C’était la panique en ville, ça faisait déjà un jour que la lumière venant de la lointaine horizon perturbait les habitants de l’île. Tous s’étaient rassemblés sur la place de Port Siavar, même les personnes âgées de la maison de retraite étaient sorties. Mr.Fishnet essayait de calmer les foules, tout l’équipage de Herrington était là, personne ne devait aller en mer tant que le maire ne l'autorisait pas. Cette fois c’était sûr, ce n’était pas une lumière d’un bateau de chez nous. Qu’est ce que c’est Mr.Fishnet ?! Pourquoi cette lumière ?
C’est un bateau dites ?
Un monstre marin ?
Et si ça recommençait Monsieur ! Qu’est-ce qu’on va faire ?
Tellement de questions perçaient le calme habituel de Siavar, mais aucune réponse ne sortait de la bouche du maire. “ Et si ça recommençait?”, Je n’avais pas la moindre idée de ce à quoi le vieillard au premier rang faisait allusion.
Nous devons attendre que la lumière se rapproche messieurs dames !
Attendre. Ce mot qui peut briser l’excitation de quiconque désirant une réponse, ce mot qui peut autant inquiéter que réjouir, ne plut pas ce jour-ci à l’amas de curieux personnages déchaînés au plus au point par leur peur.
Qui peut bien savoir après tout c’est peut être juste un phénomène de météo ! Pas vrai Eliott? C’est pas grave hein ?
Mabel m’avait pris le poignet, son visage était crispé, bien loin de son énergique sourire.
Oui, qui sait …
Je la pris sur mes épaules, pour rejoindre la famille du côté de l’équipe de Herrington. Maman semblait soucieuse. Elle regardait sans cesse vers le large, et je n’aimais pas ça.
Est-ce que tout va bien maman?
C’est un bateau. Un bateau énorme, et il ne vient pas de chez nous.
Elle savait de quoi elle parlait. Même si je pense que beaucoup avait déjà compris que c’était bien un bateau, elle avait relevé un point intéressant : il devait être affreusement grand pour qu’on puisse voir juste sa lumière d’aussi loin depuis presque vingt-quatre heures.
***
Ce soir on mangeait à l’air libre, pour une fois l’air n’était pas glacé dehors, et la lumière se faisait de plus en plus grosse au large. Ma famille essayait de ne pas la mentionner ni même de la regarder, mais pas moi. A la fin du dîner j’ai eu envie de rester un peu dans le jardin, à regarder au loin, le ciel était clair pour une fois, je pouvais voir les étoiles sans ces foutus nuages chargés de pluie. J’étais assis dans l’herbe, ça sentait bon. Il n’y avait que le son des vagues au loin, et celui d’un petit vent dans les feuilles d’arbres. Mes pieds étaient entrecroisés, au repos après avoir vadrouiller un peu partout avec l’agitation du village. Venant troubler ma tranquillité, un petit craquement derrière moi me fit sursauter. En me retournant violemment, je ne vis personne. Juste une toute petite étincelle bleue, elle flottait et ondulait comme la flamme d’une allumette. Je me frotte les yeux à deux reprises, passe mes lunettes dans mon pull pour être certain qu’il ne s'agisse pas d’une saleté. Et quand je repose mes bésicles sur le nez, la flamme était toujours là. Je fis un pas vers elle, puis un second, doucement, l’étincelle reculait à chaque pas que je faisais vers elle. C’était comme une danse. Puis elle se mit à voler subitement vers la gauche en direction de la côte Est de l'île, là où le phare régnait sur la mer. Mes pas s’étaient accélérés soudainement, je lui ai couru après, suivant le moindre petit virage qu’elle prenait dans les hautes herbes. A droite, à gauche, je n’étais presque plus maître de mes jambes lorsque ma course fut stoppée net par mon pied qui s’était pris dans une racine proéminente. J’avais mal au genou, et je ne trouvais plus mes lunettes dans le noir et les hautes herbes. En me relevant pour prendre du recul, la lumière bleue avait disparue, laissant place à la silhouette d’une femme, celle de la femme.. Elle tenait mes lunettes dans ses mains et les déposa avec soin sur mon nez. Ses mains étaient froides. Je tombais net sur les fesses, ahuri par ce geste.
Céleste, pas vrai?
Elle ne dit pas un mot. Le vent se levait doucement, et je n’entendais de nouveau plus rien d’autre que les battements de mon cœur dans la nuit comme la première fois où je l’avais vue.
Pourquoi me faire courir ? Pourquoi vous venez me voir? Pourquoi ici? Il n’y a rien sur la côte est !!
