Paolo tourne en rond chez lui comme un jeune lion en cage. Sa femme cherche quelque chose à regarder sur Netflix dans la pièce à côté. L’unique autre pièce de leur appartement parisien. La sueur brille sur son front. Mon Dieu qu’il fait chaud en ce mois d’avril. Le troisième mois d’avril le plus chaud de l’histoire de la météorologie. Il y a moins d’une heure, il a plaqué son gamin de sept ans contre le mur. La seule bonne nouvelle du jour c’est que Publicis l’ait rappelé pour un peu de boulot. Les consultants sont à pied d’œuvre pour continuer à vendre des produits dans le monde d’après. Paolo bosse en freelance pour le gratin de la publicité parisienne. C’est un as du PowerPoint, un petit logiciel bébête qui sert à mettre en forme les idées. Les agences ne jurent que par Paolo car il dit toujours oui quels que soient leurs délais. Il n’a pas peur de passer une nuit entière à formater deux cent pages pour une présentation à livrer le lendemain. Puis, à huit heures, il conduit ses deux garçons à l’école, sous amphétamines. Comment tenir le coup autrement ? Au prétexte d’avoir grandi en Bretagne, il a testé les micro siestes à la Éric Tabarly. Jusqu’au jour où il s’est profondément assoupi, se réveillant d’un bond à quatre heures du matin, avec le stress de ne pas réussir à finir à temps son travail. Il ne doit pas être fait du même bois que ces grands marins bretons, lui le chilien arrivé en France à l’âge de deux ans. Son père aussi a vécu l’enfermement. Le confinement en version pour adultes. Deux mois dans les geôles de Pinochet pour une discussion au bar d’un café, rapportée par un ami aux autorités de Santiago. Après ça, il avait fui avec sa famille. Jamais, il ne confia le moindre mot à son fils sur cette période. Tout ce que Paolo savait de leur vie au Chili, il le tenait de sa mère, et à l’entendre parler du pays avec tant d'ardeur, il ne comprenait pas pourquoi devant son père, il ne fallait en aucun cas évoquer leurs origines. Sous peine de voir cet homme mutique devenir violent comme lorsqu’il buvait le verre de trop.
L’entreprise aussi insensée soit-elle parfois, avec ses managers du bonheur, ses afterworks et ses discours incantatoires, a pour elle des règles de fonctionnement reposantes : chacun réalise la tâche qui lui est confiée au nom de la mission pour laquelle on le paye. Et s’il ne le fait pas, il prend garde de ne pas le crier sur tous les toits. C’est simple pourtant, on ne hurle pas qu’on ne veut pas accomplir une tâche. Pourquoi ce gamin s’obstine-t-il à refuser de faire ses calculs ? À sept ans, ça passe tout seul normalement. Ce n’est que bien plus tard que l’on se fiche complètement ce que ses darons exigent. À son âge, on ferme sa gueule ou on découvre que ses parents savent être de vraies ordures eux aussi. En plein confinement, on ne la ramène pas, sans quoi c’est de la torture, de la maltraitance sur parents. Sa femme a attrapé le COVID la semaine passée. A priori, les gamins et lui sont asymptomatiques ou alors ce n’était pas le COVID. Comment le savoir, puisque l’on n ’a pas accès aux tests sérologiques. Elle ne travaille plus depuis plusieurs mois. Elle est abattue. Ceci n’aide pas pour le sexe. Heureusement, ils ont consulté. Ça lui a coûté la bagatelle de soixante-dix balles, tout ça pour une petite baise rapide le mois dernier. À ce prix-là, il aurait mieux fait d’aller voir une pute. Évidemment, il n’en aurait rien fait, il déteste la prostitution et la situation des putes le révolte. Globalement, le monde d’aujourd’hui le révolte. Paolo est convaincu que l’homme est le virus, le cancer de la planète. C’est sa foutue intelligence le problème, il ne sait pas quoi foutre avec, alors il invente des trucs qui servent à rien et qui finissent par tout foutre en l’air. Il pense qu’il a bien fait d’acheter un peu de coke ce soir. Enfin, il sent le lâcher-prise arriver. Tout à l’heure, il était à deux doigts de proposer à un pote de briser le confinement avec lui. Quand on est à bout, il faut faire des choix, arbitrer en faveur de la moins pire des solutions. Il se ressert un verre. Ah, voilà les potes qui arrivent sur Zoom. Il est heureux à l’idée de revoir leurs tronches de con. Il s’en refait une petite pour avoir l’air en forme. Il faut aussi qu’il aille voir si le gamin va bien. Juste avant d’aspirer les petites cristaux blancs, son ventre se tordit un peu.
- "Jusqu’au jour, il s’est profondément assoupi, ..." --> Ma suggestion : "jusqu'au jour où il ...."
- "Juste avant d’aspirer les petites cristaux blancs, son ventre se tord un peu." --> Il y a un problème d'accord dans cette phrase. Ami lecteur, sauras-tu retrouver lequel ?
... Vraiment pas grand-chose.
Je le sens assez mal parti dans le "monde d'après", ce Paolo...
Paolo est un genre de funambule, un voltigeur, tout est possible le concernant, la sortie de route comme la rédemption. Aux dernières nouvelles, le déconfinement l'aurait sauvé !!!