Deux jours s’étaient écoulés depuis son retour à l’appartement.
Deux jours de silence, de marches dans la forêt, de nuits courtes et agitées. Deux jours à s’entraîner clandestinement dans son salon, à renforcer ses appuis, à recoller ce corps qu’on avait cherché à briser.
Il ne parlait pas à ses voisins. Il ne répondait pas aux messages. Tout ce qu’il faisait, c’était remettre de l’ordre dans sa respiration, tester ses appuis dans la pénombre, répéter des mouvements de lutte, des coups de poing dans le vide, comme si chaque geste recousait une partie de sa peau.
Ce matin-là, son téléphone vibra dans la poche de son survêtement.
Un numéro masqué.
Il décrocha sans réfléchir.
La voix neutre d’un agent de police, monocorde :
— Mäczek L. ? Vous êtes convoqué au commissariat cet après-midi. Suite aux événements survenus à l’hôpital.
Aucune menace. Pas de sympathie. Juste le poids mécanique d’un engrenage qui tournait, indifférent.
Vers 17h, Mäczek passa les portes du petit poste de Nevir.
Un bâtiment froid, effrité par le temps, accroché sur les hauteurs du bourg, on pouvait y voir toute la cuvette de Nevir en contrebas, avec ses pentes abruptes et ses ruelles serrées.
On le fit patienter quelques minutes dans un couloir étroit, puis on l’introduisit dans un bureau sombre. Deux agents, différents de ceux rencontrés à l’hôpital.
Pas d’interrogatoire brutal. Pas de jeux psychologiques.
Juste des questions, posées avec la lassitude de ceux qui avaient vu défiler trop d’histoires crasseuses.
Mäczek parla d’une voix neutre.
Il raconta l’agression. Le couteau. Le réflexe de survie. Puis il aborda ce qui le hantait le plus.
— J’ai frappé. Je l’assume… Est-ce que je le referais pour sauver ma peau contre deux mecs armés ? Oui. Mille fois.
Il planta ses yeux dans ceux du policier principal.
— Et vous savez comme moi que ces gars-là… ils n’avaient pas que moi sur leur liste. Ces bouffons, ça pousse comme les ronces.
Silence.
Le policier griffonna quelque chose sur un dossier, puis leva les yeux.
— Vous savez que Diabaté est décédé?
Mäczek resta figé.
— Quoi ?
Ses pensées s’entrechoquaient. Il sentait la mécanique froide de la justice tourner dans son dos. Oui, c’était lui qui avait frappé. Oui, c’était lui qui avait brisé cette mâchoire. Mais cette mort-là, ce n’était pas son geste direct. C’était l’accident, la fatalité. Ou peut-être… le jugement.
« Putain… Voilà pourquoi ils m’ont convoqué. Les bâtards vont se dire que c’est moi. Que j’ai voulu le finir. »
Le flic poursuivit, d’un ton neutre, presque clinique.
Ce qui fit sortir Mac de ces pensées.
— Il a été retrouvé ce matin. Mort par asphyxie. Étouffé dans son sommeil, avec sa propre langue. Conséquence directe de sa fracture à la mâchoire. Ce sera maintenant au tribunal de juger si vous en êtes la cause.
Il baissa légèrement la tête, absorbant l’information, garda le silence. Tendu, mais calme.
L’autre agent demanda ses empreintes digitales. Mäczek tendit ses doigts sans protester.
À la fin, on lui tendit un formulaire :
Libre de partir.
« Mais restez joignable. L’enquête est encore ouverte. »
Il quitta le commissariat avec ce même calme qui l’habitait depuis des semaines.
Dehors, la vallée s’étendait sous un ciel lourd, craché par des nuages de plomb.
En contrebas, Nevir semblait minuscule, enlacée de ces 4 bras protecteurs.
Il décida de rentrer à pied.
Un détour par les Deux Roches ne lui ferait pas de mal.
La route, sans trottoir, s’enfonçait entre deux murs de pierre de soixante mètres de haut.
À chaque pas, l’espace se resserrait, comme une gorge taillée dans la montagne.
Au bout, un vieux pont enjambait le fleuve, offrant une vue magnifique sur le barrage.
Il inspira profondément. L’air sentait la mousse et l’humidité. Enfin, la pluie s’était arrêtée.
Quelques kilomètres plus haut, Anastasia roulait sur la départementale détrempée.
Elle n’avait pas prévu de passer par ce chemin. Elle n’y avait pas réfléchi non plus.
Vieille habitude. Suivre les routes qui n’étaient pas faites pour être prises. Chercher les croisements improbables. Les moments imprévus.
Au détour d’un virage, elle le vit.
Mäczek, marchant seul sur le bas-côté, le sac sur l’épaule, silhouette cabossée mais droite.
Elle ralentit. Sa main hésita sur le volant. Puis, d’un geste impulsif, elle se gara quelques mètres devant lui. Sortit. Le fixa sans un mot.
Ils se regardèrent.
Elle fit deux pas vers lui.
Mäczek ne bougea pas. Pas par choix. Parce que son cerveau tournait à toute vitesse, incapable de choisir une approche.
Alors il resta là, figé, paralysé par cette présence inattendue.
Elle passa une main dans ses cheveux trempés, puis dit d’une voix trop basse pour être anodine :
— Salut… Tu marches souvent sous la pluie comme un fugitif ?
Un sourire imperceptible effleura ses lèvres.
— Pas souvent. Juste quand je me sens suivi.
Elle hocha la tête, serra sa veste contre elle.
— Tu veux que je te dépose ?
Il hésita. Pas pour elle, mais pour lui.
Finalement, il hocha la tête.
Un sourire franc jaillit sur son visage. Pas prévu.
Face à cette spontanéité Maczek, ne pu contenir à son tour un sourire vrai et sincère.
Ils remontèrent ensemble dans la voiture. Le moteur ronronna sous le crépuscule.
Elle lança un morceau. Les premières notes suffirent à le figer.
« Route Telegraph, de Dans la Dèche. »
Son groupe préféré.
Il tourna légèrement la tête, troublé.
Un vieux rock rugueux, mélodique, celui qu’il écoutait seul, les soirs où rien n’allait. Pour la première fois depuis longtemps, il sentit qu’il n’était plus seul dans cette vallée immense.
Anastasia garda les yeux fixés sur la route. Ses mains crispées sur le volant.
— Je dois passer au drive, lança-t-elle soudain. Ça te dérange pas ?
— Non, vas-y, fit-il calmement.
Quelques minutes plus tard, ils s’arrêtèrent sur le parking d’un supermarché.
La pluie martelait le toit de la Golf. Elle récupéra ses sacs, glissant un sourire discret en revenant vers lui.
Quand elle redémarra, elle tourna légèrement la tête, le fixa un instant de trop. Ses lèvres s’étirèrent dans un sourire impatient, presque incontrôlable.
— Tu veux venir chez moi ?
Le silence tomba aussitôt, envahissant l’habitacle. Le solo de guitare lui continuait, étirant l’instant comme un fil tendu.
Il acquiesça sans un mot.
Ils bifurquèrent vers les hauteurs du village, en direction de Ricori.
La Golf grimpa la pente bordée de pierres moussues et de maisons collées aux collines comme des rochers fatigués.
Devant une vielle bâtisse à moitié envahi par le lierre, elle gara la voiture.
L’intérieur lui ressemblait : simple, un peu en désordre, mais vivant.
Des coussins au sol. Des affiches de festivals. Quelques trophées de course. Une guitare appuyée contre un canapé râpé.
Pour la première fois, Mäczek prêta vraiment attention à la manière dont une femme décorait son monde.
Chaque objet lui semblait chargé d’une histoire. D’un combat caché, une trace intime laissée dans la pièce.
Il fronça légèrement les sourcils, absorbé par ses pensées.
— Tu regardes quoi comme ça ? lâcha Anastasia en posant les sacs de courses.
Il se tourna vers elle, surpris.
— Cet objet, là… il doit signifier beaucoup pour toi ?
Elle eut un petit rire, direct, presque moqueur :
— Euh… J’l’ai trouvé stylé, alors je l’ai acheté.
Il resta silencieux une seconde, puis un mince sourire étira ses lèvres.
Il comprit qu’il cherchait trop loin. Qu’il avait tendance à voir des batailles là où, parfois, il n’y avait qu’un coup de cœur.
Les deux chiens bondirent vers eux, queues battant contre les murs. Offrant à Mac un échappatoire face à cette situation presque gênante.
Anastasia, transformée, fila vers la cuisine :
— T’as faim ? J’peux te faire ce que tu veux !
Mäczek sourit malgré lui, surpris par cet élan d’énergie.
Cette lumière qu’elle dégageait, ce rayon de soleil, venait heurter ses murs intérieurs avec une force douce et désarmante.
En quelques minutes, elle avait préparé deux bols de vermicelles fumants.
Elle parlait sans pause, sans filtre, enchaînant les anecdotes comme on distribue des fragments d’âme sans trop savoir pourquoi. Et lui écoutait. Elle racontait son boulot de caissière. Les horaires pourris. Les clients absurdes.
Mais aussi ce rêve simple : devenir assistante en soins vétérinaire.
Pas pour l’argent. Pas pour la reconnaissance. Juste pour être là, quand plus personne ne sait comment sauver une vie. Pour les accompagner, prendre soins d’eux.
Mäczek écoutait en silence, absorbé par cette sincérité sans défense.
Il se sentait…vide et plein à la fois.
