Ma première cuite, je la dois à un professeur de français. Un grand homme qui a eu l’à-propos de placer l’amour du travail bien fait au-dessus de l’intérêt personnel de la jeune pousse boutonneuse que j’étais. Je n’ai rien vu venir. Engourdie par la bêtise juvénile j’ai bu les mots que j’avais besoin de lire : « Bon travail, mais comme tu n’as pas encore le talent de Marcel Proust je te conseille de faire des phrases plus courtes ».
Sur le moment, grisée par ma bonne note, cette appréciation m’a comblée de bonheur. Proust et moi dans une même phrase ! Ces mots resteront dans ma mémoire à tout jamais, et c’est bien là le problème. Ce que j’oublie ne peut pas m’atteindre puisque je l’ai oublié. Tandis que ce souvenir fabuleux, je l’ai tellement ressassé qu’il a fini pyrogravé dans ma caboche. Oserais-je dire que j’imaginais déjà mon entrée dans la Pléiade ? Au côté de ce bon Marcel, entre Albert et André !
Sourde aux sirènes de la raison, encouragée par ce que je pensais être un compliment, j’ai commencé à semer aux quatre vents toute une floppée d’écrits, sans me soucier de ce j’allais récolter. Il me revient en mémoire une belle lettre adressée avec a/r au bureau de poste de ma ville pour leur faire part de mon admiration devant leur constance à délivrer mon courrier à quiconque n'était pas moi, pendant des années, et ce en dépit de mes nombreuses réclamations.
Le manque de lyrisme de la réponse m’a déçue : une simple reddition mollement protestataire. Fichtre. J’avais escompté un corps-à-corps de texte dégoulinant d’encre rouge. Mon destinataire avait dû oublier d’aiguiser sa plume. Triomphe sans gloire. Un chou restant un chou, aucune médaille n’a poussé dans mon champ de batailles épistolaires. Qu’à cela ne tienne, les services postaux découvriront peut-être un jour que leurs archives détiennent un manuscrit d’une valeur inestimée.
Des années plus tard, soucieuse d’amuser la galerie, j’ai relaté l’histoire de la rédaction à qui voulait l’entendre. Le souvenir était toujours là, niché dans un coin de mon orgueil. Mais il avait perdu le petit goût délicat de sa jeunesse. Il avait un peu trop mûri à mon goût. J’ai fermé les yeux bien fort afin de garder l’illusion que cette appréciation avait bel et bien été un compliment. Le mirage auquel je m’accrochais depuis trop longtemps s’est dissipé, laissant la place à une vision très réaliste, celle de mon professeur de français attablé à un bureau, un stylo feutre rouge pointe 0.7mm à la main : « Voyez-vous cela, un paragraphe fleuve avec pour chacun des 5 sujets 3 verbes + 8 adjectifs + 4 compléments d’objets indirects, le tout ponctué seulement par deux virgules, elle veut m’asphyxier la gamine ou quoi ? Je mets une bonne note en bon professionnel que je suis, mais ma parole, cette appréciation-là elle va s’en rappeler toute sa vie ! Dont acte : Bon travail, mais comme tu n’as pas encore le talent de Marcel Proust je te conseille de faire des phrases plus courtes ». Le bougre, il devait bien rire sous blouse en corrigeant nos copies. Mais il m’en fallait bien plus pour me faire renoncer à mes longueurs rédactionnelles. J’ai bien entendu récidivé depuis.
Il y a peu, en repensant à cette rédaction, j’ai exploré mes « archives » à la recherche de ce qui pourrait subsister de mes récits d’écolière. Malheureusement plus rien. Par contre j’ai retrouvé des vieux courriers adressées à une proche parente avec qui j’avais entretenu une correspondance transatlantique. Sur le moment je ne me suis pas rappelée la raison qui m’avait empêchée de poster ces lettres-là. L’explication m’est revenue en les relisant. La pudeur et la confusion m’ont retenue. Ces plis initialement destinés à ma correspondante contenaient mes états d’âme, mes colères, mes désirs. Au fil des mots, le texte se détournait du sujet de départ pour s’adresser à moi. J’avais ouvert en grand les vannes de mon cœur avant de me raviser. Néanmoins j’étais allée au bout de la confidence, ressentant probablement le besoin viscéral de le faire. J’ai également conservé des cahiers que j’ai noircis pendant mes années lycée, imprégnés des musiques que j’écoutais à l’époque. Ces cahiers hurlent qu’il est à la fois douloureux et nécessaire de vivre. Replonger dans mes anciens états d’âme m’a bouleversée.
