Nulle part, je n’ai entendu parler d’un tel endroit. Cette forêt si calme et déserte. Trop déserte. D’après le panneau que j’ai trouvé à l’entrée, elle a un nom, cette forêt. La forêt de la Dame-Oiseau.
Je n’ai jamais vu autant de verdure, autant de rayons de soleil. Ce vert éblouit mes yeux. Je ne me sens pas agressée par la lumière. Au contraire, c’est agréable. Je suis au milieu d’arbres imposants qui font dix à vingt fois ma taille. Je me sens toute petite, perdue au milieu de l’immensité. Cela ne m’angoisse pas.
Je m’avance, en ralentissant souvent ma cadence. Pour autant, je ne m’arrête pas. Je n’ai pas peur de m’enfoncer dans ces bois. Je me sens en sécurité, comme chez moi. J’ai l’impression de flotter à un millimètre du sol. Je n’ai pas chaud malgré les rayons du soleil qui inondent le lieu. J’ai perdu toute la notion du temps. Comme si le temps lui-même avait disparu. C’est très étrange…
Un panneau directionnel. J’ignore où il peut emmener. Je suis quand même très curieuse. Je tourne à gauche comme indiqué sur le panneau flottant devant un des troncs d’arbres. Je continue tout droit, je tourne vers la gauche. Puis, à droite, de nouveau tout droit sur une centaine de mètres. Encore à droite, vers un chemin assez pentu et enfin, à gauche.
Un point d’eau. Je me rends compte que je n’ai pas soif. Ni faim. Je ne me sens même pas fatiguée d’avoir autant marché.
— Bienvenue, chantonne une petite voix derrière moi.
Je me retourne, par réflexe. Je ne suis donc pas seule. Cette idée ne m’inquiète pas vraiment. Ni même l’étrange figure que je suis forcée d’associer à la voix. Une femme qui semble porter comme un grand rideau de soie en guise de vêtement. Mais ce qui est supposé m’étonner, c’est son châle violacé et son collier de fleurs posés sur sa tête d’oiseau. Oui, sa tête d’oiseau. Cette découverte me fait ni chaud ni froid.
— Voici la porte de mon purgatoire. Elle vous mènera tout droit à l’Eau-Delà. Ici, la nature me transmet tou.s.tes ses trépassé.e.s. Derrière cette porte, se trouvent le bonheur et l’ultime quiétude. N’ayez crainte.
Je ne ressens aucune peur. Je n’ai pas envie non plus de franchir la porte. Pourquoi le devrai-je ?
— Vous avez admirablement lutté pour votre survie. Votre force. C’est admirable. Mais hélas, la nature en a décidé autrement. Peut-être pour vous éviter de souffrir davantage.
De quoi parle-t-elle ? C’est comme si elle parlait d’une autre personne. Ce n’est pas moi. Il doit y avoir erreur. Je ne me souviens pas d’une quelconque lutte, d’avoir souffert. En y réfléchissant bien, je ne me souviens de rien. Pas même de mon nom. Hormis l’entrée dans la forêt. Avant cela, c’est le trou noir.
— Vous ne vous en souvenez sans doute pas. Vous avez passé une grande partie de votre vie à tenter de vaincre la maladie. Vous aviez gagné la première manche. Hélas, la rechute a été très dure. Vous étiez à bout de forces. Vous n’en pouviez plus. La maladie a fini par gagner.
Je sens que mes jambes veulent se déplacer, s’éloigner de cet endroit mais elles ne me répondent plus. La Dame-Oiseau ouvre le grand rideau de soie. Je m’attends à voir le reste de son corps d’oiseau. Au lieu de cela, je remarque que l’ouverture donne vers un nouveau paysage. Un ciel immense, calme, peuplé de nuages à la fois doux et immobiles.
Le silence du ciel m’appelle à lui. La Dame-Oiseau chantonne ou fredonne. Peu importe ce qu’elle fait. Il semble que ses bruits lui servent à m’attirer jusqu’au ciel. Si j’en crois ses dires, je suis morte et je dois m’en aller.
Le vent souffle. La mélodie de la femme prend de l’ampleur. Le vent s’intensifie. La Dame-Oiseau s’en contrarie.
— Elle doit aller dans l’Eau-Delà, je suis désolée. Vous ne pouvez pas la reprendre, affirme-elle en s’adressant à un tronc d’arbre près d’elle.
Le vent siffle si fort que je n’entends plus la suite de son discours. Pourtant, je suis à un mètre d’elle, plus ou moins. Je ne comprends rien à ce qui se passe. Je n’ai jamais été aussi calme. La bourrasque finit par faire s’envoler le collier de fleurs sur la tête de la gardienne de la porte.
— La nature ne vous reprendra pas. Il est trop tard. Vous êtes à moi. Vous appartenez à l’Eau-Delà, insiste-t-elle en cherchant mon regard.
