La vie d’Alexandre changea radicalement avec le traitement. Ses mouvements devenaient plus fluide, il avait l’impression de danser sur des nuages. Enfin, ce qui le mordait constamment à chaque mouvement n’existait plus. Ayant promis à son père inquiet d’être sérieux, il voyait un kiné toutes les semaines. Ses progrès étaient signifiant et tout autour de lui semblait rayonner. Enfin, il dormait vraiment, de vraies nuits noires qui ne laissaient aucune place à l’angoisse. Ses camarades l’admiraient plus encore qu’ils n’étaient pas au courant pour ses douleurs puis leur disparition, ce qui le rendit plus fier encore. Pendant plusieurs mois, il semblait comme une fleur qui venait enfin de s’ouvrir : il était joyeux, bavard, ravi de tout, passionné, ouvert. Plus rien ne lui faisait peur, car plus rien ne lui faisait mal. Il était protégé de tout.
Et pourtant, il n’appela pas son pama. Ce n’était pas faute d’essayer : parfois, il inscrivait sur son emploi du temps une soirée entière consacrée à ça. Il sortait dans la tombée du soir, espérant trouver du courage dans le cours de l’eau. Mais les mots ne lui venaient pas. Ce qui lui semblait clair redevenait trouble quand il prenait le téléphone en mois. Alors, en jetant un caillou dans le fleuve, il se disait qu’il le ferait plus tard. Les mois passaient ainsi, et l’oubli passant sur la peur, il ne reprit pas contact.
Avec l’insouciance de l’été tomba l’un de ses premiers barrages. Il resta dans son appartement, cherchant à travailler durant toute la période estivale, pour être plus assuré sur ses études. Il trouva un petit boulot de serveur et plus d’une fois ses camarades profitèrent de sa fin de service pour l’inviter à boire : lui qui avait toujours trouvé moyen de refuser poliment depuis le début de son traitement n’arriva plus à faire semblant : malgré ses doutes, il consomma comme les autres.
Personne ne s’étonna qu’il vomisse plus que les autres. Après tout, Alexandre était le petit jeune de la bande et n’avait jamais eu l’habitude de beaucoup boire. Les autres le trouvaient bien plus drôle ainsi que sobre, par ailleurs. Charlie et lui s’alternaient souvent pour vomir. Elle était petite, elle aimait boire, elle n’avait pas peur d’être mal. Ainsi, même si la jeune fille continuait de mettre Alexandre mal à l’aise, par le promiscuité forcée, il accepta sa présence.
Puis, les ennuis commencèrent. Comme une fleur qui se fanaient à l’arrivée de l’automne, les premiers mois de sa seconde année à l’école de danse laissa apparaître les premières déconvenues. Pour sa première représentation de l’année, Alexandre et Charlie formaient un couple sur tout un mouvement, qui leur avait nécessité beaucoup de travail et de sérieux pour qu’il soit présentable. La jeune fille avait suivi les autres de la promotion dans la seconde année, mais malgré son redoublement, ses résultats étaient justes et n’avaient rien à voir avec ceux d’Alexandre dont les résultats brillaient dans les étoiles. Le couple leur avait été justement imposé pour inciter le meilleur élève de la promotion à travailler avec la plus fragile. Bien qu’il leur avait nécessité beaucoup de temps et d’implication, le résultat était enfin là, et dans l’obscurité des coulisses, le jeune homme écoutait l’orchestre en regardant les projecteur. Et comme à son habitude, entre l’excitation du moment et son calme olympien avant de passer sur scène, il joignait ses mains en une sorte de fausse prière. Même si tout ceci parfois lui semblait déplacé, il pensait à Béryl et ses mouvements seule dans le noir et l’imaginait danser à sa place sur la scène. L’idée qu’elle aurait pu profiter du silence du monde et de l’obscurité de la scène pour être elle-même lui plaisait. Dans le noir, il était capable de la visualiser, lui donnant des mouvements qui n’était pas les siens, mais qui auraient pu l’être, si quelqu’un lui avait laissé une chance. Il se la représentait comme s’il pouvait la dessiner, et dans le même temps, se remémorait ce qu’il allait exécuter. Il n’avait pas envie de s’approprier son image. Il avait juste envie de lui donner un sursaut de vie, dans un coin de sa tête, en espérant qu’elle le lui en tienne pas rigueur.
Mais alors qu’il fixait les autres danseuses d’un air rêveur, Charlie s’approcha de lui. Il leur restait un petit moment avant que ce soit à leur tour, si bien qu’il pensait qu’elle était venue voir la représentation, comme lui. Mais très vite, elle lui tapota l’épaule :
« Je sais que tu n’aimes pas être dérangé dans ce genre de moment, murmura-t-elle très vite, mais j’ai quelque chose à te dire avant qu’on danse ensemble…
– Quoi ?
