En attendant de trouver l’inspiration sous le sabot d’un cheval j’ai noyé mon amertume dans la lecture. J’ai lu. Beaucoup. Un peu trop même. Ça a commencé avec un petit conte par-ci, quelques romans par-là. Je suis partie en croisière avec Sindbad, Aladin, un vieillard & ses deux chiens, et deux princesses : Shererazade, qui était aux commandes, ainsi que Badroulboudour qui se chargeait de la logistique et des provisions (poulet aux prunes, baklavas et thé à la menthe à volonté). Nous avons fait le tour du Monde en mille et unes escales, enfin du monde connu de l’époque qui s’étalait des confins de l’Océan Indien au Détroit de Gibraltar en passant par la vallée de l’Indus. Partis du Levant nous avons amerri au large d’une île de toute beauté, en Mer du Milieu. L’endroit idéal pour une fin tragique.
Perdus en plein maquis après avoir malencontreusement demandé notre chemin à une créature étrange mi-femme mi-piaf, on est tombé sur Ulysse. Il nous a suppliés de le ramener à Ithaque. Le pauvre, Circé ne voulait pas entendre parler de l’équité femme/homme, par conséquent tout ce qui touchait de près ou de loin à leur élevage porcin c’était toujours lui qui s’y collait. On l’a donc pris à bord. Mais il a vite repris du poil de la bête l’animal (oubliez la nudité lisse des statues antiques : Ulysse était tout sauf imberbe). Monsieur s’était mis en tête de prendre le commandement de notre tapis, Sheraz lui a fait entendre raison d’une simple œillade lourde de sens, appuyée d’un geste instinctif vers le poignard qu’elle portait en permanence à la ceinture. Pour tromper l’ennui, notre petit Hellene s’est rabattu vers nos compagnons de sexe masculin, désireux de les initier aux us et coutumes de sa contrée. Bien mal lui en a pris. Aladin et Sindbad, un peu farouches, n’ont pas tellement apprécié les manières d’Ulysse. Montée de testostérone, bagarre générale, dans la confusion tous les mâles se sont entre-tués, l’ancêtre qui n’a rien vu ni entendu a péri en brave dommage collatéral.
Quant à la douce Badroulboudour, elle a disparu dans des circonstances mystérieuses. La bougresse avait joint ses hurlements à ceux des chiens, les trois pleurant la mort de leur maître respectif. Tout un chacun ayant vécu dans le voisinage de chiens hurleurs sait comment se termine ce type de lamentations. Je n’en dirais pas plus.
Au bout de quelques jours, remuées par les relents de papier mâché que dégageaient les trépassés, Sheraz et moi avons jeté les corps par-dessus bord. Il était temps de tourner la page. Nous avons fait une dernière escale dans un ilot au large de l’Hispanie, revendu le somptueux tapis dans un souk et utilisé la somme récoltée à bon escient. Les échos de la réception grandiose que nous avons donnée pour clore notre périple retentissent encore aujourd’hui sur toute la côte est de l’Ibérie. Sheraz et moi sommes parties chacune de notre côté. La brillante persane a plutôt bien réussi, elle a ouvert une chaîne de cabinets conseils pour personnalités politiques en mal d’inspiration, en plus des contes qu’elle écrit pour des amnésiques qui pensent lire chaque matin une nouvelle histoire.
En ce qui me concerne, c’est un peu moins reluisant. J’ai pas mal bourlingué, navigant à vue dans le temps et l’espace, avec une prédilection pour les endroits où régnait une insécurité notoire : Baker Street à l’époque Victorienne, le train de l’Orient Express quand il était encore en service. En quête de sensations fortes j’ai effectué un nombre incalculable de mélanges de genres et d’époques : antiquité, fantasy, romans, renaissance, polars, BD, journaux, livre sur l’Histoire, ouvrages spécialisés, moyen âge … Dernièrement j’ai suivi de près les enquêtes d’un flic béarnais qui a gravi les échelons et dirige un commissariat à Paris. Sauf qu’il s’est mis au vert. Et moi je me suis retrouvée à sec. Le verdict est tombé après un rapide inventaire de ce qu’il me restait à lire : plus rien ne me semblait susceptible d’épancher ma soif. L’heure du sevrage avait sonné. J’ai voulu y aller progressivement et restreindre mes lectures à des BD. Grossière erreur, c’était moins dense donc j’en lisais plus.
Le salut est arrivé non pas du ciel mais d’un évènement que je redoutais et attendais à la fois : la reprise du travail après de longs mois d’absence. Inutile de vous dépeindre le tableau : qui trouve le temps et l’énergie de lire après une journée de boulot et sa part de corvées domestiques ? Les aliens, les hyperactifs et les caféinomanes baissez la main. Hein, qui ? Mais bon sang, vos journées à vous elles ont combien de fois 24 heures ?!?! Enfin, je pensais être débarrassée de mon addiction jusqu’à ce qu’un concours de circonstances en décide autrement. Profitant d’un instant de faiblesse on m’a collé un livre sous les yeux « allez, juste le tome 1 après t’arrêtes. » Allons, goûtons voir si l’bouquin est bon. Sacré nom de nom. On m’a refilé un grand cru millésimé comme je n’en avais pas lu depuis longtemps ! J’ai jeté mon vœu d’abstinence aux oubliettes et replongé en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire. Je me suis enfilé les quatre tomes de la saga, cinq fois de suite presque sans reposer les coudes, ne laissant pas le temps à mes yeux de défaire leurs valises. Le soir au coucher, des films inspirés de cette lecture se glissaient sous mes paupières fermées. C’était la biblieuverie de trop. Sur la tête de mon premier marque-page, paix à son âme, je ne me laisserai plus enivrer. Et après, j’étais censé faire quoi ? Me coller des patchs à l’encre ? Fumer des cartouches d’imprimante ? Lire en cachette dans les toilettes ? Non, pas assez radical.
