Je sortis la petite tente de mon sac à dos et je commençais à la monter. Son installation me donna un peu de mal, surtout l'étape de l'enfonçage des sardines dans le sol salin.
Les tentes étant toutes minuscules, on ne pouvait y dormir qu'à une seule personne, et la possibilité de ranger les sacs à l'intérieur étant par conséquent absolument exclue, nous nous résolûmes à les laisser dehors. Nous nous souhaitâmes une bonne nuit et nous descendîmes le zip situé en travers de la toile d'entrée des tentes pour nous isoler.
La fatigue ne suffisait pas à faire oublier la chaleur étouffante qui régnait dans l'abri. Je me tournais et me retournais sans parvenir à trouver le sommeil. Le sac de Sören prenait de plus en plus de place dans mes pensées. Son attitude, aussi. Il avait été absorbé par une réflexion pendant tout le trajet.
Une idée s'imposa alors dans mon esprit, celle d'aller fouiller son sac durant son sommeil. Il est vrai que ce n'était pas un acte qui dénotait une certaine confiance, mais nous ne nous connaissions que depuis une journée à peine ! Et puis, ses compagnons s'étaient montrés plus prévenants que lui quand je me suis réveillée. C'était seulement une petite vérification.
Je me levais doucement, et me traînai jusqu'au sac de Sören, de l'autre côté du campement. Je retournai son sac, et fit glisser discrètement la fermeture. Je l'entrouvris délicatement et jetai un coup d’œil à l'intérieur. Ce que j'y vis m'intrigua au plus au point, si bien que j'écartai, franchement cette fois, les bords de la poche. Au fond et jusqu'au milieu étaient entassées un nombre incongru de batteries. Je m'emparai d'une pour déchiffrer la présentation du produit.
« SODIUM-ION BATTERY » était marqué au dos. Je la soupesais, songeuse. Pourquoi avoir amené une cargaison industrielle de batteries en plein cœur d'un désert ? Je fourrageai dans le sac et en extrayais une espèce de grosse boussole grise, avec un écran à cristaux liquides et une place pour un branchement sur le dos.
Voilà donc à quoi servait tous ces réservoirs d'énergie ! Mais je ne voyais pas l'utilité de la boussole, car son unique aiguille était résolument tournée vers le nord-ouest, en parfaite contradiction avec les indications que la mienne me donnait. Sören était en outre pourvu d'une autre boussole en état de marche, qu'il consultait quelquefois en marchant. Pourquoi alors s'encombrer d'un équipement défectueux consommant, en plus, de l'électricité ?
- Qu'est-ce que tu fais ? marmonna une voix dans mon dos.
Je sursautai et lâchai le sac, avant de me retourner. Sören était dressé de toute sa hauteur derrière moi. J'étais mortifiée d'avoir été surprise, et encore plus par le principal intéressé.
- Euh... Je... Je ne voulais pas t'espionner... Ce n'est pas... euh... ce n'est pas que je me méfie de toi... Mais... Mais...
- Mais ?
- Mais ton sac n'avait pas un poids et une taille conforme et donc je me suis permis d'aller voir ce qui clochait dedans, expirai-je.
Il soupira et, s'accroupissant, me prit la boussole des mains et piocha une batterie. Il la souleva et m'indiqua la prise de branchement.
- Là. Les batteries alimentent cet écran par ce trou. Mais tu l'avais déjà deviné, n'est-ce pas ?
- Euh... oui, effectivement.
- Bon... (Il se gratta la tête). Je n'ai pas eu tort de veiller, cette nuit. (Un nouveau soupir). Je suppose qu'après ça, je vais devoir révéler l'existence de cet objet pour le moins étrange aux autres membres du groupe. Pour faire régner la « confiance », lâcha-t-il en tournant les yeux vers moi d'un air entendu.
Je restais sidérée par sa franchise. Celui-là ne devait pas être extrêmement apprécié, avant. Pourtant, à ce moment, une bribe de souvenir me fila devant les yeux et se superposa à lui, tel un calque mémoriel. Et, l'espace d'une seconde, je sus que je le connaissais. Ses gestes, ses paroles, toute sa façon d'être m'avait été autrefois familière.
