Le soleil se levait timidement. Il n’était pas très tard. Après des heures de travail je pouvais sentir les rayons du soleil se poser sur mon visage, le réchauffant un peu. J’avais travaillé toute la nuit, attablé à mon bureau en bois de cèdre, face à la grande fenêtre qui illuminait sagement la chambre à son devant. Les couleurs que les vitraux laissaient couler, baignaient de leurs lumières les feuilles de mes monsteras posées sur le bord de l’établie. Je pris une centième gorgée de mon café froid, grimaçant devant mes croquis. Les feuilles de mes carnets tachées par la boue, ou teintées par des gouttes subtiles de café révélaient de véritables études complexes de chaque feuilles, de chaque insectes retrouvés dans l’humus verdâtre récolté en forêt hier soir après la pluie. Je remontais sur mon nez mes petites lunettes rondes. Le souffle doux de ma sœur jumelle Aileen qui dormait dans son lit derrière moi, et le bruissement de ses draps sur son corps menu brisait quelque peu la tranquillité qui s’était installée, comme pour sonner le début d’une journée ensoleillée. Sans même la regarder, je connaissais déjà ses mouvements par cœur. Elle se retournait de gauche à droite, s'asseyait en tailleur, baillait un grand coup, défaisait sa longue tresse blonde qu’elle avait nouée la veille, puis sortait de son lit. Elle n’enfilait jamais de pantoufles ou de chaussettes et gardait ses pieds sur le carrelage gelé une longue minute dans le silence. Elle regardait par la fenêtre quel temps il faisait chaque matin. Puis Aileen quittait son matelas en rechignant, elle ouvrait les fenêtres, qu’importe la météo.
Tu as vraiment encore travailler toute la nuit ? me demanda-elle. Je ne lui répondit pas, montrant simplement mes mains pleines de terre. J’ai du mal à discuter avec les gens même lorsqu’il s’agit de ma propre famille. J’imagine que cela doit venir de certains traumatismes d’enfants, et elle le savait très bien. Elle frotta affectueusement mes cheveux bouclés, sans un mot, et sortit de la chambre. Lorsqu’elle ouvrit la porte pour descendre à la cuisine, une odeur irrésistible de café et de crêpes entrait dans la pièce, mon ventre manifestant ma faim par un petit gargouillis vint sonner l’heure du petit déjeuner.
En bas, se tenait une véritable réunion de famille. Nombreux diraient que le sang fait la famille, mais dans notre cas, cela est bien plus complexe. Le seul lien de sang que j’ai est celui avec Aileen. Nous sommes une famille d’adoptés. Pourtant je ne les considérerais jamais autrement que comme ma vraie et unique famille. Papa et maman n'ont jamais eu la chance d’avoir leur propre enfant et ont pris la décision de recueillir les orphelins dans le malheur lorsqu’ils le pouvaient. Presque tout le monde était déjà à table, seule maman était déjà partie travailler.
T’en fais une tête Eliott ! s'écria Gréta, ma sœur aînée.
Les longues boucles noires de ses cheveux tombaient sur ses épaules dénudées, sa peau sombre était encore humide, elle devait sortir de la douche. Elle me regardait avec un grand sourire, elle s’était levée aux aurores, ça se voyait tout de suite. La cuisine était son repère. Gréta l’a toujours aimée autant que moi j’aime cette immense maison. Cette cuisine était d’ailleurs sans nul doute la pièce la plus gaie parmi les autres. Elle était submergée de couleurs : les placards étaient d’un beau vert sapin, le plan de travail parsemé de briques rouges, et les murs vêtus d’un vieux papier peint jaune aux douces margherites qui semblaient danser sous les rayons du soleils. Le parquet, lui, était d’un bois sombre. Il était paré d’un tapis de laine blanche fait main sur lequel reposait la grande table en érable décorée de ses napperons de dentelle.
Leurs sourires au matin ne pouvaient égayer ma journée. Je leur souriais en retour, avalant une grosse bouchée de crêpes à la confiture d’abricot.
Gréta cria dans l’escalier. Mabel tu es réveillée? J’aimerai t’emmener en forêt, cela fait longtemps qu' il n’y a pas eu un si beau soleil !
