelconque problème (bah moi, mon pov’père – qu’Offler ait son âme –, l’était charbonnier, noir de la tête aux pieds, qu’il était, pis j’en fais pas toute une histoire !).

[3] Après Deux-Fleurs, aurait ajouté Rincevent s’il s’était trouvé là.

[4] Ce qui n’était pas arrivé depuis soixante-cinq ans, jour de sinistre mémoire où le Tambour Crevé – nom d’époque – avait dû fermer ses portes pour cause de – aargh ! – pénurie d’alcool dûe au naufrage du cargo de livraison dans l’Ankh. Évidemment, le bateau n’avait pas sombré, et on pouvait encore voir sa vieille carcasse moisie flotter, ou plutôt s’engluer, dans les flots engourdis du fleuve. Le tenancier de l’époque avait dû cependant dépêcher quelques trolls pour récupérer la cargaison avant que les pirates de l’Ankh – les seuls de tout le multivers à mener leurs opérations d’abordage à pied – ne la volent. L’attente, qui n’avait duré qu’une heure, était restée cependant dans les annales comme le plus long état de sobriété des habitués de la taverne.

[5] Néanmoins, l’avantage de ce liquide, si du moins on pouvait qualifier de « liquide » un produit qui s’entreposait à la pelle et pouvait se consommer à la cuillère, c’était qu’il contenait suffisamment de protéines, de graisses et de sucre pour fournir au consommateur un repas quasiment équilibré en plus de la désaltération.

[6] OUI, il est possible d’avoir une conversation avec un anthropoïde qui s’exprime par « ook » et par « eek » ! Le seul petit détail, c’est qu’il faut apprendre à savoir si « oook ! » signifie « j’aurais bien envie de bananes, moi, ce soir ! » ou bien « tiens, je me sens d’humeur philosophe, moi, ce soir ! ». Le bibliothécaire avait bien commencé à rédiger un dictionnaire humain/anthropoïde, mais il était actuellement bloqué à la lettre « O », allez savoir pourquoi.

[7] Le bibliothécaire adorait tout ce qui sortait de l’ordinaire, surtout lorsque cela relevait du spectacle, domaine qui, sur le Disque-Monde, dénotait toujours une forte teneur en magie. On l’avait vu aux premières loges lors du boum aussi retentissant qu’éphémère du cinéma, fan inconditionnel de la musique de Roc qui avait connu un succès tout aussi bref, et amateur du théâtre, nettement moins magique mais tout aussi divertissant, qui avait cours à Ankh-Morpork.

[8] Équivalent morporkien de la Saint Valentin. La légende raconte que le petit dieu Tain,          amoureux d’une souillon du nom de Sand Rillettes, avec qui il échangeait de longues lettres parfumées au purin (qu’elle prit comme une touchante preuve d’amour), vêtit l’apparence d’un porcher à l’allure horriblement sale afin de consommer l’amour de sa belle. Cette manœuvre se révéla toutefois inutile car, au même moment, un prince charmant, en vacance dans les parages, accepta très mal le fait que la souillon, amoureuse de son petit dieu, se refuse à ses avances et chargea trois sorcières de ses amies de lui régler son compte. Il fut question de changer l’indigne en grenouille mais, la tâche ayant échu à l’une des trois sorcières qui possédait une vision très particulière de son art (nous aurons d’ailleurs l’occasion de la rencontrer lors de prochains épisodes), la fille se contenta de se vautrer dans une mare en proférant des « croâ » incessants, ce qui eut pour effet, entre autre, de la nettoyer de fond en comble. Le petit dieu Tain, constatant cela, se retrouva gros Jean comme devant dans son infect costume de porcher, et se décida finalement à rejoindre son aimée dans la mare où ils vécurent heureux et eurent beaucoup de têtards. La légende fait également mention d’une pantoufle en peau de ver, d’une belle au sommeil particulièrement pesant, et d’une cascade de gaffes de la part des trois sorcières, en particulier de la plus jeune. Mais bon, comme on dit à Ankh-Morpork : « les légendes, hein, vous savez c’que c’est… »

[9] Ce qui valut l’honneur d’un nouvel aphorisme de la part d’Hibiscus : « Quand les tables volent bas, c’est que le cœur n’y est pas ! ».

