25. Oeuf(s) endormi(s)
Je regarde le nid, en haut de la falaise. Deux jours qu’aucun animal n’est venu. Je dois y aller, je dois savoir. L’ascension m’est agréable, le temps est doux, le vent caressant. Prise après prise, je gravis cette voie aux arêtes dures, jusqu’à atteindre mon but. Alors, je les ai vus. De gros œufs, intacts, endormis, formaient un trio attendrissant. Pourquoi ont-ils été abandonnés ? Je ne le saurai jamais. J’ouvre mon sac, et les emporte. Ce sera à moi, et au refuge, de leur donner un nouveau foyer.
26. Hibernation
Malgré la douleur qui irradiait de ses genoux et de son dos, elle s’assit sur son banc la joie au cœur. Un sourire étira ses rides, chaque année plus nombreuses, chaque année plus profondes. Le soleil se levait, l’aube montait comme montait son enthousiasme et son excitation que le temps n’avait jamais émoussés. De cet endroit, elle aurait la meilleure vue sur la plaine en contrebas. Alors, le spectacle commença. Des milliers de charpillons sortaient de l’hibernation ; le ballet de leurs ailes membranées créait une myriade de reflets orangés dans le calme du printemps. Une larme roula sur sa joue, tandis que sa main posée sur le banc, se refermait dans le vide.
27. Poudreuse
Sa main plongea dans la substance froide et moelleuse avec délectation. Il voulait tant la manger, là, tout de suite. Mais il avait mieux, beaucoup mieux. Il remplit son seau presque aussi grand que lui, et l’amena à la cuisine. Son père l’accueillit d’un sourire, et le remercia pour cette belle poudreuse. Délicatement, il versa le précieux contenu dans son magicomix, et ajouta une branche de myrlidoux, un e pincée de fleur de grou, et bien sûr, une noix de jujutoma. L’appareil frissonna, puis, après un chant à la gloire des papilles, sonna la fin de la réaction. La mousse était prête. Il regarda son père verser lentement la préparation dans des petits pots, puis, lui en tendre un.
— Bon appetit !
28. Berceuse de décembre
Elle tenait la boîte à musique dans ses mains. La berceuse qui s’en échappait cognait sur ses dernières notes. L’inspectrice fronça les sourcils avant de refermer le mécanisme. La fenêtre cassée laissait entrer décembre et son air glacial. Qui avait donc tué l’homme dans ce fauteuil ? Qui avait fracassé cette vitre de l’intérieur ? Et surtout, pourquoi cette mélodie lui évoquait des images de monstres et de mondes gelés ? Une nuée d’engoulevents dansait à l’horizon. Un frisson lui étreignit le coeur. Cette affaire ne serait pas comme les autres.
29. Averse
La pluie ruisselait de leur capuche jusqu’à leur bottes, en glissant sur leurs longs imperméables. De temps en temps, une goutte s’échappait pour passer dans leur cou et filer sur leur peau. Assis dans cette boue aux odeurs d’automne, ils tenaient leur balise, le seul élément de leur vaisseau qui fonctionnait encore. — Je ne pensais pas que notre lune de miel se terminerait comme ça. — Moi non plus, je n’aurais pu rêver plus romantique. Une légère pause leur laissa le temps d’écouter l’averse. — Oui, tu as raison. La pluie, ensemble, le calme. Leurs capuches se touchèrent. Chacun des deux soupira de bonheur et de soulagement, de savoir que les conséquences de leurs innocents sabotages n'étaient pas mal prises.
30. La brèche
Au début, il n’y avait qu’une petite déchirure, à peine visible. Il s’était dit qu’il n’avait pas le temps de changer de chemise, et que son pull cacherait le problème. Il avait ensuite passé la journée sans y penser. Le soir, la déchirure avait triplé de taille. Il aurait pu l’examiner, mais il l’avait déjà oubliée. L’aurait-il fait, il aurait constaté que cette déchirure n’était pas qu’un simple accroc, mais qu’aurait-il fait ? Pendant la nuit, le trait s’agrandit pour laisser paraître sa vraie nature. Un scintillement spectral miroita sur ses bords, puis, dans un à-coup violent, la réalité elle-même se fissura. La chemise craqua, la faille s’étendit au placard et s’accrocha sur le mur du fond. La brèche était désormais béante, et par elle, ils se déversèrent sur notre monde.
31. La nuit la plus longue
On m’avait dit que ce serait le pire job du monde. Je dois avouer que je comprends les arguments. Déjà, évidemment, la solitude. Quand on est de ce côté là de HC301, on est tout seul. Le réseau est bon, mais ce n’est pas pareil que de parler autour d’un repas. Ensuite, le travail lui-même : réparer des instruments de mesure qui ne tombent jamais (jamais!) en panne. Enfin, la nuit éternelle, à cause de la synchronisation entre orbite et rotation de la planète. Les gens se trompent. Moi j’adore ce job. Je suis payé à ne rien faire, alors j’ai tout mon temps pour écrire. Ça, c’est déjà formidable. Mais ce qui pour moi rend ce travail incroyable, c’est que, quand je veux, je peux sortir dehors, là où le ciel est le plus pur des mondes, et contempler les étoiles.