Sans renier tout ce que j’avais couché sur le papier, j’ai eu envie de changement. De parler de la face lumineuse de la Lune. Alors j’ai repris ma plume, pensant qu’il suffisait d’écrire bien pour bien écrire. Je ne suis pas allée plus loin que la fin d’une page, ce qui y était écrit me déplaisait au plus haut point. L’alchimie entre le moi écrivant et le moi lisant n’opérait plus. Qu’est-ce qui n’allait plus chez moi ? Frustrée par ce blocage, en colère contre mon impuissance, j’ai déposé ma plume.
La lettre à la Poste, j'adore.
Petite remarque de rien du tout, il manque quelques virgules (pardonne-moi, j'ai attrapé la virgulite aigüe il y a un moment ^^)
visiblement nous sommes de nombreuses plumes à avoir un lien intime mais aussi parfois compliqué avec l'écriture, ceci expliquant probablement notre présence dans ce nid douillet...
Haha, la sempiternelle question des virgules, entre le trop et le pas assez notre cœur balance. Tu es entièrement pardonnée, c'est toujours intéressant d'avoir un point de vue extérieur.
Merci de ton passage dans ma taverne :)
A bientôt !
Malgré la longueur restreinte du texte, tu évoques plusieurs thèmes qui me parlent beaucoup. Ce sont deux enseignants qui m'ont motivé à écrire, alors je comprends bien l'impact qu'un prof peut avoir sur ses élèves. Et effectivement, l'écart entre ce que l'on aime lire et ce que l'on écrit est parfois frustrant, surtout lorsqu'on relit nos propres textes après plusieurs années.
Certain.es de mes enseignant.es m'ont effectivement marquée, et après toutes ces années je me surprends toujours à les évoquer, y compris ceux qui m'ont "traumatisée" (hello mon prof de physique lunatique : aussi pédagogue que cynique). Et oui la frustration est malheureusement une composante importante dans mon rapport à l'écriture.
A bientôt,
(Un cimetière attend mon commentaire ;)
J'ai beaucoup aimé ton texte! J'ai lu plus bas que tu avais hésité à le publier et je suis contente que tu l'ais fait car j'ai passé un très bon moment en le lisant! J'aime beaucoup ton humour et ton style! J'attaque la suite!
j'aime bien ton pseudo, parce qu'il sonne bien et peut-être aussi parce qu'il commence comme mon prénom ;)
Merci beaucoup d'être venue par ici ! Ce texte est parti d'une digression, et probablement aussi de tout un tas d'idées que j'avais besoin d'exprimer depuis longtemps. En tout cas c'est super agréable de lire que ça t'a plu !
J'ai beaucoup aimé cette partie I.
L'incipit est exceptionnellement bon. Il est très percutant et ouvre parfaitement le ton du récit avec sa note humoristique.
L'image du prof de français qui corrige est très amusante ainsi que la réaction de narratrice devant la comparaison avec Proust. En même temps, ça a un côté un peu triste de voir son enthousiasme ne pas la mener à grand chose.
Très belle entrée en matière, j'enchaîne avec la suite...
tu as vu juste : c’était trop triste voire pathétique de se contenter de chamailleries épistolaires et de souvenirs rédactionnels. Ce constat a lentement fait son chemin pour ensuite générer une frustration à laquelle j’ai décidé de mettre un terme en me joignant à vous, ici chez PA.
Je suis étrangement attachée à ce texte, il m’a libérée d’un poids mais je peine de plus en plus à le relire, comme s’il me renvoyait un reflet dérangeant.
Toujours est-il que je te remercie d’avoir lu et commenté.
Il est pas mal ce texte , j'ai passé un bon moment en le lisant. La lettre diatribe sur le service postale m'a fait bien rire . Je vois bien quelqu'un faire ça prendre sa plus belle plume, peser chaque mot , esquisser un sourire cruel en assenant un mot assassin, l accuser réception ! Et ... rien . Voilà les terribles mots broyés dans la machine bureaucratique. Ils n'avaient aucune chance mais l'espace d'un moment ils portèrent l'espoir d'une victoire
Je vois également bien ce professeur fatigué cerclant de rouge une montagne de copies
L'une d'elle retint son attention, mais les longues phrases , c'est vrai c'est compliqué. En même temps , même Proust ne trouverait peut être plus le même lectorat s'il vivait de nos jours !
Bref , c'était chouette
A bientôt !
c'est sympa d'avoir lu ce texte. J'ai mis des années avant de faire lire ce que j'écris, aussi j'ai hésité avant de le publier. Parfois j'ai du mal à dissocier ce que j'écris pour moi et ce que je veux faire lire à d'autres. Mais y-a-t-il vraiment une différence ? Pas sure d'avoir un jour la réponse ... En tout cas PA m'est apparue comme le halo d'une porte entrouverte. Il y a une telle diversité ici, et de vous avoir lus toi et les autres m'a encouragée pour le meilleur et pour le pire ;)
Merci.
J'aime beaucoup également la richesse et la bienveillance de PA.
A bientôt, bonne journée !