Une main me passa devant les yeux, une fois, puis une autre, et encore une fois.
- Lune ? Tu es là ? Allô, ici la Terre !
Je sursautai, arrachée à mes visions fragmentées du passé par la voix, bien réelle, de Sören. Il s'était accroupi et me regardait fixement. Puis il battit des paupières et se releva, à peine troublé.
- Bonne nuit, laissa-t-il tomber.
- Bonne nuit.
De nouveau seule dans ma tente, je ne parvenais pas à trouver le sommeil. Le vent, déchaîné, sifflait entre les rochers, serpentait entre les cheminées de sel, essayait d'arracher les tentes du sol et passaient entre les mailles du tissu, refroidissant l'intérieur de mon abri. Si ça continuait ainsi, j'allais probablement finir soit transformée en glaçon, soit liquéfiée malgré mes vêtements légers.
Les heures défilaient immuablement, se mélangeant jusqu'à étourdir, formant nausées et vertiges, alourdissant l'air, troublant ma vision des couleurs, faisant ressembler le vert profond de la tente à l'ocre assombri du sol. Elles me poussaient peu à peu au bord d'un gouffre de léthargie, appelaient à grands cris la somnolence. Cette lutte était déjà perdue d'avance, pourtant je continuais désespérément à résister au sommeil.
Deux minutes plus tard, je roupillais paisiblement.
*
* *
Je me levais le lendemain avec le soleil, c'est-à-dire à six heures du matin. La luminosité crocheta mes paupières, les obligeant à s'ouvrir pour pouvoir ensuite mieux aveugler mes prunelles. Ensuite, ce fut mon estomac qui réagit. Je ne me souvenait pas d'avoir mangé hier. Poussée par la faim, je réussis à m'habiller en quatrième vitesse, puis à m'extirper difficilement de la structure qui m'avait protégée durant la nuit.
En me prenant le pied dans la toile, je trébuchai et m'écrasai au sol. Un gloussement étouffé fusa de l'autre côté du campement. Je me relevai, rouge de honte, puis, me reprenant, je fusillai l'insolent du regard. Comme il fallait s'y attendre, c'était Mani. Je le rejoignis, non sans feindre de claudiquer. Il était en train de préparer le petit-déjeuner avec nos provisions qui ressemblaient plutôt à des rations de survie, comme en ont les militaires. Je fronçai le nez en imaginant ce que ça allait donner, transformé en nourriture comestible.
Finalement, Mani avait réussi à arranger l'infâme pitance en tambouille olivâtre de goût correct. Je m'étais jetée dessus avec l'avidité de ceux qui n'ont pas mangé depuis une semaine. Entre deux louches de cette soupe unique au monde, j'observais le cuisinier du jour. Les commissures de ses lèvres tremblaient encore de rire.
Je fus sauvée d'une deuxième explosion d'hilarité par l'arrivée prudente des retardataires qui conversaient en s'approchant de notre pique-nique improvisé. Izaël regarda le bouillon avec suspicion. Il devait s'attendre à ce qu'il soit empoisonné de manière farfelue, non sans raison. Quant à Sören, il tortillait une mèche de cheveux blonds avec appréhension. Après avoir mangé, nous nous assîmes par terre en cercle. Sören se leva, et prit la parole :
- Voici. (Il montra le l'objet non identifié) Ceci était dans mon sac. Je ne sais pas ce que c'est, ni d'où il vient. Il y avait aussi des accumulateurs fournis avec.
- Et est-ce que tu as essayé d'alimenter cet engin ? demanda aussitôt Izaël.
- Non. J'ai préféré attendre pour le faire devant vous.
- Eh bien, qu'est ce que tu attends ? s'exclama Mani.
L’intéressé s'agenouilla et introduisit une des batteries dans l'orifice prévu à cet effet. Nous nous regroupâmes instinctivement derrière lui. L'écran s'illumina brusquement et inonda de lumière nos visages tendus par l'attente. Puis des mots apparurent.
Bonjour. Ceci contient vos instructions. A partir de maintenant, vous devrez les suivre impérativement, quoi qu'il se passe.
Appuyez sur l'écran.