Ils lui avaient fourni un coupable, se répéta Élisabeth. Soigneusement choisi. Un vagabond désaxé ? Plutôt une vengeance vieille de trois siècles.
Comme elle aurait aimé le secouer alors qu’il racontait des horreurs dont il croyait dur comme fer être responsable. Elle pourrait passer les prochaines heures à tenter de le lui faire admettre. Elle avait dans l’idée que ça ne servirait à rien. Pradier, après tout, était persuadé d’avoir une main brisée alors qu’il était en parfaite santé.
Elle se leva, enfila son manteau. Ils lui avaient menti pour ça. Mentaient-ils sur le reste ?
Elle envoya une petite équipe fouiller chez Deliot, presque certaine du résultat. Ils n’étaient pas du genre à négliger les détails. Elle quitta le commissariat de son côté.
La jeune femme dont on avait volé le cadavre avait été photographiée dans les ruines. Il devait y avoir un accès à taille humaine pour passer du repère des vampires à l’air libre. La cave qu’elle avait fait fouiller était inutilisée depuis l’époque où ils avaient entreposé les cadavres de leurs victimes. Dracula se cachait dans une chapelle, mais ceux-là n’avaient jamais été enterrés et ne devaient pas s’embarrasser de ce genre de détails.
Elle passa sous la barrière, entourée d’un ruban officiel. Bien. Ils devaient s’être rendu compte de sa présence à présent. C’étaient des menteurs. Elle prenait le risque.
Elle s’attendait à voir apparaître un chat, peut-être Montpeizat. Pour une fille morte depuis trois semaines, Emma était très bien conservée. La pensée lui tira un rire nerveux. La jeune femme n’eut aucune réaction. Ce n’était qu’un pantin, sans vie propre, réalisa Élisabeth. Elle avait les yeux vitreux d’une morte. Vides et froids. Élisabeth tomba à genoux et rendit son petit déjeuner à ses pieds, sans lui ôter cet air absent. Elle attendit qu’elle se soit remise debout pour s’éloigner.
Elle la suivit, enfouissant ses mains tremblantes au fond de ses poches. Le contact froid de son arme et son poids dans son manteau étaient bien les seules choses rassurantes de cette aventure. L’entrée était dissimulée près d’un gros bloc de pierre sûrement pas tombé là par hasard. La morte dévoila un escalier et attendit que Magnan soit passé pour refermer derrière elles. Elles se retrouvèrent dans le noir. Emma l’empoigna sans ménagement et la tira en bas des escaliers jusque dans des couloirs sombres. Elle avait espéré lui fausser compagnie et découvrir la cachette des monstres elle-même, mais elle y renonça en réalisant qu’elle ne pouvait pas s’échapper.
Ils allaient la tuer. On allait retrouver son corps avec celui de Boisseau et Heckmann serait capable de l’accuser. Elle ne croyait pas le rouquin. Ils voulaient sa mort.
Elle trébucha. Emma la retint d’une secousse. Son épaule protesta d’un élancement douloureux. Merde, elle n’était pas démise, au mois ? Elle vérifia alors qu’elles reprenaient leur marche. Non, ça irait pour cette fois.
Enfin, la morte s’arrêta devant une porte qu’elle déverrouilla. Elle poussa Magnan à l’intérieur. La porte claqua.
La pièce était éclairée. Dans un coin, elle découvrit une forme recroquevillée.
– Théo !
Elle courut à son chevet. Il n’avait pas réagi. Il était d’une pâleur mortelle, couché à même le sol dans les mêmes vêtements, couverts de crasse et de sang que le jour de la fouille. Sa poitrine se soulevait à peine. Il avait au cou le même genre de blessure que Pradier. Elle lui prit le poignet. Le pouls battait faiblement.
Elle le relâcha, sortit son téléphone portable. Ils devaient être plus proches de la surface, car elle avait du réseau, par miracle. Elle lança un SOS, envoyant leurs coordonnées et demandant de l’aide médicale. Plus qu’à espérer.
Théo n’avait toujours pas bougé. Il respirait de plus en plus difficilement. Elle lui prit la main. Sous ses doigts, elle sentit les pulsations s’emballer puis s’arrêter. Ils lui avaient pris trop de sang.
Un sanglot lui obstrua la gorge. Elle se força à lâcher la main de son inspecteur et à reculer.
Bruit de voix dans le couloir. La porte s’ouvrit. Elle se redressa d’un bon et pointa son arme sur les nouveaux arrivants. Reconnaissant le rouquin, elle fit feu. Il ne s’effondra pas.
Quelqu’un se jeta sur elle, bien trop vite pour qu’elle puisse voir son visage. On lui tordit le poignet. Son arme tomba dans un fracas métallique.
– Inutile de lutter, murmura une voix féminine à son oreille.
Elle ressentit une vive douleur à la nuque. L’homme cria à sa compagne quelque chose comme « Ne la tue pas ! » Elle perdit connaissance.
***
Le 23 novembre, un couple descendit du train gare Montparnasse et s’enfonça dans la foule. L’homme avait des cheveux bruns-roux et d’impossibles yeux verts, la femme un chignon noir où apparaissaient des mèches plus claires. Ils partageaient un teint blanchâtre et un sourire sanguinolent.
– Tu es sûr qu’Élisabeth va s’en sortir, sans nous ? Demanda la femme.
– Bien sûr. Elle s’est déjà habituée à sa nouvelle nature, tu l’as vu toi-même.
– Nous lui avons fait un très beau cadeau, compte tenu qu’elle a tenté de te tuer, concéda-t-elle.
Ils étaient sortis de la gare. On s’écartait sur leur passage, sans que personne n’en soit vraiment conscient.
– Je suis bien heureuse de quitter enfin ces ruines, tu sais. Tu avais raison. Le monde a beaucoup changé depuis la dernière fois.
– Nous y ferons notre place, et Élisabeth veillera sur notre domaine pour nous.
– Dommage que nous n’ayons pas pu prendre Alexandrine. Elle nous aurait été utile.
– Nous en trouverons une autre. Regarde tous ces gens, mon amour ! Ils n’ont aucune idée de ce qui les attend. Le monde nous appartient !
Elle lui sourit, lui prit la main. Ils passèrent le portail d’un hôtel particulier. On vit bientôt en ressortir deux chats, l’un roux et l’un tricolore, à la découverte de la nuit parisienne.