– Eh bien… Ce n’est pas facile… Ce n’est peut-être pas non plus le bon moment, mais… Voilà. Je t’aime. »
Alexandre décrocha vraiment du regard les danseuses pour chercher les yeux de la jeune fille dans le noir. Ils n’étaient pas difficile à trouver : ils brillaient aussi distinctement que les projecteurs. Il eut alors un mouvement de recul.
« Mais… enfin… Qu’est-ce que…
– Ce n’est pas réciproque ? Souffla Charlie en se tendant. »
Il comprit alors qu’elle avait vraiment cru en lui et espérer danser comme un véritable couple. Peut-être même s’était-elle imaginer l’embrasser. Une gêne immense envahi Alexandre, qui ne trouva plus ses mots.
« C’est pas que je t’aime pas, mais… enfin, c’est un peu… soudain, non ?
– Ça fait plus d’un an qu’on se connaît, répondit la jeune fille.
– Oui, mais… Enfin, Charlotte…
– Charlie, s’il te plaît, Charlie. Pourquoi c’est si compliqué pour toi ?
– Ça me gêne un peu, et d’autant plus maintenant, c’est le nom de mon… Fin, de ma m… Fin, zut, c’est compliqué !
– Quoi ?
– Tu pouvais pas me parler de ça à un moment où on a le droit de parler ? Chuchota Alexandre en jetant un œil inquiet à la scène.
– Mais…
– Je suis désolé… Charlie… Mais ce n’est pas possible.
– Pourquoi ?
– Parce que… Je ne ressens pas les choses de la même manière. »
Une larme tomba dans les coulisses, une seule. Charlie dévisageait Alexandre qui frôlait le rideau en reculant. Elle ne bougeait pas. Elle était comme arrêtée dans le temps. Un silence se fit jusque sur scène, où seuls quelques bruits de pages se firent entendre. Alexandre murmura :
« Charlie… C’est à nous, là… »
Il s’avança un peu, mais elle ne réagit toujours pas. Sa main frôla son épaule, mais en un mouvement vif, elle l’interdit de la toucher.
« Ça va aller ? Murmura Alexandre, confus.
– Bien sûr. Comme en répétition, lui répondit enfin la jeune fille d’un ton froid. »
Leur danse fut un succès. Elle signait la fin de la représentation. Mais quand tous les danseurs revinrent sur scène pour saluer, Charlie avait quitté le théâtre depuis bien longtemps. Sans prévenir personne, elle s’était enfuie dans la nuit froide. Et bien que tout le monde l’avait remarqué, personne n’alla la chercher.
Il remarqua bien que l’ambiance avait changé depuis cette soirée-là. Certains, comme Grégoire, faisaient comme si rien ne s’était passé. Mais la plupart des filles proches de Charlie commencèrent à l’éviter, puis à ne plus lui parler. Comme s’il avait fait quelque chose de mal, qui n’était pas pardonnable. Durant les cours, il sentait souvent sur lui le regard brûlant des yeux rougis de la jeune fille. Il était clair qu’elle avait envie qu’il disparaisse.
Quelques temps après ça, la douleur revint. Moins forte, plus diffuse, plus cachée, mais elle qui était si discrète depuis presque un an, Alexandre la ressenti d’autant plus intensément à son retour. Il avait fait tous les examens qu’il lui avait été demandé, sans aucun résultat probant. Tous les problèmes les plus graves et surtout les plus connus avaient été évincés un à un, mais personne trouvait ce qui se cachait en Alexandre. William faisait des recherches, de son côté, tentait de trouver des réponses, mais c’était son garçon qui, en ville, avait le plus de moyen de découvrir ce qui se passait. Les antalgiques plus basique ne faisait aucun effet sur ces douleurs, alors le traitement morphinique dura, et quand le jeune homme ressenti à nouveau une gêne, il doubla. Ses nuits de sommeil jusque-là relativement douce changèrent du tout au tout. Cauchemars, agitation, il se réveillait parfois simplement pour aller vomir, même sans avoir bu. Dans l’obscurité, son studio semblait distordu, menaçant. Les points d’ombre bougeaient devant ses yeux comme des serpents voletant dans le peu d’espace entre le bureau et la cuisine. Et bien qu’il passait une majorité de ses nuit la tête dans son évier, il l’appréciait pour pouvoir se mouvoir dans tout son potentiel la journée.
