5 octobre 1942, Stalingrad
Il fait de plus en plus froid. Le long, le terrible hiver russe s'installe doucement. On tremble de froid pendant les rondes : interdiction d'allumer un feu, bien sûr. Les uniformes d'hiver ne sont pas prioritaires pour le ravitaillement. Que les gars d'ici meurent de froid, tant que les premières lignes ont des vivres et des munitions.
7 octobre 1942, Stalingrad
Paradoxalement, c'est maintenant que j'ai un peu de temps libre – pas grand-chose, des miettes ici ou là – que j'écris le moins. Le moral n'y est pas.
Les Russes ont trouvé un nouveau moyen de torture : ils se planquent dans les égouts et attaquent de nuit. Comme ce sont les seuls à avoir des plans complets, ils peuvent partir et arriver où ils veulent. Des éclaireurs ont essayé de les suivre. Ils ne sont jamais rentrés. Personne n'en a plus parlé, mais on pensait tous que les Soviétiques les avaient fusillés.
Après cet épisode, on a dû quadriller tout le secteur, à la recherche de sorties possibles : trop pour pouvoir les surveiller à plein temps. Résultat, la Rattenkrieg continue. La guerre des rats, parce qu'ils grouillent dans l'eau boueuse comme ces sales bêtes.
Impossible de dormir avec ça. Le sommeil ressemble plus à une longue attente dans la nuit glaciale et sombre, recroquevillé contre la protection relative d'un mur, le fusil à portée de main, debout au moindre bruit suspect ; même s'il s'agit le plus souvent d'un vrai rat dans les ruines ; entre deux veillées de garde silencieuse. Gare au pauvre soldat épuisé qui s'endormirait pendant la garde ! La semaine dernière, le commandant voulait en fusiller un pour l'exemple, mais on est si peu nombreux qu'à la place, pour ne pas gâcher de vie humaine, il l'a astreint à la surveillance nocturne pendant deux semaines.
Pour plus d'égalité, il a été décidé par la suite que chacune des deux sentinelles prévues, c'est-à-dire un certain Friedrich, originaire de Hambourg, et moi serait remplacée à tour de rôle. J'aurais préféré être débarrassé totalement de la corvée.
15 octobre 1942, Stalingrad
Cette nuit, juste avant le changement de garde, on a été réveillé par un coup de feu. Un Soviétique à la gâchette sensible avait abattu la sentinelle. Je suppose que les murmures rageurs de son camarade entendus juste après n'étaient pas très sympathiques.
Ils étaient une dizaine, tout proches, et le temps que tout le monde ait rappliqué, deux autres Allemands étaient à terre. Après, ç'a été plus dur de compter dans le noir. Je ne voyais que des silhouettes, et il fallait décider si c'étaient des amis ou des ennemis avant de viser. Un certain nombre de munitions ont été dépensées inutilement jusqu'à ce qu'on ait réussi à encercler les survivants.
"Hände hoch oder kaputt!"
Ils étaient moins nombreux que nous, et ils avaient déjà dépensé beaucoup de balles. Leurs fusils ont fait des bruits métalliques quand ils les ont posés. Le commandant a fait signe aux deux personnes proches de lui, Franz et moi, d'aller les ramasser.
Un téméraire s'est jeté sur moi avec son couteau quand je passais à proximité. J'ai réussi à esquiver le coup et je lui ai balancé un coup de crosse dans la figure. Son nez a fait un bruit sec en cassant. Il a poussé un cri et s'est écroulé à genoux, se tenant le visage comme si ça allait arrêter les flots de sang. Son voisin a tressailli et s'est écarté.
"Aufstehen! Hände hoch!"
Il ne comprenait pas, alors je l'ai remis debout de force et suis allé rejoindre les rangs.
Les soldats ennemis ont été fusillés au petit matin, en représailles pour nos éclaireurs, et j'ai dû écrire à la main un rapport sur l'incident, en deux exemplaires. À part ça, la journée a été calme.
