Partie 2 - Chapitre 16

     Sur l’ordre de Xue SiYu, un homme entra dans la cellule et s’approcha de HengXing XiaoHong.

     À l’instant où il fit mine de se pencher pour la soulever du sol, une main jaillit brutalement et le saisit à la gorge :

     — Ouais, non. On touche pas à ma sœur, annonça tranquillement le Chef de Clan en repoussant violemment le bonhomme en dehors de la cellule.

     Immédiatement, Xue SiYu fronça les sourcils tandis que ses acolytes ne mesuraient pas encore ce qu’il se passait en voyant HengXing ShanYao se relever le plus tranquillement du monde en époussetant ses robes.

     Pendant une brève seconde, l’aubergiste songea qu’ils avaient manqué de vigilance. Peut-être ce Cultivateur-là n’avait-il pas suffisamment bu tantôt.

     À ce moment précis, les autres prisonniers décidèrent d’imiter son exemple en se relevant à leur tour.

     — Comment ?! gronda Xue SiYu en amorçant un mouvement de recul.

     L’allégresse qui avait motivé les citoyens de Jinhar et de ZhenShen s’estompa.

     Ils se redressèrent à leur tour, aux aguets. Inquiets pour certains, furieux pour d’autres. Tous conscients que la partie venait de se corser. Jusqu’à présent, ils n’avaient jamais eu besoin de désarmer les Cultivateurs dans la mesure où leur paralysant ne leur avait jamais fait faux bond.

     Malgré la surprise, ils se scindèrent aussitôt en deux. Une dizaine de personnes, dont Liu XiLun et Yang JuZheng faisaient partie, passèrent aussitôt devant les autres qui reculèrent prudemment. Les plus téméraires parmi ceux sans capacités attrapèrent ce qu’ils pouvaient dans la cave dans le but de pouvoir se défendre.

     Quant aux Cultivateurs, ils savaient que cette fois-ci, ils ne devaient pas sous-estimer ceux qui avaient volé les Noyaux d’Or de leurs pairs.

     Pendant un bref instant, les deux groupes se fixèrent. L’aubergiste de Jinhar se tournait furieusement vers son beau-frère en rugissant :

     — TU M’AS ASSURE QUE TU AVAIS DROGUE LES BOISSONS !

     L’incompréhension fut visible sur le visage de Monsieur Zhong dont les yeux firent des allers-retours entre les deux clans. Il leva les mains face à Xue SiYu en reculant prudemment d’un pas :

     — Je l’ai fait !

     Les veines saillantes de colère sur le cou, Xue SiYu ouvrit à nouveau la bouche pour l’affubler de tous les reproches du monde, lorsqu’il remarqua que sa fille ne se trouvait pas avec eux. Il la chercha aussitôt du regard et la découvrit, blême, les mains crispées sur le bord de l’une des tables. Elle semblait chercher à utiliser cette dernière comme un moyen de le tenir à distance.

     Xue Hui tremblait de tous ses membres, mais osa affronter son regard :

     — Il l’a fait, père. Il ne savait juste pas que les Cultivateurs avaient déjà pris des mesures pour que les effets s’estompent en seulement quelques minutes.

     — TU NOUS AS TRAHI ?!

     Il fit un pas en avant, les doigts comme repliés des serres, comme s’il souhaitait l’étrangler dans l’instant.

     Malgré la table qui les séparait, elle recula et Zhen YuJin s’interposa entre la jeune fille et l’aubergiste de Jinhar. Son regard avait beau posséder des reflets de feu, à cet instant il était glacial. D’un bras il offrit une protection à Xue Hui, de l’autre il était prêt à dégainer.

     — Si certains veulent se rendre maintenant et ne pas se battre, c’est le moment, suggéra Chan YinMai.

     Calme, les bras croisés sur le torse et les pieds solidement campés au sol, il observa la vingtaine d’individus qui présentait un mélange de colère, de confusion, de rage, de crainte et de peur. À ses mots, certains se mirent davantage en position, prêts à en découdre. D’autres hésitèrent un peu plus franchement. Parmi eux, aucun n’osait cependant être le premier à abandonner. Chacun craignait les réprimandes des autres, de passer pour un lâche ou d’avoir des ennuis avec Xue SiYu par la suite, si ce dernier parvenait malgré tout à maîtriser les Cultivateurs. D’autres avaient la sensation d’être coincés de toute façon. Si leur chef perdait, ils ne doutaient pas un instant que le Chef de Clan HengXing et son groupe ne les laisseraient pas tranquilles.