Son regard était toujours aussi fermé, et pourtant, ses yeux me fixaient grand ouverts. Je n’avais toujours pas de réponses. Elle se rapprochait de moi, et d’un geste lent et délicat elle me prit la main pour me relever.
Ce sont eux.
Eux ? Mais de qui vous parlez ?
En retirant sa main je vis un petit médaillon, un camé ouvert renfermant une photo de Magnus, mon arrière-arrière-grand-père.
Je commençais à m’impatienter quand, brisant le silence si lourd qui s’était installé, j'entendis les cloches d’alarmes du centre ville retentir, mes sens me revinrent et Celeste s’était envolée en un battement de cil me laissant le médaillon dans la main. Le temps s’était comme accéléré. Elle avait disparu, et je sentis le vent me frapper en plein visage. Dans la panique de ce son que je n’avais jamais entendu auparavant, et sortant de cette expérience tout aussi bizarre que la première l’avait été lors de ma balade nocturne au port, je regardai en direction de la mer. Un bateau, encore plus grand que n’importe quelle structure de l’île n’était qu’à quelques vagues du port. C’était un colosse de fer, robuste, noir, qui ne faisait pas le moindre bruit en glissant sur l’eau, une géante fourmillière d’acier. Je pris mes jambes à mon cou pour rentrer chez moi, traversant à nouveau les champs. Ma famille était dehors, Gréta couru vers moi pour me prendre dans les bras.
Abrutis ! Tu étais où encore ? Ca fait des heures que tu es dehors et c’est la panique !
Je n’avais pu que bégayer quelques mots.
On s’en fiche, rentre, maman et papa sont partis à Port Siavar en vitesse pour voir ce qu’il se passe et pour s’assurer que rien de grave ne vient d’amarrer sur nos terres.
Mais si c’est grave ?
Elle marqua un temps d’hésitation avant de me répondre, un soupir lâché dans le vide elle me répondit la voix frêle.
On trouvera une solution, rentre.
Il était plus de quatre heures du matin, et je n’avais aucune idée de ce qu’il venait de se passer. Céleste m’a fait courir pendant visiblement plus de temps que ce que je pensais, et ce bateau avait eu le temps d’arriver jusqu’au port en pleine nuit, les lumières de la villes étaient allumées bien plus tôt qu’elles en avaient l’habitude, et moi j’étais face à la fenêtre incapable de ne pas faire defiller une centaine de scénarios diférents dans ma tête.
Le soleil pointait le bout de son nez, Papa et Maman n’étaient toujours pas rentrés.
Je vais aller voir. Dit Gréta dans un soupir. Je ne peux plus attendre.
Et si c’est dangereux ? Tu vas faire quoi toute seule?
Je vais prendre le fusil de maman dans son bureau, juste au cas où.
Je viens avec toi.
Avant même qu’elle ne puisse répondre, Aileen et Mabel enfilent déjà leurs chaussures.
Qu’est-ce que vous faites? Je suis responsable de votre garde, vous ne pensez quand même pas que vous allez venir tous les trois?
Justement, si tu pars, on part avec toi, comme ça tu garderas l'œil sur nous. balança Mabel.
J’ai bien senti que Aileen était remontée, ça l'inquiétait de rester seule et impuissante à la maison alors que sa grande sœur et ses parents étaient en ville sans même savoir s’il y allait avoir un de quoi s’inquièter. Gréta s’était résignée à nous emmener, à condition qu’on laisse Mabel au passage chez nos grands-parents, chose qu’elle n’a évidemment pas appréciée, et nos grands-parents non plus, ils ont essayé de nous dissuader mais en un claquement de doigts nous étions déjà en route vers Port Siavar. Une foule immense nous attendait en centre ville, mais personne n’était encore sorti du bateau. Je crois que je n’avais jamais vu un truc aussi grand de ma vie. Son ombre habillait presque tout le port, et il ne faisait toujours aucun bruit. Qu’est-ce qu’il faisait ici, et surtout, comment était-il arrivé jusqu’à notre île ? Personne n’avait jamais réussi à la quitter, et personne n'était jamais venu ici… Du moins pas que je sache. Maman était là, devant le bateau le regard sombre, tenant la main de papa fermement. Elle était comme détachée de la foule, mise en avant aux côtés du maire qui lui était presque écrabouillé par sa peur sous son haut de forme.
Maman !!
Aileen et Greta se sont jetées dans ses bras. Son regard était plein de colère et de surprise à la fois.
