Partie cinq

*

Des craquements, des hurlements, les yeux de Fenrir... mes rêves sont hantés père. Pourtant, voilà longtemps que j'ai passé l'âge de croire aux vieilles histoires.

J'ai passé toute la nuit suivante à me retourner dans mon lit. J'ai rêvé de Jonna et d'Hallgrim. Ils marchaient côte à côte, à l'orée de la forêt, craintifs. Dès que je les ai repérés, sans savoir comment, sans savoir pourquoi, je me suis lancé à leur poursuite. Mon souffle était rauque, troublant, bestial. Dès qu'ils m'ont vus, l'effroi a envahi leurs visages, puis ils se sont mis à courir. Pourquoi m'évitaient-ils ?

Après tout, tout ce que je voulais, c'était les dévorer.

J'ai accéléré la cadence et je n'ai eu aucun mal à les rattraper. Un cliquetis étrange rythmait mes foulées et semblait peser sur mes pas. Mais cela ne m'a pas empêché de bondir sur eux, père !

Un goût de sang dans la bouche, j'ai ensuite contemplé leurs corps ensanglantés. Le flanc arraché de Jonna, c'était moi. La clavicule déchiquetée d'Hallgrim, c'était moi. J'ai relevé la tête. Plus loin, un lac. J'ai si soif... Alors je m'y dirige à pas lent, sans attendre, avec toujours ce cliquetis étrange qui hante ma démarche. Une fois penché au-dessus de l'eau, ma langue touche le liquide froid. Toute cette fraîcheur, que c'est bon... Puis je me suis regardé dans ce miroir.

Mon cœur s'est accéléré, père.

Je n'étais plus homme, mais loup.

Un loup énorme...

Les pattes entravées de lourdes chaînes...

Les yeux rouges de flamme.

Fenrir, c'était moi.

*

Alors quoi, père ? Qu'est-il arrivé ensuite ? Eh bien, je me suis réveillé. Ma chemise trempée de sueur, je me suis vivement redressé, puis j'ai senti ce goût de rouille dans ma bouche. À l'évidence, je me suis mordu pendant mon sommeil. Le volet de ma fenêtre claquait, me martelant le crâne. Je me suis levé pour l'ouvrir complètement, et savez-vous ce que j'ai vu ? Des flocons, les premiers de la saison ! Ils tombaient doucement sur les conifères et les toits des maisons.

Oui, père, c'était ce matin-même.

*

Comme vous le savez, un autre meurtre a eu lieu. Vous m'avez forcé à vous accompagner à la clairière et à l'horrible scierie que vous songiez y bâtir. « C'est ton héritage ! » avez-vous dit pour m'impliquer. Non, père, c'est faux. Ce sera celui d'Oswald. Moi, je n'en veux pas. Je ne veux pas être complice de ce massacre silencieux !

Mais arrivé sur place, pas un seul coup de hache. Tous les travailleurs étaient rassemblés au centre de la clairière. Nous nous sommes approchés pour traverser la foule. Quand vos employés vous ont reconnu, ils se sont écartés. Alors, devant nous, est apparu une nouvelle dépouille. Leiv Orvik, un employé, le corps rongé de parts et d'autres.

Les traces de morsure étaient plus petites que celles retrouvées sur Jonna et Hallgrim. Cela signifiait-il que l'on avait affaire à un prédateur différent ? J'ai froncé les sourcils, inquiet.

« Avez-vous vu quelque chose ? Avez-vous demandé haut et fort.

— Non, monsieur. Juste ça. »

Un employé nous a désignés les traces et le sang qui souillaient la neige juste à côté du cadavre. Vous vous êtes penché pour mieux les examiner.

« Des empreintes de loup.

— Alors nous savons qui est responsable ! »

Non, impossible... J'ai regardé les traces par-dessus votre épaule. Non... Non, non, non ! Ces empreintes n'ont rien à voir avec celles d'un loup. Elles sont grossières, trop irrégulières ! Quel outrage pour le naturaliste que je suis ! Mais vous, vous ! Bien sûr, vous n'y avez vu que du feu !

Je voulais intervenir, mais vous avez aboyé vos ordres tel un véritable Jarl :

« Prenez les haches, prenez les fusils, et fouillez-moi cette forêt ! Il faut retrouver ces bêtes.

— Ce n'est pas nécessaire, père. »

D'où venait cette voix ?

Nous nous sommes tous retournés et nous avons découvert Oswald, sortant tout juste de la pénombre des bois. Il s'est avancé d'un pas lourd, des boules de fourrures pendues sur ses épaules. Pourquoi son manteau était-il couvert de sang ? On aurait dit qu'il avait lutté pour tuer ces petites proies...

Une fois devant nous, il les a jetées dans la neige, près de ce qui restait de Leiv. Alors mon souffle s'est arrêté, tout comme mon cœur, car je les ai reconnues.

Les petits de la louve, inertes.

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Pouiny
Posté le 22/06/2023
Noooon pas les bébééés ! T-T Bon ce Oswald n'aura droit à aucune rédemption de ma part, j'espère qu'il y a bel et bien un Fenrir et qu'il va le manger. C'est dingue parce que en même temps je trouve que cette haine du loup fait moyen-âgeuse et en même temps, vivant dans les cévennes et voyant a quel point la réintroduction du loup est une difficulté sans nom, ça reste vraiment d'actualité... C'est un peu désespérant TT
Nathalie
Posté le 24/01/2023
Bonjour M. de Mont-Tombe

Petite correction :
Ils marchaient côte à côte, à l'orée de la forêt, craintif. → craintifs
Comme tu le sais, un autre meurtre a eu lieu. → tutoiement

C’est dramatique, bravo !
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