Elles quittaient régulièrement la maison assez tôt dans la matinée pour partir à l’aventure sur l’île. A la recherche d’adrénaline, d'animaux à observer et de défis à relever à travers les bois. Depuis que mes parents ont recueilli Mabel, Gréta l’a tout de suite prise sous son aile. Il ne s’est presque jamais passé une journée sans leurs diverses vadrouilles à l'extérieur. Aileen et moi en revanche avons toujours été distants avec Greta quand nous sommes arrivés, pas parce que nous ne l'aimions pas, mais parce que notre relation de jumeaux est beaucoup trop fusionnelle pour pouvoir y laisser entrer quelqu’un d’autre. Elle a toujours voulu avoir un lien aussi fort que celui que nous partagions avec Aileen, et elle l’a trouvé grâce à Mabel.
Une petite voix aiguë venant de l'escalier répondit avec entrain à la proposition de Gréta. Une petite fille sautait les marches pour atterrir
avec un rire éclatant juste derrière ma chaise, cette joie matinale venait tous les jours égailler le petit déjeuner. La petite tignasse rousse et emmêlée s'asseyait à côté de moi, le regard espiègle et les dents écartées, la petite dernière de la fratrie ne manquait pas de caractère. C’était la seule que j’autorisais à me câliner lorsqu’elle se réveillait. Elle commençait à manger ses crêpes goulûment en s’en mettant plein les doigts, ce qui m’ amusait. J'étais très admiratif de l’insouciance que la jeunesse apportait à ma petite sœur. Venant interrompre le fil de mes pensées, un bruit de pas lourds se fit entendre dans le couloir, faisant grincer le parquet, les pas étaient fort et rythmés, laissant finalement apparaître dans le coin de la pièce un homme très grand, les épaules larges à la carrure solide; c’était mon père, Harold Lanum. A Port Siava, sa boutique fleuriste avait un succès fou, sa passion pour la botanique l’avait mené loin. J’ai découvert plus petit à mon tour que j’apprenais vite, et que ce milieu me fascinait peu de temps après notre arrivée dans la famille. Les plantes et la botanique m’aident à oublier, à ne plus penser. Depuis notre adoption à ses côtés je ne peux plus vivre sans toucher la terre, sans sortir de chez moi, sans étudier la moindre chose vivante que je peux croiser. Harold nous regardait avec un regard tendre tout en trempant sa moustache épaisse dans son café. Il était propre sur lui, comme à son habitude. Il coiffait ses cheveux vers l’arrière, dessinant deux belles lignes grises sur les côtés de sa tête, pas un poil ne débordait de son visage aussi marqué qu’une pierre. En lançant un regard vers moi, il comprit que je n’avais encore pas dormi, cela devenait récurrent. Il me regardait droit dans les yeux, et il me fut impossible de deviner ce qu’il y avait dans sa tête à ce moment. Tu n’as pas dormi. Est-ce que tu voudras passer un moment à la boutique cette après-midi? Me demanda t-il. Pour tuer le temps, j’allais souvent rejoindre papa à la boutique pour l’aider. Nawinter la fête de la fin de l’hiver allait sonner à nos portes et il avait beaucoup de travail. Malgré les nuits très courtes que je passais je ne voulais pas gâcher mes journées pour autant! J'hochai la tête. Je le regardais faire, reboutonnant sa chemise de lin correctement, et essuyant du bout d’une serviette brodée sa bouche, papa se leva et marcha vers l'entrée pour enfiler son manteau de daim. Il quitta la pièce tranquillement, en lâchant un dernier regard sur sa famille. J’étais heureux de pouvoir le retrouver cet après-midi à la boutique.