Un gouffre qui, l’espace d’une soirée, se remplissait sans heurt. Ils finirent leur bol en riant d’une blague débile qu’il venait de lancer.
Puis elle lança un épisode de KJJ, sa série du moment.
Les scènes s’enchaînaient. Le temps se distendait. Aucun des deux ne regardait vraiment.
Ils étaient là.
À exister l’un à côté de l’autre. À un moment, sans prévenir,
Anastasia posa sa tête contre l’épaule de Mäczek. D’un geste brut, comme un animal épuisé.
Le corps de Mäczek se tendit d’instinct. Des années de solitude et de carapace.
Mais cette fois, il laissa faire.
Il n’avait pas parlé de lui. Pas un mot. Mais dans le silence qu’il gardait, quelque chose s’était ouvert : à travers elle, il respirait enfin. Et ce souffle valait plus que toutes ses cicatrices.
Il sentit son épaule se relâcher sous le poids de sa tête. Une chaleur inédite se répandit dans sa poitrine. Quelque chose de nouveau.
Il ferma les yeux, respira.
Et pour la première fois depuis des années, il laissa quelqu’un s’appuyer contre lui sans chercher à fuir.
CHAPITRE 13 fin.
Le matin était gris, lavé par une bruine fine qui ne cessait jamais vraiment de tomber sur Ricori. La maison sentait le café tiède et les poils de chien humides.
Anastasia s’était levée la première.
Sweat trop grand, cheveux en vrac, elle s’était étirée en silence, l’avait regardé pendant qu’il dormait, puis le réveilla et dit :
— On sort les chiens ?
Il avait hoché la tête.
—Vas y je suis chaud.
Dehors, les pavés du village brillaient sous le levé de soleil. Les deux chiens tiraient déjà sur leurs laisses, truffes au sol, muscles tendus, excités par les odeurs de la nuit.
Ils marchaient en silence.
Lui devant, avec les chiens. Elle juste derrière. Le bruit régulier de leurs pas, des pattes.
Rien d’autre.
Anastasia l’observait sans vraiment s’en rendre compte.
Son dos droit. Sa démarche charismatique. Et ce calme étrange, posé sur ses épaules.
Elle sentit une secousse a l’intérieur d’elle, un désir profond. Quelque chose de brut.
Comme si elle reconnaissait un endroit où elle avait déjà été, sans jamais l’avoir vraiment vu. Elle le comprit sans le formuler.
« Qu’est-ce qui m’arrive… pourquoi je me sens si bien »
Mais lui, à côté, pensait à autre chose.
Son téléphone avait vibré cette nuit, un message de sa mère : « tout va bien mon chéri ? T’es pas passé nous voir en sortant de l’hôpital.. Bientôt le boulot .. courage. »
Il n’arrivait pas à suivre. Tout allait trop vite.
Il n’avait pas encore eu le temps de digérer ce qu’il venait de vivre.
Et même si cette nuit lui avait offert un peu de chaleur, elle avait aussi réveillé ses failles. Ses doutes. Ses vieilles craintes enfouies.
Il savait qu’il devait retourner au chantier après-demain. Reprendre le fil, faire comme si rien n’était arrivé, retourner à la salle, tout ça l’épuisait déjà.
La balade se termina dans le même silence doux qu’elle avait commencé. Chacun perdu dans ses pensées, sans connaître celles de l’autre.
Quand ils arrivèrent devant la maison, Mäczek se tourna vers elle. Son regard était franc, calme.
— Tu pourrais me ramener chez moi ?
Il attendit. La réponse tarda, comme suspendue. Alors il ajouta, sincère :
— Merci pour tout, vraiment.
— De rien… va. C’est normal. Tu dois être mort.
Les mots étaient vrais, mais une nuance traîna dans sa voix. Une contrariété subtile, à peine audible. Lui, il la sentit. Pas sûr d’en comprendre la raison, mais assez pour que l’air change aussitôt entre eux. L’habitacle s’était alourdi.
Anastasia le déposa devant chez lui, sans rien ajouter. Le moteur resta allumé quelques secondes, ronron sec. Le silence s’étira.
Il sortit, referma la portière doucement.
— Merci, répéta-t-il.
Elle ne répondit que par un bref hochement de tête. Sec. Comme pour clore la scène.
Il resta une seconde sur le trottoir, les mains dans les poches. Cette distance confirmait ce qu’il avait pressenti avant même le trajet. Elle ne voulait pas donner plus. Pas ce matin.
Il était à peine sept heures. Il choisit de courir avant la salle, convaincu que c’était la seule manière d’éclaircir ses pensées.
Mais la course n’effaça pas cette frustration qui revenait comme un clou planté dans la poitrine. Ce mélange étrange : la chaleur qu’elle avait fait naître, et l’incompréhension de la voir froide l’instant d’après. Un déséquilibre qu’il ne contrôlait pas.
Ses jambes râlaient, ses muscles grinçaient, mais il avançait.
Dix kilomètres avalés en un peu plus d’une heure. Misérable, comparé à ses anciens chronos tous sous les cinquante minutes.
Le froid lui mordait la gorge, la brume s’enfonçait dans ses narines, et ce foutu vent de vallée lui lacérait le visage.
À 8h12, il était devant la salle. Personne ne disait rien, mais les regards flottaient. Certains baissés. D’autres fuyants.
Il resta dans son coin, son sweat était trempé, une serviette usée, et ses bandes dans la main.
Il s’échauffait doucement quand il les entendit.
— Frère, j’sais pas c’qu’ils lui trouvent à ce gars. Il parle pas, il bouge comme un mec qui a vu l’enfer, et il pèse quoi ? Soixante-dix kilos tout mouillé.
— J’lui baise sa mère, sérieux. Il fait trop l’mec ténébreux.
Silence. Puis des pas.
Un bruit de scratch de mitaines qu’on enfile.
Une tension, presque électrique, qui s’épaissit dans l’air.
Mäczek ne leva pas les yeux.
Une main vint se poser brutalement sur son épaule.
— Eh toi là. Tu fais trop le malin. Maintenant qu’on parle de toi partout, tu fais l’ancien dans ton coin ?
Il se retourna.
Le type faisait au moins 85 kilos. Torse large, regard court. Un ego blessé.
Le genre qui voulait une scène.
— On règle ça maintenant.
Mäczek ne répondit pas. Il enfila lentement ses mitaines. Pas pour accepter. Juste pour finir ce qu’il avait commencé.
Mais avant même qu’il ait fini de serrer le dernier gant, le mec envoya un crochet en pleine tête.
Il esquiva de justesse. Le poing frôla son nez, lui arrachant une bouffée de sang chaud dans les sinus. Il recula. Se mis en garde haute.
Le type fonça, le feinta du bras droit, puis plongea dans ses jambes.
Double leg.
Plein pot. Trop lourd.
Mäczek tenta de crocheter sous les aisselles pour le renverser. Mais le mec s’ancrait comme un bulldozer. Il bascula avec lui. Le mec le retourna et pris l’ascendant.
Il tenta de le marteler. Mais Mäczek contrôlait bien sa garde.
Pieds sur les hanches, il le repoussa d’un coup sec, se releva dans la même impulsion.
Direct du gauche. Puis un kick au ventre. L’autre encaissa, avança.
Nouvelle charge.
Single leg.
La tête collée à son ventre. Mäczek tira sa tête sur le côté et la posa sur sa hanche, puis tenta une guillotine.
Il serrait de toutes ces forces mais ces 2 semaines avait réduit à néant tout ces efforts l’autre la brisa l’étreinte en cassant la saisie. Une vraie bête.
Le doute s’infiltra.
« Je vais perdre. Il est trop lourd. Trop violent. À quoi bon ? »
Et c’est là que tout dérapa.
Bras arrière, plein crâne. Le monde tangua. Un crochet s’écrasa sur sa tempe.
Mäczek vola sur le côté. Un genou se planta dans ses côtes. Un poing dans la mâchoire. Puis une tentative d’étranglement.
Quelque chose céda. Mais ce n’était pas ces cervicales qui craquaient sous ses doigts.
C’était plus profond. En lui.
Un verrou mental qui sautait.
Mäczek explosa.
Il lâcha un coup d’épaule sec, brutal, qui repoussa l’adversaire et libéra sa propre gorge. Puis, sans attendre, il arma un coup de pied précis et violent, droit dans l’entrejambe. L’autre se plia de douleur, Mäczek fondit.
Un plongeon éclair, genou au sol, bras tendu vers l’avant.
Single leg.
Il verrouilla la jambe comme un piège, serra avec tout son corps, puis pivota dans le mouvement, exploitant la perte d’équilibre. Il prit le dos tout en fluidité.
Et sans réfléchir, sans frein, il crocheta son bassin et lança son corps entier dans un arc brutal.
Supplex.
L’autre s’envola. S’écrasa tête la première sur le parquais de la salle, un bruit sourd.
Cette technique était autorisée uniquement sur tatami, la violence du. Tel choc sur sol dur peut ôter la vie à n’importe qui.
La salle se figea. Silence total.
Mais Mäczek ne s’arrêta pas. Il se jeta sur lui, s’agenouilla, et enchaîna. Un, deux, trois coups. Puis cinq. Puis dix.
Poings serrés, dents contractées, le visage fermé comme une armure. Rien ne filtrait. Rien d’autre que la haine.
On dut le tirer en arrière.
C’était Nora, la compagne de Damien, suivie de trois autres.