     Prenant une profonde inspiration, Monsieur Zhong se décida finalement à lever les deux mains en s’écartant de son beau-frère :

     — …. Je ne veux pas me battre.

     — Dans ce cas, je vous conseille vivement de remonter à l’étage, lui conseilla le Musivateur.

     L’air incertain, l’aubergiste esquiva le regard de Xue SiYu et commença à se diriger vers l’escalier.

     — ATTENTION ! hurla Xue Hui.

     Le mouvement avait été infime, mais elle avait nettement vu son père adresser un léger signe de tête à Liu XiLun.

     Deux dagues fonçaient déjà, avec une précision mortelle, en direction de la nuque de Monsieur Zhong pour lui faire payer sa désertion.

     Pestant entre ses dents, Hei TaiYang dégaina, alors que Chan YinMai levait une main, prêt à dévier les lames. À l’instant où il s’apprêtait à faire jaillir le vent, un fracas résonna dans toute la cave.

     Semblant surgir de nulle part, un éventail venait d’intercepter les dagues qui se retrouvèrent solidement plantées dans le plafond.

     Figé, le visage pâle, l’aubergiste de l’Âne Fringant leva les yeux et regarda les armes qui remuaient dans tous les sens pour essayer de se dégager, conscient qu’il venait de frôler une mort certaine. Les jambes tremblantes, il détourna ensuite la tête et fixa d’un air hébété l’homme qui venait d’intervenir en sa faveur. L’éventail revint paisiblement dans la main du concerné qui esquissa un léger sourire :

     — … Oups… Il m’a glissé des doigts…

     Ceux-ci brillèrent légèrement de Qi, faisant disparaitre l’illusion placée sur l’éventail. Celui-ci, jusqu’à présent composé d’un riche bois vernis et d’un délicat tissu peint à la main devint soudain plus solide et prit la teinte blanche du cristal givré.

     — Jing Xu ! s’étrangla Xue SiYu.

     Sidéré, il regarda celui qu’il pensait être son allié l’ignorer pour s’intéresser à Xue Hui :

     — Demoiselle, je crois que vous devriez monter avec votre oncle. Les choses vont se corser ici.

     Immédiatement, la jeune fille acquiesça. Rasant les murs, elle s’empressa de se rapprocher de Monsieur Zhong, avant de lui saisir la main.

     — Qu’est-ce que tu fais ?! siffla le chef du groupe en fixant le marchand de vins. Tu… ?!

     — J’ai oublié de préciser que j’étais un Cultivateur ? s’enquit l’intéressé en écarquillant de grands yeux innocents. Mince alors…

     Ceux qui se trouvaient encore prêts de lui s’écartèrent immédiatement.

     Certes, ils venaient de le voir faire un lancé d’éventail plutôt spectaculaire et l’objet venait de changer d’apparence sous leurs yeux. Néanmoins, ils n’avaient pas encore pris réellement conscience de ce que ça signifiait, jusqu’à ce que le mot « Cultivateur » soit lâché.

     Pour quelques-uns, ce fut le détail de trop et cinq d’entre eux décidèrent de suivre Monsieur Zhong et Xue Hui. Ils grimpèrent précipitamment l’escalier à leur suite.

     Les yeux fixés sur Jing Xu, Xue SiYu recula près des siens :

     — BUTEZ MOI TOUT CE MONDE ! hurla-t-il rageusement. Je me fiche de les récupérer vivants ou non ! Je les veux MORTS ! Surtout ce traître !

     Il désigna son Second d’un doigt impérieux.

     Dans une gracieuse pirouette qui fit voleter l’ourlet de ses robes écarlates, le marchand de vin esquiva les dagues qui venaient de se libérer du plafond.

     L’épée de Zhen YuJin sauta hors de son fourreau et les intercepta, engageant un combat, tandis qu’une vingtaine d’autres lames empoisonnées jaillissaient dans leur direction.

