Noem

Concentre-toi ! me disait ma mère. Concentre-toi ! Je ne fais que çà, merde…

- Noem ! concentre-toi !

Je suis en sueur. Mille mots traversent mon esprit. Je n’y arrive pas… Mes courts cheveux me grattent et détournent mon attention des exercices de concentration. Je contrôle bien mon nimbe, mais impossible d’y mêler efficacement mon énergie… Je manque de puissance, clairement.

- Bon ! On arrête là ! Pas la peine de continuer. Tu n’y es pas….

Non je n’y suis pas… La vache c’est dur. Mon regard se perd sur la myriade d’armes qui ornent la salle d’entraînement. J’aperçois une immense masse bien plus grosse que la mienne. Dans mon état, je pourrais à peine la soulever…

- Merci lieutenant !

- Ne me remercie pas soldat… Va te reposer.

Je vois le dégoût et la déception sur son visage, je ne sais pas quel sentiment m’attriste le plus. Je lâche ma masse que je peine à manier, elle pèse une tonne… Je sais que je ne suis pas sensée galérer comme ça… Je quitte le tapis de combat, range mes affaires, prends mon sac et me dirige vers les vestiaires.

- Noem ! demain 7h ! Et à l’heure !

Le salaud, je ne suis jamais arrivée à la bourre depuis le début de mes classes, ça fait deux ans maintenant. Pas tout à fait… Deux ans bientôt, que je m’accroche, que je donne toute et que je suis faible. Bordel… Je me dégoûte.

Je défonce la porte des vestiaires. Je ne calcule personne. Folle de rage, j’ouvre mon casier et commence à me déshabiller. Je ne comprends pas pourquoi je bloque. Dans tous les autres exercices, arts martiaux et maniement des armes lourdes, je ne me débrouille vraiment pas mal pourtant. Du bruit…Quelqu’un est là. Fait chier… On ne peut jamais être tranquille. Dans mon dos, une voix s’élève.

- Mais ce serait-y pas la nullarde qui fait un boucan de tous les diables ?

Oh non pas lui… Belv … Le taureau, comme certains le surnomment. Moi je préfère Le bovin, ça lui correspond mieux. Il est fort, certes, mais con comme un balai. Malheureusement, nous ne sommes pas sélectionnés pour notre QI.

- Lâche moi Belv. Ce n’est pas le moment… Je n’ai pas envie de parler.

J’aurai voulu que mon ton soit plus incisif, mais ma fatigue corporelle me diminue nettement, ainsi que ma voix.

- Oh mais on est pas obligé de causer ma jolie ! T’es même pas obligée de regarder ! ahahah !

Ce n’est pas la première fois qu’il me fait chier avec ses sous-entendus. Oh bien évidemment je sais parfaitement que c’est monnaie courante dans l’armée, les forts baisent les faibles, au propre comme au figuré. Il faut juste savoir se défendre. Cependant, présentement, je suis toute nue et cela ne va pas vraiment m’aider à refréner les ardeurs du gros beauf. Par chance, le canif que j’ai prévu à cet effet est bien dans mon sac. Mon corps musclé et taillé par l’entraînement fait de moi une bonne machine de combat, mais je ne fais clairement pas le poids face à Belv. Il a plus de force, plus de technique et une meilleure allonge, tout simplement. Je sors mon couteau, tourne ma tête, remarque que ses yeux sont braqués sur mes fesses, je lui fais face, ouvre mon arme tout doucement et je lui lâche.

- Hé le bovin ! sors donc le museau de mon cul et casse-toi ! A moins que tu préfères que je te fasse bouffer tes propres couilles une fois que je les aurai coupées ?

Il faut leur parler sale à ces demeurés… Ils ne s’y attendent pas. J’ai l’impression que çà les refroidit même. Menacer les couilles, effet garanti. Ils ont trop peur de perdre leur masculinité. Il me regarde dans les yeux, j’y vois de la défiance. J’aime cela. Il sait qu’il peut me briser en deux presque instantanément, couteau ou pas, je le sais aussi. Seulement, je sais également qu’il ne voudra jamais prendre la moindre chance de perdre ses parties. Même si le pourcentage est faible, le risque est trop grand. Comme quoi, même les cons de mon unité peuvent faire montre d’un peu de jugeote quand il le faut. C’est avec dégoût que je vois ses yeux se balader tout le long de mon corps pour finir plantés dans les miens.

- Tu sais quoi ma belle ? T’as de la chance… On m’attend. Mais t’en fais pas… Un jour, je défoncerai tes bonnes manières en même temps que ton joli petit cul d’aristo ! Ça, je peux te le garantir ! Allez, salut planche à pain !

Une dernière bravade pour ne pas perdre la face. Je m’en fiche. Je la lui laisse, sa face. Je ferme mon clapet et le regarde partir sourire aux lèvres, léchées par sa grosse langue dans un ultime geste obscène. Je m’en tire bien. Je me mets à trembler. La pression retombe, mon corps se relâche un peu, un dernier frisson me traverse l’échine lorsque je finis de m’habiller. Je sors des vestiaires, encore plus épuisée que lors de mon entrée.

