Nouveaux horizons

Par Hylla
Notes de l’auteur : Merci d'être arrivé jusqu'ici, et bonne lecture ;)

DELICIEUSEMENT VÔTRE

 

 

 

Lourd et pesant peut être le silence, mais il arrive de le regretter sitôt brisé. J’eus le malheur d’en faire l’expérience récemment. Pire, j’ai été à l’initiative de cette rupture de diapason lorsque j’ai pris mon frère la main dans son sac.

« Tu m’expliques ce que tu fais, là ?

- J’allais t’en parler…

- Me parler de quoi ? »

L’homme a ce sixième sens, celui qui permet de déduire de cinq mots, une intonation et un regard inhabituel qu’une conversation va faire mal. Un peu comme la semaine précédente, quand on nous a dit « les garçons… asseyez-vous », ou quand Lisa m’a dit l’an dernier « il faut qu’on parle » … ces phrases anodines qui cachent les plus grandes déchirures que l’on flaire inexorablement. On entre dans la conversation, les épaules baissées, prêt à recevoir le coup, façon de dire « vas-y, je suis prêt à t’écouter mais pas à accepter ».

« J’aime pas quand tu prends ce ton…

- Et moi j’aime pas quand t’es comme ça. Alors ?

- C’est pas si facile… avec tout ça, j’ai conscience que ce n’est pas le bon moment… Mais j’y réfléchissais depuis bien longtemps. Je me suis engagé auprès de Mama Terra.

- Mama Terra ? Vraiment ? Et tu pars quand ? Ne me dis pas que tu pars bientôt !

- Lundi prochain... J’ai eu la réponse le mois dernier. Ça tombe mal, je sais, mais ça ne change rien à ma décision.

- Rien ? Et moi, t’y as pensé ? Ça ne change rien du tout, que tu me laisses tout seul ?

- Ne pense pas qu’à toi…

- Non je ne pense pas qu’à moi ! Mais tu te rends compte ! Tu te rends compte ! La semaine dernière, ça, et puis comme si c’était pas assez, tu te tires, et pour de bon en plus !

- Je dois d’y aller. Il faut penser à la planète, il faut réduire l’impact.

- Y’a tellement de gens qui y partent ! Tu pourrais aller plus tard, et je ne sais pas… mais me faire ça… Plus de contact, plus rien… C’est… c’est…

- Et faire quoi ? Rester plus, mais une fois la paperasse terminée, quand on a fini de bien pleurer, tu me vois où ? Je voulais m’engager depuis longtemps, y’a plus rien pour moi ici. Mais toi, tu peux venir.

- Venir ? Elle est bien bonne celle-là. Tu sais Joe, on n’a pas tous envie de vivre comme toi. C’est très bien, et heureusement qu’il y en a qui sont là pour ‘réduire l’impact’, mais vivre coupé de tout, à planter des tomates avec des hurluberlus qui renflouent le quinoa… Et sans les progrès technologiques des derniers siècles ! Je ne veux pas de ça pour moi.

- Soit. Chacun peut agir à sa façon, je ne vais pas t’imposer une façon de vivre qui ne te correspond pas de toute façon, ça va dans les deux sens. Alors tu vas faire quoi ? Tu reprends quand ?

- La rentrée ?

- Ben oui, la rentrée. »

Je conservais le silence quelques instants, le temps de ravaler une montée de larmes qu’un élan de dignité inutile me poussait à réprimer.

« J’arrête.

- T’arrêtes ? Mais t’es con !

- Non, toi tu es irréaliste. Tu crois quoi ? Qu’avec les parents partis j’ai les moyens de continuer à faire des études ?

- Mais t’as toujours rêvé d’être journaliste !

- Oui, mais c’est comme ça.

- Ok… après tout tu peux prendre du temps pour toi… Y revenir plus tard…

- T’as pas compris. C’est fini, je ne veux plus en parler. De toute façon, j’ai déjà trouvé un travail, je commence la semaine prochaine.

- Donc… tu ne veux pas venir avec moi, mais tu ne restes pas non plus pour faire ce que tu voulais… Et fais-moi rêver, c’est quoi ton travail ? »

Mon visage se ferma. J’inspirai un bon coup avant de me prendre une dernière décharge.

« Chez l’Oncle Tom, dans le service.

- Parlez-moi d’un job de rêve » et Joe se mit à ricaner d’ironie en se remettant à faire son sac. « Tu me déçois Bill, tu me déçois. »

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Mart
Posté le 23/10/2024
Ouf, il est lourd de sous-entendus, ce premier chapitre. Avec seulement quelques mots, on imagine les histoires que ces deux garçons ont vécues, le monde dans lequel ils vivent et l'impact que ça a sur eux.
Le ton solennel de verité absolue avant la conversation et avant que ça ne parte en cacahuète est juste *chef's kiss*.

Simple petite coquille : il faudrait retirer le "s" marqueur de l'imparfait de "Je conservaiS le silence" pour en faire plutôt un passé simple.
Hylla
Posté le 23/10/2024
Merci beaucoup :) En effet j'avais privilégié une introduction très directe et rapide. D'ailleurs, les nouvelles sont un exercice avec lequel j'ai souvent du mal. J'en écrivais à l'époque pour me faire la main avant d'attaquer un roman, et celle-ci était la seule que j'avais vraiment réussi à écrire pour le plaisir d'écrire, car j'avais cette vision du plot twist et que je voulais absolument en faire quelque chose.
Isapass
Posté le 29/11/2020
J'adore ta première phrase ! Et ton paragraphe de narration du début aussi, d'ailleurs.
Quant à la suite, tu gères très bien le dialogue en faisant passer à la fois les informations de contexte et les émotions. Rien n'est dit explicitement mais on comprend très bien la situation.
Et la fin donne envie de continuer pour savoir ce que c'est que ce travail qui fait grincer Joe des dents.
Hylla
Posté le 29/11/2020
Merci Isapass :) c'est tellement compliqué de savoir quelle sera la première phrase !
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