     Les assassins n’avaient certes pas le même entraînement que les Cultivateurs présents, néanmoins ils avaient tous misé sur une seule et même technique : apprendre à faire voler ces armes enduites de poisons. Ils avaient également l’autorisation de tuer, là où les autres espéraient avant tout les faire prisonniers.

     Un véritable chaos s’installa dans la cave.

     Un coup de vent repoussait des lames.

     Les armes se fracassaient les unes contre les autres.

     Agenouillée sur le sol de la prison improvisée, HengXing XiaoHong venait de poser un bol au sol et de le remplir d’un épais liquide violacé à l’aide d’une fiole sortie de ses manches.

     — Chéri, celle-ci est pour toi !

     D’un agile coupe de pied, Jing Xu expédia une dague en direction du Maître d’Armes qui l’intercepta par la poignée. Celle-ci se débattit dans sa main, mais il la serra assez fort pour que le manche menace de se fendiller :

     — NE M’APPELLE PAS COMME ÇA !

     Près de la jeune femme, il passa le bras entre les barreaux et plongea la lame dans le bol qu’elle venait de mettre à sa hauteur.

     Une épaisse fumée s’en échappa. L’arme se débattit un instant. Lorsqu’il la ressortit de la potion, toute trace de poison avait disparu.

     — Bien joué ! s’exclama le Chef de Clan. Bloquez-la.

     Une bourrasque repoussa les attaques visant le Maître d’Armes.

     — A-Mai ! T’es pas obligé de les renvoyer directement sur moi ! protesta le Maître du Feu en bondissant sur le côté pour éviter de se prendre une rafale acérée.

     Précipitamment, HengXing XiaoHong attrapa un talisman tandis que le Maître d’Armes plaquait la lame, toujours prisonnière de sa poigne, au sol. Le rectangle de papier fut appliqué sur l’arme qui cessa aussitôt de bouger, bloquée comme si une montagne venait de s’abattre sur elle pour l’immobiliser.

     Le propriétaire initial poussa un grand cri de protestation et aiguisa davantage sa concentration sur l’unique dague qui lui restait.

     — Si on doit tout faire un par un, on n’a pas fini, marmonna Hei TaiYang en restant près de la Jeune Maîtresse.

     Deux silhouettes dévalèrent l’escalier à cet instant.

     Le pommeau argenté d’une épée brilla et cogna contre la tempe d’un individu qui tituba en grognant de douleur. Immédiatement, les dagues sous son contrôle tombèrent à terre.

     — Si on procède comme ça, ça peut aller plus vite, constata la jeune femme avec un sourire.

     Le Capitaine des Gardes Impériaux s’empressa de saisir l’homme qu’il venait d’assommer et remonta l’escalier en sa compagnie, tandis que son accompagnateur ramassait les armes au sol.

     Tout en slalomant entre les combattants, il les rejoignit et présenta les deux objets à Hei TaiYang et à HengXing XiaoHong qui s’empressèrent de s’en occuper pour les rendre définitivement inoffensives.

     Les sourcils froncés, Zhen YuJin saisit le nouveau venu par la manche et le tira jusqu’à lui :

     — A-Xi ! Tu n’étais pas censé nous rejoindre !

     Deux yeux verts s’écarquillèrent innocemment en réponse :

     — Parce que tu crois que j’allais vous laissez vous amuser tout seul ?

     CLANG !

     MengYou venait de jaillir de sa ceinture pour bloquer la route à un pied cassé de tabouret qui venait de voler dans leur direction.

     Inquiet, le Maître du Feu fixa son épaule, puis repoussa à son tour une triple attaque :

     — Dois-je te rappeler qu’avant-hier, tu…

     Tu m’as fait une frayeur monstrueuse lorsque ta fièvre est revenue.

     Il n’eut pas le temps de finir sa phrase à haute voix, juste celui de se baisser en l’entraînant avec lui pour esquiver une dague. Dans un agile geste, il intercepta la poignée dans la foulée et la tendit au Maître d’Armes qui leva les yeux au ciel :

     — Vous pouvez pas aller discuter plus loin ?! Ce serait bien que cette zone reste relativement sécurisée !

     Il s’empara de l’arme attrapée par le Musivateur et la plongea dans le bol en grommelant.