Je n’avais pas vraiment besoin de ça. La vie en caserne, c’est difficile, très difficile lorsqu’on est une femme. Personne ne vous fait de cadeaux, mais si en prime vous êtes bon dernier de votre groupe, là, c’est l’enfer. Sans parler du fait que je suis la plus petite et menue de l’unité, ce qui n’arrange rien. Des mois que je galère… Ce n’est pas faute d’avoir essayé pourtant ! J’ai tout tenté ! Les stages de concentration, les cours du soir avec Archi. Il a accepté de m’aider… A titre gracieux en plus ! Il a vite arrêté lorsqu’il a constaté mon niveau. Il m’a seulement dit de rester en retrait, de faire profil bas, ou d’abandonner. Je ne suis clairement pas à ma place parmi eux, ils n’ont rien dans le crâne pour la plupart, ce sont juste des brutes. Ces demeurés assoiffés de sang se moquent comme d’une guigne de mes capacités. Mais je ne veux pas partir… Je ne peux pas ! Oui mon père est aisé, et alors ? J’ai vu son regard lorsque j’ai passé les examens, pour la première fois de ma vie, j’y ai vu de la fierté ! Peut être le premier rictus sur son visage depuis le décès de mère. C’est depuis mon incorporation, qu’il m’écrit…qu’on échange enfin ! Je ne peux pas perdre ça. J’ai tellement donné pour en arriver là ! JAMAIS !

Tous les regards se tournent vers moi. Je me sens idiote de gueuler toute seule en plein milieu des allées Belles. Je continue mon chemin et retourne dans mon baraquement. Je rentre dans ma petite chambre et m’affale sur le lit. Je m’endors.

BAM ! BAM ! BAM !

Je me réveille en sursaut. Que se passe-t-il ? Je suis dans les vapes.

- Noem ! Le commandant veut te voir ! Tout de suite !

Je reconnais la voix du caporal. Je l’entends partir, ses bruits de pas résonnent et s’éloignent dans le couloir, il ne s’est pas éternisé... Attends… Le commandant ? Il veut me voir moi ? Mais pourquoi ? Pas bon signe. J’enfile mon uniforme en toute hâte, un chemisier en laine noir, les chausses en cuir bouilli dans les teintes marrons foncé puis mes bottes à bretelles noires. Je laisse mon armure de plate rouge sur le modèle et me dépêche de sortir.

Je ne dois pas faire attendre le commandant. C’est la première fois que je suis convoquée depuis mon entrée à l’armée. Je ne sais pas à quoi m’attendre. J’ai peur. Je déboule dans le couloir, ralentis dès que j’approche de la porte, je stoppe, souffle un bon coup, et frappe.

- Entrez

J’ouvre et me mets en position de garde.

- Vous souhaitiez me voir mon commandant ?

- Asseyez-vous soldat.

Je me relâche et je pose mes fesses devant son bureau. Tel qu’on me l’a appris dans l’armée, je le regarde dans les yeux, j’attends qu’il prenne la parole.

- Deux éléments, que je souhaite aborder avec vous soldat Grishner. Premièrement, j’ai sous les yeux le compte rendu de vos supérieurs sur l’état de vos aptitudes et de vos entraînements. Les résultats sont très en deçà de nos attentes. Je ne vais pas y aller par quatre chemins, vous n’êtes pas à la hauteur.

Je déglutis Je m’y attendais un peu. Je sens que les gouttes de sueur commencent à perler le long de mes tempes. Je dois essayer de me défendre.

- Commandant je…

- Second point, soldat Grishner, nous sommes rentrés en guerre il y a quelques heures. Dennes nous attaque. Je suis actuellement en train de préparer le déploiement des troupes. Compte tenu de vos résultats, je devrais vous renvoyer chez vous, sur le champ. Mais deux choses m’en empêchent. Tout d’abord, vous faites partie du régiment InVo, en tant que mage de guerre, vous êtes un atout sur le champs de bataille et même si nous pouvons supporter votre perte, je ne peux me permettre de me passer d'un soldat à l'aube d'affrontements, aussi médiocre soit-il. Puis, il y a votre père.

J’écarquille les yeux, j’accuse déjà le coup de tout ce qu’il vient de me balancer.

- Commandant je me dois de pro…

- On m’a fait promettre de vous emmener sur le terrain. Votre père est un grand homme. Il était un formidable soldat et est un excellent ami. Je vais tenir mes engagements envers le colonel Grishner. Si vous êtes ne serait-ce que le quart de l’homme de terrain qu’il fut, vous nous serez peut-être utile. A mon humble avis, vous ne valez même pas la place de privilégiée que vous prenez au sein de notre effectif. Je pense même que vous allez mourir. Il n’y a pas de place pour les faibles à l’armée. Mais au-delà de mon opinion sur votre petite personne, je tiens mes promesses.

Je baisse les yeux. Je ne dois pas pleurer.

- Faites votre sac Grishner. Nous partons à l’aube.

 

Cela fait deux longs jours de voyages que je broie du noir. La remontrance était terrible… Sauvée par une guerre. Un statut de privilégié… Je suppose qu’il avait parlé du statut de mage d’Etat. Grâce à ce statut, nous avons des baraquements privés pour chaque spécialisation, ainsi que des chambres individuelles. C’est vrai que les non Mago ne sont pas logés à la même enseigne.

Nous sommes arrivés à Slej, petite bourgade non loin de notre frontière avec le pays de Dennes, notre nouvel ennemi. C’est loin d’être la première fois que nos deux nations se tapent dessus, et j’avoue que je ne sais pas exactement pourquoi ils nous ont déclaré la guerre. Peut-être à cause de la mort de leur prince Geneo. On raconte qu’il a été liquidé dans d’étranges circonstances… Mais j’avoue ne toujours pas comprendre ce que Brême à avoir là-dedans. Peu importe… Concentre toi ma fille. Tu ne sais pas lorsque l’assaut sera donné. D’ici là, concentre-toi.

