PARTIE 3: LA PROMESSE DE L'AUBE -42- Une question de certitudes

Notes de l’auteur : MAJ: fautes et autres

J’avais froid.

Ce n’était en rien la faute du temps. Certes, Frimaire était fidèle à lui-même et un vent glacé soufflait dans la lande. Mais les aménagements que nous avions mis en place ces derniers mois avaient portés leurs fruits. À condition de ne pas faire les fou-fou, et, Cassini ait pitié, tenté si bien que nous ne nous prenions pas un blizzard -ou pire, un Maelstrom- en pleine figure, l’hiver devrait bien se passer pour les habitants du Manoir.

Je n’en ferais pas partie.

Ça, c’était la vérité, implacable, et glaciale. C’était à cause d’elle, et non pas l’eau de mon bain, que ma moelle gelait dans mes os-

Bon, les tragédies mentales, ça allait bien cinq minutes. Il fallait se calmer sérieusement là. Pour se faire, je fis doucement courir l’eau le long de mes doigts, fixait tranquillement les cristaux ésiops au fond du bassin. Ils illuminaient doucement l’eau, dessinant le long des parois bleus un motif dorée.

Rien n’y fit. Je revis ces yeux-là, et une douleur fantôme se propageait dans mon bras. Mes mains tremblèrent et je frissonnais.

Je n’étais pas la seule.

Mafalda pour commencer, avait passé la matinée à sursauter à la moindre demande de projection astrale. Elle avait fini par craquer et quitter le navire, pour aller se réfugier au Sanatorium. Scetus avait assez copieusement protesté, mais avait rendu les armes quand elle s’était mise à pleurer, et clamant que sa fille lui manquait horriblement.

Ce qui était bien entendu vrai, mais n’était pas la seule raison.

Même Scetus s’en était rendu compte. Il m’avait toisée longuement, en s’attardant entre autre sur son frère, à mes côtés. Car Britannicus ne me quittait plus d’une semelle. C’était à peine s’il acceptait d’aller dormir dans sa chambre. D’ailleurs, il n’y restait jamais bien longtemps. Malgré toutes les tentatives pour l’en empêcher, il trouvait toujours un moyen de toquer à ma porte vers les trois heures du matin.

Je comprenais pourquoi Scetus était à bout. À sa place aussi, j’aurais fini par pousser une gueulante au diner. Après tout, il s’absentait une malheureuse petite nuit, et quand il revenait, sa mère ne supportait plus le manoir, son frère se transformait en ombre et moi…

Moi j’étais devenue plus ou moins aphone. Ce n’était pas faute d’avoir essayé, de me sortir de là. On aurait dit que ma gorge s’était tant contracté qu’elle avait écrasé toutes mes paroles. Je ne parvenais pas même à lui sortir un prétexte quelconque. Mon esprit peinait déjà à se concentrer, aussi je le gardais pour les deux véritables sujets importantes à mes yeux: m’enfuir, et trouver une école à Britannicus.

L’idée de l’abandonner ici, seul, je ne le supportait pas.

Cette nécessité de se sortir de là, c’était en partie la raison de ma présence dans la salle d’eaux à une heure pareil. Je devais me concentrer sur mon P.E.G, et cela impliquait d’avoir les idées claires. Mon lit me ramenait inéluctablement à cette salle de musique, dépourvue de lumière, ces yeux-là…

Nouveau frisson.

Bref.

Je m’étais donc fait couler un bain, et avait ajouté une quantité indécente d’huile -intentionnellement- et de savon à mousser -ça, de manière un peu moins volontaire. Le résultat s’approchait davantage de la potion odorante et écumante qu’un bain, et ne parvenait pas à me calmer pour autant.

Pourtant, les bulles irisées avait mené un beau combat, jusqu’à ce que je me rende compte, que j’étais dans la même situation. Faible, fragile, et prise au piège.

Quand je m’étais à peu près remise de mes émotions, j’avais préparé mon sac. C’était frimaire après tout, le sortilège de la périphérie du domaine, jamais Lazarus n’aurait pu le maintenir. Les vents étaient trop violents, et comme je n’avais pas de trace, j’aurai une bonne heure d’avance. Mais ça, c’était sans compter le sortilège que Scetus avait jeté afin de maintenir le lemure à bonne distance, et qui, de manière effective, me confinait à l’intérieur.

Je compris alors, pourquoi Lazarus n’avait encore rien fait. Il n’était pas pressé, puisque de toute manière, j’étais coincée.

J’étais faite comme un rat, sans issue.

Il allait falloir en trouver une quand même.

Le temps cliquetait au rythme de l’horloge, et peu à peu, mon horizon se peuplait de violence. Je ne concevais pas d’autres échappatoires. Il reviendrait, chasserait Mafalda et Britannicus de la pièce, et nous en viendrions aux mains.