[10] Il faut dire que les coqs d’Ankh-Morpork ont très vite compris qu’il valait mieux ne rien dire le matin et ce dès qu’ils ont vu que leurs congénères qui commettaient l’erreur de faire leur devoir se retrouvaient rapidement embroché et au chaud, juste au-dessus de belles flammes.

[11] Alias Bougre de Sagouin Jeanson. Vous connaissez Ed Wood, le réalisateur le plus mauvais de l’histoire du cinéma ? Eh bien, Bougre de Sagouin Jeanson est à l’architecture morporkienne ce que Ed Wood est au cinéma d’Hollywood. Sauf qu’un producteur sain d’esprit n’aurait jamais confié à Ed Wood la réalisation d’un film à gros budget… les morporkiens, si.

[12] Ça, Rincevent aurait très bien  pu le savoir : il lui aurait suffi de faire quelques pas dans la pelouse de la cours, puis de repérer, dans l’assonance qui s’en dégageait, un « croâ » légèrement accentué du Jolhimôme (quelque chose comme « U¯ »), l’architecte ayant eu la mauvaise idée de présenter sa facture aux mages.

[13] Ce qui était totalement faux, évidemment, puisqu’il n’était que dix heures et demi du matin, mais, selon les mages, tous les prétextes étaient bons pour se remplir l’estomac à longueur de journée.

[14] Cette recette, maintenant très prisée à l’Université Invisible, avait été introduite, lors d’une autre faille dans le multivers, par un drôle d’individu un peu gaffeur du nom de Gaston qui resta dans les annales comme « la pire calamité arrivée à l’Université – après Rincevent, bien sûr ». Il avait également introduit les huîtres au chocolat, les « œufs brouillés à la sauce anglaise cuit dans la bière fraises écrasées de mon enfance » et les saucisses et sa garniture d’abricots aux jus. Malgré ses gaffes, les mages le considéraient aujourd’hui comme le meilleur cuisinier qu’ils n’aient jamais eu.

[15] Pêché mignon de Ridculle, la variante qu’il a apporté à l’Université Invisible est faite d’un mélange de frottis à maturité, de concombres au vinaigre, de câpres, de moutarde, de mangue, de figues, de youpla râpée, d’extrait d’anchois, d’assa-foetida, de soufre et de salpêtre. C’est l’une des variantes les plus explosives.

[16] Traduction : mille et une façons d’accommoder les grenouilles. Si, si, on vous jure ! Demandez aux mages…

[17] Pour l’instant, rien qui ne se distinguait beaucoup de l’activité principale des mages… à croire que sur le Disque-Monde, les fonctions importantes n’était jamais prises très au sérieux.

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Joke
Posté le 27/02/2020
"Le Temps tenait toujours ses promesses."
Génial

"un visonnaire, sans doute" XD XD

Bon j'ai ri plein de fois, et y a encore plein de belles trouvailles, bref j'ai aimé ce chapitre, en revanche je l'ai trouvé trop long, on aurait dit qu'il y avait plusieurs chap collés les uns aux autres..

Je me demande si tu ne gagnerais pas à le couper, pour qu'on profite plus de tout!

Cela dit, prends ma remarque avec distance, parce que je viens juste de me remettre à lire un peu sur écran, et du coup c'est peut-être juste parce que j'ai toujours du mal avec ça.

J'ai beaucoup aimé le moment où Jimmy est en grenouille, et quand Rincevent se précipite en sanglotant parce qu'il a peur qu'il soit "abimé".

Je reviendrai pour la suite!
Keina
Posté le 27/02/2020
Coucou Joke !

Ouiii, avec l'ancien site on se rendait moins compte de la longueur des chapitres, là j'ai conscience qu'ils doivent paraître interminables... é_è Mais on les a conçu comme ça, et c'est dur de se résoudre à les couper ! L'avantage c'est qu'il n'y en a pas beaucoup beaucoup, je crois qu'il ne m'en reste plus que deux à poster.

En tout cas je te remercie pour tes compliments. J'avoue qu'on a pris beaucoup de plaisir sur ce chapitre, rien que dans les dialogues à base de "ook - croa - aaargl" ! :D
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