Alors qu’il a vingt ans, Thorkell est hébergé pour quelque temps dans la luxueuse maison de la famille Yamashita, dans un quartier chic de Tokyo. Il a l’impression qu’il n’y a personne, quand il aperçoit dans le dégagement des chambres quelqu’un qui se déplace furtivement, Masaaki habillé en femme. Intrigué, il le suit jusqu’au seuil de sa chambre.
— C’est pour une soirée costumée. Je fais des essayages, prétexte ce dernier.
Vêtu d’une longue robe à fleurs rouges et blanches sur fond noir, il cache au mieux son embarras. Thorkell appuie son épaule au chambranle et le considère avec une expression indéfinissable en inclinant la tête sur le côté.
— Ça te va bien. C’est une robe de ta mère ?
Ennuyé d’avoir été surpris dans une telle tenue et ne sachant comment réagir, Masaaki prend un air détaché :
— Oui, elle a laissé des habits qu’elle ne veut plus mettre. Je vais enlever ça.
Entre-temps Thorkell s’est approché de lui – si près qu’il l’interrompt dans son mouvement –, et il plonge dans le sien son regard bleu rehaussé de stries claires.
— Tu n’as pas besoin de sauver les apparences avec moi, tu sais. Je t’accepte comme tu es.
Masaaki repense au dessin que Thorkell lui avait fait quelques années auparavant, sur lequel il avait ajouté un nom et, l’espace d’un instant, chavirant dans l’azur des yeux qui le surplombent, envahi par une vague d’espérance comme s’il pouvait toucher du doigt son rêve, il se sent transporté dans la peau de cette femme, affranchie, libre d’aimer, libre de désirer… Mais cette bulle d’illusion éclate d’un coup ; la réalité lui rend la conscience de son corps, étouffant dans l’œuf cette folie.
— Je vais me changer, dit-il avant d’aller se dissimuler derrière le paravent.
Quand il réapparaît dans ses vêtements habituels, Thorkell n’a pas bougé.
— Tu es toujours là, toi ? fait-il sur un ton légèrement railleur. Bon, assieds-toi.
Ce disant, il désigne le coussin posé aux pieds de la table basse et s’assied sur son lit. La chambre est assez grande pour qu’il n’ait pas besoin de ranger son futon le matin.
— Je ne sais pas ce que tu attends de moi. Je crois que tu avais déjà compris la situation quand tu as fait le fameux dessin.
Après un court silence, il ajoute :
— Je suis dans une impasse.
— Non, tu as des décisions à prendre.
— Je dois juste décider entre me marier et avoir des enfants ou être à la fois la honte de ma famille et rejeté par la société, tu veux dire ?
— Entre sauver les apparences et être toi-même.
Masaaki marque un temps de réflexion et soupire.
— Je ne vais pas y arriver. Il faudrait que je parte loin d’ici, à un endroit où personne ne me connaît, et que je commence une nouvelle vie…
— Viens avec moi quand je quitterai le Japon. En Europe ou aux États-Unis, tu pourras devenir qui tu voudras.
Face à l’air surpris de Masaaki, il ajoute :
— Normalement, c’est là que je te demande si tu veux sortir avec moi et que tu refuses en disant que tu n’es pas homosexuel.
Troublé tant par la proposition que par l’aisance de son interlocuteur, Masaaki baisse les yeux et conclut :
— C’est compliqué.
— Pas tant que ça, affirme Thorkell avec aplomb. Tu me plais quelle que soit ton enveloppe corporelle ; que tu préfères rester comme tu es ou que tu décides de devenir la personne que tu voudrais être.
Visiblement gêné, Masaaki lève néanmoins le regard vers Thorkell et avoue, presque à mi-voix :
— Si j’étais Mitsuko, je te dirais oui.
*
Bien que Camille lui ait dit de le laisser dans le passé, Blandine est toujours intriguée par le fameux Masaaki. Comme elle ne peut pas en parler autour d’elle, elle choisit des voies détournées. Ayant l’impression que ce mystérieux personnage est lié à la musique, celle qu’écoutent ses cousins ou d’anciens camarades d’école, elle songe à leur demander s’ils le connaissent. Mais avant de s’adresser à des gens avec lesquels elle n’a plus eu de contacts depuis longtemps, elle tente sa chance auprès de sa disquaire préférée. Après les salutations d’usage, elle demande :
— Est-ce que par hasard le prénom Masaaki vous dit quelque chose ? Ce serait plutôt dans la musique pop-rock… pas très récente.
— Voyons, voyons… Masaaki…
Après un moment de réflexion, elle suggère :
— Masaaki Yamashita ?
Cachant sa surprise, Blandine répond un peu au hasard :
— Oui, ça doit être ça.
— Il me semble qu’il est lié au groupe Eurynomé. On va voir dans le rayon.
Suivie de sa cliente, elle se dirige vers un bac où elle commence à compulser des rangées de CD.
— À l’origine, c’étaient des vinyles, mais ils ont été enregistrés sur CD. Le groupe n’existe plus, mais ils ont encore un certain succès. Bon, cherchons dans le rock progressif... Ah, voilà !
Elle saisit un CD pour lire le texte imprimé au dos de la boîte.
— Ah non, c’est Mitsuko Yamashita. Pourtant, le nom Masaaki me dit quelque chose… À un moment donné, Eurynomé s’est associé à un chanteur d’un autre groupe. Il est là.
Ce disant, elle pointe un nom du doigt.
— Il faudrait peut-être chercher un enregistrement plus ancien. Mais je crains qu’on ne puisse le trouver que chez un antiquaire ou au marché aux puces. Je connais quelqu’un qui vend des vieux vinyles. Je vais vous donner sa carte.
Blandine repart avec la carte de visite et un CD d’Eurynomé. Si c’est bien « sa » Mitsuko qui joue dans ce groupe, il vaut son pesant d’or.
Ensuite elle se rend à l’adresse indiquée, dans un magasin étriqué rempli de vieilleries, notamment des livres et des disques. On la laisse fouiller dans des grands bacs pas très bien classés. Alors qu’elle est prête à abandonner, elle trouve son bonheur : un vinyle d’Eurynomé avec une belle photo des musiciens dans leurs habits de scène de la fin des années septante. Au dos de la pochette, elle trouve bien le nom « Masaaki Yamashita » et, plus surprenant, l’auteur-compositeur de certaines chansons s’appelle Thorkell Camillus Bjarnason. Si ce n’est pas le Camille qu’elle connaît, c’est une incroyable coïncidence ! Elle l’achète aussi.
En ressortant du magasin, elle se rend compte qu’elle est en avance pour son rendez-vous avec Gladys à « la Cave », où elle doit lui présenter une amie. Finalement, c’est une bonne chose ; ça lui permettra de se reposer après toute cette marche et cette station debout.
Leur table habituelle est occupée par deux personnes. C’est Camille et une femme qui lui ressemble beaucoup, très grande aussi. Absorbés dans leur conversation, ils parlent une langue étrangère. Elle a des cheveux longs plus clairs et moins bouclés que ceux de Camille, avec une frange partagée par le milieu qui couvre une partie de son front. Tous deux en tenue de motards, assis les jambes croisées, un coude sur la table et la tête appuyée sur la main dans une symétrie quasi parfaite, ils forment un duo surprenant. Blandine s’assied à la table voisine, n’osant pas les déranger.
Après de longues minutes, la conversation se termine et Camille se lève pour partir. Au passage, il regarde Blandine sans avoir l’air étonné de la voir.
— Salut, Blandine, dit-il avant de se diriger vers la sortie d’un pas décidé.
Elle le salue et le suit des yeux, puis se tourne vers son double féminin qui lui adresse la parole.
— Tu es Blandine, l’amie de Gladys ?
— Oui, fait Blandine, un peu surprise.
— Tu veux venir ici ou c’est moi qui vais vers toi ?
— Je viens, décide Blandine. C’est notre table attitrée.
