Elle fit couler de l’eaux chaude qu’elle but en se brûlant. Elle lava ses mains à l’eau froide et en aspergea son visage d’olive. Elle enfila couche après couche son soutien gorge bandé, son t-shirt lâche, son pull montant et mousseux, sa culotte informe et légère, ses collants de laine et sa jupe rugueuse. Elle essuya ses mains sèches. Elle ferma les boucles de ses chaussures. Elle passa une écharpe sale et douce autour d’elle. Elle mit son manteau rigide et trop large, trop vieux et trop bleu, comme elle se serait caché dans le sac du magicien. Brusquement, elle ferma la porte, et descendit en sautillant l’escalier. Elle croisa son vieux voisin à qui elle souhaita une bonne journée d’une voix chantante, un sourire trop grand pour elle mangeant son visage étroit et enfantin. Puis en passant la porte de l’immeuble, elle patina dans le gravier, dans une lutte hivernale pour s’enfuir hors de l’île de sa captive nativité, peinant dans le flou de la lumière grisâtre. En fermant le portillon, elle se retrouva projeter malgré elle dehors et alors, elle dégringola dans la ville, ivre, zigzagant, marchant à rebours, longeant le chiendent et poursuivant des yeux les pigeons. Elle joua les Roméo face aux jardinières des balcons et aux pommiers des murets. Elle embrassa les écailles des peintures, les façades des fissures, elle bu le monde et se saoula de sa multitude, elle honora son regard et respira par son iris, elle se laissa emplir de chaque poussière de lumière agglomérée à la surface des maisons, des rues, des plantes, des voitures, du ciel et des passants. Soudain, son téléphone qu’elle avait oublié au fond de sa poche en feutre sonna dans l’épaisseur de la ville calme, fourmillante et ensoleillée d’aube. Tout naturellement, dans la simplicité de cet instant, elle décrocha sans vraiment regarder le nom qui s’était affiché, et dit d’une voix profonde et lisse, un peu trop grave ou trop aiguë sûrement. Venue d’ailleurs.
- Allô ?
- Allô. Oui ! chaton, oh ! j’appelais juste pour prendre des nouvelles, tu sais. Comment tu vas en ce moment mon bébé ?
- Oh euh hum... oh tu sais... boulot ... cours.... ça va, ça va... Verana m’a....
- Oh bah c’est tout bien ça, mon crapaud ! Moi, alala, je n’en peux plus, je t’en parle pas. Avec les nouveaux codes et décrets qu’il nous pond Paquille et ses ministres les cinq matins, on passe notre temps à changer du tout au tout. Et la direction dans les pattes qui nous demandent des comptes. Non mais tu comprends, avec le changement des 39h, et le sous effectif dû aux nouveaux auxiliaires en formation qui doivent être seconder partout, le roulement qui s’assure plus parce qu’avec la fusion, on a dû effectuer une refonte des hiérarchies. Les calculs sont une prises de tête, on ne sait plus où reprendre l’ancienneté car les conventions collectifs sont en conflits et les décrets se contredisent, je ne sais plus si je dois prendre le taux à 0.8 mais si tu prend la devise monétaire qui se base sur la cotisation ancienne de l’employeur, on tombe sur 766,34, même en arrondissant ça mène plus à rien, alors là je route un mail au siège, bien sûr, ils mettent 5jours à me répondre, et là les délais sont passé ! Entre temps, le taux horaires a permuté à cause du ministre et de ses copains, non mais ils pensent à nous ou quoi quand ils bossent !!......