Quelques heures après le petit déjeuner, j’accompagnais Aileen vers le grand marché à Port Siava, il fallait faire des courses pour que papa et maman qui travaillaient toute la journée n'aient pas à se déplacer la nuit tombée. Nous avons donc descendu la colline sur laquelle notre maison était posée pour descendre vers la mer. J’aimais beaucoup cette partie du port, il était animé presque toute la semaine, les stands immenses pleins de produits divers trônaient sur les pavés ronds de la ville. J’aimais tellement les odeurs du marché, celles des épices et des herbes séchées, celle du pain chaud aussi ! C’était tous les jours un défilé de visages que je connaissais par cœur avec le temps. Les divers tissus que portaient les passants offraient des vues hautes en couleurs, la dentelle des cols, les blouses de marins, et les bretelles de cuir très en vogue sur l’île en ce moment chez les messieurs comme chez les dames. Les vieilles personnes inspectaient chaque produit à travers leur monocle de bronze, et les portaient dans des paniers tissés à la main. Je passais de légumes en légumes, par les plats préparés, les fromages, le vin et les petites poteries décoratives, fait main, pour finalement arriver au stand de poissonnier où maman travaillait. Un stand de bois bleu marine et blanc, drapé d’une belle nappe brodée où siégeaient des caisses immenses de crustacés et de poissons. Maman aussi était très appréciée par les habitants, c’était une vraie vedette à Port Siava. Elle était aussi importante que le maire. Il faut dire qu’elle a vraiment beaucoup contribué à l’économie de la ville. Depuis ses seize ans, maman était pleinement entrée dans l’entreprise de pêche de sa famille, quand ses parents sont décédés elle n’avait pas vraiment le choix. Sa nouvelle famille était devenue les équipiers de Herrington Enterprise, les vieux pêcheurs de port Salum. C’était une femme avec un très fort charactère ma mère, elle était très énergique et indépendante, quoi qu’elle fasse elle le faisait jusqu’au bout. C’est ce qui faisait d’elle quelqu’un de singulier. A ses côtés ce matin-là il y avait Horace, le vieux pêcheur aigris qu’elle considérait comme un un père, ou un grand père, vu son âge on ne savait pas trop... Il était assis sur son tabouret derrière le stand, la pipe dans la bouche sous sa barbe grise. Il était le parfait cliché du vieux marin, relativement petit, les sourcils ébouriffés, et toujours vêtu d’un ciret jaune et d’une petite casquette rouge. Bien qu' au premier regard il semblait relativement froid, il avait le don de redonner le sourir à n’importe qui, c’était un chanteur or pair et un accordéoniste très doué ! Ses chansons racontaient toutes des histoires fascinantes, il narrait l’histoire de l’île aux plus jeunes, et donnait de courts spectacles le samedi soir sur le marché pour divertir les habitants.
Ta mère est juste derrière en train de charger les crabes dans des caisses de glaces mon garçon! S’écria t il lorsqu'il croisa mon regard.
Horace parlait avec un fort accent, il tapait toutes les syllabes de manière très ferme, et roulait les “r”, ce qui ne lui donnait pas un air très commode. Je contournais donc le présentoir à fruits de mer pour tenter de retrouver ma mère avec Aileen. Elle était là, penchée sur ses filets et ses caisses de glaces, ses cheveux bruns humides et noués, et sa combinaison verte sur le dos. Elle était tellement concentrée sur son travail qu’elle ne nous remarqua même pas. Aileen s’avança doucement, et avec sa tendresse légendaire, alla lui poser la main sur l’épaule pour lui dire bonjour. Elles se mirent donc à discuter, maman me fit un petit signe de la main pour me dire bonjour, auquel je répondis avant d’aller en sa direction à mon tour. Je regardais les algues danser dans l’eau juste devant les caisses que maman avait posées au bord. Cet air marin provoqua une irrésistible envie de me balader quelques minutes pendant qu’elles étaient ensembles. Je marchait donc le long de la baie qu’il y avait derrière le marché, lentement en prenant le temps d’analyser le moindre gros bateaux de fer démesurés à côté des barques en bois et les voiliers colorés qui bordaient le port de leurs ombres. Le fait qu’il y avait du soleil ce jour-ci me faisait un bien fou, je profitais de cette petite balade en solitaire avec un plaisir immense. J’étais immergé dans les parfums de la mer, les senteurs d’iodes et de bois humide ne me déplaisaient pas. Le son de la musique que faisaient les orgues de barbaries, et celui de mes pas sur les aspéritées des pavés rendait chaque mouvements plus vivants. La brise se leva d’un seul coup, sans crier gare, déchirant cette plénitude qui s’était installée en moi. Le vent me frappait le visage, et malgré le soleil