Paris

Par Lislee

Elle ne sait plus à quel moment exactement les doutes ont commencé à prendre possession de ses pensées. Elle ne se souvient pas y avoir un jour échappé. Oui, ça doit être cela. Elle a perdu pied l’instant où ils sont mis ensemble… un 14 juillet. Elle y croyait pourtant, la fête, les feux d’artifice, les défilés sur les chaînes de télévision, un sentiment léger de liberté… Un bisou volé, l’envie d’avancer, et cette demande loin d’être surprenante…

— Ça te dit, toi, d’essayer ?

— Moi ?

Oui, toi.

Essayer quoi ?

Et elle a rigolé, elle a accepté. Avec Guillaume, elle a tout pour être heureuse. La sécurité, la fidélité, les finances… Il ne lui manquait qu’une chose sans doute, un ingrédient indispensable. L’étincelle. Pourquoi ? Pourquoi ne vient-elle pas quand bien même il la couvrait de baisers et de cadeaux ? Elle aurait de loin préféré choisir l’amitié à l’amour, se laisser guider par cette affection toute particulière qu’elle lui portait. Elle voyait en lui un grand frère, plus qu’un amant ; son conseiller, son meilleur ami réunis en une seule et même personne. Or l’amour, là-dedans, viendrait tout gâcher… À qui désormais livrer ses doutes et ses anxiétés ? Comment rester honnête, franche, authentique, lorsque le nœud du problème est intrinsèque à leur relation ? Ainsi, elle a préféré se taire, attendre la venue naturelle des sentiments, faire preuve de courage et de patience. Ce n’était pas assez.

S’il était resté son ami, elle aurait pu tout faire avec lui. Flirter avec les inconnus des boîtes de nuit, lui confier ses histoires amoureuses, se blottir dans ses bras pour y verser des larmes après une rupture douloureuse. S’il était resté son ami, tout aurait pu s’arranger. Exit l’hypocrisie et la culpabilité. Un ami, c’est tellement mieux… 

Le train s’est arrêté en gare. Le ralentissement du wagon n’a pas tardé à réveiller Guillaume. Le paysage s’est peu à peu immobilisé. Laurie déteste ça, les fins de voyage. Une gare, c’est moche et, surtout, il faut descendre, s’enfuir vers une autre aventure. Quitter sa place chaude et confortable pour une virée vers le hasard…  

J’ai fait un rêve. Nous étions à Bali. Tu avais oublié tes bagages alors…

Le son des haut-parleurs a couvert sa voix rauque. Ils sont sortis en direction de l’aéroport. Enregistrement, étiquetage, contrôle de sécurité… Ils ont échangé quelques mots, des banalités, anticipé leurs visites prochaines. Surtout, ils ont longtemps attendu en salle d’embarquement. Au début de leur relation, les heures duraient à peine une minute. Elle aurait pu perdre sa vie entière à ne rien faire à ses côtés, l’oreille posée sur son cœur, à écouter ses battements réguliers. Un rythme cardiaque lent et mesuré. Elle l’appréciait tant cet organe musculaire, avant de le connaître par cœur.

 

Vas-y assis-toi là, c’est ton tour.

Je croyais que ça te rassurait de regarder à travers la vitre.

Plus maintenant. Je l’ai trop fait.

Il l’a dévisagée, puis s'est installé à cette place tant convoitée, le hublot. Lui ne veut que le bonheur de celle qu’il aime. Tant pis s’il n’a plus la possibilité d’espionner les nuages. Ce ne sont que des nuages après tout et sa fleur vaut bien toutes les merveilles de ce monde…

T’es sûre que ça va ?

Oui

Pourquoi es-tu si pâle ?

Je vais bien.

J’ai des Sédatifs PC si tu veux.

Des quoi ?

De l’homéopathie.

Depuis quand tu y crois ?

Depuis que je te connais.

C’est faux, ça n’a jamais marché sur moi.

Je sais.

Hier encore, elle souriait. Elle prétendait être heureuse avec lui, convaincue qu’elle l’était à force de se le répéter. Ton problème, c’est toi. Tu te trouves détestable. Tu es incapable de te regarder dans un miroir. Tu refuses de sortir sans maquillage. Tu es plus laide et hideuse que la puissance de ces deux mots réunis. Elle a envie de pleurer. Hier, pourtant, elle souriait en pensant à Bali. Elle s’y croyait. Elle avait oublié qu’elle ne savait plus où elle en était. Et Guillaume qui ne peut pas comprendre. Le pauvre, elle est horrible avec lui. Elle le rend responsable de tous ses maux, comme si c’était de sa faute à lui si elle ne saisissait rien à la vie.