19 octobre 1942, Stalingrad
Il a neigé toute la nuit et toute la journée. C'est en contemplant cette étendue blanche qui recouvre tout que j'ai eu le plus le mal du pays depuis notre départ. On est loin de chez nous depuis des mois, le service postal est plus qu'épisodique, et les seules nouvelles qui nous parviennent sont soigneusement choisies pour nous faire garder le moral. Ou plutôt, ne pas nous démoraliser plus que nous le sommes.
Avant d'être mobilisé, je vivais près de Francfort avec ma femme Hannah et notre chienne Wurst, qu'elle avait récupérée dans la rue peu après notre mariage. On avait vingt ans, elle venait de m'annoncer qu'elle était enceinte, et du jour au lendemain, j'ai dû aller faire mon service militaire en France et la laisser se débrouiller seule, avec son seul salaire de secrétaire de rédaction.
Elle avait toujours voulu être journaliste, mais à part la rubrique cuisine, son patron n'avait pas d'articles à proposer à "une femme, juste mariée avec ça". Il lui avait dit sur un ton assez méprisant, paraît-il, et elle était rentrée bouillonnante de colère. C'était cependant la seule offre et elle avait été forcée d'accepter. Elle passait ses soirées à taper à la machine des brouillons que j'étais le seul à lire et qu'elle ne gardait pas. Elle rêvait de paix et d'un avenir meilleur pour tous, d'une Europe unie et puissante, sans oser l'écrire. Elle disait que cela n'était pas le point de vue du régime, et elle n'avait pas tort. Nous étions souvent en désaccord. Elle m'accusait de croire naïvement ce qu'on nous disait de croire, sans chercher à comprendre, et refusant de voir la réalité. Parfois elle me faisait presque peur.
Je n'ai vu mon fils qu'une fois, juste avant de partir vers l'Est. C'était un bébé minuscule. Je ne sais pas pourquoi, je revois très clairement sa façon de plisser le nez avant de se mettre à pleurer, ses yeux bleus immenses, son sourire gazouilleur. Et surtout, l'air ravi de Hannah, toute fière, alors qu'il lui mâchouillait consciencieusement une mèche de ses cheveux noirs et bouclés. Je n'arrive pas à l'imaginer presque petit garçon.
Je veux tellement les revoir. Je veux être pour mon fils autre chose qu'une figure lointaine, une photo de mauvaise qualité d'un homme en uniforme ou un nom parmi d'autres sur un monument aux morts.
Quand même ces souvenirs deviennent trop douloureux, je ne pense plus qu'aux hommes qui tombent à quelques kilomètres d'ici, aux renforts récents qui apprennent l'horreur de cette guerre sans fin et aux sangs russes et allemands qui se mêlent en une seule traînée rouge dans le blanc de la neige.
23 octobre 1942, Stalingrad
La situation est de pire en pire. On le voit aux mines soucieuses des officiers quand on va faire nos rapports sur les patrouilles. L'assaut ne doit pas se passer aussi bien qu'on nous le dit. Combien de morts encore ?
Il y a deux jours, on a repéré des traces de pas dans la neige fraîche, et ce n'étaient pas des semelles allemandes. Un type a entonné l'hymne national, mais au lieu de le faire taire, on l'a tous accompagné.
Chanter que l'Allemagne est le meilleur pays du monde aide à y croire, et on a tous besoin d'y croire, comme cela fait étrangement du bien de voir notre drapeau flotter sur les bâtiments conquis alors qu'à la maison, on finissait par passer devant sans le voir.
Jusqu'à ce que ce matin, quelqu'un remarque l'étendard rouge pas très loin du campement. Les chefs étaient furieux. Ils ont envoyé les sentinelles qui venaient à peine d'être remplacées le décrocher, en faire de la charpie et l'apporter aux médecins, toujours contents d'avoir des pansements propres.