Je ne comprenais toujours pas comment j’en étais arrivé là. J’en devinais la raison, mais je ne la comprenais pas pour autant. Monsieur aussi, avait joué au minet, alors-

Bref.

Ça, ce serait une question pour plus tard. Il fallait que je choisisse mes batailles.

J’avais en conséquence décidé d’oublier momentanément Mathurin et Madame Catherine. Lizzie, je refusais même d’en parler.  S’il me tuait, qu’allait-il leur faire?

Inutile de s’attarder là dessus, je me sentais capable de m’effondrer, et cela serait contre productif.

La question, c’était comment casser la gueule au mage le plus puissant de sa génération.

Quelque chose me murmurait que mon Esprit Familier était hors jeu, qu’il avait déjà fait bien assez en envoyant Britannicus à ce moment là. Il fallait pourtant qu’il se réveille.

Il allait me falloir un sacré miracle.

Un bruit m’arracha à mes tribulations. QUelqu’un toquait à la porte, faisait jouer de la poignée.

« C’est occupé. » Je maugréai, en me rassurant que s’il s’agissait de Lazarus, il ne se donnerait pas la peine de toquer.

La personne ne se découragea pas pour autant, bien au contraire. Une brève lueur perça du trou de la serrure et la clé tourna d’elle même.

Scetus avait l’air mécontent.

« Tu te rends compte que les gens ferment les portes pour des raisons bien précises, n’est-ce pas? » Je tentais de dire ironiquement, mais mon ton tomba à plat.

Il n’en fronça que davantage les sourcils.

« Bon, que s’est-il passé? » Il grommela « Et ne te donne pas la peine de me raconter des mandragores. Personne ne prend des bains à deux heures du matin. »

« Si tu comptes me tirer les vers du nez, interrompre mon bain n’est pas vraiment l’idée du siècle, tu sais? » Je répliquai en remerciant intérieurement les Esprits d’avoir fait glisser le flacon de savon de mes mains. C’était du gâchis, mais actuellement, cela n’en formait pas moins un tapis billant et protecteur.

Scetus, visiblement, ne percuta qu’en cet instant que les gens prenaient rarement leur bain tout habillé. Ses joues virèrent au vif, et il sed pêcha de me faire dos.

« Allez, crache le morceau. » Il dit enfin, d’un ton qui se voulait autoritaire, mais c’était tout de suite plus difficile d’être menaçant quand on clamait sa tirade à une peluche de mandragore -Britannicus laissait toujours trainer ses affaires un peu partout.

« Ça ne changera rien. »

« Essaie toujours. » Il haussa les épaules.

Je l’observais un petit moment, sans trop savoir quelle posture adopter. Il était préoccupé, c’était un fait, mais…

Bon, fichue pour fichue…

« Lazarus est passé en ton absence. »

« Ah, tiens, c’est curieux. Il ne m’en a pas parlé. »

Il fronça tant les sourcils que je le vis, même de dos. Sa nuque se raidit, et je vis le coin de sa bouche se crisper un bref instant. Cela ne fit que me conforter dans mes suppositions. C’était assez catastrophique, que Lazarus ait fait des cachoteries à Scetus.

« Et bien, de quoi avez vous discuté pour que tu sois dans un tel état? » Il dit d’un ton assez amère pour être étrange.

« Scetus, que se passera-t-il pour moi, quand je cesserai de vous être utile? »

Sa réaction ne se fit pas attendre. Il ouvrit grand les yeux, comme si je venais de me mettre à danser nue devant lui.

« C’est quoi cette question? Pourquoi t’arriverait-il quoique ce soit? » Il dit d’un air si outré que cela en aurait été presque réconfortant. Si j’avais été plus naïve, et si le regard de Lazarus n’était pas encore planté dans mon coeur, je me serais laissée aller à cette protestation.

« Tu sais, maintenant, je me débrouille assez bien en salemni. »

« Ah, je vois. Écoute, Pépé, enfin, Phobos, il se laisse parfois emporter par ses idées, mais ce sont des paroles en l’air, et ce n’est absolument pas représentatif. Il s’est mis Clovus en tête te concernant, donc on évite de le contrarier, mais personne ici ne te ferait de mal, simplement parce que tu es une omeg. » Il dit alors, d’un ton qu’ils se voulait apaisant « Le Conclave, ce n’est pas contre les omegs, c’est contre la Teknologie, et ces psychopathes de Teknokrates qui font sauter des écoles. Ce qui n’est vraiment pas ton cas. »

« Et si c’était le cas, en fin de compte, que ferais-tu? »

« Bon, que s’est-il passé, à la fin? » Il demanda alors, mais je me sentis me replier comme une huitre.