— MAIS T’ES MALADE OU QUOI ?
— ARRÊTE !
— MAIS C’EST QUOI TON DÉLIRE ?
— REGARDE-LE PUTAIN !
Le mec était inconscient, il crachait du sang, le regard vide, l’arcade arrachée.
Mäczek se releva.
Le visage rouge. Les poings pleins de sang.
Un silence total.
Puis quelqu’un cria :
— Appelez une putain d’ambulance !
Nora le pointa du doigt :
— T’es fini ici. Barre-toi. Casse-toi de là. On veut plus te voir. Pauvre taré…
Damien lui, le regardait sans un mot, le laissant seul face à ces conséquences.
Il n’essaya même pas de répondre. Il remit sa veste. Traversa la salle en silence.
Il sentait les regards. Mais plus aucun n’osait le croiser.
CHAPITRE 14 fin.
Il marcha longtemps.
Sans but, sans détour, sans détourner le regard. Il passa le rond-point de la salle sans ralentir, coupa par la nationale, grimpa les sentiers raides qui menaient tout en haut du Mont Malgré-Lui. À 600 mètres d’altitude, le monde se taisait enfin.
Le vent soufflait sec, et devant lui, la vallée s’ouvrait.
Nevir, en contrebas. Étouffée dans sa cuvette. Les quatre collines, comme un poing refermé. Le SeeMu qui serpentait lentement, entre les arbres.
Il s’assit sur un rocher au bord du vide, les avant-bras posés sur les genoux. Il fixait l’horizon, mais ses pensées tournaient ailleurs.
À 11h32, son téléphone vibra.
Claire par message :
« Il t’arrive quoi en ce moment, gros ?
Nora m’a appelé. J’vais te couvrir. Je connais l’autre, c’est un fouteur de merde. Mais sérieux mec, ressaisis-toi. Viens me voir si t’as besoin de parler. »
Il resta là, sans répondre. Le message flottait dans l’air. Sympathique. Sincère. Mais inutile. Il ne réfléchissait plus comme avant.
Plus de recul, beaucoup moins lucide.
Ils étaient venus le chercher. Encore. Lui, il voulait juste s’entraîner. Se taire. Se construire.
Mais ces rats, ces hyènes, toujours là à vouloir tester, provoquer, renifler les failles.
Et quand il explosait, on l’accusait de répondre.
Toujours.
Il se releva. Redescendit par les sentiers en lacets. 30 à 40 % de pente.
Les pierres roulaient sous ses semelles, mais il gardait l’équilibre.
Les arbres formaient une arche, et plus il descendait, plus la ville reprenait ses droits.
En bas, Nevir bruissait encore.
Midi approchait. Il repassa devant la salle capuche sur la tête le regard droit.
Les foodtrucks étaient sortis dans la rue du Marché. Il longea les camionnettes à l’odeur de graillon. Il s’arrêta devant un stand thaï.
Nouilles sautées, bœuf, cacahuètes. Il paya en cash.
Deux rues plus haut, une voiture noire roulait au pas. Une Mercedes GLA. Vitres teintées. Plaques propres. Personne ne la regardait.
Mais elle voyait tout.
— Là. C’est lui !
— Tu crois ?
— La mèche, le sweat, le genre froid. C’est lui.
— T’es sûr ? Tu t’es fait soulever par un p’tit gars comme ça ?
— J’te dis, il nous a pris par surprise. Il avait un cran d’arrêt.
— Mhm.
— Et il a explosé Diabaté.
—Ok, j’vais me le faire.
La voiture continua doucement, se fondant dans le flux des véhicules, glissant comme une lame entre les trottoirs, descendit au ralenti la rue Camus, coupa le carrefour, puis se gara plus bas, entre deux fourgons. Moteur tournant.
— Tu veux qu’on le prenne maintenant ?
— Non.
— Pourquoi ?
— J’veux juste savoir où il vit.
La dame le servit sans le regarder.
Mäczek mangeait en marchant. Les nouilles fumaient. La sauce piquait. C’était bon. Mais pas suffisant pour l’apaiser,
Il longea la rue de la Forge, puis coupa par l’arrière de l’église.
Un chat passa entre ses jambes. Les enfants criaient dans une cour.
Derrière lui, la voiture redémarra, continuant sa filature. Pas trop près. Ni trop loin. Juste assez pour garder le fil sans se faire remarquer.
Maczek arriva chez lui.
Appartement modeste, immeuble discret, au-dessus d’un ancien local fermé depuis des années.
Il entra.
Ferma à double tour, se posa sur son canapé. Les bandes s’enlevèrent lentement, les phalanges rougies, la peau à vif.
Il nettoya. Il ne grimaça même pas. Il avait connu pire.
Il s’habilla sans trop réfléchir : bas de jogging, t-shirt noir.
Il se fit un café.
Puis s’installa dans son lit.
Un vieux livre sur les structures porteuses en main. Le genre de truc qu’il lisait en silence.
Dehors, la Mercedes était toujours là. Garée. Moteur éteint. Mais deux regards vissés sur ses fenêtres.
2h47.
Un silence lourd régnait dans l’appartement. Le genre de silence qui fait peser les murs. Il s’était écoulé presque six heures depuis qu’il s’était endormi.
BOUM.
Un bruit sourd. Métallique. Un coup sec qui fit vibrer l’air.
Mäczek ouvrit les yeux. Pas d’affolement. Juste une crispation, une tension fine dans les tempes, comme un écho intérieur. Il resta immobile. Écouta. Le souffle ralenti, presque absent.
BOUM.
Une seconde fois. Plus appuyé.
La porte arrière trembla, ses gonds grincèrent comme sous une pression contenue.
Il ne bougea pas encore. Le silence retomba, encore plus dense. Il attendit. Chaque fibre de son corps tendue, comme un fil prêt à rompre.
Encore un coup. Puis un autre. Mais moins fort. Comme si celui qui frappait hésitait. Ou ne savait pas frapper.
Il se leva. Pieds nus sur le sol froid. Avança vers la fenêtre de l’étage. Souleva doucement le coin du rideau.
Deux lumières blanches. Faibles. Balayaient son jardin. Deux silhouettes. L’une massive. L’autre plus maigre, plus vive.
Téléphones en main.
« C’est quoi ces voleurs.. » se dit-il avec mépris.
Mäczek n’alluma aucune lumière.
Il descendit calmement. Enfila son hoodie à capuche bleu. Rien d’autre.
Dans le tiroir du salon, il prit sa baïonnette. D’origine ukrainienne.
Une lame d’AK-47 longue de 42cm.
Tranchante. Rien de bien légal.
Il ouvrit la porte sans bruit. Et sortit. Dans le jardin, l’air était humide. Le silence presque irréel. Seuls les pas des deux intrus crissaient sur les cailloux.
Il s’avança.
La lame à la main. Son souffle résonna dans la nuit.
Les deux se figèrent. Le grand se retourna.
2 mètres. Large comme une armoire, poings américains à chaque main.
— Qu’est-ce tu veux, toi ? Tu cherches la merde ? Dit il avec un accent de l’est.
Mäczek pointa la lame vers lui. Sa voix était sèche.
— Vous êtes qui ? C’est quoi votre problème à vous aussi ?
L’autre plus petit leva la main. Judicaël, Le survivant.
— C’est lui ! Il a tué Diabaté ! Fume-le, gros ! C’est lui !
Mäczek pencha la tête. Le regarda un instant.
— J’te connais même pas. L’autre, il a essayé de me planter. Et il était avec… ah ouais. C’est toi, fils de pute !
Judicaël recula d’un pas. Le grand s’avança d’un coup sec. Poings américains en avant.
Gauche. Droite.
Tout en force aucune vitesse, Mäczek esquiva sans reculer. Juste des hanches.
Un pas glissé. Calme.
Deux coups évités, dans la foulée, il pivota, attrapa Judicaël par les cheveux, et lui plaqua la baïonnette sous la gorge.
La peur se lu sur le visage de ce rat.
— Bouge… et je l’égorge comme un porc.
Le grand gronda.
— T’as pas les couilles.
Mäczek le fixa. Longtemps. Les secondes passèrent. Puis, sans un mot, il jeta la lame au sol.
Le métal tinta.
Dans le même souffle, il balaya Judicaël d’un coup sec. Le fit tomber comme un sac de linge.
Et, sourire froid aux lèvres, il fonça vers le géant.
Il envoya un genou sauté. Un clac sec contre le torse.
Il le saisit à la taille, pris son dos avec facilité et lança un supplex parfait. Le géant décolla. S’écrasa tête la première au sol.
« Encore un gros balourd sans technique, hein… »
Puis il envoya un coup de talon en pleine mâchoire. Encore un. Et un autre. Et un quatrième.
Jusqu’à ce que ces démons se taisent.
Judicaël tenta de ramper, mais Mäczek l’attrapa avant la clôture et le jeta en arrière.
Il lui lança le Poing américain qu’il avait récupéré sur l’autre.
—Bats-toi !
Il se mis à trembler de toute part, incapable de réfléchir pratiquement, son corps voulait survivre mais son esprit voulait n’avoir jamais rejoint ce corps frêle et lâche.
Maczek avança vers lui le regard vide. Judicael attrapa son arme mais n’eut pas le temps d’armer, qui ressenti une douleur intense le traverser.
A l’instant où il attrapa le poing américain Maczek fondit sur lui tel un taureau lui brisant 3 côtes, témoins de la violence de l’impact, il le souleva comme un déchet et l’envoya contre le mur de sa maison. Ne lui laissant aucun répit il saisie son dos, et commença l’étranglement arrière.