     — Pas de problème ! répliqua Zhang JingXi en roulant sur le sol pour s’éloigner et se redresser plus loin.

     — Ton épaaaaaaule ! protesta Zhen YuJin en lui courant après.

     — J’avoue que je me suis peut-être fait un peu mal en roulant, commenta l’Empereur en se plaçant dos à dos avec lui.

     — Tu dis ça pour m’énerver ou pour m’inquiéter ?!

     De son côté, Chan YinMai interceptait les talismans de feu que leurs ennemis lançaient ici et là. Vraisemblablement, ils se moquaient bien de faire flamber l’auberge. Concentré, il intercepta d’une main les rectangles de papier enflammés et les maintint en l’air pour éviter qu’ils ne puissent brûler quoi que ce soit. De l’autre, il se mit en quête d’un talisman d’eau pour pouvoir les éteindre plus vite. Une main se posa sur son épaule :

     — Je m’en occupe, lui souffla le Chef de Clan. Couvre-moi.

     Machinalement, le Médium acquiesça. Tout en maintenant les talismans à éteindre en lévitation et en interceptant une nouvelle fournée qui venait d’être lancée, il se concentra sur son épée afin que celle-ci maintiennent à distance les lames et autres armes improvisées expédiées dans leur direction. À côté de lui, HengXing ShanYao tendit un bras devant lui, avant de le faire onduler comme un serpent…

     … ou comme une vague, songea intérieurement le Médium en retenant presque son souffle.

     Des particules se formèrent autour de la main du Chef de Clan, s’amassant en amas d’étoiles composées uniquement d’eau. Le mouvement s’arrêta à l’instant où il tendit brutalement ses cinq doigts, expédiant les étoiles aquatiques droit sur les talismans enflammés qui ne cessaient de s’accumuler à quelques mètres d’eux. Ceux-ci s’éteignirent instantanément lorsqu’ils furent frappés de plein fouet par les projectiles liquides et Chan YinMai les laissa retomber au sol.

     Pendant ce temps, Jing Xu avait focalisé une partie de son attention sur les quelques membres qui ne possédaient pas de Noyau d’Or. Plus faibles que leurs compères, moins rapides, ils se laissaient facilement dépasser par la situation. Leurs complices n’avaient absolument pas le temps de couvrir leurs arrières dans la mesure où ils se focalisaient entièrement sur les Cultivateurs à abattre. Il avait réussi à presque tous les mettre hors d’état de nuire et les déposait au pied de l’escalier, laissant le soin à Jian Lin de les remonter dans la salle principale.

     Parmi ceux sans Noyaux d’Or, il ne restait à présent plus que Xue SiYu. Il fondit dans sa direction, tel un rapace sur sa proie.

     L’aubergiste n’eut pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait, il se retrouva plaqué contre le mur, les pieds au-dessus du sol et une main étroitement serrée autour sa gorge. Le regard bleu du marchand de vin se posa sur lui, teinté d’une lueur meurtrière.

     L’homme émit un croassement étranglé pour demander de l’aide. Ceux qui étaient le plus proches d’eux pivotèrent aussitôt dans leur direction pour se focaliser sur Jing Xu. L’un d’eux récupéra sa dague et amorça un mouvement, dans l’intention de la lui planter dans le dos. Il suspendit son geste en sentant quelque chose contre son cou et se pétrifia sur place en baissant les yeux.

     De loin, l’éventail avait l’air solide et joli, envoyant des reflets de lumières lorsqu’il volait. De près, de très près, il était également extrêmement tranchant.

     — Recule, gronda Jing Xu sans même le regarder. Sinon tu découvriras comment je m’y prends pour trancher des gorges, suffisamment pour que tu perdes la parole, mais pas assez pour te tuer.

     L’homme déglutit en sentant le rebord aiguisé s’enfoncer très légèrement dans sa chair, puis recula précipitamment, droit dans les bras du Capitaine Jian. Celui-ci l’immobilisa immédiatement et le désarma dans la foulée.

     L’éventail se mit à décrire un demi-arc de cercle parfait, défiant quiconque tenterait de s’approcher de son propriétaire et de la personne qu’il maîtrisait actuellement.

     En manque de souffle, Xue SiYu se cramponna au bras de son ancien allié, le regard empli de fureur et d’incompréhension. Ses pieds cherchèrent désespérément un appui.

