Benjamin ne lâche pas du regard la porte laissée entrouverte. Il est confortablement allongé dans son lit depuis quelques minutes. Son père a oublié de laisser la lumière allumée. Il faut dire qu’il est pas mal distrait en ce moment. L’enfant ne lâche pas du regard la porte de sa chambre. De cette manière, il peut voir la lumière du couloir et ça le rassure un peu.
En tendant l’oreille, tout ce qu’il entend se résume en un silence interminable, angoissant. Mais Benjamin veut se montrer courageux. Ça ne fait pas longtemps qu’il a une chambre pour lui tout seul. Avant, il dormait avec son grand frère. Seule sa grande sœur avait le privilège de dormir seule. Benjamin ne veut pas montrer qu’il a peur. Il a bien l’idée de se lever pour allumer lui-même la lumière. Ne voyant pas bien la pièce, il a peur de mettre un pied où il ne faut pas, de faire du bruit, de se perdre ou de se faire mal dans l’obscurité.
Son père semble s’être aperçu de son oubli. Il passe une main dans la porte entrebâillée et chasse le noir de la chambre.
— Merci, papa ! chuchote l’enfant.
— De rien, fiston.
La main du père disparaît. Benjamin a envie de la retenir, malgré la lumière allumée.
— Dis, papa ! Je peux te poser une question ?
Le père ouvre la porte plus franchement pour s’asseoir sur le lit de son fils :
— Rien qu’une, alors. Et après, au lit !
Le garçon inspire profondément. La question lui a brûlé les lèvres depuis le début de la matinée. Il n’a pas voulu embêter son père avec ça. Mais c’est en train de le faire réfléchir, beaucoup, et ça l’embête. Il voit que son père ne va pas bien. Il veut comprendre.
— Ça fait mal, Alzheimer ? Je t’ai entendu parler avec mamie. Vous avez dit que papy souffre d’Alzheimer…
Son père se fige. Le garçon ne comprend pas. Il se dit qu’il a peut-être fait du mal à son père sans le vouloir, ou qu’il a déformé le mot qu’il a entendu. Il a l’impression qu’il ne répondra pas. Il se trompe :
— C’est compliqué, mon grand, se contente de répondre l’adulte.
Cette réponse ne va pas beaucoup aider Benjamin. Pour ne pas contrarier son père, il est prêt à s’en contenter pour l’instant. Même s’il risque de beaucoup y penser cette nuit.
— Je vais te raconter une histoire, si tu veux bien. Avec ça, tu comprendras peut-être un peu mieux.
C’est bien la première fois que son père va lui raconter une histoire inventée de toutes pièces.
— Nous, les adultes et les enfants, on se promène tous dans notre tête des fois, dans nos souvenirs. Quand on est tout seul, qu’on repense à un moment particulier. Si je te parle de ton dernier anniversaire, tu dois avoir des images qui te viennent en tête. Comme des photographies bien rangées, bien ordonnées qui défilent les unes après les autres.
Benjamin confirme en hochant la tête. Il s’efforce de se montrer très attentif. Même s’il repense aux huit bougies plantées dans un grand brookie. Son gâteau d’anniversaire préféré de tous les temps. Il se voit face aux bougies autour de ses camarades de classe qui l’encouragent à souffler très fort.
— Eh bien, pour papy… c’est un peu plus compliqué.
Le garçon sent que son père a du mal à continuer l’histoire. Alors, il lui prend la main.
— Papy, quand il se promène dans ses souvenirs… Il y a beaucoup de vent sur son chemin. Les photographies… Elles ne sont pas rangées aussi bien que pour nous. Elles… Elles s’envolent dans tous les sens. Il est difficile de les récupérer. Des fois, elles reviennent d’elles-mêmes. Quelques fois, il arrive que papy voie sa photographie de souvenirs mais… Mais, il ne la comprend pas, ou il ne voit pas bien ce qu’il y a dessus.
Cette fois, c’est Benjamin qui a envie de parler sans savoir quoi dire. Il trouve cette histoire tellement triste. Encore plus maintenant qu’il sait ce que vit son grand-père. Mais il veut quand même dire quelque chose. Il y tient.
— Il faut pas qu’il perde ses souvenirs ! On doit les empêcher de s’envoler, papa ! Le vent est méchant ! Il met le bazar partout dans la tête de papy ! Je vais pas le laisser faire…
L’adulte sourit, ému.