Nous prenons nos quartiers dans une petite auberge de la ville. Les habitants de Slej ont été évacués pour nous faire place nette. Le Topo du commandant nous apprend que les mouvements de troupes s’intensifient non loin de notre position. Il nous dit de nous tenir prêt. C’est pour bientôt. Le caporal nous a assigné nos dortoirs, je me retrouve dans une chambre de six. Je ne suis pas avec le Bovin… C’est déjà ça. Je décide de m’éclipser, après le repas du soir, de notre nouveau mess. Ce n’est pas tant que les autres sont trop bruyants… D’habitude, les gorets de mon unité hurlent et vocifèrent entre chaque bouchée mais ce soir, c’était plutôt calme. J’imagine que c’est à cause du combat qui approche. Tout le monde semble plus concentré… Tout le monde sait ce qu’il a à faire.

Le lieutenant m’a suivi, silencieux comme un chat ce mec.

- Montre voir, Noem.

Je venais de prendre ma masse dans le local d’équipement. Je voulais faire quelques exercices physiques pour me détendre un peu les neurones. Je lui balance mon arme. Il la réceptionne comme si elle ne pesait pas plus lourd qu’un poignard. Il regarde les picots. Il l’inspecte.

- Bon équilibre, picots en état… Ton arme semble bien se porter. En est-il de même pour son mage de guerre ?

- Je me sens prête, mon lieutenant !

- Je ne doute pas que tu saches ce que tu as à faire. J’ai cependant un petit conseil. Je sais que nous avons pour consigne d’attendre la seconde vague. Je te conseille d’attendre la troisième. Ton impact sera assez similaire et tu y verras plus clair dans la mêlée. Demain tu seras seule Noem. Ne laisse pas tomber les hommes qui sont à tes côtés.

D’un ton qui ne laissait aucune place à des mots, il me lance un faible sourire en même temps que ma masse et s’évapore dans la nuit. Il me prend pour une lâche ? C’est quoi ces conseils de merde… Personne ne me fait confiance dans cette unité. Putain je ne mérite pas ça… Je reprends quelque peu mes esprits. J’imagine que l’assaut est pour demain. Il ne serait pas venu me trouver ce soir sinon. Je n’ai même plus envie de m’entraîner. Je décide d’aller me coucher. Ne pleure pas…Ne pleure pas.

 

J’ouvre les yeux, je vois une vision troublée d’Archi qui se clarifie peu à peu.

- Noem, c’est l’heure.

Il retire la main qu’il a posé sur mon épaule et retourne vaquer près de ses affaires. C’est le branle-bas de combat dans la chambrée. Tout le monde est en train de s’habiller. Certains ont déjà quitté la pièce pour aller manger un morceau avant de s’équiper. Je fais de même. Le mess est encore plus silencieux qu’hier… Personne n’a envie de fanfaronner, moi encore moins que les autres. Pour la presque totalité d’entre nous, c’est notre premier combat. Le commandant et le lieutenant sont des vieux de la vieille et ont déjà connu la guerre. Mais nous, on est encore des bleus. On nous apprend que nous partons dans une heure. Les armées vont se rencontrer sur la plaine de Drahi, lieu qui fut théâtre de plusieurs affrontements par le passé. Cette plaine compte très peu de relief et se situe sur la frontière entre nos deux pays. Comme un symbole, c’est la porte d’entrée qui ne doit pas tomber.

Nous effectuons, les dix-huit hommes et femmes de mon unité accompagnée de nos trois gradés, les quelques kilomètres qui nous séparent de notre future aire de jeu en wagonnet. L’air est très frais, je regarde le souffle de fumée qui s’échappe des naseaux des chevaux qui nous conduisent et je me rappelle des histoires anciennes, très anciennes. Fut un temps, les chevaux de guerre donnaient l’assaut sur le champ de bataille. La cavalerie venait bien souvent piétiner les archers à l’époque. Chose impensable de nos jours étant donné leur si faible nombre. Ils sont exclusivement réservés au transport aujourd’hui et c’est peut-être mieux ainsi.

La porte du wagonnet s’ouvre, cela me fait revenir sur terre. Je pose mes bottes sur un sol bouillassé par des milliers de pas. Mon regard balaye les alentours. Des milliers de silhouettes Brêmoises se tiennent non loin de moi, les rangs commencent peu ou prou à se former. Ma place est à l’avant-garde avec les fantassins. Notre unité InVo, la magie offensive de concentration, va se fondre tout le long de la ligne. Créer des ouvertures par notre force, voilà notre rôle. Simple, pas très efficace selon moi, mais je ne suis pas en charge de la stratégie. Traversant la foule des archers, je passe aux côtés de deux petits tatoués qui réclament des torches et de l’eau ; des ExVo, les mages offensifs de projection. Ils accompagnent les archers dans les premiers échanges de politesse. Je n’ai aucune idée de leur nombre mais ils me rassurent un peu. J’en vois un qui vérifie ses potions. Je porte la main à mes fioles de combat, par réflexe, pour m’assurer de leur présence.

Je continue ma traversée et me trouve maintenant au milieu des fantassins. Ma place est en seconde ligne. Je me retourne et aperçois mon commandant, au loin, parmi les autres membres de l’Etat-major. Ils sont accompagnés par les « capuches », les InGa, les utilisateurs de la magie défensive de concentration, nos soigneurs. Peu sont présents car leur place est avant tout sur le camp de base. Ils doivent actuellement mettre en place l’hospice de fortune qui va accueillir nos futurs blessés. Ces gars peuvent faire des merveilles… Le pouvoir de concentration, qui est également le mien, leur permet de rafistoler rapidement n’importe quelle blessure. Ils sont très utiles, indispensables même.