abondant de cette journée, mes joues se retrouvaient glacées. Quelque chose se réveilla en moi, silencieux et indéterminable. J’eu l’envie soudaine d’aller sur la jetée. Je marchais donc en sa direction, étant dans une inconscience envoûtante, comme si je ne contrôlais plus mes propres jambes et qu’elles continuaient à avancer sans mon accord. Arrivé vers les planches de bois moisis qui formaient cette jetée si iconique de notre île, là, sur le banc où toute personne voulant s’isoler pouvait s’y ranger et regarder la mer, j'aperçus quelque chose d’étrange. Ou plutôt devrais-je dire quelqu’un. Assise sur ce banc, immobile, une femme habillée dans des vêtements semblant d’une autre époque regardait la mer. Elle avait une posture droite, stricte, et sévère. Sa carrure et sa prestance ne me disait rien. Je connaissais tout le monde à Port Salum et tout le monde savait qui j’étais. Je ne voyais pas très bien son visage, il me semblait flou, cela n’aurait pas été si étonnant puisque ma vue est tout de même médiocre, mais j’avais malgré tout un mauvais pressentiment. Comme si je savais d’office que ma vue n’avait rien à voir avec ce que je pouvais voir. En reculant d’un pas de la jettée, la femme tourna vivement la tête et me fusilla du regard, les yeux grands ouverts presque exorbités, ça me glaçait le sang. Un frisson me traversa le dos de haut en bas. J’ai voulu partir en courant mais mes jambes ne me portaient toujours pas, mon regard était plongé dans le sien. Un regard d’outre tombe, vide, mais hypnotique. Elle ne bougeait pas d’un centimètre, même sa poitrine ne se levait pas au gré de sa respiration. Me sortant de mon échange de regards, deux mains se posèrent sur mes épaule. Je pense que je ne remercierais jamais assez Aileen de m’avoir sorti de mes pensées à ce moment-là. Le regard de la dame du banc m’avait tellement pétrifié que je ne savais même pas combien de temps cela avait bien pu durer.
Tu sais qui est cette dame Aileen ? Lui demandais-je en pointant du doigt le banc désormais vide. Vide? La femme était là il y a quelques secondes. Où ça ? De quelle femme tu parles Eliott? Me dit-elle sur un ton presque inquiet. Je me suis mis à bafouiller tant j'étais perdu.
Sa question me frappait de l’intérieur. Je commençais presque à la croire lorsqu’elle disait que le manque de sommeil risquait de me rendre fou sur le long terme. Elle tendit sa main fluette vers moi, elle m’invita à rentrer à la maison pour le dinner.
L’après-midi venu je n’arrivais pas à me débarrasser de cette image que j’avais eu ce matin. Cette “vision” me donnait des frissons. Ce que j’avais vu n’avait rien d’un rêve, j’en étais sûr. J’avais l’intime conviction que c’était impossible qu’il en soit autrement. Papa me secouait le bras, je crois que je m'étais perdu dans mes pensées. Encore. Décidément les courtes nuits ne te réussissent pas ! Déclara t-il. Et si tu m’aidais à préparer la commande pour la taverne ? Après celle-ci tu devrais rentrer à la maison, ton état est vraiment mauvais je ne voudrais pas que tu tombe de fatigue d’un seul coup en rentrant ce soir avec moi. Je lui fit un signe approbateur de la tête, et nous commencions à faire les ornements floraux pour décorer la taverne. Soudain, on entendit la clochette qui signalait la présence de visiteurs sonner. Ahh ! Agnès tu es là ma grande ! Papa l'accueilli avec la plus grande aimabillitée qu’il puisse offrir. Agnès était la fille du tavernier, c’est elle qui est responsable de la décoration de la taverne chaque année puisque ses parents sont bien trop occupés pour s'atteler à ces tâches. Elle n’était pas très grande et toute menue, elle gardait le sourire en toute circonstances et avait des cheveux brun très courts et mal coiffés. Agnès et moi avons le même âge, elle vient souvent nous voir à la boutique, ou même à la maison pour les commandes.. Du moins c’est ce qu’elle dit. Gréta est persuadée qu’elle a le béguin pour moi. Je trouvais ça vraiment étrange d’ailleurs, même si elle me regardait sans cesse avec des yeux grands ouverts. Moi je me suis toujours dit qu’elle me trouvait sûrement bizarre et que c’est pour ça qu’elle passait son temps à me fixer.
Peux-tu aider Agnès à ramener les ornements à la taverne, j’ai encore du travail, tu pourras rentrer après ! Je ne rechigna pas une seconde, et montra à Agnès les cartons qu’elle pourrait porter elle aussi. Ils n’étaient pas lourds. Le jour commençait déjà à se coucher doucement, laissant une très belle couleur ocre dans les nuages qui commençait à leur tour à montrer le bout de leurs nez. Agnès ne disait rien, je sentais juste son regard peser sur moi, elle attendait peut être quelque chose de ma part, un mot, ou une bizarrerie sur les plantes.C’est mes cernes que tu regardes ?
