Ne m'oublie pas

Par Audrey

Mon esprit, tu te meus avec agilité,

Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde,

Tu sillonnes gaiment l’intensité profonde,

Avec une indicible et mâle volupté.

 

–  J’ai travaillé avec votre père pendant trente ans. C’était un bon patron. J’espère que vous vous en souviendrez quand vous reprendrez les rênes.

 

–  Est-ce qu’on pourra se voir un de ces quatre ?

La vieille femme que j’appelle toujours maman joue avec ses doigts. Elle les malaxe et plante ses ongles rose pastel sous la chair molle de ses pouces.

Les coins de ma bouche se tordent en une grimace.

Elle n’a pas changé.

 

–  À présent que tout le monde est venu lui rendre hommage, nous allons vous inviter à rejoindre le banquet.

L’homme en noir est très professionnel.

Il me fait signe. Il faut que je mène la foule à l’extérieur du cimetière pour qu’il puisse glisser le cercueil au fond du trou. Là où il sera grignoté par les vers comme tous les autres avant lui.

 

–  Mademoiselle Ingrid Jouvel ?

La voix n’est pas familière. Mon cerveau tourne à cent à l’heure pour deviner de quoi on va me parler.

C’est une autre de ces choses très importantes que mon père m’a apprises. Si tu ne montres pas tes émotions aux autres, apprends tout de même à décrypter les leurs.

Je fais chou blanc.

–  Oui.

–  Nous avons une bien triste nouvelle à vous annoncer. Votre père a eu un accident et il est décédé. Nous n’avons rien pu faire. J’en suis désolée.

–  Très bien.

–  Où est-ce qu’on peut vous faire parvenir le corps ? Vous avez choisi l’entreprise de pompes funèbres ?

 

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides

Va te purifier dans l’air supérieur,

Et bois, comme une pure et divine liqueur,

Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

 

–  Il est de Rimbaud ce poème ?

–  Non, Baudelaire.

–  Chouette idée. Il faudra que je note ça quelque part pour mon enterrement. C’est très chic.

 

–  Ma chérie, il faut que je m’en aille et tu ne m’as pas répondu. On pourra se voir ? Dis-moi oui, s’il te plaît. Ça fait trop longtemps que je n’ai pas discuté avec ma fille. Tu te souviens comme on riait ensemble ?

Non, pas vraiment.

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Baladine
Posté le 04/05/2022
Toujours aussi triste et doux. Le poème en fragments dans les fragments de vie c'est beau aussi. Est-ce qu'Ingrid va s'ouvrir ? Je vais lire la suite !
Audrey
Posté le 04/05/2022
Bonne lecture ^^
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