     — C’est intéressant, siffla Jing Xu. Tu t’es cru tout puissant, à gérer ton petit groupe d’assassins et à faire tes expériences. Maintenant, tu as une assez bonne idée de comment on se sent lorsqu’on est immobilisé et impuissant avec l’ombre de la mort qui plane…

     Depuis son poste, Hei TaiYang observa la scène. Le visage de l’aubergiste de Jinhar rougissait à vue d’œil, clairement en manque d’air, alors que les doigts du Cultivateur l’étranglaient un peu plus à chaque seconde. Fronçant les sourcils, il interpella Ming XiWang et Zhen YuJin pour leur demander de prendre sa place, puis fusa en direction du duo.

     Si personne n’avait encore réussi à s’approcher de l’éventail, le Maître d’Armes parvint à l’esquiver aisément, attirant ainsi brièvement l’attention de son propriétaire qui tourna un regard poli dans sa direction lorsqu’il l’apostropha :

     — Lâche-le ! C’est pas le moment de faire des victimes !

     Sans desserrer son étreinte, l’autre homme haussa un sourcil :

     — Tu te crois de me donner des ordres ?

     Bien des personnes auraient réfléchi à deux fois en voyant l’éclat assassin qui brûlait dans ses prunelles et en entendant sa voix plus coupante que la plus acérée des lames. Mais Hei TaiYang soutint son regard sans sourciller et osa poser une main ferme sur son avant-bras :

     — Il suffit, Lan ShenMei, déclara-t-il avec fermeté.

     Son ton autoritaire fit sourire le concerné qui relâcha soudain son étreinte pour s’emparer vivement du menton du Maître d’Armes qui se figea sur place.

     Il aurait pu l’écarter brutalement de lui, mais le geste le prenait par surprise. Tout comme le visage de son interlocuteur, dont le visage se pencha si près du sien qu’il sentit la caresse de son souffle sur ses lèvres.

     — Je t’aime bien, toi.

     — Lâche-moi !

     La lueur meurtrière dans son regard s’éteignit, au profit d’une plus légère, presque joueuse :

     — Oblige-moi ?

     Un éclat de rire franchit ses lèvres lorsque le poing de Hei TaiYang fusa vers sa joue, il l’esquiva d’un gracieux mouvement de tête, tout en s’écartant.

     Xue SiYu s’était effondré à leurs pieds, une main contre son cou, avalant de grandes goulées d’air. Sans cérémonie, Lan ShenMei se pencha et le remit sur ses pieds. Tout en lui coinçant les bras dans le dos, prenant visiblement plaisir à faire couiner le prisonnier de douleur. Il adressa un sourire sournois au Maître d’Armes :

     — Je n’ai pas oublié que tu m’as craché au visage, tout à l’heure.

     — Il fallait que ça soit crédible ! riposta froidement Hei TaiYang. Et tu aurais pu tenir d’autres genre de propos !

     S’il n’avait pas eu peur une seule seconde devant son expression assassine de tantôt, il se sentit presque frémir devant le regard brûlant que lui lança Lan ShenMei en annonçant :

     — Je te rendrai la pareille, un jour. Mais ça sera certainement un autre type de crachat que tu recevras sur la figure à ce moment-là.

     Tétanisé face à cette déclaration et son arrogance, Hei TaiYang crispa la main autour de la poignée de son épée. Il repoussa machinalement quelques dagues qui tentaient encore de le prendre pour cible, leur nombre ayant déjà bien été réduits. Il observa l’autre homme qui menait le chef de la bande près de l’escalier pour le livrer au Capitaine des Gardes.

     Il ne connaissait pas Lan ShenMei jusqu’à récemment. Il avait fait sa connaissance deux jours auparavant, au moment où ils s’étaient tous réunis pour pouvoir mettre leur plan de capture en place. Bien qu’encore fiévreux, l’Empereur avait voulu participer à cette mise en place depuis son lit et, durant les quelques heures où ils avaient réglé les détails, Hei TaiYang n’avait eu de cesse d’observer discrètement Lan ShenMei. Ce dernier avait réussi à infiltrer leurs ennemis depuis quelques jours, sous l’identité de Jing Xu, le marchand de vin. Un rôle qu’il travaillait depuis des mois en réalité, il lui avait fallu beaucoup de patience pour réussir à attirer l’attention de Xue SiYu. Durant ces dernières quarante-huit heures, Hei TaiYang l’avait observé, intrigué par il ne savait quoi. Et par un sentiment vague de familiarité qu’il n’arrivait pas à situer.