Une fois complètement sobre, je me suis procuré un bâton bien solide pour garder à distance serpents et renards, et j’ai entrepris une longue traversée du désert, cherchant à semer une frustration devenue trop envahissante. Le manque d’eau, la fournaise ambiante, la solitude, toutes les conditions étaient réunies pour détacher mon esprit de mon corps. La douleur n’existait plus que dans mon âme torturée. Mes souvenirs les plus marquants ont refait surface en trombe, assaillant tous mes sens. J’ai saisi au vol ce que j’ai pu : des odeurs de mon enfance, des musique ensorcelantes, la présence d’un être aimé à mes côtés, des rêves inavouables, la fraîcheur d’une joue. Des mots ont surgi dans ma tête pour se superposer à ces souvenirs, décrivant tout ce qui se portait à ma perception. Une étincelle de compréhension m’a frappée comme une évidence. Je ne peux écrire sans ressentir.
Maintenant que je suis revenue de ce pèlerinage je comprends mieux pourquoi c’est toujours dans le désert que des types croisent des buissons ardents, un archange tombé du ciel, ou un génie coincé dans une lampe. Personnellement je n’ai rien vu de tout cela. J’ai trouvé bien mieux. Une étincelle et du courage. L’étincelle m’a remise sur la voie de l’écriture, le courage m’a aidée à surmonter ma peur de faire lire mes histoires.
La cuite de lecture, j'adhère. Et cette conclusion, bravo !
Le côté impossible de lire le soir après le boulot, tel est mon problème lol
Petit truc de ponctuation, tu peux mettre le point dans tes phrases entre guillemets « allez, juste le tome 1 après t’arrêtes. » (et pas de point derrière)
Ouf me voilà "rassurée" de ne point être la seule à manquer de temps pour lire.
Pendant longtemps j'ai été très frustrée de ne pas pouvoir passer plus de temps à lire, et de ne pas avoir assez d'énergie pour écrire. Et puis je me suis rendue compte que ce que je produis en n'étant pas dans les bonnes dispositions est très pauvre. Donc je prends mon temps.
Merci pour ton conseil de ponctuation, c'est l'une de mes faiblesses, je m'en vais de ce pas remettre ce point à sa place !
Je me suis un peu égaré sur PA ce matin et lu quelques textes, dont celui-ci.
Et bien, je voulais juste te dire que je m'y retrouve beaucoup! (Et je ne pense pas que je suis le seul)!
On ne peut écrire sans ressentir, et lire c'est ressentir. Et ressentir le courage de partager ses écrits, c'est un beau sentiment!
A bientôt!
Quel plaisir de te lire par ici, comme quoi se laisser perdre en chemin ça a du bon parfois ;)
Et oui il semblerait que nous soyons nombreux à avoir besoin de puiser dans nos émotions pour "bien" écrire ! Quant au courage de partager des bribes de soi, même romancées, me dissimuler derrière mon étoile m'aide quand même un peu (bcp ?) à passer le cap.
Merci pour ton détour par ici et pour tes mots !
J'ai adoré cette partie sur la lecture! Je suis contente que tu ais trouvé le courage de faire lire ce que tu écris! La première partie est peut-être un chouia trop longue mais la suite est vraiment géniale! J'adore! J'attends la suite avec impatience!
En tout cas c'est super de ta part d'avoir commenté, cela me permet d'avoir du recul et des idées pertinentes !
Et toi, tu envisages d'écrire ?
A une prochaine fois !
Les paragraphes (notamment le 1er) sont peut-être un peu longs pour de la lecture numérique.
L'utilisation de grands personnages de fiction pour les délires de la narratrice c'est super amusant xD J'aime beaucoup ton humour
Super belle chute !
Petites remarques :
"Le pauvre, Circée" la Circé de Ulysse n'a pas de e
"Les aliens, les hyperactifs et les caféinomanes baissez la main. Hein, qui ?" ahah j'ai ri
J'attends la suite avec impatience,
A bientôt (=
« La suite » : c’est très flatteur mais … euh … si je te réponds que la suite s’écrit ici, entre autres avec ton commentaire, cela convient-il ? Plus sérieusement, l’écriture de ce texte m’a tellement fait tergiverser et digresser que j’ai dû en extraire des paragraphes entiers pour le rendre lisible/compréhensible par autrui ; je n’avais pas prévu de retravailler ces paragraphes pour les publier. A voir. En tout cas si Partie III il y a (un jour peut-être) ce sera en partie à cause de toi 😉
Autrement parmi les « aliens, hyperactifs, caféinomanes » : où te situer ? Car tu me sembles être très prolifique !!!
A bientôt.
Tu écris la suite si tu veux, pas de pression évidemment ^^
Moi je trouve que les disgressions donnent du charme à ce texte (=
Peut-être alien à choisir xD
A bientôt !