Verrouillage parfait.
— C’est fini. Tu vas crever.
Mäczek avait le regard noir il était déchaîné
Judicaël pleurait. Il bavait. Il étouffait. Ses bras frappaient l’air. Imitant les derniers instants d’un insecte prit dans la toile d’une araignée.
Puis ralentirent. Puis tombèrent.
Mäczek le relâcha.
Son corps tomba sur le flanc, inconscient.
Il ne paniquait plus. Il savait. Encore une fois, il n’avait pas commencé. Mais il avait du finir.
Bizarrement l’homme s’habitue beaucoup plus vite à survivre, qu’au confort.
Il les traîna. Un par un. Les jeta dans leur voiture. Il conduisit. Loin. Hors de Nevir. À 20 kilomètres, dans une zone boisée, il connaissait les bois par cœur il savait où aller quand il le fallait. Il coupa le moteur. Ouvrit le coffre.
Il resta un moment à le regarder. Pas par plaisir. Mais parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire. Incapable de les finir, il préféra s’en aller les laissant à leur sombre destin, il n’était pas ce genre d’homme, il refusait de le devenir.
CHAPITRE 15 fin.
Il resta un moment, debout face à la voiture. L’allumette entre les doigts.
Mais non.
Il ne l’alluma pas. Il recula d’un pas, inspira, regarda autour. Il balança l’allumette éteinte dans les feuilles mortes, et referma le coffre.
Sans bruit.
Il reprit la route. À pied.
La nuit était épaisse, sans lune. La départementale dormait derrière la lisière, un ruban noir sans phares. Il marcha longtemps, dix, quinze minutes, jusqu’à capter une barre de réseau au creux d’un vallon. Le froid lui piquait les doigts quand il fit défiler les noms.
Anastasia.
Il l’appela, le téléphone sonna. Deux fois.
— Allô ?…
Une voix endormie. Il entendit un froissement de draps, une respiration retenue.
Il ne répondit pas tout de suite.
Puis lâcha, sec :
— J’ai besoin d’un coup de main. J’suis à 20 bornes de Nevir. Tu peux venir ? Je suis dans les bois je t’expliquerai…
Un silence. Court.
Puis :
— J’arrive ..
Elle arriva vingt-cinq minutes plus tard. Deux faisceaux griffèrent les troncs. La Golf d’Anastasia se cala au ralenti, warning allumés. Elle descendit sans maquillage, capuche rabattue, pull large, le visage tiré, les yeux plissés par la nuit. Pas de questions. Juste un mot :
— Monte.
Il monta à l’arrière. Elle ne posa pas de question.
Juste un regard dans le rétro, elle le vit s’écrouler contre la portière.
Il dormait avant même le premier virage.
Devant chez elle, elle ne fit aucun bruit, coupa le moteur, ouvrit la porte et le regarda encore un instant, endormi.
La tension dans les mâchoires. Même dans le sommeil, il ne lâchait rien.
Elle lui tira une couverture sur le torse, puis s’assit au sol, dos contre le mur et resta là. À l’écouter respirer. Puis elle s’endormit sur la place avant de sa Golf.
Le lendemain, 6h42.
Le réveil vibra sur le siège passager. Elle sursauta, remonta chez elle nourrir les chiens, prépara du café, prit une douche rapide, enfila son sweat de la salle et un legging. Le genre de tenue qui passait partout.
À 7h30, elle le secoua doucement.
— Faut qu’j’te ramène. Je dois allez en ville.
Il ouvrit un œil.
Hocha la tête. À moitié réveillé.
Sur le trajet jusqu’à Nevir, ils ne parlèrent pas.
Juste un regard, au moment où il descendit. Et un léger mouvement de tête, comme pour dire merci.
Elle partit en silence.
De son côté Maczek marchait vers chez lui téléphone à la main, quand il reçu un message de sa mère :
« Bon courage pour le travail mon ange »
Le travail ?
« PUTAIN TROU DUC j’suis dans la merde la »
Il se mit à paniquer et partie en direction de son chantier à toute vitesse n’ayant pas ces chaussures de sécurité avec lui.
« Tant pis j’ai pas le temps j’ai le reste là haut »
8h chantier.
Le bruit des meuleuses emplissait l’air, mêlé aux moteurs qui ronronnaient et aux coups secs des gants claquant contre le béton.
Un vacarme constant, mécanique, qui noyait toutes les pensées.
Personne ne savait. Personne ne regardait.
Lui, il bossait.
Tête baissée, dos voûté, mains sales, il enchaînait les gestes simples, réguliers. C’était ça qui lui convenait : la répétition, l’absence de mots, l’impression de disparaître derrière l’effort.
De l’autre côté de la ville, Anastasia avait repris la salle. Nora n’était pas là ce matin, et son absence se sentait comme un trou dans les murs.
Une ambiance flottante, diffuse, sans repères.
Des saluts murmurés, des sourires forcés, des regards trop vite détournés.
Elle les encaissait un à un, sans répondre, sans offrir plus qu’un signe de tête.
Elle savait. Les langues finiraient par tourner, forcément. Les gens finissent toujours par inventer quand ils ignorent. Tous l’avaient vu déposer Maczek devant la salle et de faire comme si de rien n’était.
Mais elle restait calme. Du moins en surface.
Parce qu’au fond, il y avait ce petit poids dans son ventre, lourd, fixe.
Comme si elle avait hébergé un orage et qu’il n’était jamais vraiment reparti.
Il ne lui avait rien dit.
Rien sur l’appel nocturne. Rien sur les bois. Rien sur le d’être couvert de trace de boue et d’herbe à 2h du matin.
Elle avait accepté son silence, mais elle en portait la trace, comme une brûlure sourde.
Dans une tour, quelque part, une pièce sans fenêtres étouffait dans sa propre pénombre.
Un téléphone vibra. Trois fois sans réponse.
Le boss lâcha l’appareil sur la table, agacé.
— Putain, il répond pas. Judicaël, ce chien, il décroche jamais quand faut ramener les sous.
Un des gars leva lentement la tête, les yeux rougis par la nuit blanche.
— Tu crois qu’il s’est barré ? Ça circule… Apparemment, ça a chauffé près de Nevir.
Le boss grimaça, sa mâchoire jouant sous la lumière blafarde.
— Vous avez un nom ? Une piste ?
Le type consulta son téléphone, défila lentement, plissa les yeux.
— Celui qui les aurait niqués… un gars du coin.
(Il relève la tête) — Mäczek L. Basic Sambo. On l’a.
8h32.
Le chantier vibrait au rythme des machines.
Les meuleuses grésillaient, les gants claquaient, les moteurs ronronnaient dans une symphonie de fer et de poussière.
Le béton se coulait en silence, lourd comme un fleuve gris. Le soleil frappait déjà les plaques métalliques, saturant l’air d’une chaleur poisseuse.
Mäczek enchaînait les sacs.
Son t-shirt lui collait à la peau, ses épaules s’arrondissaient sous le poids, mais ses gestes restaient nets.
Précis. Contrôlés.
Le genre de travail où l’on s’efface derrière l’effort, où chaque mouvement simple efface les questions trop lourdes.
Deux silhouettes passèrent la grille, en civil, badges à demi montrés.
— Mäczek ? Vous avez Deux minutes ?
Le ton était professionnel, sans menace. Juste cette neutralité qui fait plus peur que la colère.
— Signalement hier soir à la Salle de sport. Une bagarre entre vous et Mr X. Il a retiré sa plainte ce matin, mais nous avons quand même voulu nous assurer qu’il s’agissait bien de vous Maczek L.
Ils posèrent deux questions, notèrent ses réponses.
Un contrôle à la va-vite, une vérification de routine. Rien de plus.
— Restez joignable. Bonne journée.
Ils repartirent comme ils étaient venus, silhouettes avalées par le soleil cru du matin.
Le contremaître passa derrière lui, tapota son épaule sans un mot. Un simple geste, mais qui valait plus qu’un discours.
À midi, il quitta le chantier.
Le corps lourd, mais le cœur étrangement léger. Heureux d’avoir appris qu’il n’y aurait pas de plainte, il remercia Claire dans sa tête et se promit de lui rendre la pareil un jour ou l’autre.
Il s’assit sur un muret chauffé par le soleil, aux côtés de deux collègues.
Un sandwich au thon, des chips écrasées, une bouteille d’eau tiède circulaient entre eux.
Ça rigolait. Ça parlait de foot, de voitures, de conneries de quartier.
Et lui, il riait aussi. Simplement. Pour une fois.
Ce boulot payé au lance-pierre, c’était sa zone neutre.
Ici, pas de légende. Pas de posture.
Juste des hommes qui portaient, qui soulevaient, qui pliaient l’échine pour nourrir des familles.
Il aimait ça, ce moment.
Un éclat de normalité, volé entre deux ombres.
Presque sans réfléchir, il sortit son téléphone.
Ses doigts tapèrent vite, comme pour ne pas lui laisser le temps de changer d’avis :
« Dispo ce soir ? J’connais un petit italien. T’te paye le meilleur tiramisu de ta vie. »
17h48.
La réponse claqua.
« 20h15. Pas une minute de plus. »
Chez lui, Mäczek se préparait avec une précision militaire : chemise noire mate, tailleur sombre, Converse jaunes pour casser l’allure. Montre droite, cheveux plaqués, gestes économes. Pas un mot. Juste un rituel silencieux.
