Partie 2 : Contes, légendes et rumeurs autour d'une région fantôme

Par Voltage

Le premier loup, dominant les autres par sa vitesse, se réjouissait d’avance de pouvoir déchiqueter à nouveau de la chair fraiche. Sentir la rupture de la chair sous ses crocs, le sang qui coule le long de sa fourrure, les hurlements de désespoir et de douleur que poussait la victime…trop de ces sensations plus agréables que les autres le poussait à courir encore plus vite. Il voulait planter ses crocs dans ses muscles. Entendre son cœur qui cessera de battre, lire l’horreur dans ses yeux. Loïc en était presque impatient. La meute derrière ne voyait que le plaisir de la chasse. Lui, voyait la terreur de sa victime comme une véritable délectation. Il ressentait du plaisir à tuer, non pas que ça lui rapportait de la viande, mais il adorait détruire la vie. Loïc voulait éteindre la lueur d’ambition qui l’avait dérangé depuis le premier jour chez le garçon. Lui faire perdre tout espoir, lui faire mal. Très très très très mal. Il sortit les crocs. C’était sa façon de sourire.

Ils allaient payer.

A quelques centaines de mètres plus loin se dressaient les constructions d’un petit village, ayant la bravoure de s’installer sur cette terre sauvage. On l’avait longtemps alarmé. Lorsque William Terris avait proposé à différentes compagnies de s’installer dans cette région au sud du Yukon, toutes avaient refusé. Sous prétexte que cette vallée était hantée par les loups-garous. William en avait bien rit. Maintenant il allait payer. Lui ainsi que les quelques hommes et femmes d’affaires qui s’y étaient installé avec lui. Sur la seule plaine d’herbe claire entourée d’une forêt sans fin, on voyait apparaître quelques maisons, et les fondations d’une mairie. Mais ce n’était que le début. Bientôt, William raserait la forêt pour y faire une autoroute, un centre commercial, une véritable capitale marchande avec des gratte-ciels et immeubles hauts comme la tour Eiffel. Cette vaste contrée perdue du Yukon, il allait en faire une mégapole. Sur de lui mais méfiant, il avait quand même pris en considération les menaces qu’on lui avait fait. Des loups-garous ? Impossibles, puisqu’il faudrait qu’ils se retransforment en humains après la pleine lune passée. Ils avaient sûrement été victimes de mauvaises blagues. Pas de loups-garous ici. Assis tranquillement dans son fauteuil, plan et crayon à la main, il dessinait des lignes obliques sans intérêt particulier lorsque la porte s’ouvrit lentement. Un garçon ayant l’air troublé, qui n’avait pas l’air d’avoir plus de 5ans, entra. On pouvait lire de l’angoisse dans ses yeux, plus que de la simple angoisse, une terreur extrême. William, surpris, lâcha son stylo et lança :

- Je parie qu’il y a des guêpes dehors.

Le soleil commençait à se coucher. Le ciel avait pris une couleur rouge sang, qui n’annonçait rien de bon. Au loin pointait un ciel noir et se dressait une lune blanche, déjà haute. William s’approcha du garçon qui était son neveu. Il mit presque quelques secondes à déchiffrer son expression, mais à rester pantois. William Terris était un homme d’affaires. Sérieux, capable de tout et acharné au travail. Il était capable de lire le visage de son interlocuteur et de deviner ce qui le tracassait. Mais là, rien. Il fixa les yeux noirs de son neveu qui releva la tête vers lui, mais il ne comprenait pas ce qui se cachait derrière son regard. Le petit garçon s’approcha de la fenêtre, regarda attentivement, et dit :

- Non, pas des guêpes. Eux.

- Qui ça eux ? répondit William, amusé, en ébouriffant les cheveux de son neveu.

- Tu vas voir.

Sceptique, William retourna s’asseoir.

