Partie 1 : Exode - III

Par Lyrou

Pomme ne revoit pas Clo avant le mois suivant quand on lui envoie un message inintelligible. Ou du moins difficilement déchiffrable.

 

« heytud veisbs,

* ?

Bar la maoson

Maispk

Maison

Ib a la sallefe abin »

 

Pomme décide d’y aller.

Est-ce que Pomme d’il y a deux mois aurait tapé dans maps « bar la maison », trouvé un résultat, pris sa veste ses clés et son portefeuille pour rejoindre une fille bourrée qu’elle avait croisée un soir dans un bar trop bruyant ? Sans doute pas.

 

***

 

La chose est que la plante de Pomme n’a jamais bourgeonné. Pomme savait sur un niveau conceptuel que sa plante pouvait faire des fleurs, comme un fait que l’on voit sur internet sans y avoir jamais assisté soit-même, une certitude qui se transforme en peut-être quand avec le temps rien ne vient. Mais il y a des petites boules au bout de sa plante, et Pomme se dit qu’elle a dû mieux la situer cette fois.

Le lapin ayant été une impasse, Pomme se trouve finalement quatre chats à garder, pour une semaine. Elle y va tous les matins et tout les soirs les nourrir, mettre de l’eau, et vider la litière ; et pendant qu’elle est en ville va poser son CV à droite à gauche en espérant qu’on la rappelle. Elle dort mal et ne se souvient pas de nouveaux rêves, mais parfois elle se réveille avec un reste qui s’évanouit très vite et ne laisse qu’une impression étrange, quelque chose de serein, de reposé. Pomme essaie de s’y accrocher sans savoir d’où cela vient. En buvant son café le matin il lui arrive de regarder sa plante et de se dire qu’elle était bien lotie, baladée comme elle mais sans aucune des conséquences. Son père avait une plante aussi, un haut cactus qu’il n’arrosait jamais et qui vivait sa propre vie, Pomme n’avait jamais su d’où il l’avait récupéré mais il disait que c’était un cadeau. Lui n’avait jamais bougé, aussi enraciné que son propriétaire.

Des plantes elle en voit beaucoup, Pomme, en ville. Quand elle y est elle s’allonge souvent dans un parc après un sandwich sans saveur avalé et regarde les nuages passer. Quelques oiseaux parfois, de ces mouettes qui s’aventurent loin dans l’estuaire. C’est un après-midi comme celle là qu’elle reçoit un coup de fil pour un entretien. Deux jours plus tard elle a un tablier un chapeau en papier et sert des salades derrière un comptoir.

Elle travaille surtout sur les mêmes shift que Ella qui vient de finir un master d’analyses cinématographiques. Ella ne sait pas trop quoi faire de sa vie maintenant. Elle veut travailler dans le cinéma mais elle ne trouve rien. Trop qualifiée pour les jobs courants, pas assez pour tout ce qui est technique, elle essaie de se faire des sous pour être pigiste sur son temps libre. Ella parle beaucoup, Pomme apprend. Quand il n’y a personne et qu’elles attendent derrière le comptoir elle raconte le dernier film qu’elle a vu, son séjour à Paris du weekend dernier, quand elle est allée prendre un verre avec des amis de son master. Elle pose des questions à Pomme parfois, mais semble très contente d’emplir le silence là où Pomme n’a rien à dire. Elle dit parfois, eh on devrait prendre un verre un de ces quatre ! Et Pomme dit oui sans avoir la moindre idée de si elle pourrait survivre une soirée entière avec Ella ni si elle est censée relancer elle-même pour que la chose se fassent. Ella le propose aussi à Thomas trop occupé, et Claude qui semble incapable de dire non. Des amis d’Ella passent parfois, la saluent et s’en vont ; Pomme se dit qu’Ella est une planète qui cherche ses lunes, des gens qui pourraient graviter autour d’elle comme elle gravite autour de ses amis de master parisiens. Seulement, tirer des plans sur la comète ça vous fait pas devenir Saturne.

Un jour Ella lui dit :

 

- J’ai rêvé de toi cette nuit !

 

- Ah ?

 

- Oui ! On marchait au bord de l’eau et tu allais nourrir un goéland. Après je suis allée quelque part et quand je suis revenue tu n’étais plus là.

 

- Oh … marrant.

 

Pomme ne sait quoi dire d’autre. Pomme ne se souvient pas souvent de ses rêves. Elle le lui dit, et Ella lui répond :

 

- Tu devrais prendre en note ! Il paraît que ça aide.

 

- Je le fais déjà.

 

- Peut-être les relire ?

 

Pomme hausse les épaules puis des clients entrent, fin de la conversation.

