Mon petit frère, Tom, six mois, a passé la soirée dans son couffin, bien au chaud et dans l'ignorance totale du danger dans lequel nous étions. Maman a tout fait pour ne pas le réveiller de peur que ça stresse encore davantage H. Maintenant qu'elle se sent rassurée, il est agrippé à son sein et gloutonne tout ce qu'il peut. Je me demande si c'est l'odeur de la raclette qui lui fait cet effet. Moi, je n'en mangerai plus jamais.
Dans un concert de soupirs, nous regardons tous l'horloge par intervalle. Il reste vingt minutes avant que le tranquillisant ne cesse de faire effet. Tom boit toujours, Gladys est partie sur la mezzanine avec son frère, les secondes durent des heures. Il ne reste que les adultes et moi dans le salon. Je croise les doigts et je récite les quelques bouts de prières que j'ai retenu du catéchisme. C'est trop vieux pour que j'aille plus loin que les bredouillis habituels mais ça me calme de faire un truc aussi mécanique. Tant pis pour les paroles.
Incapables d'être sereins même dans son sommeil, les yeux de H bougent dans tous les sens ; un peu comme Frisbee, notre caniche, quand il est en train de rêver avec ses pattes qui bougent toutes seules et le vieux wouf étouffé qui gronde dans sa gorge. Sauf que là, ça me glace le sang.
Voilà cinquante minutes que H s'est endormi quand on toque à nouveau à la porte. Une équipe de médecins, tous en épaisses blouses blanches, arrive et s'installe dans le salon à toute berzingue. Debout autour de H, nous scrutons le brancard sur lequel il est installé et les suivons jusqu'à l'ambulance. On ne les reverra plus jamais, ce fou et sa solitude.
Un dernier médecin vient voir Jeanne pour lui faire signer un papier. Leur proximité me met mal à l'aise. D'autant plus qu'il me semble familier, ce type. Peut-être une des photos de l'entrée. Je secoue la tête pour me remettre les idées en place. Il n'y a aucun complot, H est fou. Suffit de voir son dessin pour s'en rendre compte.
Le médecin se tourne et me lance un sourire qui dévoile toutes ses dents. Il me file la chair de poule. Décontenancée, je me mets à trembler sans pouvoir m'arrêter, ma vision se trouble et j'atterris sur le sol. Robert s'élance vers moi, arrêté au vol par quelqu'un qui lui bloque le passage. Une seconde plus tard, des mains se posent sur mon bras puis sur mon front. On gesticule, on crie. J'ouvre à peine les yeux, allongée sur le sol, pourtant je ne vois plus que ça. Des yeux noirs comme la nuit qui se fixent sur moi.
Ma seule déception est que j'ai l'impression que tu n'as pas refermée toutes les portes de l'histoire de H, on ne sait pas quel est le lien avec ces gens, qui il est exactement. Après je suis un peu psychorigide et j'aime bien tout comprendre et tout savoir, ou alors il faut que les suppositions soient suffisamment explicites, je ne sais pas si je me fais bien comprendre. Comme les dernières phrases par exemple. Idem pour l'histoire avec Olivia, finalement nous n'avons pas la réponse.
C'était une nouvelle bien menée (mais ça ne m'étonne pas!), très oppressante, avec la gestion de la tension bien ficelée!
Et sur une nouvelle fantastique, le fait qu'on reste sur notre fin, c'est important.
Merci pour tous tes retours ^^
Le fait qu'on ne sache quasiment rien de la narratrice est intéressant. Toute l'attention est focalisée sur H et sa bizarrerie, et sa dangerosité. Ce qui laisse tellement de zones d'ombre que ça te laisse la place d'y mettre les fantômes qui le poursuivent. C'est un beau texte, surprenant et bien construit. Merci de l'avoir partagé !
On parlait court métrage dans un autre commentaire, et j'aime beaucoup les narrateurs anonymes. On en a parfois dans les courts métrages, avec cette ambiance si particulière.
Très heureuse de savoir que ça t'a plu. Encore merci ^^
Donc H ne serait peut-être pas fou et aurait « ouvert » les yeux de la narratrice ?