Victoria marchait bon train dans les rues désertes de Lakeland. Elle avait quitté Jeffrey quelques instants plus tôt et avait toujours du mal à croire ce qu'elle avait découvert. Son seul ami de longue date, Jeffrey Slart, qui n'avait jamais cru en lui, en ce qu'il était, avait trouvé le courage de se mettre au service des autres.
Elle avait néanmoins compris qu'il se mettait en grand danger, sur deux aspects différents. D'une part, elle savait pertinemment que son ami avait dû interférer dans les affaires des mauvaises personnes, le maire Marlow en premier plan. D'autre part, elle se méfiait de sa substance étrange et orange qu'il avait mise au point, et craignait que cela ne le détruise peu à peu. Elle ne voulait pas le perdre, celui dont elle avait été amoureuse si longtemps en secret.
« Rien de bon n'émane de ce qui n'est pas naturel », lui répétait sa mère. Le souvenir de ses parents décédés la stoppa brutalement dans son trajet de retour. Elle vit la colline du parc de la ville et son grand chêne au sommet, et ressentit le besoin de s'asseoir à son pied. Victoria se mit alors à pleurer.
Son père était un paysan agriculteur venant de la région des Plaines canadiennes, qui avait toujours voué la plus fervente admiration pour la terre en elle-même. Il avait hérité cela de ses ascendants. Un homme rude mais bon. Cela ne l'indisposait guère de trimer peu importe le climat, de faire fructifier son exploitation afin de nourrir sa famille. Il se refusait à utiliser des machines et continuait à employer divers salariés afin de créer une économie locale florissante. Cela lui avait donné une certaine notoriété dans la région.
Sa mère, quant à elle, était fleuriste dans une petite échoppe du village. D'aucun dirait une hippie. Elle aimait la nature, et rendre service aux gens, leur soignant leur petit maux avec des plantes, des huiles essentielles... Leur histoire voulait qu'elle ait rencontré monsieur Renver alors que celui-ci allait vendre son lait au marché.
Super cliché comme histoire.
Victoria se souvenait de tous les gâteaux d'anniversaire, de toutes les surprises, de tous les cadeaux, de toutes les colères aussi. Elle se souvenait de la dernière fois qu'elle les vit. Elle leur avait annoncé qu'elle avait économisé depuis de nombreux étés afin de s'offrir les études dont elle avait toujours rêvé. Victoria voulait devenir chercheuse. Elle avait toujours été attirée par les sciences de laboratoire.
Son père avait été en colère comme jamais. Sa petite fille allait plonger dans un monde scientifique, industriel. Un monde de requins. Il ne pouvait le tolérer.
Sa mère prit les choses plus calmement, lui avait expliqué que si la nature ne voulait pas les choses, c'était peut-être mieux ainsi. Il faut accepter les choses que l'on ne peut changer.
Emplie d'amertume et de détermination, Victoria avait claqué la porte de son foyer familial pour ne plus jamais y revenir, et avait prit la route pour la Lakeland University. Jamais plus elle n'eut le moindre échange avec eux. L'étudiante avait appris bien plus tard leur trépas, sur la route qui les menaient à elle. Elle s'en était voulue, accablée, torturée : si elle n'était pas partie, ils seraient sans doute encore vivants.
Mais soudain elle comprit : l'opposition de ses parents l'avait en fait poussée à aller de l'avant. Elle s'était dépassée pour pouvoir leur prouver qu'ils se trompaient. Elle était devenue meilleure.
Elle comprit que, d'une certaine façon, c'était le même sentiment qui avait permis à Jeffrey de trouver cette force en lui pour mener à bien son grand projet. Les moqueries, rabaissements incessants. Il n'en avait plus préoccupation désormais. Dans un sens, elle l'enviait.
C'était le dernier cadeau que ses parents lui avaient fait : lui permettre de réaliser son souhait, du mieux possible. Ce que font chaque papa, chaque maman pour leur enfant.
Victoria releva la tête et regarda les étoiles, certaines que son père et sa mère étaient parmi elles, et qu'ils étaient fiers de ce qu'elle était devenue.
Elle se releva alors, reprit tranquillement mais surement son chemin.
Malgré ses larmes, par cette belle nuit d'été, elle souriait.
***
Je dédie cet écrit à Nathalie. Tu manqueras à ta famille et à tes amis. Je te souhaite par ce maigre essai, que tu sois des étoiles dont les cieux sont faits.