Elle ramasse ses sacs et va s’installer en face de son interlocutrice. Cette femme figure bien sur la photo de la pochette du disque ; Blandine se dit qu’elle pourrait être une source d’information. Elle se demande si elle va oser la questionner à propos de Masaaki.
— Je m’appelle Lilja. Je suis la sœur de Camille.
Son sourire laisse apparaître des dents du bonheur et ses yeux sont plus clairs que ceux de son frère. Elle a le même accent que lui.
— Je crois que ça se voit, ajoute-t-elle en riant. Comment tu connais Camille ?
— Il m’a fait un dessin.
— Ah, je vois… Une énigme, une remise en question, quelque chose comme ça, n’est-ce pas ?
— Oui. Quand on en a discuté, j’ai eu l’impression qu’il se moquait un peu de moi.
— Qu’est-ce qu’il a dit pour te faire croire ça ?
— Pas grand-chose : « aha ».
Le sourire de Lilja s’agrandit ; elle a l’air amusée :
— Il y a toutes sortes de « aha ». Tout est dans l’intonation.
Elle lui fait la démonstration d’une série de « aha » prononcés sur divers tons et donne leur traduction. Il y a entre autres ceux qui veulent dire « je vois », « ah bon ? » ou simplement « oui » ; il y a le « aha » incrédule et d’autres que Blandine ne parvient pas à retenir.
— Le pire, poursuit Lilja, c’est celui qui montre qu’il ne t’ignore pas, mais que ce que tu lui racontes ne l’intéresse pas. Il me l’a souvent fait quand on était ados. Alors si tu ne me donnes pas l’intonation, je ne peux pas traduire.
Elle rit sur cette dernière phrase et ajoute :
— Camille peut paraître étrange quand on ne le connaît pas bien, mais il y a une chose qui est sûre : il ne se moque pas de toi.
— Alors j’ai mal interprété. Tant mieux. Vous parliez quelle langue, tout à l’heure ?
— Islandais.
— Ça fait longtemps que vous êtes en Suisse ?
— Oui, ça doit faire pas loin de dix ans. Avant, on a passé quelques années aux État-Unis, mais on retourne très souvent en Islande.
— Tu as fait partie d’Eurynomé ou je te confonds avec quelqu’un d’autre ?
— Eurynomé ? répète-t-elle, surprise. Tu connais Eurynomé, toi ?
— Très vaguement.
— Oui, je chantais dans le groupe et mon frère était auteur-compositeur.
— Pourquoi le groupe n’existe plus ?
— On avait décidé de le former pour dix ans seulement. On avait un concept, un style qui ne vieillit pas bien, et l’adapter aurait demandé de trop grands changements. Le groupe aurait perdu son identité.
— Mitsuko, elle y était aussi ?
— Oui, aux claviers. Mais elle a toujours beaucoup travaillé son piano classique à côté.
— Et Masaaki Yamashita, c’est qui ? hasarde Blandine, profitant de l’occasion.
— Ah, Masaaki… fait Lilja, visiblement ennuyée.
Elle réfléchit un instant, puis conclut :
— Je ne peux pas t’en parler. Là… il y a un secret qui ne m’appartient pas.
Manifestement, seule Mitsuko peut répondre à cette question, se dit Blandine. Mais elle se demande si c’est une bonne idée de la lui poser.
Sur ces entrefaites, Gladys arrive vers elles, radieuse comme d’habitude.
— Ah, vous avez déjà fait connaissance ? Il n’y a plus de surprise, alors.
— Oh, si ! C’est quand même une drôle de surprise, affirme Blandine. En t’attendant, on a eu une discussion très intéressante. Mais au fait, en quel honneur tu voulais nous présenter ?
— Lilja était absente ces derniers temps. C’est une façon de t’intégrer à notre petite bande.
Une fois que Lilja est partie, les deux amies sont toujours à leur table.
— Lilja est super-sympa. Mais qu’est-ce que vous avez en commun ?
— Tu sais, Lilja et Camille ont aussi une formation classique à la base ; ils sont mélomanes. Et puis on parle de toutes sortes de choses. On forme une petite bande autour de Mitsuko juste pour le plaisir d’être ensemble.
— C’est gentil de me faire entrer dans votre bande.
— C’est bientôt Pentecôte, remarque Gladys.
— Oui, ça m’embête. Ça fait deux jours où je ne peux pas travailler alors que mon examen est proche. Avec mes voisins, je ne peux pas jouer les jours fériés.
— Je voulais justement t’inviter à passer le week-end prolongé chez moi. Si mon piano te convient, ajoute-t-elle avec un sourire. Et on a une chambre d’amis. Mes parents seront absents et moi, je suis comme toi : je ne peux pas m’accorder de congés avant les examens. La maison est assez grande. Je peux jouer de la flûte dans une autre pièce pendant que tu joues du piano. On ne se dérangera pas plus que dans les salles du Conservatoire.
Elle prend un air enjôleur :
— Alors, trois jours seules toutes les deux chez moi, ça te dit ?
— Ce serait super ! s’exclame Blandine avec des étoiles dans les yeux. J’espère que ma mère va accepter.
*
Durant ce week-end prolongé, les deux jeunes femmes n’oublient pas de s’exercer pour leurs examens, mais elles profitent de la possibilité de partager tous les autres moments sans devoir se déplacer ni se donner rendez-vous. Les repas préparés et pris à deux, les soirées ensemble, les fous rires et les discussions sérieuses, toutes ces petites choses du quotidien qui renforcent leur complicité et les rapprochent, leur donnant presque l’impression de vivre ces quelques jours en couple.
Un soir, elles sont réunies dans la chambre d’amis où Blandine est installée. Elle est meublée d’un lit à deux places avec une table de nuit le long d’un mur, d’un bureau vers le pied de celui-ci, ainsi que d’une grande armoire et d’une étagère contre le mur opposé. Assises sur le grand lit, dos au mur et jambes allongées, elles lisent une romance à l’eau de rose que Gladys a dénichée dans la bibliothèque. Celle-ci, qui n’est pas du tout timide, se met à jouer le rôle de l’homme qui séduit sa belle dans le livre, ce qui donne lieu à de grands éclats de rire. Quand le scénario devient gênant pour Blandine, elle proteste, sans cesser de rire :
— Non, arrête avec ce livre.
Comme Gladys continue sa lecture et sa comédie, Blandine tente de le lui prendre des mains, mais elle résiste. Dans la lutte, elles se trouvent assises sur leurs talons.
— Qu’est-ce que tu me donnes en échange du livre ? demande Gladys.
— Euh…
— Je te donne le livre contre un baiser.
Blandine est un peu intimidée à l’idée de faire un tel geste :
— Je te propose de me donner le livre et le baiser.
— Tu ne peux pas tout avoir, décrète Gladys en jouant le jeu, faussement autoritaire. Exit le livre !
Elle le pose le plus loin possible sur un coin du lit. Puis elle prend le visage de Blandine entre ses mains et l’embrasse tendrement. Cette dernière se surprend à poser ses mains sur la taille de Gladys.
*
Masaaki prend l’air sur le balcon de sa maison familiale. Thorkell le rejoint en disant :
— Je viens te déranger.
— Il commence à faire froid ; je vais bientôt rentrer.
Sans rien ajouter, Thorkell se place derrière lui et l’entoure de ses bras.
— Qu’est-ce que tu fais ? demande Masaaki, un peu gêné.
Une partie de lui voudrait s’enfuir alors que l’autre désire que cet instant se prolonge.
— Je te réchauffe, répond Thorkell. Mais si tu veux, je m’éloigne.
Masaaki pose les mains sur les bras qui l’enlacent.
— Tu peux rester là.
Appuyant sa tête conte celle de Masaaki, Thorkell reste un moment silencieux avant de déclarer :
— Tu sais, je n’ai pas renoncé.
— Ça me paraît assez clair. Mais quand je m’imagine avec toi, c’est en tant que femme.
— Je sais. Tu veux qu’on se contente d’une relation platonique ?
— Je n’ai jamais envisagé une relation « homosexuelle »*, mais avec toi c’est différent… dans tes bras, je peux presque oublier que j’ai ce corps.
