Tac. Tac. Tac. Pied frappant le lino. Cliquetis du clavier. Souffle pesant. Tac. Tac. Ronde infernale. Bruissement. Clac. Salive bruyante. Claquement de mâchoire, cartilage élastique. Vertèbres verrouillées. Corps-machine rouillant dans un tonnerre de petits bruits crissant. Comme un long déchirement, un ongle crayeux sur le tableau noir sans horizon. La nuque lourde, les avants bras douloureux, la gorge dépecée de l’intérieur, les muqueuse des joues en feu. Dents à fleur de peau, si près de la rupture. Trop près. Volcan noir, les yeux dure d’enfant face à la bêtise grandie. Des glycines massèrent sous ses côtés, poitrine et thorax percés par l’acide vinasse qui s’infiltre. Gruyère en ébullition, le corps bouillant de souffre. Toute la colère enfermé dans son corps muré comme une citadelle. Prison sacrée, épaisseur des pierres sans son.
- Je ne peux pas t’aider si tu ne me dis rien, tu sais. Il faut que tu m’aides un peu. Je ne sais pas, qu’est ce qu’il te ferait du bien d’entendre? Qu’est ce que tu as besoin que je te dise ? Quels outils t’aiderait ?
Son regard faussement profond se complaisait déjà dans sa défaite, confortablement vaincu, elle ne croyait pas au combat qu’elle prétendait mener. Blasée par avance, agacée devant ce silence qui s’éternisait, elle souffla avec dénigrement et se replongea dans son fauteuil, le dos droit hautain sur le dossier du siège gris, lasse et paresseuse, plissant ses sourcils d’une incompréhension toute rassurante.
- Écoute, si tu ne veux rien me dire, tu peux partir. On doit être deux dans ce travail. Je ne suis pas magicienne, je ne peux pas t’aider si tu parles pas. Faut que tu m’aides.
- Il faut que je vous aide à m’aider, c’est cela?si je savais ce qui m’aiderait, je serais pas là. Si je savais, je m’aiderais moi même. J’ai tout sauf rien à dire. Écoutez le silence. C’est le silence mon appel à l’aide d’accord. Ma gorge est une cloche à vide et c’est ça que vous devriez comprendre !
Sa voix était un cri écorché vif, sans souffle, sans timbre, sans harmonique. Éraillé d’épuisement et de colère, tiraillé par une souffrance millénaire, vide, vif, incisive, affreuse enfin, insupportable. Sa voix n’était pas audible, et nulle oreille humaine ne pouvait supporter sa plainte et le chant de son Phénix mourant. Personne n’aurait pu supporter ce crissement océanique, cette prière aigre de sirène échouée, cet appel trempé de verre brisé. Tout le calme que Busra avait voulu conserver, toute la froideur réthorique, toute la verve argumentative toute l’ironie mordante dont elle souhaitait acculer son interlocuteur, tous les reproches et tout le mépris s’étaient perdus, mués en cette fronde misérable et déchirée. C’était une douleur brisée et contrainte, échappée en brûlant ses cordes hors d’elle. Elle ne voulait pas d’une aide superficielle, elle n’avait pas besoin d’une impulsion, nul déclic ne pouvait la sauver. Aucun vague soufflant à la surface ne pourrait la sauver de son tsunami. Ce n’était pas cela. Ce n’était pas cela mais elle ne savait pas ce que c’était. Et la moindre de ses pensées étaient comme coincées dans sa gorge, et plus le temps passait, plus la douleur se murait à l’intérieur d’elle même et l’envahissait et s’épaississait et elle était enfermée dans cette tristesse, cette colère, cette culpabilité et elle ne savait même plus ce que c’était que ses chiens affamés au fond de sa tête et de son ventre et de sa poitrine, elle ne savait même plus ce qu’elle ressentait, elle ne savait plus ce qui était réel, le temps n’existait plus, les souvenirs l’envahissait, son corps tremblait de douleur et se défilait sur le sol, le monde n’avait plus d’ordre et.... Son cœur était essoufflée de tant ressentir. Et elle n’arrivait toujours pas à parler. Toujours pas à dire. Elle n’avait pas de mots, elle en avait trop, aucun n’était juste, ou tous l’étaient et la réalité n’avait aucune continuité, aucune logique, aucune raison. Sans dessus dessous dans un désespoir crasseux et infini. Elle pleurait à présent, convulsivement, en silence, ses larmes débordaient et son regard était un gouffre criant à l’aide, inamovible, fixe, nu, brut. Oui, d’un dénuement brutal. Sous la puissance de cette solitude répétée, ses murailles meurtries s’étaient changés en papier de riz et elles étaient parties en flamme. En la voyant s’ouvrir avec tant de violence, comme une terre craquelée, enflammée, battue par le vent brûlant et corrosif de la dépression, l’assistance psychologue frissonna intérieurement, terrifiée soudain, paniquée, figée d’horreur. Elle ouvrit la bouche pitoyablement, balbutia puis, en un instant, elle repris son attitude fermée et butée, elle oublia les larmes et le désespoir, le cri, l’appel et l’abîme. Elle remis sa langue à sa place, et se saisit de ce dialecte banal qui ne pouvait rien pour personne, ne le pourra jamais et ne l’a jamais pu. On ne sait si dans la cave de son corps, l’interlocutrice comprenait ce qui se passait, si quelques échos lui faisaient ressentir l’importance de ce moment, de ce flot cédant sous trop de détresse. Pour la première fois pourtant, Busra avait parlé. Parler. Non pas qu’elle gardait habituellement le silence, mais articuler des sons intelligibles n’est pas parler. L’assistance comprenait elle cela ? Le sentait elle ? Mais le pouvait elle ? Le voulait elle seulement ? Son ultimatum pourtant montrait bien qu’elle n’était pas dupe. Pourquoi ne pouvait elle l’aider alors ? Pourquoi ne voulait elle pas aider ? Qu’est ce qu’elle attendait ? Attendait elle seulement quelque chose ? Que faisait elle de sa connaissance ? Il est tout aussi ignorant celui qui continue d’agir en aveugle. Elles regardèrent conjointement l’heure, et bruyamment, brusquement, sans parler, elles dirent au revoir, et Busra sortit seule, plus consciente que jamais de sa main sur la chambranle de la porte, du poids de son sac, et de la froideur épaisse et suffocante de cette solitude humaine. « Personne ne peut tout donner ».
Mais en effet, cela ne m’est pas étranger même si oui va bien mieux. Écrire cela permet de mettre à distance et même si ce n’est pas tout joli, bon bah, avec ces souvenirs sur les bras, faut bien en faire quelque chose.
Merci pour tes commentaires, je ne sais pas vraiment comment je vais où je vais avec ses textes mais je sais où.
Enfin, désolé d’inquieter.