Le vent la fait trébucher. Elle continue de psalmodier en insistant bien sur chacun des sons qui sort de son bec. Les arbres autour de nous sortent leurs racines. Elles viennent s’enrouler autour de mes chevilles. Je ne ressens aucune douleur. Je tombe au sol et je me retrouve à plat ventre. On veut m’éloigner de l’entrée de l’Eau-Delà d’un côté, m’y attirer de l’autre. Je n’éprouve aucun tiraillement alors que je suis écartelée par deux forces contraires.
— Bon, ça suffit. Je vous la rends, capitule la Dame-Oiseau en s’arrêtant de fredonner.
Elle se tourne vers moi :
— Il semblerait que votre heure ne soit pas encore venue. La nature a changé d’avis. Vous avez de la chance. Cela n’arrive pas souvent. Bonne continuation !
Je sens les racines me pousser en arrière, le plus loin possible. La Dame-Oiseau ferme le rideau et disparaît. Puis, le trou noir.
J’ouvre les yeux. Des murs blancs. La chambre d’hôpital. Des bips de partout. La vie reprend son cours. La bataille contre la maladie reprend. Il semble que je n’ai pas encore dit mon dernier mot.
Déjà celle ci survit c'est mieux que les enfants de la nouvelle 1. N'empêche je crois que pour le coup je l'aurai bien vu être sereine dans l'autre monde, car l'hôpital tous les jours c'est compliqué. donc je suis en même temps triste et contente, merci pour ton tour de magie :)
Un grand merci pour ton passage par ici, Jamou ! :D
Je trouve cette version du passage de la vie à trépas très poétique. Cela me rappelle également la mythologie égyptienne (la femme à tête d'oiseau).
J'aime aussi la façon dont tu nous fait comprendre que le protagoniste n'a plus son destin entre les mains, mais en des forces extérieures.
Bravo !
Il me semblait bien que dans une mythologie, quelque part, il y avait quelque chose comme ça. La carte du challenge m'avait inspiré ça et j'ai été charmé par le côté poétique de la carte.
Je suis aussi ravi que tu aies compris l'impuissance de la protagoniste face à la situation.
Un grand merci d'être passée par ici !! :D
Cette nouvelle est toute douce, avec malgré tout un peu d'angoisse. Après tout, le protagoniste est très passif ici... L'idée de l'Eau-Delà et de la femme-oiseau est très intéressante !
Merci ❤
Merci à toi pour ton retour, Yvaine ! :D
Merci de cette lecture :)
Merci à toi d'avoir lu, Xendor ! :D
J'ai beaucoup aimé ce texte ! Très touchant, très serein aussi alors même que le sujet peut être sensible pour certains. Pleins d'espoirs aussi, j'ai trouvé. J'imagine parfaitement mon passage dans l'autre monde de cette manière (sauf pour la partie maladie bien entendu...) :)
Merci pour ton retour très positif, Petra ! :D
Merci beaucoup pour cette belle nouvelle et cet agréable moment de lecture <3
Je suis tellement content d'avoir réussi à captiver les lecteurs avec cette nouvelle. J'avais envie de faire quelque chose d'un peu différent. C'est tellement fun de faire de nouvelles expériences. Et, en plus, de voir que la mayonnaise prend à ce point !! C'est que du bonus ! :D
J'ai pris beaucoup de plaisir à parcourir ces lignes.
Et cette fin... On finit sur cet espoir dingue de se dire que si ton perso a vaincu la mort, elle peut vaincre la maladie ❤️
Je me rends compte que c'est rare que je finisse mes nouvelles comme ça. Pour le moral aussi, je crois que ça m'a fait du bien de parler résilience et d'essayer d'être positif.
Je suis content que ça t'ait plu ! :D
Très belle mise en scène autour du thème de la lutte ! J'ai particulièrement aimé le début, avec les panneaux de signalisation, parce que ça me fait penser à Alice au Pays des Merveilles et que c'est mon oeuvre favorite ♥
On sent de la force, quelque chose de beau dans cet affrontement que tu décris, pour retourner vers la vie. C'est touchant et inspirant !
Petite remarque : tu répètes beaucoup le mot "souvenir" et ses dérivés. Mais c'est excellent... (et j'ai envie de copier Allie alors je rajoute) : comme toujours !
Je suis content de t'avoir touché à ce point ! :D
Je ne me suis pas rendu compte de la répétition. Je ferai attention à l'avenir. Merci de la remarque et du compliment, Zig ! :D
Nous sommes partis un peu sur la même idée, dis donc 😄
Je trouve que tu as très bien réussi à décrire le sentiment de bien-être, de quiétude de la jeune fille.
La fin est plutôt surprenante, mais en bien.
Je trouve ta nouvelle très douce, très poétique, et le dernier paragraphe est très joliment écrit ^^
C'est une super nouvelle, bravo ! ^-^
Malgré mon retard, je n'ai rien lu des autres participations. J'essaierai de le faire maintenant mais je garantis rien… J'ai une béta-lecture en cours et j'ai du mal à m'éparpiller.
En tout cas, merci de ton retour ! :D
Tu fais ce que tu veux, comme tu veux <3