— Mitsuko est en toi et je la vois quand je te regarde.
Masaaki se retourne face à lui et pose ses mains ouvertes contre son torse afin de maintenir une distance suffisante pour le regarder dans les yeux.
— Ce que tu as dit l’autre jour, tu le penses vraiment ? Si on se met ensemble maintenant, quand mon corps changera, ce ne sera pas un obstacle ?
— Oui, je le pense vraiment et non, ce ne sera pas un obstacle.
— Et si notre relation de couple ne fonctionne pas ?
— Alors je resterai à tes côtés en tant qu’ami. Mais je pense qu’elle va fonctionner. Tu es mon âme sœur.
— Ton âme sœur… ça me convient.
Puis, passant les mains dans les boucles blondes de Thorkell, il sourit avec une gaîté soudaine et déclare :
— J’ai toujours aimé ton côté exotique.
Comme son vis-à-vis se borne à le regarder d’un air amusé, il ajoute :
— Embrasse-moi.
Thorkell ne se fait pas prier.
Il semble détenir une aptitude à transcender les corps, comme s’il pouvait atteindre Mitsuko, la toucher à travers sa prison de chair.
*
Au début de son cours de piano, qui a lieu cette fois encore dans une salle du Conservatoire, Blandine a apporté le vinyle d’Eurynomé. Alors que Mitsuko est déjà assise près du piano comme à son habitude, elle le lui montre en lui demandant si la personne aux claviers est Masaaki.
Mitsuko répond par l’affirmative ; elle a l’air embarrassée. Visiblement, elle doit faire un effort pour s’expliquer.
— Je dois t’avouer une chose, Blandine. J’espère que tu ne seras pas trop choquée. Sur mes papiers officiels, je suis toujours Masaaki Yamashita, un homme. Mais à vingt-cinq ans, j’ai commencé les traitements et ça fait une dizaine d’années que je suis devenue Mitsuko.
Blandine est si abasourdie qu’elle n’est pas capable de prononcer le moindre mot. Mitsuko interprète ce manque de réaction comme de la réprobation.
— Je voulais attendre que tu aies passé ton examen pour te parler de ça. Je ne voulais pas perturber ton travail. Je suis désolée de t’avoir déçue.
— Non, rectifie Blandine. Tu ne m’as pas du tout déçue ni perturbée, mais là c’est fou, je n’en reviens pas ! J’ai imaginé des tas de choses à propos de Masaaki, mais ça, je ne m’en serais jamais doutée... Et ça ne change rien à ce que je pense de toi.
Elle reste songeuse un instant, puis s’enquiert :
— Mais tes papiers, tu ne peux pas les faire modifier ?
— Non. Je pense qu’il faudra beaucoup de temps pour que les autorités japonaises acceptent ce genre de chose.**
— Ah, c’est embêtant. Et comment ça se passe avec ta famille… si ce n’est pas trop indiscret ?
— Mon père est très fâché contre moi. Ma mère accepte, elle me considère comme sa fille, mais… je pense que son fils Masaaki lui manque. Daisuke, mon frère... il m’accepte, il me traite comme une femme, mais ce n’est plus comme avant, avec lui. Il y a un malaise.
Elle parle sur un ton qui se veut léger, ponctuant son discours de hochements de tête et de petits rires charmants, paravent pour masquer sa tristesse et pour ne pas la faire peser sur son interlocutrice. Elle marque un temps et conclut avec une mimique fataliste :
— C’est comme ça ; on ne peut rien y faire.
Après un bref silence, elle se ressaisit pour conclure son discours sur une note positive.
— Mais j’ai beaucoup de chance. J’ai Camille dans ma vie ; il m’a donné la force de franchir le pas et il a traversé tout ça avec moi. Sa famille est très gentille : ils se comportent comme si j’étais leur fille ou leur sœur. Et puis j’ai la musique pour les choses qu’on ne peut pas dire avec des mots.
Elle marque une petite pause puis, sans laisser à Blandine le temps de réagir, elle change de sujet :
— Et toi, tu veux aussi me dire un secret ?
Blandine devine qu’elle dit ça à cause du dessin de Camille. Son regard se met à étinceler.
— Ce n’est pas un secret, mais tu es la première à l’apprendre. Je croyais que Gladys était ma meilleure amie, avoue-t-elle. Mais en fait, Camille avait raison, il y a plus que ça. Je suis amoureuse d’elle. Et c’est réciproque.
— Oh, comme c’est mignon ! s’exclame Mitsuko avec un enthousiasme sincère. Je suis vraiment très contente pour vous.
Puis, avec le sourire, elle l’invite du geste à s’asseoir au clavier :
— Commençons à travailler, maintenant. Tu te rends compte ? C’est le dernier cours avant l’examen.
*
Le jour J, Blandine soigne son apparence ; elle porte un pantalon noir avec une blouse verte satinée à longues manches, plissée sur le devant, dont le col est fermé par un nœud. Elle a discipliné ses cheveux en une coiffure qui ressemble à un chignon.
Mitsuko est là pour lui donner les dernières recommandations, les derniers encouragements, et Gladys est présente pour la soutenir, bien qu’elle n’ait pas le droit d’entrer dans la salle d’examen.
Suivant les conseils de sa professoresse, elle tente de profiter de l’acoustique de la salle et de trouver le plaisir de jouer. En descendant de la scène, elle n’est pas très satisfaite. Elle passe en revue toutes les petites choses qu’elle pense avoir ratées. Tandis qu’elles vont attendre dans l’entrée, Gladys fait tout pour la rassurer et lui changer les idées dans l’attente des résultats.
Quand Mitsuko sort enfin de la salle, elle affiche un grand sourire :
— Bravo, Blandine, tu as réussi !
Dans sa joie, Blandine se jette dans les bras de Gladys puis se tourne vers sa professoresse :
— Merci, Mitsuko. Sans toi, je n’y serais jamais arrivée.
— Je n’ai pas fait grand-chose, proteste-t-elle modestement.
Puis elle tire de son sac un paquet dans un emballage cadeau qu’elle lui tend des deux mains.
— Voilà pour toi.
Tout en la remerciant chaleureusement, Blandine le déballe. C’est un livre : « La décennie Eurynomé », écrit par Thorkell Camillus Bjarnason.
*
* En 1990, la distinction entre sexe biologique et genre n’était généralement pas comprise et une relation de ce type était considérée comme homosexuelle.
** Une loi a été approuvée en 2003
Je viens de finir cette petite histoire qui ma foi était bien sympathique. J'avoue ne pas avoir grand-chose à dire. Je suis content car j'avais à moitié trouvé le secret derrière Masaaki ahah.
Le seul petit bémol, subjectif, c'est que certaines scènes (les deux scènes d'amour, + la scène ou Blandine apprends la vérité pour Misako) ont manqué de tension, et de non-dits. À mon goût bien sûr. J'ai trouvé les personnages trop directs... pas assez hésitants par rapport au poids que leurs sentiments représentaient.
Je voulais finir par dire que l'ensemble de la lecture était fluide et agréable à suivre.
Bon courage pour tes futurs écrits :)
Mais je reconnais que mes personnages sont directs, certainement trop parfois, et j’ai tendance à aller droit au but alors que certains détours pourraient enrichir l’histoire. Il faut que j’étudie la question, parce que dans l’immédiat, je ne suis pas sûre de savoir écrire autrement.
Merci d’être passé par ici et d’avoir pris le temps de lire et commenter cette histoire en entier. C’est précieux.
Par exemple : "Mais en fait, Camille avait raison, il y a plus que ça. Je suis amoureuse d’elle. Et c’est réciproque." Je trouve que cette phrase est super dure à prononcer d'une façon aussi claire et limpide. Sachant qu'elle avoue sont homosexualité, qu'elle expérience à peine, je suis surpris qu'elle n'ait pas d'hésitation, de regards fuyants, de difficulté à prononcer ces mots.