Elle étouffait de nouveau, l’asphyxie reprenait. Sa gorge se serrait douloureuse, elle sentait sa mâchoire près de craquer comme du bois vert tendu jusqu’a se pendre. Elle n’écoutait plus, mais la tension était revenue, cruelle, et elle luttait pour apaiser les battements féroces et irréguliers de son cœur, soulevé par cette concrétide immonde. Elle aimait sa mère. Elle l’aimait, se répétait elle. Mais déjà, elle avait du mal à le sentir, elle savait l’amour partie pour quelque temps, remplacé par ce froid et humide sentiment de dégoût et d’insatisfaction, de colère et d’impuissance. Elle haïssait sa mère de lui faire ressentir pareille souffrance, et elle se haïssait elle de ne savoir se contrôler. Pourtant, quelque part, dans les tortueux mécanismes de son cœur misérable et atrophié, cela lui permettait de se rappeler qu’elle pouvait encore ressentir quelque chose, qu’elle savait reconnaître le faisceau de lumière frappant sa cornée et s’indigner face à l’effacement matériel de ses frères humains. Cela lui rappelait le bouillonnement euphorique qui pouvait porter son corps. Oui, cela lui rappelait la vie courant le long de ses os, jusqu’au delta de ses nerfs, et l’électricité qui poussait son cœur à frapper sa cage thoracique vibrante sous les coups répétés. Toujours tendue, agacée dans toute l’extrémité de son instabilité, elle prétexta quelques préoccupations fictives et après avoir brièvement murmuré les mots d’amour nécessaires, elle raccrocha, exténuée déjà en suivant de ses yeux douloureux un pigeon terriblement épais et réel dans le ciel bleu brumeux et aveuglant. Ce printemps l’éblouissait et la droguait, et elle souhaitait ses rayons et son vert puissant sur sa peau autant qu’elle voulait refuser cet envol volage, cette dissolution trop simple. Elle avait trop peur de disparaître. « Espèce de petit vampire » murmura t elle à elle-même, repensant, avec des larmes lisses et fraîches agglutinées au bord de ses yeux près de rouler par terre, aux mots de sa mère devant sa peau blanche d’enfant enfermée dans l’ombre de la page immense des livres qu’elle dévorait pour s’oublier. C’est fou comme rien n’avait vraiment changé. Ça y est. À nouveau elle avait pensé, à nouveau tout s’était décalé. Comme si chaque vertèbre de son esprit s’était désaxé devant l’incohérence du temps. « Foutu Einstein ». Perdue à nouveau entre la relativité qui l’émiettait, et la simplicité qui l’aplatissait, saisi du frisson d’effroi habituel, des larmes lasses la tourmentant encore, revenant déjà, elle ne savait plus où elle habitait. Comme toujours. Et « Où j’habite ». Elle soupira dans l’étirement du temps distendu et son souffle se poussa jusqu’au bout de la ruelle pavée. « Encore » et ses yeux se noyèrent d’un voile.
Sinon, c'est toujours tout aussi délicat, on sent vraiment que tu parles de quelque chose que tu as "vécu", et que tu vis, et du coup, ça parle aux lecteurs. On se reconnaît dans le positif et dans le négatif. Juste un léger point : fais attention aux puces au niveau du dialogue haha, tu peux mettre un cadratin peut-être ? Sinon, c'est toujours aussi poétique et agréable à lire
Je reste toujours sensible à la mélancolie, ce fut ma marque de fabrique pendant beaucoup trop longtemps. En vérité j'étais heureux lorsque j'étais triste, j'aimais me morfondre, cela me prouvait que je pouvais encore ressentir, encore être vivant.
Il n'est pas facile de se comprendre et de se trouver dans l'espace. De découvrir ce que l'on est. On se fracasse pour correspondre à ce que l'on devrait être, on se déteste parfois pour cela, parce que personne n'a vraiment les clefs vers le paradis de l'acceptation de soi, mais on fait comme si, parce que ça a l'air d'être la réponse que cherche celui qui souffre à coté de nous.
Rien ne change vraiment autour de nous, seulement nous changeons notre univers.
Cela prend juste du temps.
On ne peut pas forcer une plante à pousser plus vite. Hurler sur un bébé ne le fera pas marcher ou parler plus vite. Nous ne devenons pas plus grand uniquement parce qu'on le veut, parce qu'on le décide.
Ce n'est juste pas quelque chose que l'on peut contrôler.
Parfois, notre destin n'est juste de n'être pas à la place que l'on souhaitait.