Qu’est ce que vous faites là? Pourquoi tu as mon fusil et où est Mabel ?
Après lui avoir donné des explications, elle voulut nous renvoyer à la maison, mais au moment où le ton de sa voix montait, le bateau fit un bruit sortit des enfers. Il déroulait un pont, quelqu’un allait descendre. La foule se figea, et plus un seul bruit ne sortit de la bouche des habitants. Seuls les soupirs retentissaient en arrière fond du bruit métallique du pont.
Un homme immense, aux épaules larges vêtue de bottes noires et d’un long manteau de cuir fit son apparition au-dessus de nos têtes. Il avait l’air dur, une barbe sombre poivre et sel bien taillée sur son visage anguleux et des cheveux charbonneux plaqués vers l’arrière. Son regard crevait ceux de la foule, par ses yeux d’un bleu si clair qu’ils paraissaient presque blancs. Sa peau blanchâtre était parsemée de cicatrices, chacunes le rendant de plus en plus irréel. Une canne à la main droite, et une manche bien plus longue cachant l’autre. Il était suivi par deux personnes semblant plus jeunes. Une jeune femme, d’une beauté sans pareil, elle avait un teint frais et pâle comme la lune, des cheveux longs, épais, lisses d’une couleur aussi profonde que celle du jais. Un nez long plein de caractère et d’épais sourcils bien dessinés au-dessus de ses yeux aussi bleus que ceux de l'homme qui la devançait. A son côté, un garçon lui ressemblant beaucoup dans les traits, lui aussi était beau, avait le visage fin, une moustache bien taillée et des traits osseux, lui aussi avait le regard clair comme les eaux du bord de côte, et lui aussi avait les cheveux d’un noir profond. Ils ne disaient pas un mot. Ils approchèrent de la foule en descendant du ponton installé, suivis par une armée de parfait soldats comme dans les livres qui parlent du monde. Et lorsque le premier posa le pied à terre, Mr.Fishnet s’avança pour tendre la main et leur souhaiter la bienvenue de la manière la plus courtoise possible. Pourtant, je sentais bien qu’il n’était pas rassuré, qu’il y avait quelque chose de faux dans ce geste pourtant annoncé comme bienveillant.
Bienvenue à Port Siavar messieurs - dames. Je suis le maire Mr.Fishnet. Pardonnez-nous le silence de cette foule, nous ne sommes clairement pas habitués à recevoir de la visite.
Enchanté. Lord Aiden Shaw, voici mes neveux.
Il jeta un coup de canne en direction des jeunes derrière lui.
Puis-je vous inviter à dîner, Mr.Shaw ? Vous m'expliquerez comment donc avez vous pu trouver notre île, et arriver ainsi en vie. Et surtout quelles sont vos intentions si vous en avez bien évidement. Je vous en saurais gré.
L’homme fit un signe de tête sans même regarder derrière lui, et des dizaines d’hommes chargés de caisses et de sacs sortirent un à un du vaisseau, juste après les officiers.
Je dînnerais volontier avec vous monsieur le maire, mais avant toutes choses, j'aimerais savoir où mes hommes pourraient installer notre camp. “Je vous en saurais gré”. Lui dit-il, avec un sourire en coin provocant, bien dessiné sur son visage presque malsain.
***
Les premières tentes furent dressées au-dessus du village, non loin du lac, ils avaient investi une grande partie des champs et des plaines des collines, y compris les champs de mes grands-parents. “Lord” Shaw était allé dîner avec le vieux Fishnet, laissant tout le monde en attente de réponses. Aileen était à côté de moi sur un des bancs de la place de Port Siavar, on regardait les vagues se heurter contre les paroies du bâteau de fer.
D’où sont-ils? Comment ils ont fait pour venir jusqu’à nous?
L’océan c’est vaste Eliott… Il pourrait y avoir tellement d’endroits.
Je glissais la main dans la poche de ma veste, et faisait tourner entre mes doigts le petit camé que Céleste m’avait donné la nuit dernière. Pensif. Aileen me regardait les sourcils levés trifouiller ma poche, répétant un geste presque maladif.
Je sortis le collier devant moi, et lui tendit. Ses yeux témoignaient de sa surprise, si grands ouverts qu'on aurait presque pu voir jusqu’à son âme.
C’est elle qui me l’a donné.
Je lui racontais calmement les événements de mon énième virée nocturne, de ma course folle après une flamme bleue qui m’a rendu mes lunettes après une chute rocambolesque sur la côte est.
Maman s’était approchée de nous avec Gréta, il était l’heure pour nous de rentrer à la maison.