Ceux-là aussi par exemple : "Si on se met ensemble maintenant, quand mon corps changera, ce ne sera pas un obstacle ?" Elle arrive à prononcer la phrase d'une traite et de façon tellement limpide, que j'ai eu l'impression que les mots ou la situation ne lui pesaient pas tant que ça.
Pour tout ce qui est hors champ, ça ne m'a pas gêné. Mais s'il y avait eu plus de texte, ça n'aurait qu'été meilleur à mon goût.
De rien, et bon courage ;)
Pour Camille et Mistuko, le hors-champ influence les dialogues : Camille est allé vivre au Japon pendant un an ou deux. (La scène du dessin se passe 3 ou 4 ans avant ce séjour, donc la graine avait été semée depuis longtemps). Forcément, le sujet est revenu sur le tapis à plusieurs reprises. Il est patient, mais il n’est pas du genre à lâcher l’affaire.
Merci ; avec ma muse qui s’absente constamment, j’ai bien besoin de courage. ;-)
Comme promis, je suis passé lire ta longue nouvelle pour t'en faire un petit commentaire détaillé (en mode alpha lecture).
Je te rappelle que mes remarques sont tout à fait subjectives et ne représentent donc que mon avis. Tu devrais les corréler à d'autres commentaires pour en tirer quelque chose.
Au passage, je tiens à préciser que la romance n'est pas mon genre de prédilection et que je ne suis donc ni un fin connaisseur ni le public cible.
L'intention du texte est sa grande force. Tu parles d'un amour lesbien naissant et d'un autre ou l'un des amants est une femme trans.
Tu places l'action des années 70 aux années 90, un moment de l'histoire où la libération sexuelle permet une ouverture sur l'homosexualité. Sans être spécialiste, il me semble que la sexualité transgenre est encore tabou à cette époque.
Je me suis d'ailleurs demandé si les traitements étaient déjà bien rodés dans les années 80, vu que Mitsuko a dû commencer à ce moment-là dans ton histoire.
Les réactions des personnages par rapport à ce contexte semblent cohérentes. Ils cherchent à éviter le sujet, en gros. À la fin, on sent que Mitsuko a même du mal à assumer pleinement son choix (elle a peur de décevoir Blandine en lui avouant la vérité).
Ta définition des personnages est une des réussites de ce texte. Ils ont chacun leur personnalité. Au passage, tu évites les clichés du tout le monde est beau et mince.
Tu amènes un élément fantastique avec Camille, mais qui peut s'expliquer par une grande sensibilité aux émotions des autres. Et c'est important, car un élément surnaturel serait étrange dans ce texte sans une exploitation plus importante.
Au niveau de la structure, j'ai été moins convaincu. Pour moi, il y a plusieurs problèmes.
Déjà, j'ai eu du mal à comprendre l'enjeu principal. Est-ce sa relation avec Gladys ? Découvrir le secret de Mitsuko ? Réussir ses examens de piano ?
Ensuite, sur deux de ces enjeux, j'ai trouvé le développement de Blandine un peu hasardeux.
Gladys découvre qu'elle est lesbienne ou du moins en partie. Ça paraît un peu tomber de nulle part. Elle a probablement dû être troublée par d'autres femmes avant, non ? Je ne crois pas non plus que tu évoques sa relation avec les hommes. Les deux cumulés font qu'on manque de points de repère. Cela m'a donné l'impression qu'elle découvrait la vie amoureuse comme une petite fille.
Ensuite, sa façon de s'intéresser au secret de Mitsuko m'a paru malsaine et je vais expliquer pourquoi après. De plus, l'enjeu de la découverte du secret de Mitsuko est surtout l'enjeu de savoir comment Blandine va découvrir ce secret puisqu'on comprend très rapidement de quoi il retourne. Ça enlève forcément un peu de piment pour le lecteur, je pense.
Quant à sa réussite aux examens de piano, cela paraît bien fade à côté des deux autres, d'autant qu'elle peut recommencer l'année suivante.
À vrai dire, j'ai eu la sensation que tu avais imaginé tes personnages et les idées que tu souhaitais développer, puis que tu avais essayer de développer un récit autour. Ce qui donne une impression un peu mécanique et artificielle.
Ceci est principalement dû à certaines jonctions un peu laborieuses entre les idées et les scènes.
Qui s'intéresserait à une erreur de prénom ? N'en faisons-nous pas tous en mode boulette ? De mon point de vue, c'est un déclencheur trop faible pour être crédible. Comme je te le disais, cela a induit un petit aspect malsain chez moi, car, dès lors, ton héroïne m'a paru très inquisitrice. Cela nuit à ta fin également, car Mitsuko semble s'excuser de garder un secret face à la curiosité mal placée de Blandine.
On ne sait pas ce qui motive Mitsuko à aider Blandine. À côté, l'idée de la réciprocité n'a probablement pas vraiment d'intérêt à être développée.
Au niveau de la narration, tu as choisi un mix aligné omniscient. À part décrire les habits de Blandine, l'omniscient ne t'est pas très utile en réalité.
Tu t'en sers également pour décrire l'état d'esprit de tous les protagonistes dans la même scène, mais principalement dans la première partie. Après, tu laisses un peu tomber cet aspect.
Et c'est tant mieux (d'avoir laissé tomber). En tout cas, selon mes goûts ! ;)
L'alignement interne sur Blandine serait certainement plus efficace pour ton histoire. Gladys est la source de convoitise. Elle gagnerait peut-être un peu à ce qu'on ne la voit que par les yeux de Blandine.
Le style est assez particulier. Très descriptif. Attention, un avis très subjectif va suivre !
On sait les habits, le maquillage et le physique de tous tes personnages. Sur un format aussi court, c'est presque impossible de le faire sans lourdeur. Dans la première partie particulièrement, l'action est constamment coupée par des descriptions assez longues.
Ce n'est pas ce que j'aime le plus, je dois admettre, mais j'ai cru ressentir un vrai plaisir d'écriture dans ces descriptions. C'est important que tu gardes ce plaisir. Cependant, il faut que tu sois consciente que cela risque d'être rédhibitoire pour beaucoup d'AT.
Malheureusement, le problème du descriptif ne s'arrête pas là. Tu racontes beaucoup et notamment les sentiments. Une phrase assez symptomatique : "Blandine sent monter en elle un trouble qui s’apparente à une sorte de panique."
Je ne sais pas si tu as déjà entendu parler de "show don't tell", mais c'est particulièrement vrai pour les sentiments selon moi. Le fait de raconter ses sentiments donne une impression de distance. Il est plus difficile de s'identifier au ressenti du personnage.
Le lecteur a besoin de pouvoir interpréter une partie du ressenti pour se l'approprier.
Pour illustrer :
"Blandine a soudain trop chaud. Probablement son pull de cachemire trop épais. Mais pourquoi se sent-elle obligée de détourner les yeux du décolleté de son amie ?"
Dans cet exemple écrit un peu rapidement, on se sent probablement plus proche de Blandine, car on n'est pas dans l'analyse, on est dans le ressenti. Dis-moi si je ne suis pas clair !
Au passage, tu noteras que j'ai placé un élément de description d'habillement au milieu de l'action avec un contexte qui le rend tout à fait naturel.
Si tu veux mon avis, le principal point d'amélioration de ton style est ici. Il faut que tu laisses tomber l'analyse et le tell pour entrer dans la tête et le corps de tes personnages.
Dernier point : faire de longues phrases est un exercice périlleux et pas forcément utile pour un style fluide et agréable. Si tu le fais, tu devrais éviter de changer le sujet en cours de phrase, je pense.
Un exemple caractéristique : "Une fois dans la rue, après avoir pris congé des personnes présentes, Mitsuko s’est glissée dans une combinaison qui l’a recouverte des chevilles au cou, cheveux compris, avant de cacher son sourire dans un casque intégral pour enfourcher une grosse moto, conduite par Camille, qui les a emmenés et a disparu au coin de la rue en pétaradant."
