Depuis le massacre entre la famille Sanchez et la famille Salazar, l'affaire avait fait la une des journaux télévisés dans tout le pays. Ils étaient cependant parvenus à gardé confidentiel l’identité de Kate tout comme l’implication de Chris dans cette opération. Kate était l’ombre d’elle-même depuis la mort de Carmen. Malgré l'insistance des médecins pour la garder en hospitalisation à cause de son traumatisme, Kate avait refusé, préférant retourner auprès de Chris. Il avait pris des jours de congé pour elle et rester à ses côtés dans leur chez eux.
Le soleil était à présent haut dans le ciel et ses rayons perçaient à travers les rideaux. Chris observait soucieusement Kate assise sur le canapé, ses yeux étaient fixés sur un point invisible devant elle. Cela faisait plusieurs jours qu'ils étaient rentrés, mais chaque jour semblait être une lutte silencieuse. Kate parlait peu, et lorsqu'elle le faisait, ses mots étaient empreints d'une absence inquiétante. Elle semblait à des kilomètres de là, perdue quelque part parmi les morts et la souffrance.
Chris, qui s'efforçait de rester fort pour elle, sentait le poids de l'impuissance peser lourdement sur ses épaules. Incapable de supporter le silence pesant, il s'approcha d'elle, hésitant un instant avant de poser sa main sur sa cuisse pour attirer son attention. « Kate, » commença-t-il doucement, tentant de capter son regard. « Tu veux que je te laisse un peu seule ? Si t'as besoin de temps, je comprends. » Il lui avait fait cette proposition sans réellement y croire. Au fond, il lui tendait la perche pour s’assurer qu’elle avait encore besoin de lui. Il attendit, son cœur battant plus fort, tandis que le silence s'étirait. Ce silence, cette hésitation, fit mal à Chris. Pour la première fois, il ressentit un doute profond s'insinuer en lui. Était-il vraiment capable de l'aider à surmonter tout ça ? Cette absence de réponse, cet espace entre eux, l’inquiétait plus qu’il ne voulait bien l’admettre.
Kate finit par esquisser un sourire, plaqué, et secoua légèrement la tête. Ce petit geste, non convaincant, ne fit qu'accentuer la douleur que Chris ressentait. Il lui adressa à son tour un sourire triste et se recula doucement, murmurant un « D'accord, » presque inaudible, avant de se diriger vers la porte pour prendre de l'air.
Une fois à l’écart, il prit son téléphone et composa le numéro de Julia. Son cœur était lourd, et il avait besoin de conseils, d'une voix familière qui pourrait l'aider à y voir plus clair. « Julia, c’est Chris, » dit-il dès qu'elle décrocha.
Au son de sa voix, elle savait que quelque chose clochait, « Chris, qu’est-ce qui se passe ? Comment va Kate ? »
Chris inspira profondément avant de répondre. « Julia, Kate va vraiment mal. Elle ne parle presque pas, elle est complètement absente... Je ne sais plus comment l'aider. »
Julia resta silencieuse un instant, réfléchissant. Elle connaissait Chris depuis longtemps et savait combien Kate avait pris une place importante dans sa vie « Chris, ce qu'elle traverse est extrêmement difficile. C'est normal qu'elle réagisse comme ça pour le moment. Il va lui falloir du temps, mais elle est forte. Elle s'en sortira, tu dois juste être patient. »
« Ouais, je sais qu’elle est forte, » répondit-il, la voix un peu plus rauque. « Je comprends, mais je dois faire quelque chose pour elle. Je peux pas juste attendre. »
Julia soupira doucement. Elle savait que les deuils pouvaient prendre du temps mais, elle comprenait les craintes de Chris. Elle réfléchit longuement avant de lui proposer, « Tu dis qu'elle est aux prises avec ses cauchemars, avec les morts... peut-être que tu pourrais essayer de lui faire revivre des moments heureux, des souvenirs qui la rattachent à la vie, à vous deux ? Tu sais, quelque chose qui pourrait la sortir de cette torpeur morbide. »
Chris réfléchit à ses mots, ses pensées se tournant immédiatement vers un endroit qu'ils avaient aimé. Un endroit où ils avaient été heureux, loin des affaires criminels et de leurs devoirs. « Ouais... Je pense que c’est une bonne idée. Merci, Julia. »
De retour à l’intérieur, Chris trouva Kate toujours assise, ses pensées loin de lui. Il s’assit à côté d’elle, prenant sa main dans la sienne. « Kate, » dit-il doucement, « tu te souviens du lac où on a campé ? Et si on y retournait ? Juste nous deux. . »
Kate tourna lentement la tête vers lui, ses yeux cherchant quelque chose dans les siens. « Je déteste la pêche, » murmura-t-elle totalement détachée.
