L'orage gronde de l'autre côté de la vitre. Je ferme les volets et augmente le chauffage. La soupe commence à faire des bulles qui éclatent et propulse d'orange goutelettes sur le mur.
Prestement, j'éteins le gaz, fais couler la soupe brûlante dans mon assiette. Une fois assis tranquille dans la cuisine, je peux enfin dîner. Aujourd'hui j'ai l'appartement pour moi seul parce que ma soeur dort chez une de ses amies, et mes parents sont attendus à un concert de Noël. Bientôt les vacances, j'ai hâte. Un cousin à nous nous rendra visite, avec ses soeurs. Espérons qu'ils soient sympas... D'ailleurs en parlant de sympathie, je n'en n'attire toujours pas chez mes camarades de classe. Cela devient lassant.
Tout à l'heure, Raphaël assistait à son cours de natation. Les moniteurs étaient insupportables. Toujours là à crier des ordres en se tapant la cuisse, les yeux rougis par le chlore. Raphaël n'est pas un mauvais nageur, mais a de sérieux problèmes de confiance en ses poumons. Il n'arrive pas à respirer convenablement sous l'eau. Après chaque plongeon, il passe au moins trois minutes à tousser et à avoir le nez qui pique. Au début de l'année, il espérait pouvoir prendre son masque de plongée, pour au moins ne pas avoir les yeux brûlants. Mais lorsqu'il découvrit au premier cours que personne n'en n'avait besoin sauf lui, il décida de passer outre.
Ce jour-là, les professeurs de natation ont divisé le groupe en trois catégories. A sa grande fierté, il fut placé parmi les"Niveau Avancé". En le découvrant à ses côtés, l'athlétique Gus lui avait chuchoté:
– Elle est nouvelle, cette monitrice, elle t'a jamais vu cracher trois heures dans l'eau pour reprendre ton souffle. Si ça avait été l'autre, tu te serais retrouvé avec les débutants.
Gus n'était jamais méchant mais toujours sincère, aussi Raphaël ne se laissa pas atteindre par cette remarque. En revanche il se sentit mal à l'aise lorsque la monitrice annonça:
– Les Niveaux Avancés, je veux que vous fassiez le tour de la piscine à la brasse... et sur le dos, naturellement. C'est parti ! conclut-elle en se frappant la cuisse du plat de la main.
Ses congénères rentrèrent dans l'eau en plongeant, mais Raphaël préféra se faufiler parmi les débutants pour rentrer progressivement dans l'eau bleutée. Il se rapprocha en pataugeant de Gus et du reste du groupe. Ils commençaient déjà la nage sur le dos. En soupirant, Raphaël les imita. Au départ, il réussit à maintenir sa tête suffisamment hors de l'eau pour ne pas en recevoir dans le nez ou les yeux. Mais il entendit soudainement un grand cri, juste avant de voir Mathieu plonger droit sur lui.
Confusément, Raphaël se sentit couler avec son ami. Mathieu donnait de grands coups pour remonter à la surface, et sous le choc Raphaël ouvrit la bouche. Déjà à moitié étouffé, il remonta à la surface en ouvrant les yeux trop tôt... Résultat on l'entendit tousser, éternuer et reprendre sa respiration bruyamment dans toute la piscine. Les yeux embués, il aperçut Romain et Aziz qui riaient, et la monitrice qui affichait un air perplexe. En rougissant il parvint à reprendre son souffle et reprit l'exercice comme si de rien n'était.
La soupe mâchonnée et avalée, je débarrasse la table. En nettoyant mon plat, je constate que j'en ai assez d'être toujours jugé et critiqué. C'est bête d'être comme ça, de rire des autres. (Bon, moi aussi je l'ai déjà fait, mais pas souvent, et au moins j'étais discret). Si les gens étaient bienveillants je n'aurais pas honte et certaines situations seraient moins gênantes. Je devrais peut-être arrêter de me focaliser sur ce que les gens pensent de moi. Flore par exemple, elle est toujours en train de danser comme si nous vivions dans une comédie musicale, et même si des gens rient d'elle, elle les ignore. Comment y arrive-t-elle ?
En éteignant la lumière de la cuisine, je décide d'essayer de ne pas me laisser atteindre par les moqueries: peut-être que cela changera quelque chose...