Petit détail dans le texte : j'ai trouvé cette phrase un peu dissonante dans ton histoire sur l'acceptation du physique :
"Vêtue d’un long pull-over violet et d’un pantalon gris à pinces, l’inconnue porte courts ses cheveux bruns, et son visage manque de finesse du point de vue de Blandine, qui trouve qu’elle a bien peu de classe en comparaison de son interlocutrice."
Ce n'est pas du tout incohérent, car on juge tous certainement les attributs physiques, inconsciemment ou non, qu'on le souhaite ou non. Mais il ne m'a pas semblé que ça ajoutait à ton propos puisque ce n'est pas repris ailleurs.
En résumé, j'ai aimé l'idée et les personnages, mais j'ai eu un peu de mal à ressentir l'intensité des enjeux et à me mettre à la place de Blandine.
Même si mes remarques te semblent un peu négatives, cela ne veut pas dire que ta nouvelle n'a pas de nombreuses qualités. Je me suis concentré sur ce que je pensais améliorable.
J'espère que ce commentaire pourra t'être utile. N'oublie pas de le confronter à d'autres.
Merci pour la lecture !
Ne parvenant pas pas publier ma réponse, je vais la scinder en deux.
Merci pour ce « petit » commentaire, qui est finalement de longueur plus que respectable et qui a dû te prendre pas mal de temps. ;-)
Avant de répondre à ta proposition de lecture, j’étais déjà tombée sur un de tes commentaires, donc je savais plus ou moins à quoi m’attendre. J’ai pensé qu’un regard sans complaisance me serait utile, même s’il me faut un peu de temps pour digérer toutes tes remarques. :-)
À vrai dire, je ne sais pas qui est mon public cible ; je n’y pense pas en écrivant.
Durant mes études, autant que je me souvienne, on n’abordait pas la littérature sous l'angle du schéma narratif et des points de vue, quasi universels aujourd’hui, et on ne parlait pas de la fantasie. Il faut dire que j’ai passé ma matu (l’équivalent suisse du bac) en 1981, avant de me consacrer à la musique pendant de nombreuses années.
C'est intéressant pour moi de voir comment tu perçois les points de vue dans mon texte parce que je ne pense pas à ça en écrivant. Quant aux enjeux prépondérants, il n'y en a pas forcément dans mes histoires par ce qu’il n’y en a pas forcément dans la vraie vie, et dans les livres que je lis, je n'en vois pas toujours non plus.
Concernant le fait de montrer au lieu de raconter (le fameux « show, don’t tell »), j’en entends beaucoup parler depuis quelque temps sur PA. Je suis persuadée que s'il est employé à bon escient et bien dosé, c’est une bonne technique. Mais en tant que lectrice, je m’en lasse dès que je vois les ficelles. J’ai tout de suite l’impression d’être confrontée à des clichés vus et revus, bien que je lise peu de fantasie.
La transidentité à l’époque : je ne saurais dire dans quelle mesure la transidentité était taboue au début des années 90 et dans quelle mesure c'était simplement l'ignorance qui prévalait. On parlait de « transsexuels », et le « transsexualisme » figurait encore dans le catalogue des maladies mentales. Les femmes trans étaient sans doute souvent assimilées, par méconnaissance, à des homosexuels « efféminés » ou à des travestis. C’est en tombant sur une émission de télévision vers la fin des années 70 que j’ai appris l’existence des personnes transgenres. Je n’en ai croisé une qu’au début des années 90 et je voyais certains jeunes hommes ricaner dans son dos. En revanche, je côtoyais déjà des musiciens homosexuels au milieu des années 70 ; ils étaient discrets, mais leur orientation sexuelle n’était pas vraiment un secret et je n’ai pas entendu les gens les critiquer ni se moquer d’eux.
Je me suis en effet demandé si Mitsuko pouvait passer pour une femme cisgenre en ayant fait sa transition à la fin des années 70. Quand j’ai découvert une femme trans, opérée en 1961, que j’aurais prise pour une femme cisgenre si je l’avais vue dans un autre contexte, j’en ai conclu que oui. Par souci de réalisme, j’ai fait de nombreuses recherches sur Internet (documents et vidéos). J’ai regardé deux émissions de télévision récentes où des ados transgenres et leur famille témoignaient. J’ai également lu une fiction et une biographie traitant de femmes transgenres ; mais je marche toujours sur des œufs.
Elle assume son passé et son parcours ; mais elle croyait avoir déçu Blandine en lui cachant des informations importantes sur elle-même. Elle pense devoir la vérité à ses amis et, ce qui est plus délicat à exprimer, elle pense aussi que les gens sont libres de ne pas vouloir la fréquenter à cause de ce qu'elle est.
Ce qui peut paraître contradictoire chez elle, c’est qu’elle fait le grand écart entre le conformisme qu’on lui a inculqué et son désir de liberté, qui l’a poussée à partir avec un homme affranchi des codes sociaux.
Gladys et Blandine : Gladys connaît sa propre orientation sexuelle, mais pas celle de Blandine. C’est pour ça qu’elle ne tente pas de rapprochement plus tôt dans l’histoire. En revanche, Blandine pense qu’elle est censée s’intéresser aux hommes et elle découvre son attirance pour les femmes à travers l’évolution de ses sentiments pour Gladys. Si elle n’est pas consciente d’avoir déjà été troublée par des femmes, c’est qu’elle était dans une sorte de déni jusque-là et qu’elle commence à ouvrir les yeux. Je devrais développer ça.
Blandine et son examen de piano : ce n’est pas si simple. Si elle ne le passe pas cette année scolaire, rien ne lui garantit qu’elle pourra le faire l’année suivante. Elle devra entrer en classe non professionnelle et la suite dépendra du bon vouloir de son prof. Et crois-moi, il y en a qui ont tendance à retenir les élèves ; surtout ceux qui sont prometteurs.
Blandine et le secret de Mitsuko : je pense que le problème vient du fait que, dans le présent de l’histoire, Masaaki sort de nulle part. Blandine devrait avoir un souvenir plus précis, par exemple celui d’avoir lu ce nom sur une pochette de vinyle. Toujours est-il qu’elle est absolument persuadée que Masaaki et Mistuko sont deux personnes distinctes. Autrement, elle ne se serait pas permis de mener sa petite enquête. Si le lecteur est au courant, c’est parce qu’il a vu les flash-back, ce qui n’est pas le cas de Blandine.
La femme au pull violet : Blandine admire sa nouvelle prof de piano. (J’avais d’autres éléments en tête pour exprimer cette admiration, mais je n’ai pas réussi à les placer dans le texte.) En revanche, elle a une mauvaise opinion de cette femme qu’elle considère comme un élément perturbateur : sans cette intruse, elle pourrait mieux se fondre dans le groupe. C’est pour ça qu’elle déprécie aussi son apparence.
Camille : c’est un personnage récurrent, qui apparaît dans différents cercles de personnages, dans différentes histoires. Je voulais que ses capacités se situent à la frontière entre une très grande intuition et un don pour les perceptions extrasensorielles. C’est à partir d’un récit à propos du don de seconde vue en Islande que j’ai inventé ce personnage.
C’est vrai que je tiens à mes descriptions ; elles font partie de ma marque de fabrique. Mais je suis consciente que je devrais trouver une manière de les écrire qui soit à la fois plus concise et plus évocatrice. Tu n’es pas le premier à pointer mes longues phrases : il faut que je travaille là-dessus.
En conclusion : cette histoire est trop longue pour le format imposé par l’AT. Ce sont probablement les raccourcis que j’ai dû prendre qui nuisent à sa cohérence. Je crois que pour l’améliorer, il faudra que j’ajoute des passages afin de clarifier certains points. Il faut également que je trouve un compromis entre mon refus d’entrer dans le moule et mon désir d’être lue. :-)
Merci encore pour toutes ces remarques, qui m’aideront certainement dans une future réécriture.
Je pense qu'il y a plusieurs éléments, que tu m'as cités, qui mériteraient probablement d'être un tout petit peu plus explicites.
"Il faut également que je trouve un compromis entre mon refus d’entrer dans le moule et mon désir d’être lue. :-)"
Non. Au fond, je ne pense pas qu'il faille vouloir rentrer dans le moule ou s'en extraire.