Chez elle, Anastasia hésitait. Elle attachait ses cheveux. Les relâchait. Les attachait encore.
Elle essaya trois hauts, quatre paires de chaussures, avant de s’arrêter sur une robe rouge, fendue juste ce qu’il fallait. Escarpins noirs.
Un équilibre instable entre fierté, doute et ce besoin irrépressible de plaire.
20h14.
Resto italien, centre de Nevir.
La terrasse pavée baignait sous un néon ambre qui retenait la chaleur du jour.
Ils s’installèrent face à face.
Pas de cinéma. Pas de faux-semblants.
Juste deux êtres qui avaient décidé, l’espace d’un soir, de se donner la meilleure version d’eux-mêmes.
Le repas fut fluide, presque trop.
Il lança une blague sèche, elle éclata de rire, un peu trop fort.
Elle le coupa parfois, par impatience plus que par malice.
Ils parlaient comme s’ils s’étaient toujours parlé, comblant les trous de silence avec une aisance nouvelle.
22h02.
Ils marchaient sur les pavés mouillés. Les lampadaires dessinaient des flaques d’or autour de leurs pas.
— Tu veux monter ?
— J’peux pas. Les chiens. J’ai déjà abusé. Répondu telle avec le regard fuyant, presque gênée par cette situation.
Il hocha doucement la tête.
Puis s’approcha, sans brusquerie. Il saisie la pointe de son menton avec ces doigts et l’inclina légèrement vers le bas.
Un simple baiser sur le front.
Juste ça. Pas plus.
Mais pour elle c’était comme une éclosion, son corps tout entier était connecté à la même chose au même moment.
Elle resta droite. Surprise. Tenue. Se jurant de ne rien laisser paraître au risque de mettre fin à ces jours par la suite.
Puis fit un pas en arrière, un sourire lui échappa malgré elle.
Elle tourna les talons, repartit dans la nuit.
Le chemin du retour lui a paru filer en quelque seconde, tellement son esprit était marqué par ce baisé, ce regard, son odeur qui s’est rapprochée d’elle, elle n’a cessé de ressentir son cœur battre et son estomac se serrer
Elle était heureuse.
23h10.
Arrivée chez elle, elle referma la porte de son appartement. Le bruit sec de la serrure résonna trop fort dans le silence.
Ses clés glissèrent de sa main, tombèrent au sol dans un tintement nerveux. Elle s’accroupit pour les ramasser, et là… elle sentit quelque chose, cette sensation oppressante, presque physique, d’une présence qui n’avait rien à faire là.
Un silence trop lisse.
Un air trop dense.
Elle se redressa lentement, son cœur battant déjà plus vite.
— Gaspard ? Louka ?
Rien.
Pas un son. Pas un aboiement.
Elle avança vers le salon, chaque pas plus incertain que le précédent.
Elle fut prise de nausées, son corps rejetait quelque chose, c’était physique. La main sur la bouche, Anastasia chercha l’interrupteur du salon, c’est là qu’elle le vit.
Assis dans l’ombre du fauteuil.
Mathias.
Ses cheveux longs, son visage creusé, ses yeux vides.
Et ce rictus… ce rictus-là qui n’avait pas bougé. Le même qu’avant.
Glacial. Écoeurant.
— Salut, beauté.
CHAPITRE 16 fin.
Elle recula d’un pas, déjà prête à refermer cette réalité sur elle.
— Qu’est-ce que tu fous là ? Dit elle la voix tremblante.
— J’te cherchais.
Il souriait sans chaleur.
— J’te retrouve, t’es dans les bras d’un autre. Tu pensais vraiment que j’avais tourné la page ? Son regard venait de changé et en un instant.
Elle serra les poings.
— C’est fini, Mathias. Depuis des années. Tu m’as pourrie. Tu touches à rien et tu dégages.
Mais il se leva.
Et d’un coup, sa carrure emplit la pièce. Un bloc de chair et de rancune.
Il s’approcha vite. Trop vite.
— DÉGAGE ! hurla-t-elle, la voix brisée.
La main de Mathias partit. Une gifle violente.
Le choc la renversa. La joue en feu. Les oreilles bourdonnantes.
Il monta sur elle, la cloua au sol de tout son poids. Son souffle fétide dans son cou. Ses yeux injectés d’une haine sèche.
— T’étais à MOIIII !
Elle ne criait plus. Elle pleurait silencieusement.
Et dans le chaos de son crâne, une image s’imposa.
Mäczek.
Sa voix. Son calme. Son regard. Comme une ancre. Une force. Un signe de dernier espoir.
Elle rouvrit les yeux, la rage de se sentir impuissante face a ce fils de pute, la rage d’être encore et toujours la pauvre merde à subir, lui fit prendre le dessus sur la peur, un instant. Un instant de lucidité importante.
Anastasia lui envoya un coup de tête, un coup de toute ces forces qui lui entailla instantanément le crâne, mais elle ne s’arrêta pas, dans l’élan de sa colère elle frappa à nouveau. Sans penser. Sans viser.
Un coup net, précis, droit dans l’entrejambe.
Elle roula sur le côté, se dégagea à toute vitesse, courut vers l’escalier.
Mathias hurla, son corps se plia. De son nez le sang coulait à flot.
Les chiens aboyaient derrière la porte. Grattant. Hurlant.
Louka, le labrador, poussait des cris de loup.
Gaspard grognait sans comprendre, mais prêt à bondir.
Elle monta les marches, tremblante, sa clé dans la main comme un couteau. Elle referma la porte de l’étage derrière elle, s’effondra contre, reprenant son souffle.
Et appela sa mère.
— M’man… y’a Mathias… il est là… il m’a frappée…dit elle en sanglot.
— Quoi ?! Tu es où ?!
Mais c’était trop tard.
En un instant, la porte explosa.
Mathias surgit. Un couteau à la main.
Le visage déformé par la rage. Ses yeux étaient fous. Brûlants. Incontrôlables.
Louka bondit, droit, vers le bras non armé. Sa mâchoire chopa violemment la chaire de Mathias, les crocs acérés du molosse transperça immédiatement ces tissus.
Le hurlement fut immédiat.
Puis, dans un excès de colère, la lame transperça le pelage de l’animal.
Louka tomba lourdement sur le parquet, gémissant.
Gaspard tenta de suivre. Aboya, sauta. Mais Mathias, blessé, défiguré de haine. Fit arrêter le doberman, tétanisé par cette ombre qui hurlait devant lui et sa maîtresse.
Il hurla de rage avant de s’enfuir :
— Tu vas crever, salope ! J’reviendrai ! T’es finie !
La porte de l’appartement claqua. Les escaliers tremblaient sous ses pas. Puis le crissement des pneus vin offrir un semblant d’apaisement à la situation. Du moins c’est ce qu’on pourrait penser.
Anastasia tomba à genoux.
Louka saignait, lentement. Son souffle court. Ses yeux brillants d’un amour silencieux.
Elle le serra contre elle. Hurla de toute ces forces.
Un cri d’animal. Un mélange de rage, de tristesse, d’impuissance. Un cri de fin du monde.
Sa mère, toujours au bout du fil, en larmes :
— J’appelle les flics, les pompiers, tiens bon ma chérie… j’arrive…on arrive tous. Dit-elle en état de choc
00h20.
Les gyrophares tâchaient la façade de reflets bleus et rouges. Pompiers, police, voisins en panique, tout s’était condensé dans cette cage d’escalier étroite où les cris et les ordres se superposaient.
On l’évacua dans la confusion, mais déjà, chacun savait. Les gestes se faisaient mécaniques, rapides mais vides d’espoir.
Dans l’ambulance, le monde s’étrécit. Plus rien que l’odeur métallique du sang, les mains qui s’agitaient, les voix étouffées dans les radios. Anastasia, elle, ne voyait plus rien. Ses yeux étaient fixés sur Louka, étendu, la tête posée sur ses genoux.
Le souffle du labrador se brisait par saccades, comme si chaque inspiration cherchait à retenir encore un peu de vie. Ses yeux, pourtant, restaient ouverts, inondés d’une loyauté douloureuse, comme s’il cherchait à lui dire que ce n’était pas de sa faute, que jusqu’au bout, il resterait là.
Elle le caressa en tremblant, les doigts rouges, ses larmes s’écrasant sur le pelage chaud qui se refroidissait déjà.
Elle lui parlait, des mots qu’elle-même n’entendait pas, un flot brisé de prières et de refus.
Louka, doucement, cessa de lutter.
Son corps se détendit d’un coup, comme si tout poids l’avait quitté. Ses yeux restèrent fixés sur elle, jusqu’au bout.
Alors Anastasia hurla à nouveau, mais ce cri n’avait plus de voix. C’était un souffle arraché, un son qui n’appartenait pas aux humains. Le cri d’une mère perdant son enfant. Un cri que rien ne pourrait effacer.
La sirène de l’ambulance hurla elle aussi, comme pour répondre, se mêlant à ce chaos intime.
Et la nuit, dehors, continuait d’avancer, indifférente.
Devant l’immeuble, une voiture de police restait stationnée, phares bleus qui pulsaient encore sur les façades humides.
Un brigadier s’approcha de la mère d’Anastasia. Elle tremblait, bras croisés, mais la voix tenait encore.
— Madame, vous pouvez nous dire qui était l’agresseur ?
Elle inspira, fixant le trottoir comme pour y chercher les mots.
