Partie 3 - Textes du 17 au 24

Par Raza

17. L’île du Nord

S’il avait été sur l’île du Nord, il aurait eu à combattre le froid, les engelures, le manque de nourriture, la nuit éternelle et les loups. Difficile, mais il en avait l’habitude, il aurait eu le choix, il aurait crié : donnez-moi le Nord ! Le tirage au sort en avait décidé autrement. Il était sur cette satanée île du Sud, avec cette chaleur insoutenable, la moiteur infâme, et surtout, surtout, ces créatures insupportables, ces monstres qu’aucun fusil, aucune machette ne pouvait détruire, ces horreurs assoiffées de sang, ces satanés moustiques !

 

18. Peau de loup

Quand elle sortit la peau de loup de son placard, elle sut que c’était ce dont elle avait besoin. Elle la prit dans ses mains, et son contact doux et sauvage la soulagea instantanément. Elle ferma les yeux, la passa sur ses épaules, tandis que l’odeur des poils drus passait dans ses narines. A mesure que la peau la transformait, cette odeur laissait la place à celles de la maison. La bougie au coin de la table, l’encens de l’étagère, les clous de girofle du bocal renversé. Elle posa ses pattes avant sur le sol, puis flaira les livres éparpillés et les malles ouvertes, jusqu’à trouver un indice. Oui. Là. Un début de piste. Elle gronda, et se retint de hurler. Tout son corps se tendit, puis, d’un bond puissant, elle se lança à la poursuite de ses ennemis.

 

19. Le jeu des plumes

La boule roula le long de la glissière dans un chuintement perçant, pour arriver dans l’encoche de lumière. Une plume tomba dans la main tendue en dessous ; son contact duveteux tira une larme à son nouveau propriétaire. Dans son autre main, il tenait son cœur, dont le poids lui paraissait infini. Pour l’instant, il était encore loin du compte. La tête de chacal au-dessus de lui sourit. Devait-il y voir un encouragement ou une moquerie? La boule d’énergie suivante, cet artefact forgé à partir de son passé, sortit de la boîte où se trouvait son cerveau embaumé. Inquiet, il la vit s’élancer dans le circuit du jugement. Gagnerait-il une plume supplémentaire?


20. Mourir (encore)

— Quand je serai aux portes de la mort, je n’en veux qu’une. Une seule mort, propre, nette. Celle dont on ne revient pas. Je ne veux pas souffrir mille morts, et à chaque fois, me dire : “encore !”. Encore une vie qui part, encore une mort qui vient. Mort de ma carrière, mort de mes amis, mort de ma famille, non, non, non, je ne le veux pas, je ne le peux pas.

— Eh bien moi, c’est tout l’inverse. Je veux mille morts. Je veux que chacun de ces arrêts ne soit qu’un départ d’une ligne sans terminus. Je veux que chacune de ces fins ne soient que l'assurance de nouveaux débuts, aventures et voyages ; et, quand il le faudra, que mes mille morts fertilisent mille autres vies, pour continuer après moi.

 

21. à pierre fendre.

Un vent puissant courait le long des murs du temple, polissant leurs bords avec passion. Une couche de givre éclatante lustrait l’endroit du sol au plafond, et un froid, un froid insidieux et mortel, un froid à pierre fendre, régnait en maître. Malgré la violence de ces crocs, il ne réussissait pas à la décourager. Chaque pas l’obligeait à puiser dans sa magie. Chaque appel à cette magie l’obligeait à ouvrir ses lèvres gercées pour prononcer les mots maudits. Chaque mot maudit lui arrachait un morceau de vie. L’autel, enfin, se dressait devant elle. Elle sortit de son sac la gemme-clef et la posa au centre des gravures abîmées. Elle récita la dernière invocation, qui lui tira l’ultime étincelle. Alors que son corps glissait sur la glace, le sol se mit à vibrer, et le monde changea.

 

22. Arbre mort

L’air dense et chaud ne générait aucun vent. La plaine sèche s’étendait comme une toile infinie, son herbe roussie par un soleil clair. Un tronc, cassé par le poids des ans s’allongeait aux côtés de sa souche. Le voyageur se posa sur ce banc improvisé, pour prendre une pause bienvenue. Il porta sa gourde à ses lèvres craquelées, et accueillit l’eau en son corps avec soulagement. Sa soif assouvie, il regarda son siège et éprouva un moment de pitié pour cet arbre qu’il avait connu plus beau. D’un geste lent, il ramassa une branche longue et solide de l’ancien chêne, un bâton parfait pour la suite de son périple. Sans un regard en arrière, il referma sa gourde, se releva et reprit son chemin.


 

23. Pôle

L’appareil craquetait, tandis que des vagues d’énergie tournaient dans l’électrotambour. La pierre se comportait comme un dipôle, et créait des lignes de mana, épaisses et flamboyantes.

— La théorie était exacte ! Nous tenons la découverte du siècle ! Que dis-je, du millénaire ! La scientifique, dont il manquait un morceau d’oreille, regarda son assistante d’un sourire béat. Cette dernière sortit alors un pistolet à mana et la menaça de son canon.

— JE tiens la découverte du millénaire. Vous, malheureusement, êtes tragiquement morte de l’explosion du prototype précédent. Fini les corvées, à moi la gloire et la liberté !

 

24. Grizzly

Alors qu’il tapait tranquillement son rapport de fin de semaine, la réponse à sa demande s’afficha à l’écran. Enfin, la réponse était peut-être un mot exagéré. Un baragouinage inintelligible teinté de mépris lui arracha le dernier degré de patience qui l’habitait. Cette fois, ça suffit ! Une rage phénoménale s’empara de lui, et l’énergie de cette rage déclencha sa transformation. Il se mit à grandir, grandir, tandis que des poils drus lui poussait sur tout le corps. Sa chemise à carreaux fut la première à se déchirée, bientôt suivie par son pantalon et ses sous-vêtements. Quand enfin il eut pris sa forme de grizzly, il détruisit l’ordinateur, le box, la chaise, puis grogna avec force. Son collègue, assis dans la rangée d’à côté, soupira. La violence déchaînée avait renversé sa tasse de thé sur ses genoux. Encore ! se dit-il.


 

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