Chris esquissa un léger sourire, se rappelant cette journée avec tendresse. « Je sais. Mais on avait quand même passé de bons moments, rappelle-toi… L’installation de la tente, quand je suis tombée à l’eau, quand on... » Il laissa sa phrase en suspens, espérant qu'elle se rappellerait la suite.
Un léger sourire, timide et fragile, apparut sur les lèvres de Kate, plus authentique. « Oui... je me souviens. »
Chris leva sa main pour caresser son visage avec tendresse, « On pourrait y aller, camper à nouveau. Juste nous deux. Je pense que ça pourrait nous faire du bien. » Ses yeux cherchaient ceux de Kate, espérant y retrouver celle qu’il aimait.
Kate hocha lentement la tête, son regard plongé enfin dans celui de Chris. « D’accord. »
***
Le trajet jusqu’au lac se fit dans en silence, mais un silence plus confortable que ceux passés récemment, comme si l’idée même de retourner à cet endroit réveillait quelque chose en Kate. Chris jetait des coups d'œil vers elle, essayant de lire dans ses expressions. « Tu te rappelles ce qu’on avait mangé ce jour-là ? » demanda-t-il finalement, essayant de la faire parler un peu plus.
Kate sourit faiblement, une lueur de vie revenant peu à peu dans ses yeux. « Oui, des marshmallows brûlés. T’avais dit que c'était une tradition quand on allait camper. »
Chris rit doucement, secouant la tête. « C’est toujours une tradition, même si je les avais un peu trop carbonisés, j'avoue. »
« Comme quoi, il n’y a pas que moi qui fait brûler la nourriture... »
En arrivant au lac, la quiétude du lieu allégea un peu leur peine alors que le soleil commençait à décliner. Chris installa la tente, son esprit toujours préoccupé par Kate. Celle-ci observait les couleurs du ciel changer sans dire un mot malgré les tentatives de Chris.
Une fois le campement installé, il s’empressa de faire un feu. Les températures commençaient à refroidir et bien que Kate ne s’en plaigne pas, elle avait à présent la chaire de poule. Elle s’assit à ses côtés sans faire de bruit.
Chris, cherchant à la faire sourire la taquina gentiment. « Tu sais, si je me souviens bien, t'avais dit que tu me laisserais jamais monter une tente tout seul après la dernière fois. Je suis impressionné que t'aies pas râlé aujourd’hui. »
Kate prit une inspiration profonde puis leva les yeux vers lui, un sourire tendre aux lèvres. « Quand je suis partie cette nuit là, j'ai cru que je te reverrai jamais, je pensais que Pedro allait me tuer. Et ça m'allait parce que c'était la seule façon de vous protéger. Alors, j'ai pensé à toi. Je voulais chérir nos souvenirs pour te sentir avec moi jusqu'au dernier moment. C'est à ce week-end ici avec toi que j'ai pensé. »
Les paroles de Kate frappèrent Chris en plein cœur. Il resta un instant sans voix, le regard fixé sur elle. Le fait qu’elle ait choisi ce souvenir, qu’elle se soit accrochée à un moment de bonheur partagé avec lui, lui réchauffa le cœur. Mais il ressentit aussi un pincement de douleur en pensant à la souffrance qu’elle avait dû endurer là-bas.