Après plusieurs mois où désormais Alexandre tenait au courant de ses problèmes de santé dans ses moindres détails, William supplia son fils de passer à deux rendez-vous de kiné par semaine en ajoutant de l’ostéopathie. Pour le rassurer, il le fit. L’augmentation du prix manqua de le faire s’évanouir.
Il ne payait plus ses verres en soirée. Grégoire s’en chargeait, même s’il insistait pour qu’il ne le fasse pas. Pour économiser le plus possible, il réduit au maximum possible ses courses pour manger le moins possible. Il n’était déjà pas un grand mangeur, mais il ne savait pas où il pouvait économiser ailleurs : tout son argent et ses économies partaient dans le loyer. Vinrent alors les tremblements et les mouches dans les yeux. Ceux qui remarquèrent le problème en premier choisirent de ne rien dire : après tout, eux-même en avaient, peut-être des tout aussi grave. Honteux, Alexandre ne disait rien de ses problèmes financiers. Il avait promis à sa famille qu’il ferait ce qu’on lui disait pour sa santé, réduire sa nourriture lui semblait un choix cornélien mais nécessaire. Lui qui ressentait si peu la faim, ça ne le dérangeait pas tant que ça, malgré la faiblesse que tout ceci lui apportait.
« Bon sang, mais qu’est-ce que t’es maigre ! »
Alors qu’Alexandre se croyait seul dans les vestiaires, il plaqua immédiatement son justaucorps sur lui. Il avait toujours fait en sorte de se cacher quand il se sentait observé. Si ses bras musclés permettaient de faire illusion, le jeune homme avait conscience que ses côtes étaient trop visible et son ventre trop absent pour que ce soit normal. Il n’avait jamais été à l’aise avec son corps, il se sentait désormais au pied du mur. Grégoire lui pris le poignet, l’incitant à montrer ce qu’il cachait. Avec horreur et honte, Alexandre vit son camarade se figer, prendre un air grave. Grégoire avait physiquement, tout pour lui. Il n’avait que des muscles, beaucoup de muscles. Tout était bien mis, au bon endroit. Il avait déjà avoué qu’il pratiquait un minimum de musculation en plus de tous ses cours de danse. Le regard aussi grave venant d’un homme au corps aussi parfait manqua de tirer à Alexandre les larmes aux yeux.
« Comment tu peux danser comme ça ? Lâcha Grégoire après un instant de silence. C’est grave, tu n’as… rien !
– Je fais ce que je peux, répliqua Alexandre en tentant de s’éloigner.
– Attends ! Tu vas pas t’en tirer comme ça, mon vieux… Il faut faire quelque chose ! »
Et faisant face à son regard sévère, Alexandre s’entendit vociférer :
« Parce que tu crois que je fais rien ?! »
Il avait jusque là montré un visage assez doux. Il était un peu comme un enfant perdu, petit dans l’immensité de la ville. Il était discret, parlait peu, mais quand il parlait, tout avait du sens. Grégoire avait voyagé en l’écoutant parler de ses montagnes, d’où il avait grandi. Lui, il n’était qu’un citadin de première heure, qui n’avait jamais vu une vache. Ses parents étaient riches, catholiques, d’une normalité sans précédent. Et si Alexandre n’avait pas tout dit de lui, qu’il n’avait jamais parlé que de son père comme si sa mère était un sujet à éviter, Grégoire voyait en lui quelque chose qui l’avait fasciné dès le premier regard. Et cette chose, alors qu’à présent le jeune homme se recroquevillait devant lui en lui jetant un regard brûlant, ne fit prendre que davantage d’ampleur. Grégoire se baissa à sa hauteur en lui montrant la paume de ses mains et murmura :
« Hé… Je veux juste t’aider. On est tous sur le même bateau, ici, il faut s’entraider ! Je veux pas te faire de mal…
– On a toujours tout fait pour m’aider, assura Alexandre d’une voix sévère. Ça n’a jamais marché. Laisse-moi tranquille, je dois rentrer. »
Il enfila rapidement son t-shirt avant de sortir en courant. La fin de journée soufflait sur le visage d’Alexandre un air tranquille. Ça ne l’empêcha pas de courir.
Il s’enferma à double tour dans son studio miteux. Il ne fit rien d’autre que s’allonger dans son lit, contemplant le plafond moisi en tentant de retrouver son souffle. Vainement, il tentait de fermer les yeux et s’endormir, immédiatement, oublier ses obligations et son année. Une représentation dans plusieurs jours, répétition le lendemain. Il ne voulait plus croiser personne. Rester enfermer et oublier tout ce qui pouvait le constituer. La nuit tomba ainsi, alors que la lumière des lampadaire se reflétait sur la vitre sale de son studio.