« I don’t want a lot for Chrismas… »
Dans la veille Audi qui nous conduisait chez tante Alice, les chansons de Noël se succédaient entrecoupées de publicités et de flash info. Maman chantonnait joyeuse malgré mon père, qui comme à son habitude, pestait contre les conducteurs incompétents des vacances. Une espèce à priori à part qui ne sortait sa voiture qu’a Noël et lors des vacances d’été, provoquant moult accidents que seul mon père pouvait éviter.
Je restais là, la joue collée à la vitre fraîche, les yeux fermés et un casque antibruit vissé aux oreilles. C’était le premier noël sans mamie, le premier noël chez tante Alice. Habituellement la famille de maman se retrouvait dans la maison familiale au bord de la mer. Maman devait y penser aussi car au fur et mesure que les villes bretonnes se rapprochaient, sa voix s’éteignait, sa joie s’évanouissait et elle finit par couper la radio. A la grande satisfaction de mon père que cette ambiance de joie contrainte n'a jamais amusé.
Je me redressais et passais les bras autour de son cou au travers du siège. Sa peau était humide de larmes silencieuses…Elle est forte maman…mais pas si forte. Papa ne remarqua pas ses larmes ou décida de la laisser gérer seule son chagrin. Je la serais. Elle recouvrit mes bras des siens en murmurant « merci ma chérie…repose toi, il nous reste encore deux heures de route ».
Nous arrivâmes vers 19h chez tante Alice qui nous accueillis avec Nolhan, Tabata et François, son ami. Les deux sœurs se serrèrent très fort dans les bras l’une de l’autre. Papa salua les enfants avant d’attraper la poignée de main vigoureuse de tonton François. Nolhan m’a sauté dans les bras, ce qui eu pour effet de scotcher un sourire sur mon visage. J’adorais cet enfant, il était toujours plein de fantaisie. « Oh ! C’est quoi? Tu as oublié du produit sur ta peau ! » me demanda-t-il en grattant ma peau de dragon. Tante Alice le gronda. « Non, mon chat, ne gratte pas s’il te plaît » « tu sais que je me suis battue contre un dragon l’année dernière…et il m’a brûlé fort » « ohhhh! Le dragon qui a mangé mamie ». Je lui fis oui de la tête. Ses yeux comme les miens se remplirent de larmes et son joli visage se déforma. Tante Alice le repris dans ses bras pour le consoler, nous invitant à entrer dans la salle. Maman passa son bras autour de mes épaules et nous entrâmes dans la grande salle.
Son regard capta le mien immédiatement…Elle était là, ses yeux bleu océan perçants à travers les paupières blanches et ridées. L’urne ainsi que son portrait reposaient sur une console où tante Alice avait disposés des encens, des bougies et des fleurs. Je m’immobilisais incapable de faire le moindre mouvement, de me défaire de son regard magnifique et accusateur. « Tu m’as laissée » semblait-elle me dire. Maman suivit mon regard et s’avança vers le portait. « Désolée maman ». Elle le retourna en jetant un regard appuyé à sa sœur qui valida son geste.
Nolhan était excité comme une puce, il m’attrapa par la main pour me conduire à sa chambre afin de montrer sa collection de dinosaures. Tabata, plus petite, suivait dans sa robe en velours étoilée, le pouce dans la bouche et le doudou contre sa poitrine.
« Il ressemblait à un dinosaure? » « le dragon qui a mangé mamie? ». Je regardais Nolhan surprise, il est si petit...« non » répondis-je après quelques secondes en faisant de gros yeux, « il ressemble…à….MOI !!!» puis je me mis à les poursuivre pour les chatouiller ! Ils s’enfuirent en criant et riant tour à tour.
« Stella? les enfants? Vous descendez ? ». Nous rejoignîmes les adultes dans la grande salle. Le portrait de mamie avait été redressé mais tante Alice s’empressa de le retourner de nouveau. « Non…laisse-la…avec nous » m’exclamais-je d’une petite voix. « Tu es sure? ». Je lui fis oui de la tête.
Papa servait le champagne…Maman lui pris la bouteille et remplis une 5ieme coupe qu’elle me tendit « Elle va avoir 18 ans cette année… ». « …et les médicaments ?! » lui rétorqua-t-il sèchement. Elle hésita, vida un peu de la coupe dans son propre verre. « Tiens Stella! Trinquons ! A cette année horrible qui va enfin bientôt se terminer ! À la famille ! A l’amour ! » « À l’amour! » ! Nous trinquâmes ensemble. C’était la première fois que je passais du pétillant de jus de raisin à une boisson d’adulte. Le goût était objectivement moins bon, mais la sensation de chaleur dans la gorge était agréable, tout comme la légère euphorie qui ne tarda pas à apparaître.
La soirée se déroula dans la bonne humeur. Maman et tante Alice furent rapidement « pompettes ». Après le délicieux repas proposé par François, nous alternâmes jeux et karaoké dans une ambiance joyeuse.
Les enfants luttaient pour rester éveillés. « Stella, peux-tu m’aider à les mettre au lit? » me demanda François, ce que je fis volontiers. Les volets de la fenêtre de la chambre de Tabata était restés ouverts. En voulant les fermer, j’entendis le roulis des vagues pas si lointaines sur la grève. Une envie de calme et de solitude m’envahit.
Lorsque je redescendis dans la salle, le bruit de la vie m’était insupportable. Je pris alors discrètement mon manteau et le portrait de mamie, puis passant par le garage, j’attrapais une lampe torche et sortis. Des bruits de fête remontaient des différentes maisonnées…et tout bas, en bruit de fond, les vagues…
Je m’avançais prudemment à travers le sentier qui menait jusqu’à la plage. Le ciel clair était constellé d’étoiles. Mes yeux s’habituaient petit à petit à l’obscurité. Un énorme rocher de granite de la forme d’un éléphant se dressait au milieu de la plage. Un peu plus loin je devinais un bunker. Je déposais Mamie sur le sable, ôtait mes chaussures et chaussettes et j’entrepris de mettre mes pieds dans l’eau.
Le sable était glacé tout comme l’eau dont le contact me coupa littéralement le souffle. Le bruit des vagues était presque assourdissant. Je retournais m’asseoir près de mamie, frottant mes pieds de mes mains pour les sécher et les réchauffer un peu.
« Bonjour Mamie… » « Bonjour ma chérie » « …je suis désolée » « tu n’y es pour rien » « …je ne sais pas…peut-être que si… » « non Stella, tu n’y es pour rien » « … » « j’essaye de ne pas y penser mais je ne t’oublie pas, tu le sais, hein? » « je sais ma chérie » « tu me manques…tellement »
J’éclatais en sanglot, la tête sur les genoux. Un vrai sanglot de petite fille, de ceux qui engagent chaque parcelle du corps et de l’esprit….Le vent, les vagues étouffaient les preuves de ma détresse. Dans ce froid glacial, dans ce bruit assourdissant, dans cette étrange solitude, je me sentais libre, libre de pleurer, libre d’être minable, libre de hurler mon abîme…
Les interactions avec les enfants sont aussi bien amenées, avec leur innocence : ils sont tristes même s'ils ne connaissent pas les détailles, et ils manquent de tact (le petit cousin demande à quoi ressemblait la chose qui a tué la grand-mère) : c'est logique.