Cependant, il est toujours intéressant de se demander ce à quoi l'on tient vraiment.
Tiens-tu à tes descriptions ? Oui !
Tiens-tu à écrire des histoires avec des enjeux flous ? Peut-être pas.
Sur ce texte, il est flagrant que tu souhaites aborder un thème fort et qui t'importe. Les enjeux devraient probablement être à la hauteur pour que le lecteur puisse s'approprier ton émotion. Même si tu as raison en disant que la vie, ce n'est pas toujours des enjeux forts.
Après, dans ta nouvelle, il y a matière à en avoir sans aucun problème. Blandine se découvre homosexuelle. Elle aime Gladys. Comment oser lui avouer sans risquer de perdre son amitié ? C'est pas mal tout de même ! :)
"Avant de répondre à ta proposition de lecture, j’étais déjà tombée sur un de tes commentaires, donc je savais plus ou moins à quoi m’attendre. J’ai pensé qu’un regard sans complaisance me serait utile, même s’il me faut un peu de temps pour digérer toutes tes remarques. :-)"
J'espère vraiment que mon commentaire ne t'a pas semblé trop dur.
Il n'a d'autre but que de te donner des pistes pour améliorer ton texte et ton écriture.
Je sais que j'en dis beaucoup et sans prendre trop de pincettes parfois. C'est ce genre de commentaire qui m'a permis de progresser très vite, mais ce n'est pas forcément la méthode la plus adaptée pour tout le monde, j'imagine.
Quoi qu'il en soit, mon avis reste tout à fait subjectif. Je ne détiens aucune vérité. À toi de juger ce qui est hors de propos, pas pour toi ou même faux dans ce que je t'ai dit.
Mais il me faudra un temps de réflexion pour faire le tri. Parfois la frontière est mince entre vouloir conserver certaines particularités et s'accrocher à ses défauts.
Cette réflexion me sera utile dans d'autres projets.
Ta plume s'affirme en avançant dans le texte, qui est devenu de plus en plus fluide et agréable.
J'ai bien aimé à la fois le week-end des deux filles et l'annonce "désacralisée" - comme disait Rachael - de Mitsuko.
Comme ce sont deux éléments dont le lecteur est déjà au courant depuis un moment je trouve cela bien de ne pas trop en faire et de le mettre en scène de façon très simple et naturelle. Cela met en valeur, je trouve, le thème LGBT+ que de le traiter comme n'importe quelle romance, avec cette même simplicité et cette même "évidence" dans les sentiments des personnages. Ce traitement par la simplicité du quotidien m'a beaucoup plu.
J'ai aussi aimé le fait que Blandine descende de scène en repensant à ses erreurs, sans être sûre d'avoir vraiment réussi l'examen, c'est très réaliste. Tu n'es pas tombée dans le cliché de la performance exceptionnelle pour rendre le scénario plus clinquant et c'est, je pense, à l'image de tout ton texte. Tu as parfaitement su rester simple et réaliste, ce qui rend le tout très doux et très juste.
Je me répète mais je persiste, ce n'est pas ennuyeux du tout, c'est même très réussi ! En tout cas cela m'a beaucoup plu.
Bravo pour cette nouvelle,
bravo d'être arrivée au bout car je sais - d'après ton JdB - que l'écriture n'est pas toujours simple pour toi ;
et bravo pour la qualité, c'est un très beau texte !
: )
La scène où Blandine descend de scène est inspirée de la réalité ; j’en ai passé, de ces examens ! :-)
En tout cas, merci pour tes commentaires et pour tes compliments. Ça me fait chaud au cœur. Je suis vraiment contente que cette histoire ait su te plaire.
J’aurais aimé savoir quel genre de musique le groupe Eurynomé joue et compose. Au début de la recherche Blandine dit pop rock, mas ce n’est pas confirmé par la suite. Du coup, ça reste un peu abstrait, je trouve.
La scène dans la chambre de Gladys m’a paru un peu rapide, dans le sens où elle est très vite introduite et très vite terminée aussi. Pour cette scène du premier baiser, c’est dommage d’aller aussi vite, et je trouve que cela mériterait d’être développé.
C’est bien que tu fasses de la « révélation » du changement de sexe de Masaaki un moment ordinaire, peu dramatique. Parce que finalement, cette tranquillité dédramatise beaucoup des choses que le lecteur avait d’ailleurs comprises depuis longtemps.
J’ai trouvé la fin un peu abrupte, mais j’avoue que sur un format court, c’est difficile…
J’ai remarqué que tu prêtes beaucoup d’attention à la façon dont tes personnages sont habillés/coiffés. Leur habillement est mentionné de manière presque systématique, alors que d’autres choses pourraient tout autant les caractériser. Disons que plutôt de le faire de manière assez « systématique », il me semble que tu devrais réserver ce genre de descriptions « vestimentaires » aux cas où cela apporte quelque chose à l’ambiance, à la connaissance du personnage ou à l’histoire. Par exemple, le matin de l’examen, c’est utile de savoir que Blandine soigne son apparence.
Détails
Entre-temps Thorkell s’est approché de lui, même un peu trop, ce qui l’interrompt dans son mouvement, et il plonge dans le sien son regard bleu rehaussé de stries claires : à la fin, je n’ai pas compris qui plonge son regard bleu, ça peut être l’un ou l’autre.
Blandine est toujours intriguée par le fameux Masaaki : comme c’est un nouveau paragraphe après un retour dans le passé, j’aurais aimé un peu plus de contexte (temporel notamment) pour me situer.
Cette dernière le salue et le suit des yeux, puis se tourne vers son double féminin qui lui adresse la parole : je ne vois pas la justification de « cette dernière », puisqu’elle est la seule évoquée dans la phrase précédente. Celle-ci ?
Ça fait deux jours où je ne peux pas travailler à cause des voisins alors que mon examen est proche : je n’ai pas compris pourquoi.
je ne peux pas prendre congé avant les examens : de congés ?
Cette dernière, qui n’est pas du tout timide : là encore, je ne vois pas la justification de l’emploi de cette dernière, alors que seule Gladys est mentionnée dans la phrase précédente (s’il y a une dernière, il faut qu’il y ait une première, donc au moins deux personnes citées dans la phrase)
– « Cette dernière » fait partie de mes astuces pour éviter les répétitions. Mais en effet, quand Camille salue Blandine et sort du restaurant, « Elle le salue et le suit des yeux » suffirait. Dans la scène avec Gladys, je pourrais mettre « Celle-ci, qui n’est pas du tout timide ». En faisant la recherche, j’ai remarqué que j’emploie un peu trop souvent « cette dernière ». Il faut que j’y remédie.
– Développer la scène du baiser ? Sans blaguer, je ne vois vraiment pas comment je pourrais faire ça.
– Je me suis rendu compte que la fin était un peu abrupte, mais je n’ai pas réussi à faire mieux. Je crois que je ne suis pas douée pour les fins. :-)
– Dans la première partie, tu ne trouvais pas nécessaire que je décrive les cheveux de Mitsuko parce que son prénom en donne déjà une idée, et ici tu sous-entends que Masaaki pourrait avoir les yeux bleus ? Dans la toute première scène, j’ai indiqué que ses yeux paraissaient noirs ; j’imagine qu’on fait facilement la relation entre ce jeune garçon qui joue du piano et Masaaki. D’accord, dans l’absolu, la phrase n’est pas très claire, mais dans le contexte, je trouve illogique d’inverser les personnages. En cas de doute, la réplique suivante remet les choses en place. C’est le même personnage qui s’approche, qui plonge son regard dans celui de son vis-à-vis et qui reprend la parole. Je n’ai pas tellement envie de prolonger ce passage, ni de l’alourdir en répétant les prénoms.
– « Blandine est toujours intriguée par le fameux Masaaki » : je n’ai donné aucune indication particulière parce que c’est la suite des autres scènes au présent. Pour le moment, je n’arrive même pas à imaginer comment je pourrais arranger ça, vu que je n’ai pas mis de repères temporels précis.