Mon regard vient se poser sur les individus devant moi. La première ligne. Les épées scintillent dans la clarté du matin contrairement aux armures de plaques et de cuir bouilli qui sont d’un noir de geai. Une armée noire. Une étrange beauté s’en dégage. Quelques mètres devant la première ligne se tiennent probablement les individus les plus essentiels. Les ExGa, les mages défensifs de projection, nos protecteurs. Ils sont notre bouclier contre les flèches et les ExVo adverses. Les seuls individus à cheval. De leur mobilité peut dépendre la vie de centaines d’hommes. Ils sont, comme notre unité, disséminés tout le long de la ligne. Pour couvrir le plus de terrain. Protection optimale. Une femme de leur groupe se tient non loin de moi, Une armure verte, en cuir bouilli, pas trop lourde, pour ne pas gêner les mouvements. Ses fioles dans une ceinture à munition en bandoulière, elle semble prête.

Je ferme les yeux et respire doucement. J’essaie de contrôler mes émotions autant que faire se peut. Mon esprit veut s’échapper. Mes yeux aperçoivent du mouvement sur la ligne d’horizon. Ils arrivent. Leur première ligne se dessine et vient manger le vert de la petite colline sur laquelle ils font leur apparition. Les hommes de Dennes forment une masse blanche, cette forme brillante grandit à mesure qu’elle avance. La plaine verdoyante vient séparer l’armée blanche de l’armée noire. Joli tableau.

Mon attention se recentre autour de moi. J’aperçois des regards volés dans ma direction. La nervosité commence à saisir les hommes et les femmes qui m’entourent. Ils essayent de s’accrocher à ce qui peuvent les rassurer, c’est-à-dire moi. Les pauvres, si ils savaient. Je ne peux pas leur en vouloir, il faut dire que j’en jette dans mon armure de plate pourpre. Cela me démarque à leurs yeux. J’entends des ordres en train d’être gueulés. Allez, ça commence !

Nous lançons les hostilités. Nos tatoués font parler la poudre. Une traînée de gigantesques boules de feu vient déchirer le ciel. C’est magnifique. Mortellement beau. J’en compte une douzaine, peut-être plus. Au loin, je vois ce que je crois être leur ExGa qui se positionnent au plus vite pour contrer le plus efficacement possible notre magie. Les boules de feu viennent toutes s’écraser contre d’énormes murs d’eau. Efficace, ils l’ont été. Comme pour répondre à notre invitation, je vois une multitude de filets d’eau qui vient zébrer l’horizon s’échappant de l’armée blanche. Des cris et des ordres sont lancés dans nos rangs et je vois les chevaux galoper pour positionner leur cavalier. Le mur qui se forme au-dessus de ma tête est puisé par l’eau et la boue qui viennent comme de s’arracher du sol et se consolider en une défense que j’espère impénétrable. Le bruit des flèches de glace qui vient heurter le mur de terre est terrible. Comme des centaines de pas sourds qui viennent résonner dans la vallée.

Des cris inhumains déchirent mes oreilles sur ma gauche. Je ne vois pas, mais j’imagine qu’il y a eu un loupé de l’un de nos ExGa. Des dizaines d’hommes ont dû se faire transpercer. Horrible…Un ordre s’élève à l’arrière garde et une clameur éclate dans l’intégralité de nos rangs comme pour leur dire qu’on a rien senti, que nous ne nous laisserons pas atteindre par ces quelques pertes.

Une attaque simultanée de nos magiciens et nos archers vient une nouvelle fois illuminer le ciel. L’ordre de marche est lancé dans le même temps et tout gueulard que nous sommes, des milliers d’hommes se mettent en branle et commencent à faire trembler la terre.

- Serrez les lignes ! En avant !

Notre protectrice nous intime de la suivre et notre marche s’accélère. J’aperçois au loin les boucliers des ExGa adverses qui viennent contrecarrer les efforts de nos différents projectiles. Impossible de dire s’il y a eu des dégâts ou non. Nous avançons toujours plus vite, en ordre, bien groupés. Nous nous rapprochons inexorablement de notre objectif. Une pluie de flèches adverses s’écrase contre le titanesque dôme de vent et de feu que nous a créé notre sauveuse. Telle une figure de proue, elle fait avancer notre navire humain, elle nous galvanise. Moins d’une centaine de mètres nous séparent maintenant de leur premier rang. Les lignes adverses courent également vers nous. Je gueule tout ce que j’ai pour motiver les soudards auprès de moi, un mélange de peur et d’excitation vient m’envahir et je vois notre cavalière tourner bride laissant tomber ses fioles vides tout en gueulant de continuer à charger. Elle a fait son boulot. Trop précieuse pour risquer de la perdre. C’est logique. Mes yeux détaillent maintenant beaucoup plus les fantassins qui nous font face. Ils gueulent tout autant que nous. Dix mètres. Deux mètres. Impact. Un bruit sourd de ferraille vient résonner dans les profondeurs de la plaine. La puissance du choc fait voler les hommes et les épées. Les rangs stoppent. Comme une chorégraphie bien millimétrée, notre seconde ligne s’invite dans la danse profitant de l’arrêt momentané et projettent leurs lances haut vers les cieux en direction de l’adversaire. Je leur souhaite de faire un carnage. Les officiers n’arrêtent pas de crier d’avancer. Les clameurs sont dantesques et viennent presque couvrir les cris de douleurs des soldats blessés ou mourants.

Notre première ligne progresse, en tout cas j’en ai l’impression. Ce n’est peut-être pas le cas partout mais devant moi, ça avance ! Une trouée se forme. Je vois les hommes s’y engouffrer. Je débouche une de mes trois fioles et j’ingère son contenu. Mon armure devient plus légère ainsi que ma masse que je peux maintenant aisément manier. Je m’efforce d’effacer ma peur tout en continuant de vociférer pour galvaniser les troupes. Le bruit est toujours assourdissant. Je vois enfin devant moi les premières épées qui s’entrechoquent. Mon tour arrive.