— Tu as tout compris, fiston.
Il prend Benjamin dans ses bras.
— Il est grand temps de dormir maintenant. Il se fait tard.
Il se lève du lit et s’approche de la porte. Au dernier moment, il se retourne une dernière fois en direction du petit garçon :
— Et ne t’inquiète pas pour papy… Tant qu’on est là pour affronter le vent, tout ira bien. D’accord ?
— D’accord. Bonne nuit, papa !
— Bonne nuit, fiston ! Je t’aime !
Le père embrasse son fils sur le front et quitte la chambre. En vérité, l’adulte n’est pas aussi optimiste que ce qu’il a laissé entendre. Mais il ne peut pas dire à son fils de huit ans que son grand-père ne reconnaît pas toujours sa propre famille quand elle lui rend visite. Il ne veut pas l’effrayer. Ses deux autres enfants, plus âgés, sont plus ou moins conscients de la situation. Alors, s’il peut au moins préserver le plus jeune de ses fils, il n’hésitera pas. Parce que le pire, c’est de réaliser que l’on est impuissants, que l’on ne peut rien faire. Rien, hormis être présent et se montrer plus fort que le vent.
Je t'avoue au nom de Benjamin, je vois Xen mais à part ça c'est mignon comme tout,
merci
Je suis moi-même ému que ça t'ait fait autant d'effet. Merci pour ton retour ! :D
Merci d'avoir pris le temps de lire, Jamou !! :D
Je suis assez fier si cette nouvelle a pu te toucher, je l'avoue.
Merci d'avoir pris le temps de me lire ! :D
Merci beaucoup pour ce texte qui m'a ému
Merci beaucoup de ton passage et d'avoir apprécié mon interprétation ! :D
Merci pour ton retour, Xendor ! :D
Pour moi, c'est l'interprétation parfaite de la carte. Il ne peut en avoir d'autre.
Je suis trop émue, je n'arrête pas d'écrire et d'effacer, je ne trouve pas mes mots.
Et puis, c'est merveilleusement bien écrit ! Tu as une très belle plume, c'est indéniable ! Merci :)
Merci, Petra, pour tous ces beaux compliments ! :D
C'est beau, c'est naturel... ta plume sert bien le sujet et transforme ce texte en quelque chose de doux amer, très réussi !
Je te remercie pour ce beau retour qui me fait passer par tout plein d'émotions !
Merci, Zig ! :D
Content de te régaler !! :D Encore merci pour tes retours !!
Des nouvelles que tu as postée, celle-là est ma préférée pour l'instant. Je l'ai trouvée très forte. C'est une belle interprétation de la carte, tout en justesse et en poésie. Les réactions de l'enfant et la peine de l'adulte font très vrai, aussi. Tu l'auras compris, mais je vais le dire clairement : j'ai adoré. Bravo !
Merci beaucoup pour ce moment de lecture <3
Je te remercie pour ton gentil commentaire hyper valorisant ! :D
Je suis surprise de voir qu’en peu de mots tu peux réussir à jouer avec les sentiments du lecteur !
Pour ma part, j’ai été émue de voir que son père était assez courageux pour trouver une manière efficace de raconter à son fils les soucis de son grand-père.
C’est une maladie très courante dans les temps qui court, alors en interpréter avec soin est une preuve de dévouement total !
Mes félicitations <3
C'est hyper touchant, j'en ai les larmes aux yeux ! 😄 C'est une très jolie façon de décrire cette maladie, très imagée. Allie avait tout à fait raison dans son commentaire, tu sais choisir les mots qu'il faut !
C'est une très belle interprétation, très émouvante et poignante, bravo Dédé ! <3
Un grand merci pour ton retour, en tout cas ! :D
C'est une magnifique interprétation, et explication de la maladie d'un parent à son enfant❤️❤️
Je suis très très émue par ta nouvelle ❤️❤️
J'avoue que j'apprends à accepter d'émotionner le lecteur. Je suis pas habitué et j'avais peur de ne pas assumer et de me jeter sur vous tou.s.tes en mode "Pardon, désolé, câlin, je le referai plus jamais".
Un grand merci pour ton commentaire qui me touche beaucoup. Malgré l'émotion suscitée, je constate que j'ai réussi mon intention et une part de moi est en joie. Merci, Coco ! :D