     Du coin de l’œil, il vit Zhen YuJin donner un coup de pied dans l’une des tables, l’envoyant droit sur deux hommes encore debouts. Ces derniers poussèrent un cri lorsque le bord les percuta en plein ventre et il se courbèrent en deux, le souffle coupé. HengXing ShanYao en profita pour saisir nonchalamment leurs armes au passage et les apporta à sa sœur.

     Voyant Xue SiYu se faire emmener à l’étage, les derniers hésitèrent nettement à continuer le combat. Ils prenaient conscience que posséder un Noyau d’Or ne signifiait pas pour autant qu’ils pouvaient se mesurer sérieusement à tout un groupe de Cultivateurs surentraînés. Ces derniers avaient réussi à ne tuer personne. Ils n’avaient même pas été égratignés par les dagues empoisonnées.

     Un claquement métallique résonna lorsque l’un laissa tomber son arme par terre et se résigna à se rendre.

     Dans une ultime tentative, Yang JuZheng expédia soudain ses lames droit vers Zhang JingXi qui venait de s’adosser en grimaçant contre un mur, la main crispée sur son épaule. L’Empereur amorçait déjà un mouvement pour les repousser, lorsqu’un bras s’enroula autour de sa taille pour l’écarter de la trajectoire.

     Les yeux écarquillés, il passa machinalement le sien autour des épaules de son amant qui virevolta sans le lâcher, tout en l’éloignant largement de la zone à risque. Des prunelles aux reflets rougeoyants rencontrèrent les siennes. Pendant un instant, il crut que son cœur allait lâcher d’émotion en réalisant que son compagnon se rappelait de leurs entraînements d’enfance et précisément de leur pirouette. Il eut presque l’impression que le temps se mettait brièvement en pause alors qu’ils tournoyaient ensemble, serrés l’un contre l’autre, en se dévorant mutuellement du regard.

     Lorsque ses pieds rencontrèrent à nouveau le sol, ils ne se placèrent pas dos à dos comme ils le faisaient autrefois. L’une des mains du Maître du Feu se posa sur son visage, l’autre tenant toujours son épée, prêt à s’en servir si l’on venait les déranger. Ming XiWang jeta son bras autour de sa nuque pour l’embrasser passionnément, enivré de bonheur.

     Il avait vaguement conscience qu’il y avait encore un semblant de lutte autour d’eux, mais son attention était trop occupée ailleurs. Ses doigts se perdirent dans les mèches de Zhen YuJin. Ce dernier avait adopté la coiffure qu’il lui avait faite quelques jours auparavant et l’Empereur en était tout bonnement ravi. Il adorait sentir ses cheveux contre ses doigts pendant que ses lèvres ne laissaient pas de répit aux siennes.

     La poitrine du Maître du Feu, pressée contre la sienne, marquait un rythme de respiration un peu plus soutenue, après les quelques efforts demandés pour affronter ceux qui avaient tué leurs condisciples.

     — Est-ce que quelqu’un peut leur dire que c’est pas vraiment le moment approprié ? lança Chan YinMai en invoquant un courant d’air pour réunir toutes les dagues confisquées dans un sac qiankun.

     — Je suis plutôt d’avis de leur rappeler qu’on est dans une auberge et qu’il y a une flopée de chambres à l’étage, rétorqua la voix du Chef de Clan en réponse.

     Le rire de Jian Lin se fit entendre, avant qu’il n’enchaîne :

     — C’est bon, on a fini de toute façon. Je remonte.

     Sans délaisser, ni la bouche, ni la langue de son amant, les tenant fort occupées, Zhen YuJin rengaina son épée. Ses mains vinrent saisir la taille de son compagnon qui fut soulevé de terre pour se retrouver assis sur l’une des tables censées servir à les massacrer. Il lui caressa les hanches, par-dessus ses vêtements, tout en lui mordillant la lèvre inférieure.