Je m’élance vers l’avant en effectuant des moulinets avec mon arme, je vois désormais les picots de ma masse briller avec le mouvement. Mon premier coup est brut de rage et de violence. J’écrase le crâne d’un homme. Je déchire ce qui reste de son crâne avec les picots. Je gueule toutes mes tripes. Mes hommes accompagnent mes cris par des rugissements. Je perce la ligne ennemie. Je ne distingue plus aucun détail. Je me focalise sur les armures qui scintillent. C’est tout ce qui m’importe. Fracasser tout ce qui brille devant moi. Ma masse virevolte avec grâce. Elle se loge et se déloge des armures avec célérité. Des cris de douleurs accompagnent chacun de mes mouvements. Des corps s’effondrent. Je continue. Je ne m’arrête pas. Une épée vient résonner contre mon armure. Un mec a osé griffer ma beauté pourpre. Je lui assène un coup qui le fait littéralement décoller. Il s’envole et mon regard l’accompagne. J’avance. Je ne laisse dans mon sillon que mort et désolation. Plus personne ne vient à portée de ma masse.

Mes yeux m’offrent une vision circulaire floue. Une clairière dans la forêt. Un trou béant dans la bataille. Personne n’ose avancer vers moi. J’entends des cris derrière. Mes hommes. Ils tombent. Pourquoi ne me suivent-ils pas ? Je me retourne. Une armure blanche les massacre. Un InVo ! Aucun doute. Je vois sa hache danser et trancher mes armures noires. Je bois une nouvelle fiole. Je cours vers lui. Non je vole. Aussi vive qu’un faucon fondant sur sa proie, je me jette à sa rencontre pour sauver mes hommes. Il se retourne. Il m’aperçoit. Il avale la boisson des Maîtres, jette sa fiole et se prépare au choc.

- A moi ! Mes hommes !

Je gueule comme jamais. J’arrive à sa portée et lui assène un méchant coup à la taille. Hache en opposition. Il me repousse. Son arme tranche l’air. Je mets ma masse sur la trajectoire. Le bruit de l’impact m’est inconnu. Deux forces monstrueuses s’affrontent. J’en suis une. Je ploie sous sa force. Nos armes se séparent. Je me redresse tant bien que mal. Je ne vois qu’une traînée d’acier. Trop rapide. Sa hache vient se loger dans mon armure de plate au niveau de ma hanche. Je hurle de douleur. Je donne un coup vicieux par réflexe et le fait battre en retraite. Ma vision s’obscurcit. Je tombe à genou. J’avale ma dernière fiole. Dans une dernière folie je projette ma masse avec toutes les forces décuplées qu’il me reste. L’arme vient enfoncer la plate de mon opposant qui ne s’y attendait pas. Il s’écroule. Je pense qu’il est mort. Une armure noire en profite pour se précipiter vers lui. Il lui plante son épée dans la gueule. Je l’ai eu ce fils de pute. Merde… Ma tête tourne. Je m’effondre à mon tour. Je pisse le sang. Mes hommes avancent. Ils me dépassent. Ils continuent de gueuler. Je crois… Je ne sais plus. Mes yeux se ferment. J’ai peur… J’ai peur…

 

 

- Que va-t-on faire d’elle ?

- Le soigneur semble catégorique… plusieurs semaines d’immobilisation.

- Cela ne change pas grand-chose de toute façon… Elle est faible. Elle a de la chance d’être en vie. Qu’elle se focalise sur ses exercices de concentration. On ne sait jamais que le champ de bataille ait débloqué un des verrous de son esprit.

- Bien, commandant.

J’attends que le commandant sorte pour essayer d’émerger. Je peine à ouvrir les yeux. Que s’est-il passé ? Je m’agite un peu et ressens une immense douleur à la hanche gauche. Je m’arque dans un réflexe défensif. Purée, je déguste.

- Calme-toi, Noem.

Le lieutenant essaye de me remettre droite et de me calmer.

- Ce fut un sacré baptême du feu soldat ! Tu es encore en vie, et c’est ce qui compte.

- Avons-nous gagné, mon lieutenant ? Ça fait longtemps que je suis inconsciente ?

Ma voix n’est que murmure. J’arrive à peine à articuler.

- Non et… Ça doit faire près d’un jour maintenant.

J’essaye de me redresser, il m’en empêche.

- Tu es salement blessée Noem, reste allongée. Je vais t’expliquer.

Je m’efforce de me calmer et le laisse parler.

- J’aurai dû me douter que tu ne suivrais pas mon conseil. Tu es trop fière. Peu importe, tu as joué ton rôle. J’ai pris la déposition des soldats qui t’ont rapportée derrière nos lignes. Apparemment, tu as fait une belle trouée en emportant avec toi plus d’une dizaine d’ennemis. Puis tu as fait la rencontre d’un InVo de Dennes. Vous vous êtes neutralisés, sauf que toi, tu es encore en vie. Tes rangs ont continué d’avancer pendant que deux soldats ont entrepris de te transporter vers l’arrière-garde. Ces idiots ont fait l’erreur d’ôter la hache de ta plate, la plaie s’est gravement infectée. Mais ils t’ont sauvé la vie.

Je sens la fièvre me prendre, je m’agite un peu et prend une cruche placée non loin de moi.

- Peu après, leur troisième ligne a perforé les deux extrémités. Le centre s’est retrouvé encerclé, nous avons dû battre en retraite afin de reformer les lignes. Le général a sonné la retraite totale et la bataille s’est terminée sur un statut quo, mais ne nous y trompons pas, c’est une défaite morale. Personne n’a gagné de terrain, mais ce sont nous qui ont reculé les premiers. Je peux te garantir que ces enfoirés de Dennes s’en sortent bien.