– Quel genre de musique joue Eurynomé ? C’est une colle, en fait. :-) J’ai du mal avec ces classifications (qui ont d’ailleurs changé avec le temps). D’après ce que j’ai trouvé sur Internet, ça entre dans le pop-rock et le rock progressif. Si tu arrives à saisir ce qu’il y a de commun entre Uriah Heep (avant 1976 ; après, leur style a changé), Jethro Tull et Omega (le groupe hongrois), tu peux te faire une idée. ;-) J’imagine que chaque album d’Eurynomé forme un tout et raconte plus ou moins une histoire. Ce ne sont pas juste des chansons réunies sur un disque. On retrouve ce groupe dans un des projets dont j’ai parlé dans mon journal de bord (et qui n’avance plus).
– Gladys annonce que c’est bientôt Pentecôte. Blandine répond que ça l’embête, parce que ça fait deux jours où elle ne peut pas travailler à cause des voisins (qui n’apprécieraient pas d’entendre du piano durant ces jours fériés). Il faut vraiment que j’ajoute des explications à ce sujet ?
– « Prendre congé » pour « prendre un/des congé(s) » doit être un helvétisme. Je n’en avais pas conscience ; c’est une expression naturelle pour moi.
– La perception des descriptions, j’ai vraiment l’impression que c’est une question de mode. Actuellement, ce n’est pas la mode des descriptions, probablement parce que la jeune génération veut de l’action et n’a pas la patience de les lire. Pour moi, elles sont importantes : je vois des images que je tente de « dessiner » avec des mots. Comme je l’ai dit dans ma réponse de la première partie, je trouve que l’habillement, la coiffure, tout comme le visage, sont des choses importantes qui permettent de se représenter les personnages. Je ne voudrais pas qu’on imagine Mitsuko aller donner ses cours en jeans et mal coiffée, par exemple : parce que ça ne lui ressemble pas. Je sais que j’ai des progrès à faire dans mes descriptions ; je devrais moins entrer dans les détails et trouver des formulations à la fois plus simples et plus évocatrices. Mais si on me demande de les enlever, ça revient à me dire qu’on ne veut même pas connaître mes personnages tels que je les vois, ce qui est finalement un refus de mon imaginaire.
Pour le piano et pentecôte, ben moi ça ne me parait pas évident que Blandine s'arrête de jouer dès que ses voisins sont là. Il y a des sourdines sur les pianos et/ou des appartements bien insonorisés. Et je me suis vraiment demandée si cela avait un rapport avec le côté religieux de pentecôte. Ce que je veux dire, c'est que ce qui te parait évident ne l'est pas forcément pour le lecteur.
Pour le groupe, on reste bien dans du "rock" au sens large, ca peut être suffisant comme précision mais en dire plus peut aussi être sympa. Mais comme tu ne l'as pas confirmé, je me suis vraiment posé la question.
Enfin sur les descriptions, je ne dis pas du tout qu'il faut les enlever, personnellement j'aime bien les descriptions. Je pense plutôt qu'il serait bon de les varier et casser l'aspect un peu systématique des descriptions vestimentaires. On peut décrire aussi des attitudes, de petits détails physiques, des tics de comportement, des petites manies , etc... qui donnent de la présence et de l'épaisseur aux personnages. Oui certes, la manière de s'habiller/se maquiller/se coiffer peut montrer bien des choses, mais il peut y avoir aussi la démarche, l'attitude, la façon d'être.
Je te rassure pour les émotions , elles sont bien là, et tu as raison, c'est le principal ! On s'attache aux personnages; en particulier Blandine, Gladys et Mitsuko.
Et clairement, tout ce que je signale, ce sont des détails, rien de fondamental ou de rédhibitoire ! ;-)
J'ai préféré tout lire d'un coup, vu que le découpage est "artificiel"... ça a occupé mon trajet en train le jour de la remise des prix :P
Quelques petites remarques :
"ce serait plutôt dans la musique pop ou rock..." -> comment elle le sait ? (puis d'ailleurs, pop et rock, ça limite assez peu le choix xD)
"sur mes papiers officiels, je suis Masaaki Yagishita, un homme" et "ça fait une dizaine d'années que je suis une femme" -> Déjà, je ne saurais rien dire sur la législation quant à la transidentité à cette période, surtout au Japon (j'imagine que tu as fait tes recherches ceci dit), mais je me suis demandé si elle avait pas des papiers suisses ? Il me semble qu'on peut changer son nom/prénom (notamment les franciser) pour un pays seulement, quand on a la double-nationalité ? J'ai un ami qui a pu changer son nom de famille pour la France seulement, mais pas pour la Russie... Je sais pas si c'est possible pour un changement radical de prénom et de genre ceci dit.
Et tant que je suis sur le sujet, il me semble que la plupart des personnes trans préfèrent dire qu'ils sont des hommes / qu'elles sont des femmes depuis toujours, du coup je pense qu'une femme trans dirait "je suis officiellement une femme depuis dix ans" ? Après, Mitsuko pourrait faire le raccourci pour la compréhension de Blandine, ou vraiment le penser (surtout vu les flashbacks...), c'était juste pour le souligner si jamais :P
Sinon, j'ai vu sur ton JdB que tu étais contente que le comité de lecture ait trouvé que c'était vraisemblable - et, je suis loin d'être spécialiste sur ces sujets, mais en tous cas à la lecture ça m'a semblé très crédible ! Les personnages réagissent de façon "vraie", on comprend leurs motivations et leurs raisonnements... et surtout, ils sont touchants.
A la limite, j'ai p'têt eu un peu plus de mal avec la réaction de Blandine à la confession de Mitsuko, pas parce que c'était mal écrit / mal vu, mais plutôt parce que j'avais deviné dès la première partie que Mitsuko était trans, du coup... je sais pas, mais genre, sans l'effet de surprise, la scène m'a paru un peu longue. C'est comme si, dans un film, tu as vu qu'un personnage X faisait tel truc, et qu'ensuite il le relatait à un personnage Y, sauf que comme le spectateur sait déjà tout... Enfin, c'est un détail, et je suis pas sûre que d'autres devinent vite ! (Mais au moins ça veut dire que c'était bien amené, et que les flashbacks sont intéressants !)
En comparaison, j'ai vraiment rien à dire sur toute la partie où Blandine réalise son attraction pour Gladys (pas que j'avais grand-chose à dire sur celle autour de Mitsuko, mais voilà quoi ^^), c'était vraiment tout en douceur et en délicatesse, et c'était très mignon, j'ai beaucoup aimé <3
Ah, et si, j'avais encore une remarque (arg, le commentaire fait n'importe comment xD) : parfois, les descriptions me semblent un peu trop présentes. Elles sont bien, et claires, mais le fait qu'elles soient toujours au "même endroit", ça devient assez peu naturel je trouve. Par exemple, la toute première description de Mitsuko et des gens/lieux que Blandine découvre, par exemple, font très naturelles, mais celle de Gladys, notamment, détonne plus. Autant j'aime les descriptions, autant je pense qu'elles gagneraient à être un peu moins systématiques (notamment au niveau des vêtements aussi ? ou alors c'est juste moi qui ai plus de mal à visualiser des vêtements lol), ou peut-être simplement que ce ne soit pas un paragraphe entier que pour ça (pour les endroits et personnes que Blandine ne découvre pas, encore un fois), plus des petites remarques dans la narration ? Vu que la nouvelle est écrite "à travers les yeux" de Blandine, on aurait envie de s'attarder avec elle sur les personnes qu'elle regarde avec intérêt (Mitsuko, donc, ou aussi l'américaine, vu que Blandine la regarde longtemps à la dérobée), mais à l'inverse de remarquer les uns après les autres les détails qui constituent Gladys, notamment. (J'ai fait un pâté, mais j'sais pas si je suis claire :P)
Enfin, pour terminer, j'ai trouvé l'ensemble de la nouvelle très fluide, et bien construite. J'aime bien comment Mitsuko et ses amis rentrent lentement dans la vie de Blandine, c'est très naturel. Les flashbacks ont une "teinte" différente (je vois pas comment le dire autrement, c'est ma synesthésie qui parle xD), donc je trouve ça cool aussi, comme si tu avais bien réussi à te glisser dans la peau des différents persos, suffisamment pour que ça déteigne sur l'écriture. Oh, et aussi, j'aime bien les étranges dessins de Camille :P
Voilà voilà, et merci pour ce moment de lecture ! Si tu as des questions sur mon gros tas de remarques, n'hésite pas, j'suis pas sûre d'avoir très bien expliqué ^^
À mon tour de te servir une tartine . ;-)
Merci pour ton long commentaire détaillé. Je suis contente de voir que dans l’ensemble, cette histoire t’a plu et que j’ai réussi à faire passer certaines choses.