     — Je monte aussi ! lança HengXing ShanYao à la cantonade. Ça devient trop chaud, par ici.

     Il grimpa précipitamment les marches ramenant à la salle principale de l’auberge.

     Le Maître du Feu recula alors légèrement, puis regarda derrière lui :

     — Demoiselle HengXing, est-ce que vous pouvez examiner son épaule ?

     L’Empereur écarquilla les yeux, puis fit la moue. Assis sur le bord du plateau, les cuisses écartées, il adressa un regard de reproche à son bien-aimé. Debout entre ses jambes, celui-ci laissa son index et son majeur caresser doucement l’un de ses genoux.

     — Est-ce que tu m’as embrassé dans le seul but de me faire examiner ensuite ? marmonna-t-il les lèvres rougies après tous ces baisers.

     La jeune femme acheva de donner les dernières armes, rendues inoffensives, à Chan YinMai, puis se dirigea vers eux.

     — Je n’ai pas besoin d’une excuse pour t’embrasser, mais l’un n’exclut pas l’autre, Amour.

     Le Médium leur fit silencieusement signe pour indiquer qu’il se rendait également à l’étage.

     Bientôt, il ne resta plus que l’ancien Prince Héritier, l’Empereur et la médecienne.

     — Je vais très bien, ça peut attendre, protesta Ming XiWang lorsqu’elle lui demanda de montrer sa blessure.

     — Vous n’étiez pas censé vous battre pendant au moins cinq jours, lui rappela sévèrement la jeune femme. Et je ne suis pas aveugle, vous avez eu mal pendant ce combat. Le Seigneur Zhen a bien fait de m’appeler.

     — A-Xi, c’est important, insista Zhen YuJin en lui prenant une main.

     Il déposa un tendre baiser sur ses doigts, tout en le regardant :

     — Je m’inquiète pour toi, ne prends pas ta santé à la légère.

     Zhang JingXi soupira. Reprenant le contrôle de sa main, il caressa la joue de son bien-aimé, tout en notant l’inquiétude qui brillait dans ses yeux. Il savait que son compagnon avait eu terriblement peur lorsqu’il l’avait trouvé dans les souterrains et qu’il avait tout autant angoissé lorsque la fièvre l’avait à nouveau frappé, en plein milieu de la nuit. Il détestait voir son cher amour se tracasser ainsi, encore plus en se sachant responsable.

     À contrecœur, il obtempéra et se déshabilla jusqu’à la taille.

     Zhen YuJin grogna de mécontentement en voyant du sang sur le pansement protégeant sa blessure.

     — Je pense que ce n’est pas très grave, le rassura aussitôt HengXing XiaoHong. Mais mieux vaut s’en occuper maintenant.

     Déjà, elle sortait des bandages neufs de la sacoche nouée autour de sa taille, tandis que le Maître du Feu défaisait celui autour de l’épaule.

     Laissant ses jambes se balancer, Zhang JingXi observa la cave qui venait de leur servir de champ de bataille improvisé. Plusieurs endroits étaient noircis à cause des talismans de feu qui avaient été envoyés de temps à autre. Les quelques réserves de nourritures de l’aubergiste n’avaient guère été épargnées ; sacs de riz éventrés, bocaux d’épices explosés et réserve d’alcool gisant sur le sol formaient un triste spectacle. Des traces de sang indiquaient les endroits où les Cultivateurs étaient parvenus à blesser les assassins.

     Il supposa que les dégâts auraient pu être pire. Au moins, cette fois, personne n’avait dégainé de talisman explosif et l’auberge ne s’était pas écroulée sur eux.

     — Est-ce que tu peux monter et t’assurer que tout va bien ? demanda-t-il à son amant. Rassure les autres, dis-leur que j’arrive tout de suite.

     Bien que marquant une brève hésitation, Zhen YuJin acquiesça. Il posa le pansement souillé sur la table, puis pressa ses lèvres contre la tempe de son amant qui ferma brièvement les yeux en affichant un demi-sourire.

     Le Maître du Feu remercia ensuite la Jeune Maîtresse pour les soins prodigué à Sa Majesté, puis grimpa les escaliers.

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Illustration réalisée par Druide Lunaire : https://www.instagram.com/p/DDRU_b7uYct/?img_index=1

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