— Mathias… Mathias M. Je connais que ça. Vingt-quatre ans… Il ne branlait rien. Jamais.
— Vous savez d’où il vient ?
— Non. Rien. Juste… il nous a pourri la vie.
Le brigadier nota, hacha les lignes sur son carnet. Pas d’émotion, mais son regard était lourd de sens.
— Très bien. On lance un signalement immédiat. Vous serez recontactée pour le suivi.
Elle hocha la tête, épuisée.
La lumière bleue continua de pulser, comme un cœur artificiel battant au milieu du chaos.
pendant ce temps-là, à Nevir, dans son appartement trop calme, Mäczek s’endormait à moitié.
Un léger sourire au coin des lèvres.
Il pensait à demain. À la salle. À elle. À son envie de la revoir, de discuter de son geste. Pourquoi pas recommencer.
Il était gêné. Il ne savait pas si c’était trop, ce baiser sur le front.
Si ça ne faisait pas prince de Bollywood.
Au même moment, une branche heurta sa fenêtre. Il interrompit ses pensées. Regarda au-dehors.
Rien ne bougeait.
Il respira, éteignit sa lumière et s’installa dans son lit, afin de profiter d’une vrai nuit de sommeil.
CHAPITRE 17 fin.
Le lendemain, 17h04.
Le chantier s’était vidé, ne restaient que quelques bruits métalliques épars et le grincement lointain des grues.
Mäczek, les mains encore pleines de ciment, les frottait machinalement contre son jean noir.
Le soleil descendait lentement derrière la structure du bâtiment B, traçant des ombres longues sur le béton brut.
Il ramassa son sac, hocha la tête à deux collègues sans vraiment parler, et prit le chemin de la salle.
17h37, Basic Sambo
Nora était derrière le bureau, concentrée sur des papiers, tandis que Damien désinfectait méthodiquement les haltères, casque vissé sur les oreilles.
Quand Mäczek entra, les conversations s’interrompirent brièvement. Pas un mot, mais des regards. Lourds. Curieux. Méfiants.
Il ne perdit pas de temps et s’avança vers eux.
— On peut parler deux minutes ? demanda-t-il d’une voix calme, mais ferme.
Damien releva la tête. Un simple hochement. Nora le suivit sans un mot. Derrière le rideau de la salle de cardio, loin des oreilles, Mäczek parla.
— Il m’a sauté dessus. Je n’ai pas cherché les histoires. Mais j’ai plus le réflexe d’encaisser et discuter. Mon corps, il répond. Il se défend. J’le sais que c’est trop… Mais parfois, c’est ça ou crever.
Nora resta silencieuse, le regard bas, comme si elle pesait chaque mot. Damien, lui, hocha doucement la tête, et répondit simplement :
— On comprend. Mais faut trouver un autre moyen. On t’aime bien, frère. Mais ici, y’a des gens, des regards, des mômes… Tu peux pas tout cramer à chaque fois qu’un con te teste.
Un silence passa. Puis un signe de tête. Leurs poings se touchèrent, comme un pacte fragile, mais sincère.
—Bon retour parmi nous mon pote.
18h12.
Séance jambes spécialisée pour la lutte.
Circuit 1 : fentes profondes lestées, step-ups explosifs sur box, montées de genoux avec résistance, tirage de sac de 40 kilos en marche arrière.
Circuit 2 : squats sautés, farmers walk, saisies de jambes sur cible mouvante, projection de médecine ball contre le mur.
Mäczek soufflait fort, les muscles chargés, les appuis lourds mais solides. Son corps lui répondait à 100% à présent.
En s’étirant, il sortit son téléphone. Il envoya un message à Anastasia.
« Yo J’espère que tout s’est bien passé au boulot.»
Aucune réponse.
Il fronça les sourcils. Une ombre passa dans sa poitrine.
« J’ai merdé ? Le bisou, c’était trop ? »
Peut-être qu’elle ne voulait rien de tout ça, peut-être qu’elle s’est sentie piégée…
Il resta là, assis sur le bord du tatami, son regard perdu dans un coin de la salle, le téléphone toujours en main, sans vraiment savoir s’il devait renvoyer un message.
Une voix derrière lui, discrète mais sûre :
— Tu cherches Ana ?
Il se retourna.
Une copine à elle, le genre toujours au courant, déjà au courant. Une copine qui comme toute les copines savaient les regards qu’Ana portait à ce bel homme.
— Elle a eu un gros souci hier soir, chuchota-t-elle. Elle est à l’hôpital.
Mäczek la fixa, le sang déjà en train de se retirer de ses joues.
— Quoi ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Et alors elle raconta. La maison. L’ex. Le couteau. Le chien.
Chaque mot tombait dans sa poitrine comme une enclume. La salle autour de lui disparaissait. Les murs s’effaçaient, les bruits devenaient des échos. Son cœur cognait trop fort. Ses mains tremblaient.
Il se leva, sans un mot.
Damien le vit passer en courant vers l’extérieur.
— Gros ! Y’a quoi ?!
Il se lança à sa suite, paniqué. Il se retourna vers Nora, la gorge nouée.
— Il va faire une connerie. J’le sens.
Il l’embrassa sur le front, avec ce genre de tendresse rapide et sincère que seuls les vieux couples peuvent se permettre.
— T’inquiète, ma chérie. J’peux pas abandonner mon pote. On se retrouve ce soir. Je t’aime.
18h49.
Il le rattrapa sur le pont principal, là où la ville vibre doucement entre le fleuve et les collines.
— Monte.
Mäczek monta, sans un mot.
— Raconte, dit Damien en fixant la route.
Alors il déballa tout.
Mathias. L’agression. Le couteau. L’hôpital. Louka.
Damien serrait le volant, les phalanges blanchies, son regard restait fixé sur la route, mais à l’intérieur, ça bouillonnait. Anastasia, c’était aussi son amie.
Et ce fils de pute… Il avait touché à la mauvaise meute.
À l’hôpital, on leur barra l’entrée.
— Elle est sous surveillance. Aucune information ne peut être transmise.
Mäczek encaissa, la mâchoire serrée.
Ils repartirent. Dans la voiture, il chercha.
Facebook. Instagram. Twitter.
Mathias. Ses potes. Ses photos. Ses tags. Un petit détail, une storie.
Il remontait tout silencieusement. Avec ce feu qui ne demande plus la permission.
Damien le regardait, parfois, sans dire un mot. Il comprenait. Il ressentait ce feu-là lui aussi.
Plus tard chez Damien, Nora les attendait. Elle comprit tout de suite, rien qu’en voyant leurs visages. Ils partagèrent un repas sans appétit, parlèrent à demi-mots, esquissèrent des plans plus qu’ils n’en construisirent.
Mais Mäczek n’était plus vraiment là.
Son corps était assis. Mais son esprit, lui, cherchait déjà comment frapper.
En repartant, il longea les quais, mains enfoncées dans ses poches, l’eau sombre du fleuve glissant à ses côtés. Son appartement n’était qu’à dix minutes, mais la marche paraissait interminable.
Il allait rentrer. Se poser. Essayer de dormir.
Mais devant un petit bar, il entendit une voix.
— T’as dit quoi, l’ancien ? Tu veux qu’on règle ça comment ?!
Un type criait sur un vieux monsieur, le ton menaçant, la posture agressive.
Mäczek s’arrêta.
Il n’y avait pas besoin de plus. Le type correspondait parfaitement à la description qu’on lui avait faite ce matin, et même s’il ne le savait pas il le ressentait au fond de lui.
C’était lui.
Mathias.
T-shirt trempé, verre à la main, démarche nerveuse, les yeux qui cherchaient l’ennui.
Mäczek s’approcha, lentement, jusqu’à cinq mètres.
Puis s’arrêta.
— Mathias ! Sa voix claqua, basse et glaciale.
L’autre se retourna, d’abord confus, puis crispé, comme un enfant surpris la main dans le sac.
Mäczek planta ses yeux dans les siens, sans ciller.
— Viens. On va régler ça. Maintenant !
Pas besoin de volume : son regard suffisait à vider l’air, à réduire la rue au silence.
Il savait qu’il suffirait d’un mot, d’un mouvement, d’un seul coup pour en finir avec lui.
Un direct pleine tête, une saisie, une projection. L’histoire serait vite réglée.
Mais son esprit fit un détour. Il revoyait Mehdi. Ce brancardier calme, digne, debout dans la tempête.
Et ses mots, simples, droits, posés comme des pierres :
“La vengeance est légitime. Mais pas forcément utile.”
“Quand tu t’y abandonnes, tu deviens leur reflet.”
Puis une autre image, plus vive, plus brutale encore :
Anastasia.
Ses chiens. La peur dans sa voix.
Son cœur était tiraillé entre ce qu’elle a pu ressentir face à ce chien, et aussi le fait qu’il ne veut plus reproduire ce qu’il a fait à l’hôpital avec diabate
Il recula d’un pas. Juste un. Un geste minuscule.
Mais Mathias, lui, le vit autrement.
Il crut à une hésitation.
À une ouverture.
Alors il avança, sec, arrogant.
— Tu crois que tu fais peur, avec ta gueule de ténébreux ? J’vais t’expli…
Sa main partit, un sucker punch de traitre, mais elle n’atteignit rien.
Mäczek la saisit au vol. Serrant le poignet, pouce verrouillé contre la paume. Une saisie nette, chirurgicale.
Et il serra de plus en plus fort.