La conversation la poursuit jusqu’au soir en réalité. À la télé sur Arte on passe une émission sur les phases du sommeil. Pendant laquelle nous rêvons, comme le souvenir est impacté par la qualité de la nuit. Pomme est curieuse, elle ouvre ses blocs notes et elle lit un peu. Quand elle se couche c’est sans conviction de pouvoir mettre le doigt sur ce qui s’évanouit le matin. Pourtant elle se souvient. Est-ce d’avoir relu l’un de ses rêves, peut-être. Mais elle a encore imprimé sur les rétines un grand champs avec un unique arbre seul, et tout autour de lui des fleurs un peu roses, un peu bleues, d’une teinte de violet qui n’arrive pas à exister. Il y avait quelqu’un d’autre avec elle, pas quelqu’un qu’elle connaisse mais elle avait lu quelque part qu’on ne pouvait pas inventer des visages, alors elle avait dû la voir quelque part, cette fille, au travail ou dans un film. Elle avait un visage rond aux traits délicats, des cheveux déteints qui lui tombaient sur le front et aux pointes cassées qui bouclaient sur sa nuque. Elle avait pris la main de Pomme, l’avait amenée jusqu’aux racines qui sortaient du sol puis remontée aussi haut que possible le long de l’écorce, laissant la sève lui coller aux doigts. Elle n’avait rien dit de plus. Pomme avait seulement pensé, c’est le printemps quelque part, et ça l’avait réveillée. En face d’elle sa plante eût l’air d’avoir fait plus de bourgeons encore.

Pomme le note et n’en pense rien. Puis le soir deux étudiants en pleine conversation animée entrent pour des manger sur place et Pomme s’arrête un instant, laissant s’échapper un instant son air professionnel des petits travailleurs qui font semblant de ne pas s’ennuyer. La fille le voit aussi, dans son regard, Pomme pense. Elle a des petits yeux marrons, mis en valeur par ses cheveux blancs aux reflets bleus tout fins, et un visage rond, de ceux qui ont gardé le moule qu’ils avaient bébé. Pomme prend sa commande, et quand elle s’assoit avec son ami elle pousse un soupir qu’elle ne savait pas qu’elle avait gardé en elle. Après cela elle surprend parfois l’éclat d’un regard noisette posé sur elle, et depuis la table le mouvement de tête caractéristique de quelqu’un qui vous fixait mais a détourné ses yeux au dernier moment.

La fille la fixe quand son ami paie et Pomme essaie de faire comme si elle ne s’en rendait pas compte. Qu’était-elle censé dire ? Navrée de vous avoir tant regardée, j’ai rêvé de quelqu’un avec votre visage la nuit dernière ? C’est anecdotique, trois fois rien, un timing étrange de ceux qui vous font vous demander si la vie ne jouerait pas un peu avec vous, mais rien de plus. La prochaine fois qu’elle la revoit, ce n’est plus un coup du hasard. Deux jours plus tard et des nuits sans rêves, la fille vient la voir directement au comptoir et lui demande :

 

- Pomme c’est ça ?

 

Ella la regarde du coin de l’œil, peut-être surprise de voir sa collègue incapable de tenir une conversation connaître une personne en ville qui ne soit pas elle. Pomme hoche la tête.
 

- Je savais que je t’avais vue quelque part ! J’ai des cours avec Clo, la brunette au bar, tu sais ? Il y a quelques temps ?

 

- Ah, oui.

 

Pomme ne sait quoi rajouter. Elle sait maintenant où son cerveau avait été chercher le visage mais elle ne connaît pas son prénom, et n’aurait pas su retracer seule où elle l’avait vu avant. Clo lui avait envoyé un message une fois bourrée depuis la dernière fois, lui disant de la rejoindre à tel endroit pour un verre, mais Pomme était chez elle et fatiguée, elle avait répondu « une autre fois », et c’était tout.

 

- Moi c’est Gwen, ajouta-t-elle, sortant Pomme de ses pensées ; tu viendras la prochaine fois qu’on sort ?

 

- Euh, oui, ok, si je peux.

 

Gwen est virtuellement une inconnue, pourquoi elle devrait se préoccuper de si Pomme vient elle ne le sait pas, mais son visage s’illumine instantanément et avant de partir sans rien commander elle s’exclame :

 

-Super ! On se voit bientôt alors. Bye !

 

Pomme a quelques secondes de silence, puis au moment où elle sent qu’Ella veut poser une question un chauffeur de à domicile entre pendre des commandes. Pomme ne s’en veut même pas d’être rassurée.

 

Elle est presque pas étonnée quand un numéro inconnu lui envoie « hey, c’est Gwen » un soir suivant. Quand elle lui demande si elle veut venir avec eux à un concert gratuit dehors Pomme dit oui, elle aime la musique, Ella lui a demandé de sortir le même soir et on vient de lui annuler la garde de deux chiens. Avant de partir quelque chose la retient, quelque chose qui lui dit qu’en y allant elle s’engage dans quelque chose, quoi elle ne le sait pas mais c’est là, ça lui serre la gorge dans le tram et lui tord les intestins une mauvaise bière à la main tandis que les onde du son distordu des guitares atteignent ses oreilles. Il y a un effet surréaliste, presque onirique, de participer à un événement social aussi bruyant après une autarcie presque absolue, d’être entourée par une foule d’inconnus dans lequel le seul point d’attache est un groupe d’étudiants qu’elle connaît de vue. Certains lui ont donné des prénoms, elle n’est pas sûre d’en avoir retenu. Les lumières de la scène vibrent dans ses yeux, Clo lui sourit dans les bras d’une fille, elle a essayé de faire danser Pomme aussi plusieurs fois ce soir déjà mais a abandonné.