Il se rapprocha d'elle jusqu’à ce que leurs corps se touchent puis il la prit doucement dans ses bras. « Tu veux bien me raconter ce qui s'est passé ensuite ? »
Kate se blottit contre lui, cherchant désespérément un réconfort qu'elle peinait à trouver en elle-même. Ses doigts tremblants s'agrippèrent à la chemise de Chris, comme si elle craignait qu'il puisse disparaître s'il s'éloignait ne serait-ce que d'un millimètre. La chaleur rassurante de son corps, le rythme apaisant de sa respiration, tout en lui semblait lui offrir un refuge contre les ténèbres qui l'avaient envahie.
Elle ferma les yeux, cherchant à rassembler le courage nécessaire pour parler, puis elle se confia enfin, les mots sortant avec une difficulté palpable, comme s’ils étaient arrachés d’une plaie encore béante. Sa voix, tremblante, portait le poids d’une souffrance insoutenable « Je pensais que Pedro voudrait se venger de moi pour l’avoir trahi. Je pensais qu’il me tuerais après m’avoir fait souffrir mais, il ne l’a pas fais... Il avait besoin de moi. » Elle marqua une pause, son regard se perdant dans un vide invisible, là où les souvenirs les plus douloureux résident. « J’ai découvert que j’avais un demi-frère et une demi-sœur. Elle s’appelait Carmen... » À l’évocation de son prénom, elle déglutie pour ravaler les larmes et la colère. « Elle ne savait rien des affaires de Pedro. Contrairement à moi ou à mon demi-frère, il l’avait élevé dans l’ignorance. Il m'a donc demandé de jouer la comédie devant elle. Si je ne lui obéissais pas, il s’en serait pris à toi... Au début, j’ai fais ce qu’il demandait parce qu’il le demandait, mais... » Sa voix se fit plus faible, comme si les mots eux-mêmes lui faisaient mal. « Je me suis attachée à elle. Elle était si douce, si gentille... et tellement innocente. »
Les bras de Chris se resserrèrent autour d’elle, son cœur se brisant un peu plus à chaque mot. Il n’y avait rien de pire pour lui que de la sentir si brisée.
Les mots continuaient de s’échapper, chaque phrase semblant dévoiler un peu plus de l'abîme qu'elle tentait désespérément de fuir. « Chaque nuit, je faisais des cauchemars... » Elle déglutit, sa voix se brisant légèrement sous le poids des larmes qui menaçaient de déborder. « Des cauchemars où je te voyais mourir. Et chaque nuit, Carmen venait me retrouver. Elle venait s'allonger à côté de moi, me tenant la main, comme si elle savait. Comme si elle sentait que j'avais besoin de cette connexion pour ne pas sombrer. » Les larmes commencèrent à rouler sur ses joues, traçant des sillons humides jusqu'à sa chemise, ses sanglots étouffés par la douleur qu'elle tentait en vain de contenir.
Elle ferma les yeux, tentant de réprimer la tempête qui faisait rage en elle, mais c'était impossible. « Ces souvenirs avec toi, Chris... » murmura-t-elle, sa voix se brisant alors qu’elle laissait échapper un flot de larmes. « Et ces moments passés avec Carmen, c’était tout ce qui me restait. Tout ce qui m’a empêché de perdre pied complètement. »
Un instant de silence suivit, lourd et étouffant, avant que sa voix ne reprenne, plus faible. « J’ai pas pu sauver Carmen. » Un nouveau sanglot la secoua, plus fort cette fois, alors qu’elle enfouissait son visage contre le torse de Chris, comme pour échapper aux images qui hantaient son esprit. « Il y avait tellement de sang... Elle est morte dans mes bras... et j'ai rien pu faire pour l'aider. Elle avait que 16 ans, Chris » Sa voix se fissura sous le poids de la culpabilité et de la douleur. « Elle était si douce... Elle ne méritait pas ça. »
Les mots étaient comme des coups de poignard, une nouvelle lame s'enfonçant dans son cœur. Les larmes coulaient désormais librement, sa peine se déversant enfin, tel un barrage qui aurait rompu. Elle pleura contre lui, son corps tremblant sous le poids de la souffrance qu'elle avait longtemps retenue.