Quoi? Non, je regardais le ciel, il est plus beau de ton côté. Elle semblait gênée par ma question.
Il est pareil partout. Tu voudras un peu d’aide pour tout accrocher? J’ai encore un peu de temps avant de rentrer.
Elle me répondit d’un signe de tête, c’était pénible de la voir autant gênée avec moi, on se connaissait depuis longtemps pourtant elle a toujours été froide avec moi. Je l’ai donc aidée à accrocher toutes les décorations pendant une bonne heure dans la taverne. Elle était méconnaissable, les guirlandes de fleurs, les décors de bruyères sur la cheminée, tout faisait de cet endroit vieillot un vrai cocon. Je sortis enfin sur le port. La nuit était complètement tombée, j’avais bien trainé. En regardant les lampadaires du port s’allumer, le souvenir de la vieille dame de ce matin me revint à l'esprit. Un picotement dans mes entrailles me donnait une mauvaise intuition. Comme si je devais absolument retourner voir ce banc sur la jetée. J’avais le pressentiment que ce que j’y verrais était important. Des personnes plus sages que moi seraient sûrement rentrées se coucher, ma famille risquait de ne pas comprendre où je suis si je traînais trop. Et avec la fatigue qui s'accumulait, la montée vers la maison serait encore plus longue qu'en vrai. Je marchais donc en direction de la jetée, il commençait à faire froid, et un mal de crâne violent s’était invité à ma sortie nocturne. Le vent me poussait presque dans la direction de ma vision, je pressais donc le pas. Tout se stoppa net. J’étais là face à la jetée de bois, le regard droit devant , raide sur les pavés. Elle était là, la vieille dame de ce matin était là. Assise sur le même banc, dans la même position et surtout le même regard en ma direction, la tête tournée sur son épaule droite. Le silence me pesait. Je n’entendais même plus le bruit des vagues qui s’écrasaient sur les rochers. J'ai pris la dure décision de me déplacer dans sa direction. Mes pas faisaient grincer les planches de cet immense ponton, elle continuait de me fixer droit dans les yeux, le regard presque exorbité et pas la moindre expression sur son visage. J’arrivais enfin à son niveau entouré des mouettes qui faisaient office de témoins de cette scène qui me semblait presque irréelle. Elle détourna le regard pour fixer l’océan devant elle, et posa sa main maigrichonne sur le banc comme pour me faire signe de m'asseoir à ses côtés. Les jambes hésitantes je m'asseyais sur le vieux banc presque rouillé, je pris une grande inspiration. Qui êtes-vous ? Etes vous réelle ? Elle ne répondit pas, elle fixait toujours l’océan droit devant elle. J’essayais d’insister pour avoir des réponses, mais rien ne sortit de sa bouche. Excepté les mots: Ils arrivent mon garçon.
Éclatant le silence, cette phrase résonna d’un seul coup dans ma tête. J’eu l’impression de me prendre une énorme pierre en pleine figure. Qui arrivait ? De quoi cette vieille dame au teint si pâle me parlait-elle ? La peur m’envahissait encore plus. Jusqu’au moment où je la vis se tourner vers moi brusquement.
Ceux qui sont déjà venus vont revenir. Et nombreux sont ceux qui périront.
Elle pointait du doigt l’océan, rigide. Je ne voyais rien. La brume tapissait la mer. Elle se leva doucement s’apprêtant à partir, je l’imitais sans attendre à ses côtés. Je voulais en savoir plus. Elle avança doucement, toujours le doigt pointé vers l’océan, se dirigea vers le bout de la jetée la pointe du pied posée sur la dernière planche du ponton face au le vide. Je la suivis en lui demandant ce qu’elle faisait, elle ne me répondit pas. Le regard toujours perdu dans le vide, elle fit volte face, pour se retrouver dos à l’océan. Toujours son regard livide plongé dans le mien. Elle m’adressa une dernière attention en me répétant : Ils arrivent. Elle se jeta en arrière dans l’océan. J’étais pétrifié, je n’eux même pas la force de crier. Les sons de l’océan m’étaient tous revenus d’un seul coup, comme si sa chute marquait une rupture absolue du silence. Je me précipitais près du bord pensant voir avec effroi un cadavre. Or à ma plus grande surprise, il n’y avait strictement rien d'autre que la houle. J’étais terrifié, et n’ayant pas la moindre idée de l’heure qu’il était je pris avec le peu de forces que j’avais mes jambes à mon coups pour rentrer à la maison.