- Le commandant n’avait pas l’air particulièrement satisfait de moi.

- Le commandant est amer avec tout le monde. J’ai moi-même pris ma petite remontrance, tout le monde en a pris pour son grade le long de la ligne de commandement. Tu as fait ton boulot, cela au moins, personne ne peut te l’enlever. Trois des nôtres sont morts hier. Toi, tu es toujours là.

- Je suis désormais un poids mort mon lieutenant…

- Tu vas manquer des batailles certes… Mais je compte sur toi pour te remettre sur pied au plus vite. Les Capuches ont fait du bon boulot. Ton programme le voici, repos, repos, repos puis exercices de concentration. Allez je te laisse. Bon rétablissement soldat.

Il sort. Je me retrouve seule. Le lieutenant a été correct avec moi. Ça fait du bien au moral. N’empêche que je suis quand même tombée…Pas morte certes, mais inutile. La pièce qui ressemble fort à ma chambre tourne légèrement. La fièvre. Je ferme les yeux.

 

Cela fait maintenant deux jours que je peux me mouvoir. Une autre bataille a eu lieu. Défaite. Rien à dire, nous avons perdu un peu de terrain. Je me suis remise à mes exercices de concentration. J’ai un mal de chien. Je ne peux même pas m’asseoir…Ma hanche déguste.

- Grishner ?

- Oui ?

Un jeune m’interpelle. Il est habillé comme un apprenti.

- Vous êtes sollicitée dans le labo numéro 2 dans le bâtiment 6. Dès que possible.

- Merci.

Je décide ne pas prendre le temps de me changer. Je suis à peine présentable, mais je m’en fiche. Je peine à traverser les différentes cours qui me mènent à mon but. Pourquoi un laboratoire ? Allez, ne te pose pas trop de questions ma fille, ça ne sert à rien. La porte est ouverte, je jette un œil dans l’embrasure.

- Soldat Grishner ! Entrez !

Les nombreuses fenêtres laissent pénétrer la lumière du jour. Un bric-à-brac s’étend devant moi. Des fioles par centaines sur les murs, des tubes à essai, des herbes, des plumes, d’énormes bac d’eau, de la glaise, des plaques de différents métaux. Le tout à peine rangé et entreposé aléatoirement dans la pièce. J’aperçois mon caporal en uniforme d’entraînement, le jeune apprenti de tout à l’heure, un tatoué que j’identifie immédiatement comme un ExVo et, au centre de tous ce petit monde, un vieil énergumène tout sourire.

- Nous n’attendions plus que vous ! Je vous en prie entrez et trouvez-vous une place ! Je viens d’obtenir l’approbation de votre caporal ici présent pour vous entretenir d’une petite expérience que j’aimerais mener. N’est-ce pas caporal ?

- Tout à fait. Si ma présence n’est plus requise, j’aimerai être excusé. J’ai à faire.

- Naturellement caporal ! Je ne vous retiens pas ! Merci encore.

Mon caporal quitte la pièce sans même me jeter un regard. Je ne sais pas vraiment quoi penser.

- Gill ! La porte je te prie. Bien ! Maintenant que nous sommes réunis, je souhaiterais vous entretenir du programme de vos prochaines journées. J’ai obtenu l’autorisation de vous réquisitionner tous les deux pour un exercice particulier. J’y accorde une importance capitale et j’attends de vous une implication complète.

Il est jovial. Il nous parle comme s’il était en train de chanter. Un singulier personnage comparé à Gill, son apprenti qui semble timide. J’observe l’ExVo qui a l’air nerveux. Il n’a pas l’air blessé, je me demande ce qu’on attend de nous.

- Soldat Grishner, de l’unité InVo. Je vous présente le soldat Prist, De l’unité ExVo. Je suis Maître Glasdel ! Bon, je ne vais pas y aller par quatre chemins, si vous êtes ici, c’est que vos unités n’ont pas hésité à se passer de vos services.

Pendant que mon visage honteux se dirige vers le sol, je vois, du coin de l’œil, celui de l’ExVo faire de même. Putain mais qu’est ce qu’on fout là ?

- Ne vous inquiétez pas, je comprends votre désarroi. Je ne suis pas ici pour vous mettre plus bas que terre. Faites-moi confiance. Je travaille sur un produit depuis des mois maintenant. Je pense qu’il est prêt. Et vous deux, vous allez m’aider à le tester.

Je dévisage mon futur compagnon d’entraînement. Il a l’air aussi surpris que moi. Qu’est-ce qu’il peut bien attendre de nous ? Je suis loin d’être assez rétablie pour servir de cobaye.

- Si vous saviez comme j’ai hâte de commencer ! Ahah ! Vous n’imaginez même pas. Avant que je vous en dise plus, nous allons faire connaissance. Je veux tout connaître de vous. Tout ! Je souhaite une confiance absolue de votre part et en votre partenaire ! Mettez-vous à nu !

L’autre a l’air aussi désemparé que moi. Dans quel traquenard suis-je encore tombée ?...

 

 

- Je ne ressens rien Noem ! Ton nimbe ne se mêle pas au mien. Concentre-toi !

Il est marrant lui, il pense que c’est facile, peut-être. Concentrer son nimbe dans son arme est d’une facilité déconcertante comparé à cet exercice. Koj Prist est un gentil personnage d’habitude, mais pendant l’entraînement, il peut être une vraie peau de vache.

- Vous ne vous faites pas confiance les enfants, voilà votre problème. Ma potion agit sur l’entremêlement des énergies. Si vos nimbes se rejettent, elle n’a aucun effet.

- On arrête.