Chris sentit son propre cœur se déchirer en l'entendant, son propre chagrin menaçant de l’envahir. Doucement, il glissa une main dans ses cheveux, « T’es en sécurité maintenant, Kate. Je suis là et je te lâcherais pas » souffla-t-il d’une voix rauque, « je sais que tu culpabilises pour ta sœur mais, ce n’est pas ta faute. Tu as fais ce que tu as pu pour la sauver. »
« Mais, ce n’était pas suffisant !!! » cracha Kate dont la colère suintait à travers ses mots.
« Tu n’as pas de super pouvoir Kate et tu as fais ce que tu as pu j’en suis sûre. Tu es toujours prête à te sacrifier pour sauver les autres, même les inconnus. »
« J’aurais préférer mourir à sa place... »
Chris sentit son cœur s’arrêter un instant, il s’écarta, prit son visage entre ses mains pour la forcer à le regarder dans les yeux. « Et moi je suis heureux que tu sois vivante Kate ! » Elle essaya de fuir à nouveau mais Chris l’en empêcha. Il était hors de question qu’il la perde à nouveau, il fallait crever l’abcès maintenant pour pouvoir avancer parmi les vivants. « Tu es vivante et je sais que tu souffres, je sais que tu culpabilises et je comprends. Quand j’ai perdu Harry, moi aussi je me suis écroulé. J’ai culpabilisé et je culpabilise encore pour sa mort et celle de Sophia. Je me doute que c’est encore différent pour toi, parce que Carmen était ta sœur, une adolescente innocente, une lumière au cœur des ténèbres... mais putain Kate ! M’abandonne pas ! » les yeux de Chris s’embuèrent de larmes, saisissant Kate. « Je suis là moi ! Je suis vivant et je suis heureux que tu sois vivante ! Je t’en prie Kate… Reviens parmi les vivants, reviens-moi. »
Kate touchée ressenti une chaleur naître dans tout son corps. Oui, Carmen n’était plus là et son absence lui crevait le cœur. Jamais elle ne pourrait véritablement faire taire cette culpabilité qui la rongeait mais, devait-elle se laisser mourir pour autant ? Cela ne ramènerait pas Carmen et elle n’aurait pas voulu cela pour elle. Ce serait dure mais elle devait aller de l’avant. Chris était là, comme toujours et elle pouvait compter sur lui. « D’accord » souffla-t-elle.
« D’accord ? » répéta Chris incrédule.
« C’est d’accord. » répéta-t-elle « Je veux bien me battre et tout faire pour avancer ensemble. »
Il la tint plus fort contre lui, ses bras formant un rempart protecteur autour d’elle, déterminé à la préserver de tout ce qui pourrait encore l'atteindre. « Merci Kate ! Je veillerais sur toi, tu ne seras jamais seule, je te le promets. Plus jamais je ne te laisserais partir, je t’aime tellement. »
Ils restèrent un long moment dans cette étreinte salvatrice avant de rejoindre leur tente et se reconnecter physiquement.
Le chemin du deuil serait long et douloureux mais, aidé de Chris, Kate sentait qu’elle parviendrait à dépasser tout cela. Lui mieux que quiconque comprenait ce qu’elle pouvait ressentir et il savait toujours trouver les mots justes pour l’éloigner des ténèbres qui menaçaient de l’engloutir.
PARTIE 3: Une affaire complexe (à venir)