Mathias hurla.
Un cri aiguë, involontaire.
Ses genoux plièrent. Il tomba, lentement, jusqu’au sol. Impuissant face au retour du destin qu’il s’apprêtait à subir.
Mäczek ne bougeait plus. Il n’y avait pas de haine dans ses yeux. Rien que ce froid absolu, cette maîtrise nue, presque inhumaine.
— Écoute-moi bien. Je vais le dire une seule fois. Tu t’approches encore d’elle…Tu lèves le petit doigt sur elle, ou vers sa mère… Tu souffles même dans sa direction…
Il s’approcha d’un pas.
— Je te traque. Je t’éteins. Et j’efface tout ce que t’as aimé.
Mathias tremblait. Ce n’était pas une menace. C’était une sentence.
Mäczek le relâcha.
Et Mathias resta là.
À genoux. Muet. Le regard fuyant, les épaules basses.
Soumis. Rangé.
Il n’y avait plus de combat. Plus d’enjeu. Seulement un écart. Absolu.
Mäczek repartit, les mains dans les poches. Il ne regarda pas derrière lui.
Il quitta le centre de Nevir, traversa les ruelles sombres, les murs humides, puis arriva près du Bois de la Pachelle.
Un banc l’attendait là, silencieux, trempé de rosée. Il s’y assit.
L’air était frais. Les collines noires l’entouraient, figées dans l’ombre.
Au-dessus, la lune.
Il sortit son téléphone. Il hésita. Longtemps.
Puis tapa lentement :
« Salut… j’ai appris ce qui s’est passé. Je suis désolé. J’suis inquiet. Vraiment. Je voulais juste que tu saches que je suis là. Et que je tiens à toi. »
Il leva les yeux vers le ciel. Le silence du bois l’entourait. Dense. Plein.
Et alors seulement, il appuya sur envoyer.
Il rangea le téléphone, se leva, et reprit la route. Toujours seul.
CHAPITRE 18 fin.
Mercredi matin. 7h41.
Le chantier était fermé. La pluie avait repris, dense, étalée comme un rideau d’eau gris. Rien ne tiendrait aujourd’hui sur les échafaudages. Le béton serait froid. Le métal trop glissant.
Mäczek resta un moment devant la fenêtre, observant les gouttes s’écraser contre la vitre en petits éclats translucides. Tout paraissait en suspens, figé. Comme si même la ville retenait son souffle.
Aucun bruit. Aucun message. Toujours rien d’Anastasia.
Il enfila un short, un hoodie noir. Pas pour la chaleur. Juste pour éviter de sentir la pluie lui coller la peau comme une seconde couche de doute. Puis il sortit.
Il courut. Pas vite. Pas loin. Juste assez pour activer ses muscles, réveiller ses articulations, forcer son cerveau à se fixer sur autre chose que les images qui tournaient en boucle. Les flaques éclataient sous ses pas, renvoyant des éclats de ciel gris dans le bitume.
Aucune nouvelle de Mathias. Aucune nouvelle des deux gars de dimanche. Aucune nouvelle d’elle. Alors il accéléra, comme pour crever ce silence.
Les gouttes coulaient le long de sa mâchoire, le goudron détrempé brillait sous ses pas comme un miroir sale. Il traversa les venelles de Nevir, puis remonta la pente vers le marché.
La pluie avait cessé, laissant sur les trottoirs un vernis brillant. Claire descendit les marches de son immeuble, sac de sport en bandoulière, cheveux encore un peu humides de la douche. Elle avait 33 ans, une vie réglée sans excès : son boulot, quelques amitiés solides, et cette petite bulle de tendresse qui commençait à naître dans ses messages du matin.
En sortant, elle leva le visage vers le ciel. L’air sentait le goudron mouillé, un parfum familier qui lui donnait presque le sourire. Son téléphone vibra. Elle glissa la main dans sa poche, lut l’écran. Un message.
« Bonne journée ma belle. Courage pour le boulot. À ce soir. »
Elle ne put s’empêcher de sourire franchement, seule sur le trottoir. Ses doigts tapèrent rapidement :
« Merci toi ❤️ passe une bonne journée aussi. »
Le message partit. Elle rangea le téléphone, ses lèvres encore étirées. Depuis quelques semaines, elle se sentait légère. Pas besoin de grands mots, juste cette certitude douce qu’elle comptait un peu pour quelqu’un.
Elle longea les façades étroites de Nevir, croisa un voisin qui sortait ses poubelles, salua d’un signe de tête. Le bruit lointain des bus, les pas pressés des gens allant au travail, tout paraissait normal, presque banal.
Son trousseau de clés tinta contre la fermeture de son sac. Elle le serra dans sa main en approchant de la salle.
Basic Sambo. Les lettres écaillées, l’enseigne encore sombre. Un rituel immuable : être la première à ouvrir, respirer cette odeur de tapis et de cuir avant que tout le monde n’arrive.
Elle ralentit un peu, respira profondément, encore portée par le sourire du message.
9h12.
Sortant de la Boulangerie, pain complet encore tiède dans le sachet lui chauffant les doigts, il prenait la direction du marché, devant lui, les étals encore luisants de pluie, les épinards tassés en bottes, les courgettes alignées comme des obus verts. Le vieux marchand le salua d’un geste lent, précis, un de ces gestes polis qui appartiennent aux gens qui ont fait la même chose toute leur vie, et rendit la monnaie avec cette lenteur appliquée qui, chez lui, n’était pas faiblesse mais rituel.
Il se retourna face au camion de boucherie, il le salua et lui demanda 500 grammes de viande haché, deux filets de poulet emballés dans un papier souillé de rouge, encore chaud de la coupe. En sortant, il leva les yeux : le ciel commençait à s’éclaircir, mais pas tout à fait.
Il consulta son téléphone et regarda la réponse de Damien.
« Mäczek :
Yo frérot, toujours rien ? Une info ? Quelque chose ?
Damien :
Aucune info, frérot. Désolé. »
Pas surpris. Mais soulagé, d’une manière étrange. Peut-être que ça avait suffi. Peut-être que son intervention avait porté. Peut-être qu’il n’aurait pas à aller plus loin.
Et il ne se trompait pas.
Hier soir là, à 21h13, Anastasia reçut un message.
« Mathias :
Je suis désolé. J’ai agi par jalousie, par peur. Je n’aurais jamais dû lever la main sur toi. Ni sur ton chien. Ni sur ta vie. Je veux payer pour ce que j’ai fait. Tu n’entendras plus parler de moi. Je te souhaite le bonheur. Le vrai.
Adieu. »
Un message froid, presque clinique. Comme un testament numérique. Mais entre les lignes, il y avait autre chose : une odeur de poudre. Le calme avant une tempête.
Du côté de Claire, Basic Sambo résonnait encore le silence matinal. Ce lieu avait vu naître des dizaines de gamins devenus solides, dont 2 anciens médaillés de bronze aux Jeux olympiques. Les murs transpiraient la sueur et la mémoire, les sacs pendaient immobiles, les tatamis gardaient l’odeur des corps.
C’est alors qu’une Audi noire se gara lentement devant l’entrée. Vitres teintées, moteur discret. Dans l’habitacle, le téléphone vibra.
Le plus petit décrocha, deux phrases suffirent.
Il coupa, se tourna vers son collègue.
— Ils ont retrouvé la caisse du cousin de Judicaël. Dans les bois. Vide.
— Et eux ?
— Disparus.
Silence. Puis un rictus.
— Le boss s’en fout, dit-il en relevant la capuche. Vivants, morts, c’est la même merde. Ce qu’il veut maintenant, c’est que Mäczek rembourse. C’est lui qui prend.
Claire resta quelques secondes immobile, comme si elle ressentais quelque chose de mauvais émaner de ce genre de véhicule. C’est à ce moment que les deux hommes descendirent. Capuches relevées, précipité mais assurés, leurs silhouettes se dessinant comme deux ombres plus épaisses que la pluie elle-même.
Elle rangeait le comptoir, seule. Elle les vit à travers la vitre, son ventre se serra immédiatement. Le genre d’instinct qui ne trompe pas. Elle s’avança malgré tout, prudente, et sortit.
— Vous avez besoin de quelque chose ? demanda-t-elle, polie, mais la voix plus sèche qu’elle ne l’aurait voulu.
Le plus petit répondit calmement, presque trop calmement :
— Ouais. Mäczek. Il est inscrit ici, non ? Donne son adresse.
Claire fronça les sourcils.
— Vous êtes qui ? C’est privé, ça. On ne donne pas d’informations personnelles.
Elle sentit les problèmes arriver. Elle avait le flair pour ce genre de types. Le plus grand s’avança, lentement, et attrapa le col de son sweat d’une poigne sèche. L’odeur de tabac froid et de cuir râpé monta aussitôt à ses narines.
— Écoute-moi bien, salope. Tu me files une adresse… ou on t’encule. Toi, et tous les p’tits pédés derrière toi.
Claire restait droite, mais son regard tremblait. Une peur froide, contenue.
C’est alors qu’une porte claqua derrière eux.
Nora venait d’arriver.
— Y’a un souci ? demanda-t-elle, un sac encore à l’épaule.
Le second gars ne répondit pas. Il la poussa d’un geste sec contre la porte. Elle glissa, se rattrapa de justesse, son souffle était coupé par le choc. Mais pas un cri. Elle gardait le silence.