Si Ella voulait des lunes, Clo a le système tout entier. Elle rayonne et elle attire, les gens s’attroupent autour d’elle et la regardent comme si elle avait les réponses à la vie et les secrets d’ailleurs. Clo sait faire des bons cocktails lui dit-on, peut-être que ça compte. Ils gravitent tout autour, Clo danse avec une autre fille qu’elle embrasse de temps en temps, et elle penche sa tête en arrière et rit, les dents visibles, même celle qu’elle a de travers à côté de ses dents du bonheur. En buvant sa dernière gorgée Pomme se demande si dans tout ça elle est une météorite de passage, un objet étranger, ou une lune que l’on essaie d’accrocher au reste. Pomme arrive à ne pas trop y penser. Gwen vient la voir pour lui conseiller un film et il y a quelque chose de plaisant à pouvoir ne pas trop y penser. Si c’est la musique, les gens, l’alcool, ou un peu tout à la fois, elle ne le sait pas, mais elle se sent cotonneuse, sur une ligne fragile entre le confort et une crise de panique. Elle marche le long, reste un peu, parle avec ce gars qui veut être acteur, et puis elle rentre, et puis elle dort. Boire beaucoup d’eau puis répéter. C’est facile, c’est sans problème, c’est une routine confortable, c’est ignorer le reste plus facilement la tête embrumée et l’estomac vide. Après le concert c’est des soirs sans excuses, l’envie d’aller au bord du fleuve avec du monde et des bouteilles pleines, on invite tout le monde, on envoie des messages aux moitiés d’inconnus, Pomme y va.

Pomme comprend vite que si quelqu’un essaie de l’accrocher à son orbite c’est pas Clo, c’est Gwen. Gwen est très bien, sans doute. Elle a un joli sourire, ses cheveux clairs complimentent ses yeux, elle a toujours l’air à la fois sur son trente-et-un et comme si elle avait attrapé les premières sapes de son placard ; et elle regarde Pomme comme si Pomme était quelqu’un d’autre. Lui parle comme si Pomme pouvait suivre ses références littéraires, fait des blagues faciles mais un peu acides après lesquelles elle regarde Pomme dans les yeux comme si elle avait voulu la faire sourire elle spécifiquement, et que voir le coin de ses lèvres remonter lui faisait sa soirée. Pomme se laisse voguer, c’est facile, c’est pas compliqué. C’est comme voir sa plante se comporter bizarrement, presque elle la noierait dans l’alcool elle aussi si ça pouvait résoudre le moindre problème en avance, le tuer dans l’œuf, assassiner la plante avant qu’elle ne la lâche. Elle sait faire ça non ? Il paraît.

Alors quand elle reçoit un message pour aller dans un bar un soir de semaine Pomme y va. C’est la routine, on prend le tram en veillant aux contrôleurs, on suit maps, on prend une grande inspiration, on entre et on commande un cocktail pour rattraper le monde. Quand Gwen l’attrape par le coude pour l’asseoir à côté d’elle dans la baignoire elle se laisser aller. Quand les autres changent de pièce pour le salon qui vient de se libérer et que Gwen ne bouge pas elle reste. Elle nage dans sa tête, elle nage dans le monde, alors quand Gwen refuse de la laisser partir seule dans l’état qu’elle est elle se laisse entraîner, à taper les pavés humides des pieds jusqu’à la ruelle où Gwen a son apart. Il est petit, le lit double a l’air de prendre presque la moitié de la pièce principale, juste au dessous de la fenêtre, et contre l’autre mur les étagères de la cuisine servent à porter des livres. On l’envoie dans la salle de bain avec un pyjama et quand elle tombe sur le lit elle s’endort avant de s’en rendre compte.

Elle est à peine réveillée quand au matin la première question que Gwen lui pose c’est.

 

- Ça va ?

 

Non, pas trop.

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BeuldesBois
Posté le 21/04/2024
J'avais très envie de lire à nouvrau du Lyrou ❤ On est quelques temps aprés que tu ais écrit ces chapitres, alors ce com tombe un peu de nulle part, mais c'est toujours avec autant de plaisir que je me plonge dans les ambiances que tu distilles.

Ça se lit si bien, c'est si facile... non, évident ? Il n'y a pas d'effort à faire pour rentrer dans tes univers, ca parle rapidement, ca enveloppe, et ça ne nous laisse plus partir.
J'adore les couleurs, les sensations... Je ne sais pas comment tu arrives a faire en sorte que tout me semble familier ❤

Le passage qui commence par Ella est une planête est juste du pur génie !

Voilà c'était un petit coucou et un merci de nous partager tes oeuvres. Je suis toujours aussi fan !
Lyrou
Posté le 27/07/2024
Oh ouah quelle surprise que cette notification :0 ça me fait très plaisir de te croiser par ici ☀︎
Merci pour ton commentaire! Sans mentir j'avais complètement oublié Pomme et cette histoire, je lai relue du coup et ça me donne envie de la poursuivre un jour :)
Merci Beulou ❤
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