Je n’osais pas en dire plus, quelque chose me disait que si j’en révélai davantage, Scetus ne me croirait pas. Il irait trouver Lazarus pour lui poser des questions et je le paierai, très, très cher.

De toute manière, cela serait inutile. J’avais répondu à sa question, mais c’était visiblement une réponse que Scetus ne souhaitait pas entendre.

« Je viens de te le dire. »

« Tu ne m’as absolument rien dit- bon sang, tu ne vas pas t’y mettre à jouer aux devinettes toi aussi! » Il s’énerva, mais ne bougeait pas pour autant. Scetus semblait déterminé à m’extirper ce qu’il s’était produit, et j’étais obstinée à ne pas tenter davantage ma chance.

J’étais seule, voilà tout.

« Je devrais probablement aller dormir. Euh, est-ce que tu pourrais… tu sais, me laisser sortir? » Je dis alors, préférant la fuite plutôt que de risquer énerver encore un autre mage.

Scetus secoua la tête.

« Non je ne vais pas te laisser te défiler de la sorte. » Il répliqua « On va tirer ça au clair. »

« Tire-le au clair avec Lazarus. Moi, je vais dormir. D’ailleurs, si tu pouvais me passer mon peignoir, ce serait vraiment choupi. »

« On m’a donné beaucoup de qualificatifs, mais choupi on me l’avait encore jamais fait. » Il dit non sans un petit rire « Désolé, ça ne marchera pas. »

« Et chouchoupinouninet? »

« Impressionnante diction, mais non, toujours pas. »

« Bien, je suppose qu’il ne me reste plus qu’à sortie complètement nue, donc-»

« Oh doucement, doucement! » Il se dépêcha de lever les mains, comme si je venais de le menacer de mettre des navets dans le ragout à la viande de Mafalda.

Ce qui était, au passage, était une menace particulièrement indigne de l’humanité.

Probablement comme celle-ci, mais peu importe. Scetus agrippa mon peignoir de bain et le déposa à taton sur le rebord du bassin, en prenant grand soin de regarder au plafond.

Il me fit alors dos avec une telle application, une gêne si frappante, que je renonçais à le faire marcher, et me couvris sans le moindre commentaire.

« Tu peux réouvrir les yeux, j’ai caché mes serpents à sonnette, pétrificateurs des petits voyeurs. » Je dis en nouant la ceinture duveteuse autour de ma taille. Ce peignoir était si doux, si moelleux, qu’il en était tout simplement réconfortant.

Scetus s’exécuta, non sans prudemment ouvrir les paupières.

« Si je te disais que j’allais de ce pas en discuter avec Beria, que dirais-tu? »

« Ça dépend. »

« De quoi? »

« Si après ça il venait, et qu’il te donnait une raison, que ferais-tu? »

« Jamais Lazarus ne ferait ça. » Il secoua la tête « Il ne fait rien sans raison, et il n’y en a pas, n’est-ce pas? »

« Que ferais-tu? »

« Je n’aurais rien à faire, car il ne se passerait rien. » Scetus dit, avec une telle tranquillité…

Je vis alors la lueur dans son regard, et tout s’éclaira. Je compris à quel point nous nous étions tous trompés. Qu’évidemment, Lazarus était au courant. On ne pouvait pas attraper au vol un tel regard sans y gagner au passage la certitude. Il n’avait jamais menti, et Cassiopeia n’avait pas été le prix de leur silence me concernant.

Lazarus n’avait pas besoin de les acheter, Scetus lui était déjà tout acquis.

Il était difficile de ne pas trouver cela beau, cette dévotion absolue. Je peinais à vrai dire, à ne pas sourire. C’était comme un rayon de Nerub, mortel, mais si lumineux, si scintillant…

Comment résister?

De toute manière, il était trop tard pour cela. Alors, je cessai de lutter et lui rendis un sourire en hochant la tête.

« Bonne nuit Scetus. »

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Cléooo
Posté le 14/12/2024
Bien bien bien.

Je n'étais pas certaine, à la lecture du chapitre précédent, que Sidonie comprenait ce que Beria lui reprochait. À la lecture de ce chapitre, même si je ne comprends toujours pas ce que Beria lui reprochait, je comprends au moins qu'elle comprend le problème. J'aurais aimé que Scetus insiste davantage, parce qu'on approche de la fin et je ne vois pas de démêlé arriver ! Je suis curieuse.

"Il fronça tant les sourcils que je le vis, même de dos." -> bon, un peu difficile mais admettons ! Par contre : "Sa réaction ne se fit pas attendre. Il ouvrit grand les yeux" -> comment voit-elle ça, de dos ? ^^
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