J’en ai marre, je suis épuisée, vidée, je me sens nulle comme toujours. Koj a l’air agacé, je le comprends, je le suis également. Le vieux quitte la pièce pour que nous puissions débriefer. Il n’y a pas grand-chose à dire, je bloque.

- Ecoute Noem, je ressens une énergie monstrueuse qui émane de toi. Mais elle ne se diffuse pas dans ton nimbe. On dirait que ton esprit semble bloqué par je ne sais quoi. Parle-moi. Cela fait quatre jours que l’on n’avance pas.

- Ce n’est pas aussi facile que tu le crois Koj. Je te prie de le croire. J’ai beau me concentrer, rien ne vient, je ne comprends pas moi non plus.

- Concentre-toi plus fort ! Si nous n’arrivons à rien, on va sûrement se faire virer ! Tu t’en rends compte au moins ?

Il me tape sur le système. Il a peur pour sa petite place. Navrant.

- Tu ne piges rien toi hein ? Tu es un ExVo ! Ils ne vont pas te virer, tu es trop important ! Et moi non plus d’ailleurs, non. Ils vont me renvoyer sur le terrain et je vais sûrement y crever. Tu ne sais pas ce que c’est toi ! Risquer ta vie !

- Mais je…

- Mais tu quoi ? Toi aussi t’es un faible ! Alors tu fermes ta gueule car tu ne m’aides pas vraiment là !

Il fait un mouvement de recul, je vois clairement qu’il accuse le coup. Je n’aurai pas dû… Trop facile de vider sa haine sur les autres lorsqu’on est une incapable. J’ai déversé ma bile comme l’aurai fait mon père sur nos gens. Je me déteste d’avoir fait ça…

- Je…Je suis désolé. Je n’aurai pas dû te parler comme ça. La vérité c’est que je crève de trouille…Je me sens faible et incompétent et rejette ma hargne contre toi. Je suis désolé… Vraiment. J’ai confiance en toi Noem, je n’ai pas peur de le dire. Je sais que tu peux le faire.

Je suis troublée, personne ne m’avait dit cela auparavant…Si, ma mère. Un étrange frisson m’envahit et des larmes viennent perler puis glisser le long de mes joues. Je me détourne, je ne peux pas afficher ma tristesse, l’armée ne supporte pas les faibles. Il me prend par les épaules, me tourne doucement et me tire délicatement vers lui. Il m’enlace tendrement. Je suis choquée. Un tourbillon de sentiments m’envahit, des souvenirs d’enfance, je vois ma mère qui me prend dans ses bras, qui me dit qu’elle est fière de moi. J’étouffe mes sanglots en écrasant ma face contre son torse. J’ai honte…

- Moi aussi j’en ai chié Noem. Il faut qu’on se serre les coudes, qu’on se fasse confiance. On est que tous les deux sur ce coup-ci.

Je ne ressens aucune tromperie émanant de sa personne. Je ne ressens même aucune tension sexuelle, il me rassure comme il peut, il me montre qu’il est là pour moi. Jamais personne ne s’était comporté de la sorte à mon égard. Je m’abandonne contre lui et chiale tout ce que j’ai retenu ces quinze dernières années. Ma relation difficile avec mon père, la perte de ma mère, la solitude…L’extrême solitude. Il renforce son étreinte, comme pour me dire qu’il compatit, mieux, qu’il me comprend. Je me dégage doucement de ses bras, je plante mes yeux rougit dans les siens, il me sourit. Son regard est empreint d’une sorte de compréhension, comme s’il vivait mes émotions. Il a dû vivre un enfer lui aussi…Je respecte son silence. En temps voulu, il s’ouvrira à moi. Je lui fais confiance. Je nous fais confiance. Je souris, sereine comme jamais je ne l’ai été. Le sentiment de félicité qui m’envahit est tout nouveau, il est difficile d’expliquer la plénitude que mon être entier vit à cet instant…Pour la première fois de ma vie, je me sens écoutée et compris. Mes lèvres tremblent de bonheur.

- On reprend ?

 

 

Cela fait douze jours que nous nous exerçons d’arrache-pied, nous avons beaucoup progressé, énormément même. Koj est incroyable. Il dégage une confiance en lui. Je l’envie. J’ai l’impression qu’il revit. Moi aussi, peut-être. Le vieux fou est très fier de nous, en tout cas j’en ai l’impression. Sa potion est… Je ne trouve pas les mots. Sa potion ouvre le champ des possibles. Ça va tout changer. Un cataclysme dans le monde de la magie de combat. Dans la magie tout court.

- Tu ne manges pas ?

Je passe le plus clair de mon temps avec Koj. Notre proximité accentue la confiance que l’on porte en l’autre. Plus on se découvre, plus forts sont les effets de la potion. Je ne sais pas comment l’expliquer. Glasdel un peu, en tout cas pas clairement. Peu importe, nous nous faisons confiance.

- Si si… Je pense à demain c’est tout. Je ne sais pas si je suis prête.

- Tu l’es. J’ai vu de quoi on est capable. Crois-moi, je n’avais encore jamais vu ça. Aie confiance en moi, aie confiance en toi Tout va bien se passer. Le vieux dit que nous sommes prêts.

Nous quittons le mess. Comme la fois précédente, l’atmosphère s’est alourdie à l’approche de la bataille. Les regards sont durs, tendus. Koj m’annonce qu’il va se coucher. Je n’ai pas envie qu’il me laisse. Il sourit tout en me rassurant que tout va bien aller.

Je me mets à errer vers le labo de Glasdel. Nous nous sommes tellement entraînés dans cette pièce. Ce bordel ambiant me rassure. Je n’ai jamais vraiment aimé l’ordre militaire, je préfère le désordre, le chaos.