Je vais prendre tes remarques dans l’ordre.
— Comment Blandine sait-elle qu’il s’agit de musique pop rock ? (Je me réfère à la définition trouvée dans une célèbre encyclopédie en ligne.) Elle a un vague souvenir d’un musicien prénommé Masaaki. Je devrais peut-être préciser dans quel contexte : des gens de son entourage ont des disques de ce style. Je suis déjà en train de modifier le passage en question.
— À propos des phrases « sur mes papiers officiels, je suis Masaaki Yagishita, un homme » et « ça fait une dizaine d'années que je suis une femme » : en effet, je me suis renseignée sur la date à laquelle le changement d’identité a été accepté au Japon. En Suisse, il est principalement basé sur un arrêt du Tribunal fédéral datant de 1993 ; donc ce n’était probablement pas encore possible en Suisse non plus en 1990. Mitsuko ne peut pas avoir la nationalité suisse parce que pour pouvoir faire la demande, à l’époque, il fallait avoir vécu au moins 12 ans dans le pays. De toute façon, j’imagine que ni Mitsuko, ni Camille et Lilja ne se sont fait naturaliser suisses, même par la suite. En t’écrivant, j’ai eu une idée pour corriger ce passage également.
— « Et tant que je suis sur le sujet, il me semble que la plupart des personnes trans préfèrent dire qu'ils sont des hommes / qu'elles sont des femmes depuis toujours » : d’après mes recherches, la conception actuelle du genre s’est formée dans les années 2000. En 1990, on ne dissociait pas le genre du sexe biologique et on parlait encore de « transsexualisme ». Donc je pense que pour Mitsuko, il s’agit vraiment d’un changement, qu’elle a fait pour réconcilier son corps et son âme. En plus, elle ne peut pas prétendre être « officiellement » une femme, puisqu’elle ne l’est toujours pas sur ses papiers d’identité. Je ne veux blesser ni choquer personne parmi les éventuelles personnes concernées qui liraient ce texte, mais vu que ça se passe en 1990, je ne vais pas adopter la vision de 2020 ; ce ne serait pas réaliste.
Pour la petite histoire, vers le début des années 90, j’ai côtoyé une femme transgenre. Certains mecs avaient tendance à ricaner dans son dos et à mettre en doute son genre. (Il faut dire aussi qu’ils l’avaient déjà croisée avant, dans son genre assigné). Quand je leur ai dit que c’était une femme et qu’il fallait simplement la considérer comme telle, on m’a fait passer pour une idiote et on m’a laissé entendre que je ne savais ni ce qu’il y avait sous sa jupe, ni ce qui était écrit sur ses papiers. Dans ma réaction, j’étais très certainement en avance sur mon temps.
Avant d’écrire ce texte, j’ai passé beaucoup de temps à faire des recherches (à travers des documents et des vidéos) aussi bien sur le Japon que sur la transidentité. J’ai lu notamment une fiction dont la protagoniste est une jeune fille transgenre (« Celle dont j’ai toujours rêvé » de Meredith Russo) et une biographie de femme transgenre (« Comment je suis devenue Bo » de Bo van Spilbeeck). Je trouve intéressant que cette dernière dise « comment je suis devenue Bo », ce qui implique un changement. Elle a commencé sa transition à 58 ans et elle a vécu, en tant qu’homme, une carrière médiatisée (comme journaliste de télévision) et une vie de père de famille. Dans son cas, ça me paraît difficile de prétendre qu’elle a toujours été une femme.
— Concernant le comité de lecture, si les détails t’intéressent, je t’en parlerai en privé.
— C’est clair que la réaction de Blandine à la confession de Mitsuko n’apporte aucune surprise et ce n’est pas le but. Mais ce n’est pas possible qu’elle ne soit pas étonnée ; d’ailleurs, entre la version envoyée à la ME et celle-ci, j’ai déjà raccourci ce passage. Elle ne soupçonnait vraiment rien de cet ordre et je trouve que ça doit être dit ; en menant son enquête sur Masaaki, elle était persuadée que c’était une personne distincte ; autrement, elle n’aurait posé aucune question.
Personnellement, à l’époque, sans doute influencée par les documentaires télévisés que j’avais vus sur le sujet et les clichés ambiants, je croyais que les personnes transgenres conservaient toujours dans leur apparence des traces de leur genre assigné. Même récemment, je ne savais pas que des femmes transgenres pouvaient travailler leur voix de manière telle que la mue semble totalement effacée. Dans mon récit, Blandine en sait encore moins que moi à l’époque.
— On en veut toujours à mes descriptions. :-) Figure-toi que j’ai appris à les faire en lisant des auteurs comme Flaubert et Balzac, en les prenant comme exemples. (C’était dans les années 70). Chaque fois qu’on me fait une remarque de ce genre, je suis partagée. Je me demande dans quelle mesure je dois modifier ma façon d’écrire, parce que je ne souhaite ni adopter un style moderne, ni formater mes histoires selon les standards actuels, ceux qui prévalent dans la fantasie pour la jeunesse et les jeunes adultes.
— Concernant les flash-backs, je ressens aussi une ambiance spéciale quand je me passe mentalement le film. Ce n’est donc pas un hasard si tu y vois une teinte différente ; au contraire, ça démontre que j’ai réussi à créer une atmosphère particulière.
Merci pour tes compliments. C’est vrai que j’essaie de me mettre dans la peau des différents personnages parce que je n’arrive pas à écrire si je ne ressens pas certaines de leurs émotions. Mais je ne prétends pas les connaître parfaitement ; comme mes proches dans le monde réel, ils gardent pour moi une part de mystère.
Si mes réponses correspondent à ton commentaire, tout va bien ; mais si je suis à côté de la plaque, tu pourras te dire que tu n’as peut-être pas été très claire. ;-)
- Pour les descriptions, je ne sais pas trop quoi te dire. Même en ayant beaucoup lu les auteurs classiques, je reste influencée par la tendance actuelle, c'est sûr. Et... ah, je suis en train de réfléchir à si on a une description à chaque entrée d'un nouveau personnage xD Comme ça, je dirais pas forcément ? Mais je me trompe peut-être. Et d'ailleurs, les descriptions ont souvent plus un aspect symbolique que vraiment une visée descriptive, "illustrative", pure... (ma préférée du genre restant "la symphonie des fromages", dans Le Ventre de Paris de Zola) (tout ce roman est génial niveau descriptions d'ailleurs) D'ailleurs, il est tout aussi impossible de dessiner la pension Vauquer que l'improbable casquette de Charles Bovary :P Et c'est peut-être là ce qui m'a dérangée (très légèrement, bien sûr) avec certaines des descriptions de persos, notamment des vêtements... (oui je reviens sur les vêtements xD) Par exemple, le manteau rouge de Gladys, c'était visuellement marquant (enfin, avec l’œil interne quoi), son tricot blanc, moi (surtout que j'ai eu un mal fou à le visualiser, ce faux décolleté haha)... Enfin, encore une fois, tu as raison, c'est ta façon d'écrire, tu n'as pas à la changer si tu ne le souhaites pas, surtout sur la base d'un seul com' ! Mais je trouve ça intéressant de réfléchir dessus, d'une manière générale.
Voilà. J'ai fait quelques petites corrections en fonction des détails dont on a parlé.