*

Cette odeur ? Celle de la chair tiède. Qui se tortille dans tous les sens, espérant échapper à notre mâchoire. Ivre de douleur, ils tentent le tout pour le tout, mais cela nous permet juste de récolter un peu plus de sang et de savourer un peu plus le goût tendre et sucré de la viande juteuse. Crue, c’est meilleur. Mais lorsque la victime est encore vivante quand on la dévore, tout ce qui compte c’est de la blesser, pour qu’elle crie encore plus fort, que sa mort soit plus lente et plus douloureuse. Malgré tout, ce n’est pas cette partie là que je préfère. Une ombre se faufila furtivement dans les recoins les plus sombres de la forêt. Habileté, rapidité, agilité, et force. Les quatre qualités que seuls les loups peuvent avoir combinées. Mais cette louve-là avait quelque chose en plus. Sa fourrure noire, ses yeux jaunes, ses griffes constamment sorties, tout faisait d’elle un prédateur. Mais elle restait constamment à l’écart des autres, à l’écart de la meute. A quoi bon ? Ce ne sont que des cons qui pensent à bouffer de la viande, plus un taré qui aime la souffrance de ses victimes. Ce qu’elle est, elle, c’est la cruauté pure. Et personne n’a envie de passer à côté d’elle. Ils préfèrent tous être déchiquetés par Loïc que de la croiser elle. L’Alpha. Celle qui se délecte des larmes et non des cris. Celle qui nous fait mourir de peur plutôt que de douleur. Celle qui se délecte de l’âme de ses victimes. Cette qui sait chuchoter les pires atrocités à l’oreille des gens, ces paroles à vous glacer le cœur et à vous rendre fou. Elle. La louve.

L’Alpha.

*

Le garçon courrait dans un labyrinthe de sapins. Une lampe torche à la main, un couteau de cuisine dans l’autre, il tentait d’élargir l’espace entre le village qui venait de se faire carboniser et lui. Il avait vu le premier arriver, une lueur peu commune dans ses yeux blancs. Il avait hurlé, puis des dizaines de loups avait couru jusqu’au village et tout détruit sur leur passage. Le garçon avait entendu à chaque minute des hurlements de terreur et de douleur, jusqu’à se résoudre à partir en courant. Horrifié par des visions que, à l’entrée en primaire, aucun enfant ne devrait voir, il continua d’avancer sans pleurer ni s’arrêter. Soudain, alors qu’il se croyait hors de danger, au plus profond de la forêt, une voix chuchota.

Petit petit petit petit !

Un frisson le parcourut. L’un d’eux l’avait rattrapé. Mais comment ? Il avait utilisé de la stratégie, et en avait enfermé deux chez lui avant que son oncle ne se fasse empaler devant ses yeux, il en avait assomé un avec le manche de son couteau, et en avait blessé un à la patte gauche. Puis, disposant de minces ressources, il avait pris toute la viande de la réserve avant de la disposer à l’opposé de l’endroit de son départ. Alors comment ? Comment lutter…un enfant comme lui n’était pas de taille contre ce qui l’attendait…Pourtant il était déterminé, et se mit en position de défense, le couteau devant son cœur.

Attends-moi, j’arrive…Je viens de croquer ta famille, maintenant c’est ton tour !

- Laisse ma sœur tranquille ! T’as pas intérêt à la tuer espèce de…euh…gros tas.

- Gros tas ?!!! cria une masse noire qui se posa juste devant ses pieds, une lueur malveillante brillant dans les yeux. Tu sais ce que tu es, toi, petite merde ?!

Le garçon ne tremblait même plus. Les yeux plantés dans ceux de la louve, une lueur d’agressivité dans les yeux qui l’étonna. La louve se dressa de tout son corps, face au garçon, sans vouloir lui laisser aucune pitié.

- Tu es adopté. Va mourir dans les bois, je ne veux plus te voir.

La louve partit comme elle était venue, telle une ombre invisible dans la nuit sans fin. Le garçon ne bougea pas. Il ne connaissait pas la signification du mot adopté, mais il savait ce que voulait dire « mourir dans les bois ».

Pour la première fois, seul face à la forêt et à la vie sauvage, il n’eut pas peur.

Il savait qu’il était la première proie dans cette forêt. Sans aucune défense face à quelconque adversaire.

Il savait qu’il allait s’en sortir, même s’il devait buter un loup pour son dîner. La forêt semblait maintenant un tout autre domaine pour lui. Pour un enfant de six ans, on peut en douter, mais avec la lueur qui brillait dans ses yeux, il se sentait plus comme une menace que comme une proie.

Le survivant du village, détruit par le clan de la mère des loups. 

Qui choisit, de lui même, de faire partie des leurs.

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