- Nerveuse ?

C’est Glasdel… Le con il m’a fait peur.

- Oui.

- C’est normal. Koj a l’air confiant lui.

- Koj est confiant depuis sa naissance.

- Détrompe toi. Il fait montre d’assurance depuis que vous vous exercez ensemble. Mais auparavant, il était rabaissé, rabroué par ses camarades, tout comme toi. Je crois que c’est sous ton regard qu’il a repris confiance en lui.

Il avait tapé juste ce vieux fou. Je décide de le garder pour moi.

- Vraiment ?

- Oui. Quant à ton cas, Koj a confiance en toi, j’ai confiance en toi, si tu ne l’as pas encore compris, c’est que tu es une idiote. Va te coucher et ne cogite pas trop. Tout ira bien.

C’est avec un sourire chaleureux qu’il me regarde m’éloigner vers ma chambrée. Une nouvelle offensive est pour demain. J’y prendrais part. Je dois être prête.

 

 

L’air est doux, calme, reposant. On dirait que le temps n’est pas préparé à la violence des événements qui se préparent. Je me tiens aux côtés de Koj. Il fait face aux regards narquois de ses petits camarades de l’unité ExVo. Mon binôme ne montre rien, il reste de marbre. Il m’inspire. Glasdel est en pleine discussion avec l’État-major. J’entends des vociférations. Le ton monte. Il y a l’air d’avoir désaccord parmi les grands pontes. Le Maître revient vers nous.

- Ils veulent vous parler.

Nous nous dirigeons vers eux. Koj me redresse la tête de la sa main douce. Il me sourit.

- Je veux l’entendre de votre bouche soldats ! Vous sentez-vous prêts ?

- Oui, mon général !

- Très bien. Glasdel m’a persuadé de vous faire confiance. Je vous laisse votre chance, tout le monde n’est pas de mon avis, soyez assurés que vous n’en aurez qu’une. Vous vous placerez sur le flanc gauche et vous lancerez votre attaque vers le flanc droit ennemi. Je ne veux pas de raté c’est compris ?

- Oui, mon général !

Nous nous éloignons vers notre position. Glasdel nous accompagne du regard. Son visage bienveillant me fait du bien. Nous arrivons sur le flanc gauche. Koj me prend par les épaules. Il me répète qu’il a confiance en moi, que tout va bien se passer. Je le crois. Nous nous sommes entraînés trop durement pour échouer maintenant. Je me sens prête. Il me sourit.

C’est une peinture similaire à ma précédente bataille qui se dessine. Les deux camps sont face à face, prêts à en découdre. Je me fiche de l’état des forces en présence, je ne vois pas les visages des hommes. Mon esprit est tourné vers Koj. Une minute. L’ordre est donné. Nous préparons notre potion. J’attends les instructions de mon partenaire. C’est lui qui mène le binôme. Trente secondes.

- Allez on boit ! Concentre toi Noem !

Il me prend les mains. Je place mon torse contre son dos. Notre position de confiance. Je ferme les yeux. Il lève ses mains au ciel. Il se prépare. On l’a répété des centaines de fois. Je sais ce que j’ai à faire. Concentre-toi, me disait ma mère…

- MAINTENANT !

Je décharge l’entièreté de mon énergie en lui. Un bruit sourd. Une énorme boule de feu, créée par un mélange entre la flamme du flambeau, mon nimbe et son nimbe, s’envole vers le ciel. Le produit de notre fusion est énorme, mes yeux sont happés par la traînée qu’il laisse derrière lui. D’une beauté sans nom. Le fruit de notre pouvoir et de notre confiance vient s’écraser avec une violence inouïe sur le flanc droit adverse. Leur bouclier n’a pas tenu. Des milliers d’hommes s’embrasent. Des cris inhumains viennent déchirer la plaine. Horrible. Un brasier de chair. Une hécatombe…

Tous les regards sont désormais tournés vers nous. L’État-major est comme abasourdi. Koj rayonne.

- Encore Noem !

Nous débouchons une nouvelle fiole.

- MAINTENANT !

Je donne tout ce que j’ai. Une nouvelle boule vient griffer les cieux. Elle se dirige vers le flanc gauche ennemi, à l’opposé de notre position.

Les chevaux portent les cavaliers adverses dans la direction prise par notre incarnation de la mort. Ils superposent leurs boucliers. Glasdel l’avait prévu. Il avait dit que cela ne changerait rien. Il avait raison. Une seconde déferlante de flammes vient saupoudrer l’aile gauche ennemie. Les boucliers n’ont pas résisté. Qu’avons-nous fait ?

La retraite est sonnée. Ce qu’il reste de leur armée s’enfuit en laissant les carbonisés derrière eux. Tout le monde est sous le choc. Un silence de cathédrale s’abat maintenant dans la vallée.

Qu’avons-nous fait ? Nous avons gagné la guerre.

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OphelieDlc
Posté le 28/04/2021
C'est ma nouvelle préférée. Coup de coeur pour Noem et sa manière très poétique de percevoir un univers pourtant bien austère. La scène de combat est dantesque, et clairement je fais appel à tes talents si jamais j'ai ce type de scène à écrire. Pourtant, je ne suis pas adepte de ce genre de scène, mais pour une fois j'ai pris un réel plaisir dans ma lecture, au point de la trouver presque trop courte. Dans une nouvelle à 7K, ça prouve juste mon manque d'objectivité. Bien joué !
Zevou
Posté le 28/04/2021
Merci beaucoup ! J'ai vraiment essayé de me placer dans le rôle d'une femme pour cette nouvelle et j'ai beaucoup retravaillé ma scène de combat. Un grand merci à toi pour ce retour qui fait très plaisir !
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