Au moins, avec cette couleur, on ne verra pas le sang dessus.
Après avoir tout lu, je ne comprends pas pourquoi tu as divisé ce récit en 3 parties, comme s’il s’agissait de chapitres. Est-ce uniquement pour faciliter la lecture sur FPA ?
La fin de la troisième partie m’a laissée perplexe. Je me suis demandé quel était le but du récit (à part le travail scolaire). Je reste sur une impression d’inachevé et je me demande pourquoi le récit se termine à ce point précis. Peut-être pour montrer qu’à force de combattre dans ces conditions, notre soldat commence à devenir cynique ?
Coquilles et remarques :
Que les gars d’ici meurent de froid, si les premières lignes ont des vivres et des munitions. [Je dirais « tant que les premières lignes ont des vivres et des munitions ».]
c’est maintenant que j’ai un peu de temps libre -pas grand chose [pas grand-chose]
Des éclaireurs ont essayés de les suivre [essayé]
c’est à dire un certain Friedrich [c’est-à-dire]
que chacune des deux sentinelles prévues, c’est à dire un certain Friedrich, originaire de Hambourg, et moi serait remplacée à tour de rôle [Je propose : « que chacune des deux sentinelles prévues, c’est-à-dire un certain Friedrich originaire de Hambourg et moi, serait remplacée à tour de rôle ».]
Je suppose que les murmures rageurs de son camarade entendus juste après n’était pas très sympathiques [n’étaient pas]
et il fallait décider si c’était des amis ou des ennemis [c’étaient]
jusqu’à ce qu’on ait réussi à entourer les survivants [encercler, peut-être ?]
Ils étaient moins nombreux que nous, et ils avaient déjà dépensé beaucoup de balles [La virgule avant « et » est superflue.]
A part ça, la journée a été calme [À part ça]
Quand tu glisses des mots allemands dans des phrases en français (comme « der Schlaf » ou « Rattenkrieg »), ce serait préférable de les mettre en italique.
Concernant les parties : le texte n'est pas fini de publier, en réalité. Je l'avais écrit à la main pour mon cours, et je le retranscrivais le soir à l'ordinateur avant de poster... D'où des parties courtes, qui témoignent de mon avancée au jour-le-jour. Sauf que je suis partie deux semaines randonner, et j'ai donc dû arrêter la publication pendant ce labs de temps (j'ai un peu avancé l'écriture informatique, mais c'est beaucoup moins rapide sur tablette qu'avec un vrai clavier...) Si toutes les parties font environ 600 mots, il en manque deux, a priori. (Je n'ai pas vraiment d'estimation du nombre de mots, uniquement des approximations en lien avec le nombre de pages)
Je corrige toutes ces erreurs au plus vite ! Merci encore d'être passée :)
J’ai encore une fournée de coquilles et remarques :
— -pas grand-chose, des miettes ici ou là- [Ici, il faudrait des demi-cadratins à la place des tirets normaux.]
— Pour plus d'égalité, il été décidé [il a été]
— c'est à dire un certain Friedrich originaire de Hambourg, et moi [c’est-à-dire / il faudrait mettre la virgule après « et moi »]
— et notre chienne Wurst, qu'elle avait récupéré dans la rue [récupérée]
— Il lui avait dit sur un ton assez méprisant [« Il lui avait dit ça » ou « Il le lui avait dit »]
— Elle rêvait de paix et d'un futur meilleur pour tous [d’un avenir meilleur ; voir ici : http://academie-francaise.fr/futur-pour-avenir]
— l'air ravi d'Hannah, toute fière [J’écrirais « de Hannah » par ce que le « H » se prononce.]
— qu'aux hommes qui tombent à quelque kilomètres d'ici [quelques]
— et aux sangs Russes et Allemands qui se mêlent [russes et allemands : ce sont des adjectifs]
— Il ya deux jours, on a repéré des traces [Il y a]
— Ils ont envoyés les sentinelles [envoyé]