Guillaume, je crois que je ne t’aime pas. Ou je ne t’aime plus. Je n’en sais rien. Je suis désolée, je raconte n’importe quoi. Je n’arrive juste pas à me sentir bien avec toi et ça me fait mal de te le dire… À plusieurs reprises, elle a essayé de lui cracher le morceau, cesser de mentir une bonne fois pour toutes. Impossible. Jamais le bon moment, le bon endroit. Elle refuse de voir ces yeux noisette baignés de tristesse. Ces yeux remplis de tendresse. C’est vrai, il est le seul à la regarder ainsi, mais elle ne sait pas lui rendre la pareille…

Avant, les mecs, elle n’en avait rien à faire. Pas envie de s’enticher d’un connard, d’un psychopathe, d’un gros macho ou d’un type violent. Seule, on va tout aussi loin. Puis son chemin a croisé celui de son compagnon. Très vite, elle s’est lassée de sa présence bienveillante. Pourquoi ? Si seulement elle connaissait une partie de la réponse, une putain d’explication à son mal-être… Ne cherche pas, tu es simplement trop difficile. Tu espères trouver mieux. Tu te dis que ce mec à l’autre bout de la rame de métro est plus beau que ton copain. D’ailleurs, c’est vrai que… Bref. Tu n’es qu’une gamine, bercée par les contes de fées. Une princesse, une fille à papa. Pas une fille à maman, ça, je te l’accorde !

Et si elle le quitte, elle perd tout, à commencer par elle-même. Ils ont construit, vécu, envisagé des projets d’achat, d’avenir. Ils ont traversé des tempêtes aussi, les disputes, les deuils, les déceptions… Main dans la main, ensemble. Alors mieux vaut continuer, prétendre, faire semblant, même si c’est horrible, immoral, dégueulasse… Même si un jour ou l’autre la crise pointera le bout de son nez. N’est-il pas trop tard d’abord ? Maintenant, être amis serait trop difficile, absurde. On ne devient pas l’ami d’une fille qui nous largue sans raison. Et encore moins d’une menteuse…

3 qualités, ce n’est pas bien compliqué ! Les princes charmants n’existent pas, tout comme la vie n’a rien d’une comédie romantique ! Tu as trop lu « Madame Bovary », rappelle-toi de la fin ! 3 qualités et finissons-en. Tu ne vas tout de même pas gâcher tes vacances pour si peu ! Réfléchis… Réfléchis bien… Et vite… Tu ne peux pas oublier ce qu’il a fait pour toi, à commencer par ce voyage inespéré… Guillaume est généreux… Guillaume est attentionné… Guillaume est…

Il s’est introduit, là, dans son champ de vision. Ses fesses se sont posées sur le siège à côté du sien et sa voix a frémi dans ses oreilles.

C’est toi… Laurie ?

L’impression qu’un bout de terre vient soudainement de se décrocher. Pourtant, l’avion n’a pas quitté le sol.

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Lewis
Posté le 15/04/2023
Hello !

C'est avec plaisir que j'ai lu ce chapitre 2 ! Ta plume est toujours simple, efficace et percutante ; l'histoire est de ce fait très agréable à lire. Je m'étais vite attaché au personnage de Laurie, et ça ne change pas ici. Même si elle fait face à un conflit intérieur qui paraît paradoxal, on la comprend très bien : ce n'est pas parce qu'une personne est gentille, géniale et canon qu'on tombe amoureux d'elle ahah.
J'ai hâte de lire la suite !
Lislee
Posté le 15/04/2023
Hello !

Merci pour ce nouveau retour :)
Je suis contente que ça te plaise et que le personnage de Laurie ne paraisse pas trop cliché. L'histoire en elle-même est simple, mais j'essaye de mettre en relief des problèmes et des situations un peu moins évidentes que ça en a l'air.
Loranji
Posté le 10/04/2023
Votre texte est écrit simplemrnt et pourtant il est tellement puissant. C'est là la qualité des grands auteurs, savoir construire des phrases douées de sens profonds avec des mots pourtant si simples.
Cette histoire se lit facilement mais elle retient terriblement le lecteur. Pourtant le sujet est classique mais vous le relatez avec un style littéraire très accrocheur. Et surtout en tant qu'homme je réalise à quel point les désirs et sentiments féminins sont si complexes, à quel point l'attirance que peut avoir une femme pour un mec est imcompréhensible pour nous les hommes. L'amour est certes une alchimie mystérieuse qu'aucun raisonnement scientifique, aucune équation ne saurait expliquer...mais alors la femme ! C'est encore au delà de tout cela !
Merci infiniment pour cette histoire qui m'a procuré un réel plaisir de lecture. Vous semblez tellement à l'aise dans votre écriture..A quand la suite ?
Lislee
Posté le 10/04/2023
Je vous remercie infiniment pour ce commentaire qui m'a énormément touchée ! Je ne me fais jamais, ou presque jamais lire et je ne m'attendais pas à recevoir un tel retour ! D'autant plus que j'ai écrit ce texte presque d'une traite, ce qui ne me ressemble pas. Je m'enferme d'ordinaire dans la minutie des détails et le perfectionnisme et j'avais envie, pour une fois, de m'exprimer avec plus de lâcher prise. Encore merci ! La suite arrive bientôt, j'espère qu'elle vous convaincra tout autant !
Loranji
Posté le 10/04/2023
Eh bien pour un texte écrit d'une traite je vous tire mon chapeau. Il n'y a pas un instant dans cette lecture où j'ai tiqué sur une phrase. Votre écriture est limpide et très agréable. Continuez à vous lâcher sans retenue ni retouche !
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