Au fond de la salle, Damien leva les yeux. Il vit sa femme bousculée, plaquée comme une vulgaire chose par un inconnu. Il posa son balai, ôta son casque. Puis il avança. En marchant rapidement. Droit. Chaque pas résonnait comme une décision.
Sa mâchoire s’était serrée, son regard s’était assombri.
Il arriva à leur hauteur. Se plaça entre les filles et les deux gars
— Dégagez. Maintenant !
Les deux mecs se regardèrent, surpris. Puis un rictus fendit la bouche du plus nerveux.
— Quoi, tu veux jouer au héros ? T’es qui, toi ? Le concierge ?
Damien ne répondit pas. Il resta là. Immobile. Sa seule présence formait une barrière. Un mur humain, fragile mais prêt à tenir.
— Vous partez. Ou c’est moi qui vous sors, dit-il sans hausser le ton.
Un silence pesant s’installa. Les deux types échangèrent un regard. Ils étaient deux. Larges, nerveux, la brutalité tatouée dans leurs gestes. Damien, lui, ne bougeait pas. Pas un muscle.
CHAPITRE 19 fin
Le premier coup partit sans prévenir. Une droite large, lourde, lancée comme un avertissement qu’on ne discute pas.
Damien leva l’épaule par réflexe. L’impact résonna dans son bras comme un écho sourd, mais il ne broncha pas. Pas un pas en arrière. Pas une grimace. Juste ce roc qu’il était.
Le deuxième suivit aussitôt. Un direct du gauche, plus sec, plus vicieux. Il heurta sa tempe avec la brutalité d’un marteau. Sa vision se brouilla une fraction de seconde, un voile gris traversant son regard. Il pivota, serra les abdos, absorba. Mais déjà, une jambe balaya ses appuis. Ses pieds quittèrent presque le sol, il tituba, recula, prêt à tomber.
L’autre le cueillit dans le mouvement. Crochet au corps, uppercut enchaîné. Deux coups qui claquèrent comme des pierres contre de la chair. Le bruit sourd se propagea dans la salle, glaçant les spectateurs immobiles.
Damien plia légèrement. Son souffle s’échappa en un râle bref. Mais il ne tomba pas.
Il resta debout.
Un roc. Une montagne de volonté plantée au milieu de la tempête.
Son regard se fixa. Ses pupilles devinrent deux pointes noires. Son souffle ralentit, comme s’il domptait son propre corps.
Il serra les poings, et dans ce geste, il y avait toute sa rage contenue, toute sa fidélité aux siens.
Un pas court. Une esquive. Son torse glissa juste en dehors de la trajectoire. Son bras arrière partit comme un pilon, net, précis. Le bruit sec du gant contre la mâchoire fit reculer l’un des deux types, la tête projetée en arrière.
Il enchaîna. Jab. Feinte. Double crochet au foie. Chaque frappe était calculée, froide, chirurgicale.
L’homme plia, se protégea, ployant sous le poids de cette précision. Damien remonta aussitôt avec un uppercut droit, impeccable. Le menton de l’adversaire claqua, et l’air vibra comme une cloche fêlée.
Mais l’autre n’avait jamais quitté la scène.
Une ombre lourde surgit dans son dos. Une main s’agrippa à son épaule, un genou explosa contre ses reins, puis une patate de revers s’écrasa dans sa nuque. Son corps chavira, son souffle se coupa net. Il tituba, plia, ses appuis tremblaient.
Il voulait répondre. Il voulait leur arracher les os un par un. Mais ça cognait de partout.
Et ils étaient deux.
Deux masses. Lourdes. Sales. Coordonnées.
Chaque coup qu’il envoyait lui coûtait cher. Chaque parade rognait un peu plus de souffle.
Dans l’ombre, Nora, silencieuse comme une ombre de guerre, s’était faufilée derrière le bureau. Ses doigts se crispèrent sur le métal froid d’un disque de fonte de 10 kilos. Elle le souleva à deux mains, ses bras tremblaient, mais pas d’hésitation.
Elle avança. Respira. Et frappa.
Pas la tête. Le haut du dos.
Un choc sec, brutal. Le dos de l’homme plia, son souffle se brisa, un grognement animal sortit de sa gorge sans qu’il puisse le retenir.
Damien le vit. L’ouverture s’ouvrait, une seconde. Il arma son bras arrière.
Et lança.
Un coup plein axe, droit dans la mâchoire.
L’homme chuta à genoux. Salive au sol. Sang aux lèvres. Regard noir, déchaîné, mais brisé pour un instant.
Le deuxième n’attendit pas. Comme une bête dressée, il s’infiltra dans le dos de Damien, verrouilla ses hanches, serra sa cage thoracique comme un étau. Plus qu’un contrôle, une punition.
Damien tira, poussa, tenta de rompre l’emprise. Mais l’étreinte se refermait comme une prison.
Et c’est à ce moment que Claire, sans réfléchir, se jeta sur l’homme à genoux. Une attaque désespérée. Pas d’arme. Pas de force. Rien qu’un corps fragile projeté par la peur.
L’homme se releva en hurlant, l’attrapa par la taille et la projeta violemment contre le mur.
Elle vola. Trois mètres.
Le bruit sec de son corps claqua sur le parquet. Elle roula, ses os craquèrent dans un silence effrayant, puis se recroquevilla, gémissante, incapable de respirer.
Nora hurla. Un cri brut. Et sauta à son tour.
Mais l’autre n’hésita pas. Il n’avait plus qu’une obsession : laver l’affront de ce coup qu’une femme lui avait infligé. Son orgueil brûlait. Sa haine se gonflait.
Son poing partit, lourd comme un marteau. Une patate de forain, pleine face.
Impact sec. On entendit un son étrange qui sorti de la bouche de Nora.
Son corps se plia en deux avant de s’effondre en arrière. Son crâne heurta le sol dans un bruit mat. Ses yeux se voilèrent à moitié. Son corps se mit à convulser..
Damien devint fou. Une chaleur noire monta en lui, violente, incontrôlable.
Il hurlait intérieurement, hurlait jusqu’à s’en briser la gorge. Il voulait les briser, les tuers, Mais ses bras étaient prisonniers. Sa poitrine écrasée.
Et alors, dans ce chaos, Claire, à moitié consciente, la lèvre fendue, l’œil gonflé, ouvrit la bouche. Une voix faible. Brisée.
— Il habite… Rue des Tilleuls… 14B…
Elle ne pouvait plus réfléchir. Elle ne voulait pas voir Nora mourir là, devant elle.
Damien comprit aussitôt. Son cœur explosa. Il cessa de lutter. Ses bras se laissèrent pendre. Ses jambes cessèrent de résister. Il avait perdu.
L’homme derrière lui relâcha l’étreinte, convaincu que la victoire était totale.
Damien courut aussitôt pour rejoindre Nora. Il s’effondra à ses côtés, sanglotant, murmurant son prénom, la suppliant de rester avec lui.
Les deux types remirent calmement leur capuche. Et, comme si de rien n’était, traversèrent la salle, d’un pas lent et assuré.
Ils renversèrent l’ordinateur, fracassèrent le clavier, jetèrent les papiers au sol. Un coup sec dans le comptoir, qui se fendit comme une planche.
Mission accomplie.
Et ils sortirent sans se retourner.
Leur silhouette disparut dans la nuit de Nevir.
11h57.
Le soleil tapait doucement sur les tôles des toits.
Mäczek rentrait d’un entraînement en solitaire. Son sac de course à la main. Ses jambes lourdes. La fatigue dans chaque tendon, mais aussi une paix étrange. Une paix arrachée à coups de poings dans le vide.
Quand il tourna dans sa rue, il ralentit, quelque chose avait changé. Un détail.
Sa porte était entrebâillée, brisée.
Il s’approcha le souffle suspendu.
L’intérieur de l’appartement n’était plus qu’un champ de ruines.
Le canapé éventré. Les chaises en morceaux. Les cadres éclatés. La table renversée. Le matelas lacéré. Chaque objet, chaque petit bout de sa vie, anéanti avec méthode.
Et sur le mur, trois mots. Écrits à la va-vite, au marqueur noir.
« On revindra pd »
Pas de nom. Pas de signature. Juste une menace séché, sans la bonne orthographe.
Mäczek resta planté, figé dans le silence.
Pas de vol. Pas de pillage. Rien à emporter. Rien à gagner. Juste de la rage pure. Une démonstration.
Il regardait ce qu’il possédait, réalisât que peu de choses. Et que même si tout était en miette chez lui, à l’intérieur n’a ne bougea.
Il prit son téléphone. Appela son père. Il décrocha immédiatement.
— Allô ?
Mäczek n’eut pas besoin de s’expliquer. Ses mots sortirent lents, mécaniques, comme ceux d’un automate. Son père écoutait, silencieux. Depuis son hospitalisation, il avait changé. Il prenait son fils au sérieux. Très au sérieux.
— Ne bouge pas, dit-il. J’arrive.
Mäczek s’assit, dos contre le mur, au milieu du carnage. Il fixait les débris de son quotidien, perdu dans ce vide immense qui avalait ses pensées.
Puis son téléphone vibra. Un message. Anastasia.
« Merci pour tout. Je vais bientôt sortir. J’ai hâte de te revoir. Je suis désolée de ne pas avoir répondu plus tôt. Bisous 💋 »
Son cœur se serra. Son monde, un instant, reprit une trajectoire.
Une lumière fragile venait de se glisser dans les fissures.
CHAPITRE 20 fin.
PARTIE II FIN.